Dans son dernier livre, le psychiatre
David Gourion s’inquiète de la faible prise en charge du mal-être des
jeunes. Comment prévenir la souffrance psychique chez les 15-30 ans ?
Certes,
la plupart des jeunes se portent bien ; un récent sondage d’OpinionWay
indique que 69 % des moins de 26 ans se disent optimistes quant à leur
avenir. Mais pour une part non négligeable d’entre eux existe un réel
mal de vivre. La consommation d’alcool et de psychotropes s’est aggravée
ces dernières années, les tentatives de suicide et l’isolement semblent
en augmentation chez les adolescents, la dépression toucherait 7 % des
garçons et près de 17 % des filles dans cette tranche d’âge (
1).
Assiste-t-on donc à une progression du mal-être chez les jeunes ? C’est
ce qu’affirme David Gourion, qui tire la sonnette d’alarme.
Vous affirmez que 25 % des jeunes entre 15 et 30 ans seraient
concernés par un trouble psychique. Est-ce que les jeunes d’aujourd’hui
souffrent plus que ceux d’hier ?
D’un côté, certaines études suggèrent que l’autisme, les troubles
bipolaires, les troubles anxieux et la dépression ont beaucoup augmenté
en l’espace de trente ans chez les jeunes. De l’autre, certains pensent
qu’il n’y en a pas plus, mais qu’on les diagnostique trop facilement,
sous l’influence de l’industrie pharmaceutique qui chercherait à
commercialiser le plus de psychotropes possible. Sans entrer dans les
querelles d’experts, je pense que certains troubles sont en nette en
augmentation, principalement les addictions. La consommation d’alcool et
de cannabis est de plus en plus précoce et fréquente, y compris chez
les filles ; les pathologies liées au stress, comme l’anxiété, la
dépression et les troubles du comportement alimentaire également. Dans
mon livre, je cite une étude qui reprend les résultats d’un test
psychologique, le MMPI, qui a l’intérêt de pouvoir comparer différentes
générations au même âge puisqu’il a été développé dans les années 1930
par l’armée américaine pour le dépistage des jeunes recrues. Or, comme
ce test continue à être très largement utilisé aujourd’hui, les mêmes
questions ont donc été posées à des dizaines de milliers de jeunes,
évalués à 20 ans. Très clairement, les scores de dépression ont
augmenté, ainsi que les scores de la psychopathie, c’est-à-dire
l’absence d’empathie, l’impulsivité et un faible sens moral.
Quelles sont les raisons de ce mal-être croissant selon vous ?
Notre environnement et nos habitudes de vie ont considérablement
évolué au cours des dernières décennies. On estime par exemple
aujourd’hui que seuls 30 à 40 % des jeunes Occidentaux ont une activité
physique régulière et suffisante. Or, on sait que l’exercice physique a
des effets très bénéfiques sur la régulation du stress. Avec les
aliments industrialisés, la consommation de sucres rapides et de
graisses saturées a beaucoup augmenté, ce qui a un impact négatif sur la
neurogenèse, c’est-à-dire la capacité qu’ont les cellules du cerveau à
se renouveler. On a également beaucoup décalé nos rythmes sociaux : les
jeunes adultes se couchent de plus en plus tard, si bien que leur temps
de sommeil moyen s’est réduit d’une à deux heures par nuit en l’espace
de vingt ans. Enfin, la pression sociale s’est renforcée avec
l’augmentation drastique du chômage chez les jeunes. À cela, il faut
ajouter les problèmes croissants de solitude dans les grandes villes,
aggravés par les cyberaddictions dans lesquels se réfugient beaucoup de
jeunes désociabilisés.
Dans votre livre, vous soutenez également que le cerveau des jeunes
est particulièrement vulnérable. Pourtant, c’est aussi l’âge auquel
notre esprit est le plus vif…
Il est vrai qu’entre 15 et 30 ans, on a les plus hautes performances
cognitives. Mais dans le même temps, pendant cette période, le système
neuronal est complètement réorganisé, justement pour gagner en
performance. 30 à 40 % des cellules du cortex cérébral sont éliminées,
ce qui permet d’optimiser les réseaux neuronaux. Parfois, cette
destruction neuronale se fait trop vite ou va trop loin, ce qui peut
être le cas lorsqu’on est soumis à un stress intense, un traumatisme ou
si l’on consomme des substances toxiques en grande quantité, comme le
cannabis. À ce moment-là, les performances cognitives peuvent chuter.
Consommer du cannabis quotidiennement avant l’âge de 15 ans peut
entraîner des dégâts irréversibles. Dans la mesure où 80 % des troubles
psychiques se déclarent entre 15 et 25ans, si l’on passe le cap de la
trentaine sans avoir déclenché de trouble, il y a relativement peu de
risques d’en développer après. J’ai donc un message à faire passer aux
jeunes : protégez votre cerveau, surtout si vous êtes un peu sensibles
sur le plan émotionnel et si des membres de votre famille ont souffert
de troubles psychiques.
Vous déplorez le manque d’informations sur les troubles psychiques
en France. D’après vous, 75 % des jeunes en souffrance ne reçoivent
aucune aide. Comment y remédier ?
Les problématiques de la souffrance psychique restent encore
aujourd’hui un peu taboues en France. Au fil des quarante dernières
années, on a réussi à baisser drastiquement le nombre de morts sur les
routes. Dans le même temps, le taux de suicides a augmenté de 25 %.
C’est aujourd’hui la première cause de mortalité des 15-30 ans. Or, le
budget consacré à la prévention du suicide en France ne représente que
1 % de celui dépensé pour lutter contre la mortalité routière. Il faut
que l’on se réveille ! En Australie, les psys vont à la rencontre des
jeunes dans leurs lieux de vie, par exemple des cafés dédiés, pour faire
de la prévention. L’idée, c’est de ne pas arriver après la bataille,
une fois que la souffrance psychique est déjà bien installée.
L’intervention précoce porte ses fruits. Plus on attend, plus les petits
symptômes risquent de devenir de grandes souffrances.
Vous dites qu’il suffit de trois questions simples pour détecter un risque de dépression.
Les gens ont souvent l’impression qu’il est très compliqué de parler
de la souffrance psychique. Je propose d’aborder les choses très
simplement par trois questions que tout un chacun peut poser à un ami,
un collègue ou son enfant qui va mal. On peut ouvrir le dialogue
simplement avec une phrase comme :
« J’ai eu l’impression que tu étais plus fatigué(e) ou triste que d’habitude… »
Cette question permet d’ouvrir une première fenêtre de parole. Ensuite,
on peut devenir plus précis, en demandant par exemple :
« Est-ce
que tu arrives quand même à t’en sortir, à travailler, à faire les
choses que tu aimes bien d’habitude, à t’amuser et à voir tes amis ? »
Cette deuxième question permet d’évaluer l’impact du mal-être. Une
souffrance que l’on arrive à gérer est de l’ordre d’une déprime
passagère, une souffrance dépressive avérée envahit tout et empêche de
fonctionner normalement dans la vie. Si le mal-être semble profond, il
ne faut surtout pas hésiter à poser la question cruciale qui permet de
s’assurer qu’il n’y a pas de risque de passage à l’acte :
« Est-ce que tu souffres au point d’avoir envisagé de mourir ? »
Cette question va déterminer la dimension d’urgence et d’intensité du
mal-être. Lorsque les jeunes ont réellement des pensées suicidaires,
leur poser la question les soulage, car ils ont l’impression qu’enfin,
quelqu’un comprend leur souffrance. Dans ce cas, il est important de
leur renvoyer que ce type de questionnements récurrents n’est jamais
anodin et de leur conseiller de consulter rapidement un spécialiste.
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