Loi El Khomri : pourquoi faciliter les licenciements peut favoriser l'emploi
Très contesté, le projet de réforme du Code du travail suit toutes les recommandations des organisations internationales depuis des années. Explications.
Par Marc Vignaud
Publié le
- Modifié le | Le Point.fr
Pourtant, le projet de loi de Myriam El Khomri, la ministre du Travail, ne tombe pas du ciel. Il tente d'apporter une réponse à des blocages à l'emploi bien français relevés aussi bien par l'OCDE que par la Commission européenne ou le FMI. Et pourrait d'abord profiter aux jeunes.
Une législation qui décourage l'emploi stable
Que nous disent, globalement, les experts de ces organisations ? Que «
la législation de la protection de l'emploi, relativement restrictive
par rapport aux autres pays de l'OCDE, décourage l'embauche en postes
stables et contribue à la segmentation du marché du travail et à la
faible mobilité du travail », comme le résume l'OCDE.En clair, les jeunes et les moins qualifiés souffrent particulièrement d'une surprotection de l'emploi. C'est un paradoxe pour certains, la protection de l'emploi attachée aux CDI peut décourager les embauches en contrats à durée indéterminée, voire tout recrutement, nous disent les organisations internationales. D'ailleurs, plus de 84 % des embauches se font aujourd'hui en CDD alors que ce type de contrat est plus taxé que le CDI (en stock, neuf emplois sur dix restent toutefois des CDI). Pour inverser les choses, « il faudrait simplifier et raccourcir les procédures de licenciement, en particulier pour les CDI », recommandait donc l'organisation internationale dans sa dernière étude économique sur la France de mars 2015.
Des progrès insuffisants
Le gouvernement a déjà agi dans le sens recommandé par les
organisations internationales. L'OCDE a même fait l'éloge de certaines
mesures. C'est le cas de la simplification, en 2013, des procédures de
licenciements collectifs pour les entreprises en difficulté économique.
Comme le rappelle l'organisation, qui compare les politiques menées par
ses 34 membres, « depuis cette réforme, la part des plans de sauvegarde
de l'emploi (PSE) – les licenciements collectifs, NDLR – faisant l'objet
d'un recours a diminué de 25 % à 8 % grâce à un renforcement de la
négociation dans les entreprises ».L'autre avancée saluée « vers une plus grande flexisécurité » réside dans les accords de sécurisation de l'emploi qui permettent aux entreprises connaissant de graves difficultés économiques de renégocier salaires et temps de travail temporairement, le temps de faire face à la situation délicate.
Des accords de maintien de l'emploi offensifs
Mais l'insignifiance du nombre de ces accords (10) qui permettent aux
entreprises de traverser une mauvaise passe tout en limitant le nombre
de licenciements, en raison de conditions de signature trop
restrictives, a poussé le gouvernement à vouloir élargir leur
utilisation. Ils pourront désormais être conclus « en vue de la
préservation ou du développement de l'emploi » (article 13). En clair,
plus besoin de justifier de graves difficultés économiques. Mais,
contrairement à ce qu'affirme la pétition contre le projet de loi El
Khomri, le salaire mensuel ne pourra pas dans ce cas être revu à la
baisse.En revanche, un salarié ne pourra s'opposer à la modification de son contrat de travail, sauf à être licencié sans possibilité de toucher les indemnités légales et conventionnelles attachées à un licenciement économique. Et ce, pour éviter que certains salariés précieux ne passent directement chez un concurrent en profitant d'un pactole de départ. Une évolution conforme aux demandes formulées par l'Union européenne en juillet 2015.
Un plafond d'indemnités aux prud'hommes
La loi Macron a permis de franchir une première étape pour "simplifier et raccourcir les procédures de licenciement", en accélérant le fonctionnement de la justice prud'homale, comme le recommandait l'OCDE. Mais l'idée est aussi d'augmenter la « prévisibilité » des décisions des juges. C'est pourquoi la loi remet sur le métier le plafonnement des indemnités accordées en cas de licenciement jugé abusif, une mesure de la loi Macron censurée par le Conseil constitutionnel parce que ce plafond variait selon la taille de l'entreprise.Certains juristes spécialisés dans le droit du travail, comme le bâtonnier de Paris, y voient une autorisation pour l'employeur de licencier sans raison, c'est-à-dire sans la « cause réelle et sérieuse » prévue par loi. Mais licencier coûtera toujours de l'argent à l'employeur, ce qu'il ne fait en général pas par plaisir. Pour l'instant, le plafond a été fixé à 15 mois de salaire pour 20 ans d'ancienneté, un niveau dont le gouvernement est maintenant prêt à discuter.
LIRE aussi « Loi El Khomri : ce que Valls pourrait lâcher »
D'autres craignent toutefois que les contentieux ne diminuent pas puisque le plafond ne concerne légitimement pas les cas de harcèlement. De quoi permettre aux bons avocats de s'engouffrer dans la brèche et contester le licenciement pour ce motif.
L'abandon du « contrat unique »
Mais, bien conçue, une telle réforme « renforcerait la sécurité
juridique des employés et employeurs et la réduction des coûts de
licenciement qui en résulterait aurait des effets positifs sur l'emploi.
[...] Cela pourrait permettre une plus grande flexibilité des CDI,
dont les coûts de licenciement, incluant les coûts de procédures
juridiques, sont bien supérieurs aux CDD », expliquait l'OCDE, avant
l'adoption de la loi Macron.L'organisation internationale recommandait même « une autre option ambitieuse » : la mise en place d'« un contrat unique avec les mêmes coûts et les mêmes procédures de résiliation applicables à tous les contrats [CDD et CDI, NDLR]. De tels contrats seraient de durée indéterminée, en contrepartie de quoi les licenciements seraient facilités avec des indemnités calculées selon l'ancienneté, comme actuellement pour les CDI. » Une flexibilité accrue qui devait s'accompagner d'une protection élevée entre deux emplois (formation, allocations...). Mais le gouvernement n'a pas retenu cette piste, car elle était trop explosive. François Hollande a en effet promis de ne pas toucher aux contrats de travail.
Attirer les investisseurs étrangers
Dès lors, il a tenté d'obtenir le même résultat avec d'autres
mesures. Manuel Valls et son gouvernement ont décidé au dernier moment
de préciser et d'élargir dans la loi les causes qui permettent de
procéder à des licenciements économiques. Il peut s'agir d'une baisse du
chiffre d'affaires « pendant plusieurs trimestres consécutifs en
comparaison avec la même période de l'année précédente », « des pertes
d'exploitations pendant plusieurs mois », « une importante dégradation
de la trésorerie », ou « tout élément de nature à justifier » des
difficultés économiques. Une dernière partie de phrase jugée beaucoup
trop floue par les opposants au texte. D'autant que leur utilisation
pourra aussi être justifiée par « des mutations technologiques » ou une
réorganisation de l'entreprise « nécessaire à la sauvegarde de sa
compétitivité ». Le licenciement simple comme bonjour ? Nombre de
juristes soulignent pourtant que ces motifs ne font que reprendre la
jurisprudence actuelle pour la stabiliser dans la loi. L'autre point de friction concerne le périmètre à retenir pour apprécier les difficultés économiques dans les grands groupes. Le texte veut le restreindre au niveau de l'entreprise. Cela signifie qu'un groupe en bonne santé au niveau global pourra tout de même procéder à des licenciements économiques dans l'Hexagone. Le gouvernement y voit un moyen d'attirer les investisseurs étrangers qui se plaignent de ne pas pouvoir réorganiser leur activité en France au prétexte qu'elle est florissante ailleurs.
Augmenter le temps de travail
Mais le texte prévoit surtout de laisser directions et salariés
négocier l'organisation du temps de travail entreprise par entreprise,
comme l'a recommandé l'Union européenne en 2015 (voir encadré), soit par
accord avec les syndicats, soit par référendum décidé par une minorité
syndicale. C'est déjà théoriquement le cas, notamment depuis la loi de
Xavier Bertrand de 2008, mais le gouvernement veut clarifier les choses
par la réécriture de cette partie du Code du travail afin d'encourager
les entreprises à se saisir de cette possibilité.LIRE aussi 35 heures : ce que prévoit la réforme du Code du travail
L'idée est clairement de contourner les 35 heures, qui « pèsent sur le coût de la main-d'œuvre », selon la Commission européenne. L'institution souligne que le surcoût moyen par heure supplémentaire atteint actuellement « 26 % environ, c'est-à-dire légèrement supérieur au taux de majoration légal (25 %) entre 36 et 43 heures hebdomadaires ». La majoration de salaire associée aux heures supplémentaires pourra désormais être négociée dans chaque entreprise et tomber à 10 %, sans que les branches puissent imposer un plancher de 25 % comme elles le peuvent aujourd'hui. Le gouvernement confirme aussi la possibilité pour les entreprises de recourir à un décompte du temps de travail par mois, voire par an, ce qui permet de déclencher les heures supplémentaires à partir de 1 607 heures sur l'année, et non plus après 35 heures chaque semaine.
L'objectif est clairement d'augmenter le temps de travail sans en augmenter les coûts en fonction du besoin des entreprises. Mais la possibilité pour les PME (un des points les plus controversés) de passer aux forfaits jours pour décompter le temps de travail par simple accord avec chaque salarié devrait être édulcorée, voire supprimée.
Pour mémoire, voici les recommandations sur le marché du travail adressées par l'UE en 2015.
Elle invitait la France « à réformer le droit du travail afin d'inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée ; à faciliter, au niveau des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l'organisation du temps de travail ; à réformer la loi portant création des accords de maintien de l'emploi d'ici à la fin de 2015 en vue d'accroître leur utilisation par les entreprises ; à entreprendre une réforme du système d'assurance chômage afin d'en rétablir la viabilité budgétaire et d'encourager davantage le retour au travail.
Elle invitait la France « à réformer le droit du travail afin d'inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée ; à faciliter, au niveau des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l'organisation du temps de travail ; à réformer la loi portant création des accords de maintien de l'emploi d'ici à la fin de 2015 en vue d'accroître leur utilisation par les entreprises ; à entreprendre une réforme du système d'assurance chômage afin d'en rétablir la viabilité budgétaire et d'encourager davantage le retour au travail.
onsigny - Loi travail : les jeunes Français ont toutes les raisons de manifester
Pour Charles Consigny, les jeunes sont les grands oubliés de la réforme El Khomri. Et c'est pour cela qu'ils sont tentés de manifester.
Par Charles Consigny
Publié le
- Modifié le | Le Point.fr
On se gausse, dans les médias d'opinion, de ces jeunes qui
s'apprêtent à manifester contre la loi El Khomri. On les tient pour des
glandeurs, on les imagine fumant des joints sur les statues de la place
de la République, la tête couverte de dreadlocks et les oreilles pleines
de piercings. On n'a peut-être pas tout à fait tort, mais il faut avoir
à l'esprit que, si les jeunes qui vont manifester sont une minorité,
cela ne signifie pas pour autant que les autres ne soutiennent pas la
contestation.
La loi El Khomri n'est pas mauvaise pour les jeunes : une réforme dont la philosophie est de libérer le travail, donc de donner de l'air à l'économie et de faire baisser le chômage, est bonne pour tout le monde. Aucune mesure de ce texte ne vise directement la jeunesse, pour la bonne raison qu'elle est, compte tenu de l'onirisme des promesses de campagne, la grande oubliée du quinquennat Hollande ! Ce dernier avait déclaré, au soir de son élection, en 2012, qu'il voulait être jugé sur deux priorités à l'issue de son mandat : la justice et la jeunesse.
Qu'est-ce qui a été fait ? Le contrat de génération a été un four ; les emplois aidés, dits « emplois d'avenir », sont une vieille recette coûteuse et sans pérennité ; on n'a rien fait de spécial dans l'université, pas réformé l'orientation, rien fait pour les stagiaires, dont la rémunération est ridiculement basse en comparaison avec la quantité souvent délirante de travail fourni, ni pour les premiers emplois, où l'écart entre temps passé pour l'employeur et salaire est encore plus disproportionné.
Une bonne réforme aurait pu être de passer la rémunération minimale des stagiaires à 700 euros, mesure indolore pour les entreprises mais qui change tout pour le corvéable à merci. Une bonne réforme aurait pu consister à supprimer les charges pesant sur les premiers emplois afin qu'ils soient mieux rémunérés. Qu'a-t-on fait pour cette jeunesse, sinon de grands discours ? La fameuse « génération Bataclan » est l'esclave des précédentes, dans leur égoïste indifférence.
La loi El Khomri n'est pas mauvaise pour les jeunes : une réforme dont la philosophie est de libérer le travail, donc de donner de l'air à l'économie et de faire baisser le chômage, est bonne pour tout le monde. Aucune mesure de ce texte ne vise directement la jeunesse, pour la bonne raison qu'elle est, compte tenu de l'onirisme des promesses de campagne, la grande oubliée du quinquennat Hollande ! Ce dernier avait déclaré, au soir de son élection, en 2012, qu'il voulait être jugé sur deux priorités à l'issue de son mandat : la justice et la jeunesse.
Qu'est-ce qui a été fait ? Le contrat de génération a été un four ; les emplois aidés, dits « emplois d'avenir », sont une vieille recette coûteuse et sans pérennité ; on n'a rien fait de spécial dans l'université, pas réformé l'orientation, rien fait pour les stagiaires, dont la rémunération est ridiculement basse en comparaison avec la quantité souvent délirante de travail fourni, ni pour les premiers emplois, où l'écart entre temps passé pour l'employeur et salaire est encore plus disproportionné.
Le salaire moyen des moins de 25 ans est de 7 000 euros par an
Concrètement, un stagiaire est payé au minimum un peu plus de 500 euros par mois, et un jeune qui entre sur le marché du travail gagne généralement à peine plus du smic, pendant plusieurs années, même quand il a fait cinq ou six ans d'études, même si ce sont de bonnes études, et peu importe la taille de l'entreprise, PME ou grand groupe. Les petits jobs de serveur, vendeur, barman, qu'on assure en plus des études, sont rémunérés 9 euros de l'heure. Corrélativement, les loyers sont chers, surtout à Paris, et tout le reste aussi : Leader Price, le cinéma, le vin aux terrasses des cafés. Selon l'Insee, le salaire moyen des moins de 25 ans atteint environ 7 000 euros par an, contre 25 000 euros en moyenne pour les plus de 55 ans ! Qui se soucie de ce que vivent les jeunes ?Une bonne réforme aurait pu être de passer la rémunération minimale des stagiaires à 700 euros, mesure indolore pour les entreprises mais qui change tout pour le corvéable à merci. Une bonne réforme aurait pu consister à supprimer les charges pesant sur les premiers emplois afin qu'ils soient mieux rémunérés. Qu'a-t-on fait pour cette jeunesse, sinon de grands discours ? La fameuse « génération Bataclan » est l'esclave des précédentes, dans leur égoïste indifférence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire