lundi 28 avril 2014


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Errance de diagnostic : savoir pourquoi j’ai mal


Une douleur parmi toutes les autres. Quand l’évidence du diagnostic ne vient pas, la solitude face aux maux de son corps finit par envahir l’esprit. C’est ce que l’on appelle l’errance diagnostique. Plus qu’une solitude, un dédale dans l’incertitude dans la maladie. Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France, association de patients concernant cette pathologie, avait témoigné de cette épreuve de vie peu commune. Extraits.
« En tant que « douloureuse chronique » depuis des décennies, je vais vous parler ici de mon vécu de malade depuis maintenant plus de trente ans, tant au niveau du quotidien que de la souffrance engendrée par la difficulté de poser le diagnostic de fibromyalgie. En réalité,  je souffre probablement depuis l’âge de 14 ans, au moment où la famille justifiait les douleurs musculaires que je présentais par la croissance. »
La Fibromyalgie, qui se caractérise par des douleurs musculaires et articulaires intenses et lancinantes, a tardé à être reconnue par les professionnels de santé et à être donc rapidement détectée. Dès lors, beaucoup de personnes ne comprennent pas les effets indésirables d’une maladie qu’eux-mêmes et les médecins méconnaissent.
« A 26 ans, j’ai réalisé que je ne résistais pas comme mes amis lorsque je me couchais tard. J’avais besoin de nettement plus longtemps qu’eux pour récupérer. J’avais des douleurs dans les jambes et des douleurs abdominales. Après la naissance de mon fils, à 33 ans, je ne retrouvais pas mes forces, tout était devenu effort. J’étais dans un état de fatigue extrême, imputé par le corps médical au bébé qui dormait mal ! »
« Après l’accouchement de ma fille à 35 ans, j’ai connu un épisode inquiétant. Les douleurs et la fatigue se sont aggravées au point où, après trois semaines d’examens et d’observation en neurologie, on m’a diagnostiqué une sclérose en plaques probable. Je suis restée ensuite 8 ans avec des troubles qui variaient en intensité et en gêne.  Avec au fond de mon esprit la crainte
de voir se réveiller une sclérose en plaques.  Enfin, en 1998, je m’étonnais de ne pas pouvoir monter plus d’un étage : mes muscles devenaient durs comme du béton. En marchant à plat aussi d’ailleurs ! J’ai commencé à trembler à l’effort. Tenir une tasse et la porter à la bouche devenaient un art ! »
Impuissants, les soignants peinent à répondre aux interrogations des patients. Pire, ils ne peuvent (ou ne veulent) pas soulager un mal qu’ils n’arrivent pas à cerner. Et les traitements proposés sont nombreux mais sont souvent sans effet, voire dangereux.
« Le corps médical remettait régulièrement en cause le diagnostic de sclérose en plaques sans me proposer d’autre pathologie. Un constat était fait cependant : j’avais des douleurs chroniques, une fatigue intense, des Nystagmus[mouvement  involontaire et saccadé de l’œil, ndlr], une perte de force, des tremblements à l’effort, des céphalées de tension, des douleurs abdominales, des troubles urinaires, des «absences», des troubles cognitifs… mais aucune pathologie expliquant mes troubles ne pouvait m’être proposée. Je pensais parfois avoir un cancer des os tant ceux-ci étaient douloureux. »
« J’ai pris de nombreux médicaments pour atténuer la douleur, des décontractants musculaires, des anxiolitiques, des anti-dépresseurs. Je voyais mon généraliste en moyenne 5 fois par mois, souvent en larmes, exténuée de ne pas dormir et demandant régulièrement une réponse à ces douleurs. J’ai rencontré de nombreux spécialistes, rhumatologues, neurologues, psychiatres qui chacun me disait « Vous n’avez rien à faire dans ma spécialité ». Un sentiment d’abandon et d’incompréhension me gagnait. Mon généraliste essayait de nouvelles molécules. Je prenais un cocktail explosif de médicaments ce qui fut arrêté net par une intoxication médicamenteuse. Je n’ai pu manger que des pains au lait pendant deux mois et mon état s’était encore aggravé. »
Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France, a du attendre 25 ans avant de mettre un nom sur sa maladie (crédit C.R)
Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France, a dû attendre 25 ans avant de mettre un nom sur sa maladie (crédit C.R)
Face à cette errance, les personnes doivent trouver leurs propres ressources pour affronter la maladie. Carole, elle, décide de suspendre  les médicaments qui lui sont prescrits pour mieux connaître ses troubles. Puis, épuisée par l’attente et la maladie elle-même, finit par reprendre les traitements proposés en pis-aller. Non sans conséquences sur son état psychologique, rongée par le doute et la crainte qu’on lui cache quelque chose.
« En effet, la dépression m’a épisodiquement gagnée quand je suis allée de médecins en médecins, en premier pour réexaminer cette ” hypothèse ” de sclérose en plaques, et en second, afin d’obtenir une explication pour ces douleurs et un justificatif pour la fatigue qui me gagnait de plus en plus… Tout était devenu effort insurmontable. »
« J’ai donc accepté ensuite, pendant 5 ans, les traitements divers pour dépression, arrivant à des doses massives de médicaments, dont les effets secondaires se confondaient avec mes propres troubles ! J’ai fait thérapies et analyses ! J’ai alors lu un livre sur la dépression masquée et un autre sur la sclérose en plaques ! Je me suis surtout reconnue, ainsi que les membres de ma famille, dans le second ! L’inquiétude me gagnait à nouveau. Je pensais alors, devant le silence du médecin, qu’il ne me disait pas la vérité. »  
Quand finalement, le monde médical finit par réussir à poser les mots justes sur les symptômes, la délivrance, pour soi comme pour les proches, est immense. Mais elle ne signifie pas la fin du combat contre la maladie, ni contre un système où une pathologie nouvellement identifiée met du temps à être acceptée.
« Mon errance diagnostique a ainsi duré 13 ans jusqu’à la rencontre avec un pneumologue chargé de comprendre pourquoi j’avais de plus de telles difficultés respiratoires, et qui m’a parlé pour la première. Il m’a lu 4 pages dans un livre de médecine ! On parlait de moi dans cet ouvrage !  J’avais enfin un nom sur mon état, j’allais pouvoir en parler et comprendre. C’est ce que je croyais alors. Je voudrais préciser ici que depuis le diagnostic de fibromyalgie a été confirmé par trois spécialistes différents au cours de ces 10 dernières années. »
 « Je voudrais aussi souligner ici qu’avec le diagnostic de sclérose en plaques j’éveillais la compassion et qu’avec celui de  Fibromyalgie, j’éveille la suspicion. Un constat douloureux difficile à accepter. Ainsi, il m’est impossible ici de faire l’impasse sur ce que fut mon quotidien familial, social et professionnel. Je devais pourtant finir d’élever mes enfants qui avaient au moment du diagnostic 11 et 13 ans, alors que déjà depuis leur naissance je n’étais plus capable physiquement d’être présente. »
 « Je me souviens surtout de leur joie à l’évocation du diagnostic de fibromyalgie.  A ma grande surprise… ! En effet, mes deux enfants pensaient depuis trois ans que j’avais un cancer en raison de mes gémissements de douleur la nuit et de mes week-end, allongée à souffrir recroquevillée dans mon lit. Ils se disaient que, les aimants, je leur cachais la vérité et que je mourrais tout doucement. Ils étaient donc soulagés… »
Cependant, reste le temps de l’acceptation de sa maladie. Après tant de souffrances, elle a pensé mettre fin à ses jours, malgré un entourage alors empathique et bienveillant.
« J’ai eu le désir de me suicider après l’éducation de mes enfants. J’ai eu le désir aussi de disparaître de la vie de ma famille en prenant un avion et en m’effaçant de leur vie. Je suis entrée à l’hôpital pour demander de l’aide afin de ne pas mettre cette injuste décision à exécution. Pourtant, heureusement que nous vivons dans l’humour car, très souvent, mes tentatives de faire les gestes quotidiens de la vie se terminaient en grand éclat de rire de ma part ! Je crois que cette bonne humeur ”pathologique” m’a aidée énormément car, de plus (…), j’étais alors particulièrement soutenue par mon environnement familial. »
Elle n’oubliera d’ailleurs jamais les conséquences de sa maladie tardivement reconnue et fait le constat de sa vie qui nourrit encore beaucoup d’incompréhension face à cette errance.
« Je ne peux pas pour ma part, admettre que, pendant 13 ans, on m’ait laissée sans diagnostic ! Qui souhaiterait ainsi gâcher sa vie (et celle de ses proches) pendant si longtemps ? Au niveau social, il est vain de donner beaucoup de détails. Face à une maladie controversée, peu connue, les amis s’éloignent, par peur, pudeur, inquiétude de ne pas savoir aider ? Je ne me suis jamais posé la question du pourquoi, n’ayant pas l’énergie de me justifier Je passe mon temps à aller chercher l’énergie. Je me sens en état de résilience au quotidien. »

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