Le remède pour des vaches qui rotent et polluent moins
Une nouvelle étude européenne montre que l’apport de grains
de lin cuit réduit les émissions de méthane et améliore la production de lait.
Le Monde | 17.11.2016 à 12h06 |Par Laetitia
Van Eeckhout
bon, on ne bouges pas, regardes, le petit oiseau va sortir !
Remplacer, ne serait-ce qu’en partie, dans l’alimentation
des vaches, l’ensilage de maïs ou de soja par des grains de lin cuit, riches en
oméga 3, de la luzerne ou encore du foin, permet de réduire leurs
émissions de méthane et d’augmenter leur production de lait. Si des recherches
menées en France avaient déjà démontré qu’en
modifiant ainsi le régime alimentaire du bétail, il était possible de réduire
leurs émissions de méthane, une nouvelle étude scientifique européenne
présentée mardi 15 novembre à Hanovre (Allemagne)
au salon de l’élevage EuroTier confirme que quelles que soient la race d’une
vache et son alimentation ordinaire, ce mode d’élevage
est concluant.
« En apportant des grains de lin cuit, ne serait-ce
qu’à hauteur de 5 % de la ration alimentaire d’une vache, on obtient selon
les pays une réduction de leurs rots et de leur production de méthane de
10 % à 37 % », souligne Béatrice Dupont, chef de projet au
sein de la PME de nutrition animale Valorex qui a
piloté l’étude. Ce qui est loin d’être négligeable lorsque l’on sait qu’une
vache produisant 30 litres de lait par jour émet en moyenne 150 kg de
méthane par an. Et que le méthane est un gaz à effet de serre (GES) 25 fois
plus puissant que le CO2. En France, le méthane entérique émis par
le bétail représente 7,4 % des émissions totales de gaz à effet de serre,
selon le Centre interprofessionnel technique
d’études de la pollution atmosphérique.
Initialement menée dans 16 fermes laitières françaises,
l’étude a été étendue à quelque 75 exploitations de 200 vaches en moyenne,
réparties dans six pays européens, l’Allemagne, l’Espagne,
la Pologne, le Royaume-Uni,
la Suède et
le Danemark. « Les pays où
l’on observe les baisses les plus importantes d’émissions de méthane lorsqu’on
rééquilibre leur régime alimentaire sont ceux où les vaches consommaient le
moins d’herbe à l’origine dans leur ration alimentaire ordinaire, observe
Béatrice Dupont. Ainsi, en Israël, pays sec mais où la production
laitière est la plus intensive du monde,
avec 44 litres de lait en moyenne par vache et par jour, les animaux ne sont
pour ainsi dire nourris qu’avec
de l’ensilage de maïs, du soja et des “coproduits”, issus des déchets
alimentaires. Introduire notamment
des graines de lin cuit dans leur ration alimentaire entraîne une baisse de
34 % de leurs émissions de méthane. »
Si, en France, le recul s’élève en moyenne à 15 % en
moyenne par animal, il est de 10 % en Pologne, de 13 % en Grande-Bretagne,
18 % au Danemark, 19 % en Suède, et atteint 20 % en Espagne et
25 % en Allemagne.
Limiter les importations de soja
Les bienfaits de telles pratiques agricoles vont au-delà des
économies de méthane, souligne Cyrielle Denhartigh du Réseau action climat : « Varier
les apports alimentaires des vaches, les remettre le plus
souvent possible à l’herbe permet aussi de réduire les importations d’aliments
pour animaux, relève-t-elle. Orces importations génèrent des
émissions de gaz à effet de serre, aujourd’hui non prises en compte dans les
calculs officiels, mais qui sont importants. Les importations françaises de
tourteaux de soja [aliments fréquemment donnés aux vaches notamment
l’hiver] représentent 7,7 millions de tonnes équivalent CO2 par
an ! » Cyrielle Denhartigh rappelle que dans le cadre de sa
stratégie nationale bas carbone, définie en 2015, la France s’est fixé
l’objectif de diviser par deux
les émissions de GES de son agriculture.
Les premières recherches sur l’alimentation du bétail ont
démarré en France dans les années 2000, lorsque Valorex s’est associé au Centre
de l’élevage et à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) pour essayer de trouver une
alimentation de substitution à l’ensilage du maïs et de soja, ayant les mêmes
propriétés qu’un régime en herbe. « Lorsqu’une vache mange de
l’ensilage l’hiver, elle rejette beaucoup plus de méthane que lorsqu’elle mange
de l’herbe fraîche l’été. Et ces émissions de méthane constituent une perte
énergétique pour l’animal », explique Béatrice Dupont.
Ces travaux de recherche se sont portés notamment sur les
grains de lin cuit et ont démontré que cet aliment permettait de réduire de
façon significative les rejets de méthane des bovins comme des porcs et des
ovins. « Le méthane est formé dans le rumen lors de la
fermentation des aliments par des bactéries méthanogènes présentes dans ce
compartiment digestif de l’animal. Le lin a cette particularité de contenir beaucoup
d’acides gras qui diminuent la concentration de ces bactéries et réduisent
ainsi les émissions de méthane », explique Jacques Mourot, de
l’INRA, dont les recherches, financées par Valorex, ont débouché sur une méthode
permettant, à partir de la
teneur en acides gras du lait, de déterminer la
réduction des émissions de méthane.
Un lait riche en oméga 3
Brevetée et validée par le ministère du Développement durable en 2011,
cette méthode fait partie depuis 2012 du catalogue des Nations unies regroupant
toutes les technologies reconnues pour
leur efficacité en matière de réduction de gaz à effet de serre. C’est même la
seule à ce jour qui soit agréée pour l’élevage.
Aujourd’hui, près de 600 exploitations laitières en France
ont recours à cette méthode, dans le cadre d’une démarche promue et soutenue
par Bleu-Blanc-Cœur, une association dont l’objectif est d’améliorer la qualité
nutritionnelle et environnementale de l’alimentation humaine en améliorant les
modes de production agricole. « En modifiant leur ration
alimentaire et en privilégiant des aliments comme l’herbe, le lin, la luzerne,
riche en acides gras et en oméga 3, les vaches peuvent produire entre 2
et 5 litres de plus par jour, et du lait de qualité », souligne
Nathalie Kerhoas, directrice de l’association.
« Les graines de lin cuit nous coûtent 5 % à
6 % de plus qu’un aliment classique, mais grâce à cette alimentation plus
équilibrée nos vaches sont en bien meilleure santé », témoigne
Jean-Pierre Pasquet, éleveur laitier en Ille-et-Vilaine qui, engagé dans cette
démarche depuis quatre ans, se félicite d’avoir moins de frais de vétérinaire
pour ses 40 vaches et de gagner en quantité
et en qualité sur leur lait. « En 2015, j’ai réduit de
30 % leurs émissions de méthane, soit l’équivalent des émissions en CO2 de
400 000 kilomètres de trajet en voiture », précise-t-il.
En attendant que le marché carbone ne devienne vraiment
attractif, Bleu-Blanc-Cœur a pris l’initiative de mobiliser un
ensemble de partenaires pour soutenir les
éleveurs dans leur démarche écoresponsable et les rétribuer pour
les économies de méthane réalisées. En 2015, elle a distribué à 429
éleveurs quelque 157 000 euros, soit 400 euros en moyenne par
exploitation.
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