lundi 18 janvier 2016

Jeunes adultes : attention fragiles !

Jeunes adultes : attention fragiles !
Entretien avec David Gourion



Dans son dernier livre, le psychiatre David Gourion s’inquiète de la faible prise en charge du mal-être des jeunes. Comment prévenir la souffrance psychique chez les 15-30 ans ?
Certes, la plupart des jeunes se portent bien ; un récent sondage d’OpinionWay indique que 69 % des moins de 26 ans se disent optimistes quant à leur avenir. Mais pour une part non négligeable d’entre eux existe un réel mal de vivre. La consommation d’alcool et de psychotropes s’est aggravée ces dernières années, les tentatives de suicide et l’isolement semblent en augmentation chez les adolescents, la dépression toucherait 7 % des garçons et près de 17 % des filles dans cette tranche d’âge (1). Assiste-t-on donc à une progression du mal-être chez les jeunes ? C’est ce qu’affirme David Gourion, qui tire la sonnette d’alarme.

Vous affirmez que 25 % des jeunes entre 15 et 30 ans seraient concernés par un trouble psychique. Est-ce que les jeunes d’aujourd’hui souffrent plus que ceux d’hier ?

D’un côté, certaines études suggèrent que l’autisme, les troubles bipolaires, les troubles anxieux et la dépression ont beaucoup augmenté en l’espace de trente ans chez les jeunes. De l’autre, certains pensent qu’il n’y en a pas plus, mais qu’on les diagnostique trop facilement, sous l’influence de l’industrie pharmaceutique qui chercherait à commercialiser le plus de psychotropes possible. Sans entrer dans les querelles d’experts, je pense que certains troubles sont en nette en augmentation, principalement les addictions. La consommation d’alcool et de cannabis est de plus en plus précoce et fréquente, y compris chez les filles ; les pathologies liées au stress, comme l’anxiété, la dépression et les troubles du comportement alimentaire également. Dans mon livre, je cite une étude qui reprend les résultats d’un test psychologique, le MMPI, qui a l’intérêt de pouvoir comparer différentes générations au même âge puisqu’il a été développé dans les années 1930 par l’armée américaine pour le dépistage des jeunes recrues. Or, comme ce test continue à être très largement utilisé aujourd’hui, les mêmes questions ont donc été posées à des dizaines de milliers de jeunes, évalués à 20 ans. Très clairement, les scores de dépression ont augmenté, ainsi que les scores de la psychopathie, c’est-à-dire l’absence d’empathie, l’impulsivité et un faible sens moral.

Quelles sont les raisons de ce mal-être croissant selon vous ?

Notre environnement et nos habitudes de vie ont considérablement évolué au cours des dernières décennies. On estime par exemple aujourd’hui que seuls 30 à 40 % des jeunes Occidentaux ont une activité physique régulière et suffisante. Or, on sait que l’exercice physique a des effets très bénéfiques sur la régulation du stress. Avec les aliments industrialisés, la consommation de sucres rapides et de graisses saturées a beaucoup augmenté, ce qui a un impact négatif sur la neurogenèse, c’est-à-dire la capacité qu’ont les cellules du cerveau à se renouveler. On a également beaucoup décalé nos rythmes sociaux : les jeunes adultes se couchent de plus en plus tard, si bien que leur temps de sommeil moyen s’est réduit d’une à deux heures par nuit en l’espace de vingt ans. Enfin, la pression sociale s’est renforcée avec l’augmentation drastique du chômage chez les jeunes. À cela, il faut ajouter les problèmes croissants de solitude dans les grandes villes, aggravés par les cyberaddictions dans lesquels se réfugient beaucoup de jeunes désociabilisés.

Dans votre livre, vous soutenez également que le cerveau des jeunes est particulièrement vulnérable. Pourtant, c’est aussi l’âge auquel notre esprit est le plus vif…

Il est vrai qu’entre 15 et 30 ans, on a les plus hautes performances cognitives. Mais dans le même temps, pendant cette période, le système neuronal est complètement réorganisé, justement pour gagner en performance. 30 à 40 % des cellules du cortex cérébral sont éliminées, ce qui permet d’optimiser les réseaux neuronaux. Parfois, cette destruction neuronale se fait trop vite ou va trop loin, ce qui peut être le cas lorsqu’on est soumis à un stress intense, un traumatisme ou si l’on consomme des substances toxiques en grande quantité, comme le cannabis. À ce moment-là, les performances cognitives peuvent chuter. Consommer du cannabis quotidiennement avant l’âge de 15 ans peut entraîner des dégâts irréversibles. Dans la mesure où 80 % des troubles psychiques se déclarent entre 15 et 25ans, si l’on passe le cap de la trentaine sans avoir déclenché de trouble, il y a relativement peu de risques d’en développer après. J’ai donc un message à faire passer aux jeunes : protégez votre cerveau, surtout si vous êtes un peu sensibles sur le plan émotionnel et si des membres de votre famille ont souffert de troubles psychiques.

Vous déplorez le manque d’informations sur les troubles psychiques en France. D’après vous, 75 % des jeunes en souffrance ne reçoivent aucune aide. Comment y remédier ?

Les problématiques de la souffrance psychique restent encore aujourd’hui un peu taboues en France. Au fil des quarante dernières années, on a réussi à baisser drastiquement le nombre de morts sur les routes. Dans le même temps, le taux de suicides a augmenté de 25 %. C’est aujourd’hui la première cause de mortalité des 15-30 ans. Or, le budget consacré à la prévention du suicide en France ne représente que 1 % de celui dépensé pour lutter contre la mortalité routière. Il faut que l’on se réveille ! En Australie, les psys vont à la rencontre des jeunes dans leurs lieux de vie, par exemple des cafés dédiés, pour faire de la prévention. L’idée, c’est de ne pas arriver après la bataille, une fois que la souffrance psychique est déjà bien installée. L’intervention précoce porte ses fruits. Plus on attend, plus les petits symptômes risquent de devenir de grandes souffrances.

Vous dites qu’il suffit de trois questions simples pour détecter un risque de dépression.

Les gens ont souvent l’impression qu’il est très compliqué de parler de la souffrance psychique. Je propose d’aborder les choses très simplement par trois questions que tout un chacun peut poser à un ami, un collègue ou son enfant qui va mal. On peut ouvrir le dialogue simplement avec une phrase comme : « J’ai eu l’impression que tu étais plus fatigué(e) ou triste que d’habitude… » Cette question permet d’ouvrir une première fenêtre de parole. Ensuite, on peut devenir plus précis, en demandant par exemple : « Est-ce que tu arrives quand même à t’en sortir, à travailler, à faire les choses que tu aimes bien d’habitude, à t’amuser et à voir tes amis ? » Cette deuxième question permet d’évaluer l’impact du mal-être. Une souffrance que l’on arrive à gérer est de l’ordre d’une déprime passagère, une souffrance dépressive avérée envahit tout et empêche de fonctionner normalement dans la vie. Si le mal-être semble profond, il ne faut surtout pas hésiter à poser la question cruciale qui permet de s’assurer qu’il n’y a pas de risque de passage à l’acte : « Est-ce que tu souffres au point d’avoir envisagé de mourir ? » Cette question va déterminer la dimension d’urgence et d’intensité du mal-être. Lorsque les jeunes ont réellement des pensées suicidaires, leur poser la question les soulage, car ils ont l’impression qu’enfin, quelqu’un comprend leur souffrance. Dans ce cas, il est important de leur renvoyer que ce type de questionnements récurrents n’est jamais anodin et de leur conseiller de consulter rapidement un spécialiste.

David Gourion

Psychiatre, ancien chef de clinique à Sainte-Anne, il vient de publier La Fragilité psychique des jeunes adultes. 15-30 ans : prévenir, aider, accompagner, Odile Jacob, 2015.

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