Méthodologie du croquis
Thierry Marié
La
qualité d’une œuvre relevant des arts plastiques, quels que soient la
technique employée ou le style visé, dépend en premier lieu du sens du
dessin. Celui-ci se cultive essentiellement par des exercices de croquis
en prenant pour modèles des paysages, des objets, des animaux ou des
personnages. Ces exercices peuvent être plaisants ou très agaçants selon
qu’ils sont abordés avec ou sans méthode. Voici un rappel de quelques
règles concernant la bonne façon de s’adonner à la passionnante et
délicate discipline du croquis.
► 7 conseils fondamentaux ► 7 étapes du croquis ► 7 règles de construction |
1. Les conditions matérielles
Le matériel de base pour le croquis est assez rudimentaire : au pire et dans des situations imprévues, des feuilles de papier de médiocre qualité et n’importe quel outil graphique, même un simple stylo-bille, peuvent faire l’affaire. Evitons cependant d’être handicapés par un crayon mal affûté ou un pinceau ébouriffé. Avant de commencer à dessiner, assurons-nous d’être confortablement installés, à une bonne distance du sujet et d’avoir autant que possible un éclairage adapté. Le croquis est un exercice qui peut se pratiquer dès que l’on dispose d’une dizaine de minutes de tranquillité, dans toutes les positions, même couché en prenant ses pieds comme modèles. On peut dessiner presque partout : chez soi, dans un parc, à la plage, au café, dans le train… en conduisant un camion (non, je plaisante). Le croquis « sauvage » effectué dans les lieux publics doit s’exécuter le plus discrètement possible et même à l’insu du modèle visé si l’on veut pouvoir saisir une attitude naturelle. Les animaux domestiques font souvent de bons modèles à domicile, mais il est parfois difficile de les convaincre des avantages de l’immobilité : commencez par les dessiner pendant leur sommeil ; ensuite, si vous trouvez que votre lévrier ne tient pas la pose, vous pouvez toujours le faire naturaliser ou l’échanger contre une tortue.
2. Procéder par division
Le
dessin est un exercice réclamant des compétences singulières dont la
plus importante est celle de voir la totalité avant la partie. Nous
avons au contraire pour la plupart d’entre nous appris à considérer le
monde comme une addition des éléments qui le composent. Nous sommes
ainsi tentés de commencer un dessin par un détail parce que nous croyons
qu’en additionnant toutes les parties nous finirons par former un
ensemble aussi sûrement qu’on obtient une caisse de pommes en y ajoutant
une à une les pommes. Malheureusement il est impossible de dessiner de
cette manière car le dessin progresse par division d’une unité
primordiale et non par addition de petites unités. Il faut donc
apprendre à saisir son sujet comme un ensemble dont on va extraire des
parties et non l’inverse. Cet ensemble n’est pas une somme complexe
d’éléments simples ; c’est au contraire lui qui est l’élément le plus
simple et par conséquent le premier à dessiner. Il est possible
d’extraire un organe d’un organisme vivant, mais non d’obtenir un
organisme en additionnant des organes morts. Si nous oublions ce
principe, tous nos dessins ressembleront à la créature du docteur
Frankenstein.
3. Poser le problème dans le langage du dessin
«
Comment montrer que la jambe de ce personnage s’avance vers nous ? »
Voilà un problème dit de raccourci que le dessinateur ne pourra pas
traiter avant de le reformuler en des termes plus appropriés. Dans le
monde du dessin, aucune jambe n’avance ni ne recule car il n’existe ici
que les deux dimensions du plan : la mine du crayon posée sur la feuille
de papier peut prendre bien des directions et accomplir toutes sortes
de danses, mais elle ne peut ni s’éloigner sans trouer le papier ni se
rapprocher sans cesser d’être en contact avec la surface de la feuille.
Si l’univers entier était plat comme cette feuille, dessiner serait
aussi facile que décalquer. Mais la réalité où nous évoluons est un
volume en trois dimensions comportant du relief et de la profondeur.
Comment surmonter cette difficulté ? En s’entraînant à voir les lignes
de son sujet comme s’il s’agissait de celles d’une image imprimée sur un
plan vitré placé devant nos yeux. Il est alors possible de formuler des
questions recevables dans le monde en deux dimensions du dessin. Par
exemple : « cette ligne est-elle plus haut ou plus bas, plus à gauche ou
plus à droite, plus courbe ou plus droite.
4. Mesures et repères
L’œil
nu est rarement capable d’échapper à toutes les illusions d’optique
qu’il rencontre dans l ‘effort de perception. Il est par conséquent
indispensable d’utiliser des instruments de mesures et de repères
adaptés. On utilise, au moins depuis la Renaissance, des fenêtres de
bois ou de carton tendues de fils horizontaux et verticaux, parfois même
de diagonales, à travers lesquelles le dessinateur peut résoudre des
problèmes ardus de perspective. Pour la plupart des croquis, une règle
transparente est suffisante. Le crayon lui-même peut bien sûr remplir
cet office mais d’une manière un peu moins précise. Il est aussi
possible de s’aider d’un morceau de ficelle (pas trop élastique) que
l’on transformera en fil à plomb en attachant une gomme à l’une de ses
extrémités. Les mesures effectuées à l’aide de ces instruments ne seront
justes que si la distance qui les sépare de l’œil est constante : c’est
pourquoi le dessinateur les tient à bout de bras bien tendu.
5. Œil tendu, main décontractée
Il
est courant d’observer une inversion énergétique dans le travail du
croquis qui consiste à regarder le sujet d’un œil assez mou tandis que
la main se crispe sur le crayon. Que se passe-t-il ? Plus le dessinateur
regarde mal son sujet, plus son dessin est gauche ; plus il demande à
sa main la précision qu’elle est incapable de trouver en elle-même et
que l’œil seul pourrait lui donner, plus elle répond par la dureté. Ce
faisant, la main impuissante épuise inutilement l’énergie qui fait de
plus en plus défaut à l’oeil, et le dessinateur dessine de plus en plus
mal. La seule manière de sortir de ce cercle vicieux est de rétablir une
juste collaboration entre l’œil et la main en donnant un rôle actif à
la perception et un rôle passif à l’exécution. En dessin, la main ne
fait que suivre. Même lorsqu’elle accomplit un travail de grande
virtuosité, c’est l’œil qui la conduit. Le dessin semble alors se faire
de lui-même, comme par magie.
6. S’exercer librement
Il
est impossible de faire des progrès significatifs en dessin avant
d’avoir compris qu’un bon croquis n’est pas un objectif à poursuivre à
tout prix mais la conséquence gratuite d’une expérience menée pour
elle-même. Il est préférable de se concentrer sur la qualité de l’action
artistique en la vivant au présent plutôt que d’être obsédé par
l’espoir ou la crainte de son résultat. L’étudiant en dessin devrait se
considérer comme un expérimentateur taillé pour l’aventure artistique et
non comme un producteur angoissé par l’échec, ne s’engageant que dans
ce qu’il est sûr de gagner et refusant de goûter à la saveur de
l’inconnu. La mission d’une étude est de nous permettre d’améliorer
notre perception : ses défauts sont aussi riches d’enseignement que ses
qualités. Il n’est pas toujours utile de conserver ses croquis mais Il
ne faut cependant pas se venger de la peine qu’ils nous ont donnée en
les déchirant furieusement.
7. Le jeu et la jouissance
Dessiner
réclame un effort de concentration que l’on ne peut soutenir s’il n’est
accompagné d’un certain contentement. Mais en quoi consiste
véritablement le plaisir du croquis ? On commettrait une erreur en le
réduisant à l’autosatisfaction de l’artiste habile qui ne commet aucune
faute. Dessiner avec une constante aisance peut parfois signifier que la
pratique est confinée dans le domaine de compétences établies : la
lassitude est proche. En réalité, la véritable jouissance artistique est
produite par la sensation de se transformer et non par le sentiment
minable de réussir. Rencontrer des difficultés en dessin stimule nos
recherches. La fatigue, l’énervement et la mauvaise humeur ont aussi
leur rôle à jouer en nous offrant des indications sur la manière de
modifier notre posture psychologique. L’univers du dessin n’est pas une
tragédie absconse : les questions y trouvent des réponses et aucun
problème n’y est insurmontable. L’essentiel est de l’explorer comme un
jeu dont on découvre les règles.
1. Choix du sujet
Celui-ci
ne dépend pas seulement de notre inspiration mais doit aussi tenir
compte de la nature du type de procédé graphique employé. Il est par
exemple déconseillé de dessiner un visage d’enfant sur un petit format
avec une grosse craie noire. Le point de vue et le cadrage déterminent
déjà la qualité de composition de notre croquis.
2. Observation libre
Commençons
par observer pendant quelques minutes le sujet sans le dessiner, afin
d’en dégager virtuellement la forme générale et les lignes directrices.
Il vaut mieux se demander par quel endroit on va saisir la bête avant de
se lancer à sa poursuite. Cette étape est souvent négligée parce que
notre conditionnement éducatif et social nous fait accorder une plus
grande importance à l’action qu’à la contemplation .
3. Adaptation du format
Le
dessinateur est toujours influencé par le format sur lequel il
travaille, même inconsciemment. Si nous prenons pour modèle un
personnage svelte en position debout et que nous le dessinons dans un
format carré, nous courons le risque de ne pas trouver de place pour ses
pieds et sa tête ou bien de lui donner l’apparence d’un nain obèse.
Vérifions donc que les proportions de notre feuille ne sont pas trop
éloignées des proportions de notre sujet et procédons éventuellement aux
adaptations nécessaires. En cas d’importantes difficultés, on peut
composer un format exactement proportionné à celui d’une fenêtre en
carton à travers laquelle on observe la scène à représenter.
4. Ebauche générale
Le
but de l’ébauche est de mettre en place la forme générale à la bonne
échelle, c’est-à-dire celle qui permettra au sujet d’occuper
correctement le format. Plaçons les très grandes lignes ou les masses
principales en oubliant les détails et en travaillant d’une main légère
et souple. Il ne faut pas avoir peur de « gribouiller » un peu pour
chercher la forme.
5. Construction d’apparence
A
cette étape, il s’agit d’étudier le modèle en tenant compte seulement
de l’aspect qu’il présente à nos yeux, et non de sa structure
intrinsèque. On ne pense pas à ce que l’on dessine, on dessine seulement
les formes que l’on voit. Il s’agit ici de veiller à trois choses : la
position, la proportion et l’orientation de chaque partie. Par exemple,
lorsqu’on veut vérifier si l’on a bien construit la tête d’un
personnage, il faut poser le problème ainsi :
- Cette tête est-elle bien située par rapport au corps ?
- Sa dimension est-elle correcte ?
- L’inclinaison de son axe principal est-elle juste ?
6. Analyse de structure propre
Cet
exercice complémentaire du précédent consiste à montrer comment la
structure invisible d’une forme conditionne son apparence. Il faut ici
découvrir ce qui est caché derrière ce que l’on voit pour comprendre ce
que l’on voit. L’analyse de structure propre peut être interne et
externe. Dans le premier cas, on découvre les lignes de soutien
présentes dans les formes comme, par exemple, le squelette d’un
personnage : c’est ici que l’anatomie est utile. Dans le second cas, on
inscrit les formes dans des volumes simplifiés comme, par exemple, un
bras dans un cylindre : c’est là que la perspective est bienvenue.
7. Dessin final
On
assure les lignes les plus justes et on efface tout ce qui est inutile.
Il peut être intéressant de laisser en place quelques éléments de
construction. Le trait de finition doit être dynamique et assez riche
pour suggérer par ses modulations la lumière et l’ombre, la légèreté et
la pesanteur, la délicatesse et la force. Les contours ne doivent pas
être trop fermés, ni les ombres trop bouchées : le dessin doit respirer.
Il
est plus facile de dessiner des formes abstraites que des choses que
nous reconnaissons et à propos desquelles notre univers mental regorge
d’idées préconçues. Il est donc très pratique de pouvoir observer son
sujet comme une structure géométrique simple telle qu’un carré, un
rectangle, un triangle ou un trapèze - ou bien un assemblage de
quelques-unes de ces formes. Il est également possible d’utiliser des
lettres ou des chiffres.
2. Voir les espaces négatifs
Plutôt
que de dessiner en regardant seulement les formes constituant les «
pleins » du sujet, soyons aussi attentifs à tous ses « creux ».
Observons par exemple comment un personnage posant une main sur sa
hanche fait apparaître une forme triangulaire entre la ligne intérieure
de son bras et le bord de son tronc. Les espaces négatifs entre les «
choses » sont plus faciles à dessiner que celles-ci, car nous n’avons
pas d’a priori les concernant.
3. Recherche des milieux
Cette
méthode consiste à noter où se situe le milieu du segment reliant le
point le plus bas et le point le plus haut de l’ensemble du sujet. On
procède au même calcul sur l’axe horizontal. Cette opération peut aussi
s’effectuer sur des parties limitées du dessin.
4. Alignement de points remarquables
Les
points remarquables sont ceux qui peuvent nous servir de repères parce
qu’il est facile de les observer et de les retenir. Il peut s’agir par
exemple, de la pointe d’un sapin dans un paysage, ou bien du nombril sur
un personnage. Identifier deux ou trois points alignés horizontalement
ou verticalement donne un précieux repère de stabilité et permet
d’éviter de dessiner de travers.
5. Evaluation comparative des segments
Elle
s’effectue en choisissant un segment bien visible dont on reporte la
longueur sur d’autres parties du sujet. Pour le modèle humain, il est
courant d’utiliser la hauteur de la tête, mais n’importe quel segment
peut être utilisé comme étalon. Il est possible de construire un croquis
en choisissant au départ une « unité de base » à partir de laquelle on
estime ensuite proportionnellement toutes les autres distances.
6. Prolongation des lignes
Il
arrive souvent que deux lignes droites ou courbes se présentent dans le
prolongement l’une de l’autre, même lorsqu’elles concernent des parties
du sujet qui n’ont pas de relation directe. Par exemple, la ligne du
bord d’un nuage peut se situer dans le prolongement de la ligne d’une
branche d’arbre. Ces coïncidences d’apparence sont très utiles à la
construction du croquis.
7. Calculer les obliques avec des angles
Pour
des raisons relevant des mystères de notre fonctionnement cérébral, il
est beaucoup plus facile de mémoriser visuellement les lignes verticales
et horizontales que les lignes obliques. De plus, les lignes verticales
et horizontales sont aussi plus faciles à dessiner puisque l'on peut
s'aider pour cela des bords duformat qui sont eux aussi verticaux et
horizontaux. Il est donc recommandé de toujours calculer une oblique en
visualisant l’angle qu’elle forme avec une horizontale ou une verticale
imaginaire. Cette méthode permet par exemple de représenter correctement
une ligne fuyante trompeuse comme celle du bord d’une table ou d’un
livre.
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