L'amour ne peut pas se réduire à la rencontre, car il est une construction. [...] Le point le plus intéressant, au fond, ce n'est pas la question de l'extase des commencements. Il y a bien sûr une extase des commencements, mais un amour, c'est avant tout une construction durable. Disons que l'amour est une aventure obstinée. Le côté aventureux est nécessaire, mais ne l'est pas moins l'obstination. Laisser tomber au premier obstacle, à la première divergence sérieuse, aux premiers ennuis, n'est qu'une défiguration de l'amour. Un amour véritable est celui qui triomphe durablement, parfois durement, des obstacles que l'espace, le monde et le temps lui proposent.
N'abandonne surtout pas !
Combattre le mal et la souffrance (extrait long)
Ce qui est problème, c'est ce qui appelle une solution. Je me demande s'il y a une solution au mal et à la souffrance. Plutôt que de parler de problème, je dirai le scandale car c'est d'abord un scandale et nous allons essayer de voir comment nous pouvons transformer le scandale en mystère.
Sous ses deux formes, la souffrance et la faute, le mal est ce qui heurte notre volonté la plus profonde, notre conscience. Il est ce que nous ne pouvons ni comprendre (il n'y a donc pas de solution) ni aimer (il est donc un scandale). Le problème se pose avec une acuité toute particulière pour le chrétien. Car être chrétien veut dire que l'on n'est pas dualiste, on ne croit pas qu'il y a un principe éternel du Mal en face d'un principe éternel du Bien qui est Dieu. Nous affirmons que Dieu est le créateur de tout ce qui existe, pourtant nous ne pouvons pas dire qu'il est le créateur du mal car cela ne ferait que décupler le scandale. Que serait un tel dieu ?
D'autre part, nous affirmons que Dieu n'est qu'Amour, en lui il ne peut pas y avoir autre chose que de l'amour. Que de fois je me suis hasardé à dire à des incroyants : l'essentiel de la foi chrétienne est d'affirmer que Dieu est amour. Savez-vous la réponse que je me suis attirée : « Ça ne se voit guère ! » C'est pourquoi il faut être très délicat et ne pas affirmer que Dieu est amour, comme on affirmerait que deux et deux font quatre ou que la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits. « Si Dieu existait et si Dieu était amour, de telles choses n'arriveraient pas : la guerre, la torture, la maladie, l'épidémie, la trahison sentimentale, le deuil, etc. »
On comprend que, de tout temps, l'existence du mal a été invoquée comme argument contre l'existence de Dieu. Si le mal et la souffrance existent, il n'est pas possible que Dieu soit. On comprend que, de tout temps aussi, les penseurs se soient employés à justifier Dieu, à l'innocenter, à essayer de montrer que Dieu ne pouvait pas faire autrement, comme s'il fallait plaider en faveur de Dieu pour le déclarer innocent de tout le mal et de toute la souffrance qu'il y a dans le monde.
TROIS PLAIDOIRIES POUR INNOCENTER DIEU
A mon avis, toutes ces tentatives pour innocenter Dieu n'aboutissent pas et c'est pourquoi mon dessein est de vous recommander, dans l'usage de ces arguments, une extrême prudence.
1° Le mal serait l'ombre du bien
Il faut intégrer le mal dans un plan ou une réalisation plus vaste où il joue le rôle de moyen ou de condition nécessaire pour un plus grand bien. De même que, dans un tableau de Rembrandt, les ombres sont nécessaires à l'harmonie de l'ensemble, la lumière ne serait pas si belle s'il n'y avait pas d'ombre, de même, par rapport à la beauté du monde, le mal et la souffrance sont nécessaires pour faire ressortir le bien. Allez dire cela à quelqu'un qui souffre ! Or cet argument est développé par de très grands philosophes, tels saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, Descartes. Celui-ci écrit : « La même chose qui pourrait, peut-être avec quelque raison, sembler très imparfaite si elle était toute seule... est très parfaite si elle est regardée comme une partie de l'univers. »
Leibniz, qui a poussé le plus loin cette idée-là, pense que « le mal n'est plus le mal s'il est un moment nécessaire dans le progrès ». Staline ne disait pas autre chose, Hitler non plus. Pour celui-ci, la suppression de six millions de juifs était une condition du progrès de l'humanité, comme, pour Staline, la liquidation de tous ceux qui s'opposaient à son régime. Le mal, dit-on, perd son caractère de mal dès qu'il est replacé dans la perspective du développement total : la souffrance n'est plus qu'une crise de croissance ; la guerre est l'enfantement de l'histoire ; le sacrifice des générations présentes permet l'accès à la société future.
Le chrétien doit refuser une telle argumentation, car il se place au point de vue du sujet, de celui qui souffre et qui subit l'injustice. Et il pense qu'une telle justification du mal est non seulement superficielle mais injuste et donc, si elle est injuste, elle est aussi un mal. Ce n'est pas faire disparaître le mal, c'est ajouter le mal au mal. Il y a des argumentations qui sont non seulement inefficaces mais moralement mauvaises et littéralement scandaleuses. Une telle philosophie n'est possible que si l'on compte pour rien l'individu, la personne, l'homme concret. Je proteste : c'est l'homme qui existe.
Berdiaeff a raison d'écrire : « Quelle valeur peut avoir l'idée même d'ordre et d'harmonie du monde et peut-elle jamais justifier l'injustice des souffrances de la personne ? » C'est la personne qui est au coeur du christianisme. Nous insistons beaucoup, à l'heure actuelle, sur la communauté et nous avons raison. Mais communauté signifie communauté de personnes et les communautés finalement existent pour le bien des personnes. Chaque être humain est l'objet d'un amour infini de Dieu. Il ne peut pas être une condition pour autre chose, un moyen pour la beauté du monde. Comment ne serions-nous pas gênés lorsque nous voyons Leibniz sacrifier Judas à l'harmonie du monde ? Dans une perspective chrétienne, la gloire de Dieu ne peut pas servir à justifier la souffrance ou le mal d'une seule créature consciente.
La vérité est, au contraire, dans cette parole d'Ivan Karamazov, dans le roman de Dostoïevski : « Quand bien même l'immense fabrique de l'univers apporterait les plus extraordinaires merveilles et ne coûterait qu'une seule larme d'un seul enfant, moi, je refuse. » Le chrétien s'oppose à cette idée que, dans la pensée divine, une génération puisse être réduite au rang d'un simple moyen pour la réalisation de l'humanité future. Chaque moment du temps compte autant aux yeux de Dieu. Les richesses et le progrès de l'avenir ne sauraient compenser le mal subi par des personnes humaines.
Sur ce thème, on brode. On dit qu'au plan physique la douleur est un avertissement utile et qu'au plan spirituel surtout l'épreuve est purifiante. Peut-être n'est-ce pas complètement faux ! La souffrance peut engendrer un sursaut de courage, la faute elle-même peut engendrer un redressement. Beaucoup de romans de Mauriac sont bâtis sur cette idée qu'il faut que l'homme descende très bas dans le péché pour pouvoir rebondir et s'ouvrir à la vérité et à la justice. On a voulu voir dans la souffrance, et même dans le péché, un moyen employé par Dieu pour le bien même de ses créatures. On va jusqu'à dire que la souffrance est une marque de la prédilection divine et nous avons tous entendu la phrase (imprudente en dehors de la foi !) : « Dieu éprouve ceux qu'il aime. » Je vous avoue que je suis tenté de répondre spontanément : « Pourvu que Dieu ne m'aime pas trop ! »
Certes il y a quelque chose de vrai dans les vers célèbres d'Alfred de Musset :
« L'homme est un apprenti, la douleur est son maître
Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. »
« L'homme est un apprenti, la douleur est son maître
Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. »
Mais qu'est-ce que cela prouve ? Si la douleur est un avertissement, on peut toujours demander avec Max Scheler : faut-il que ces signaux soient douloureux ? Pourquoi est-il nécessaire qu'ils fassent mal ? Il pourrait très bien y avoir des sonnettes d'alarme qui ne fassent pas mal, il pourrait bien y avoir d'autre maître que la souffrance pour que l'homme devienne véritablement adulte.
On dit encore : Dieu ne veut certainement pas le mal mais il le permet. Que pensez-vous de cette distinction ? Je multiplie les points d'interrogation, vous n'êtes pas obligés de penser comme moi, vous pouvez estimer que ces plaidoiries sont efficaces, mais je vous laisse aux prises avec ceux qui souffrent ou avec les esprits qui sont exigeants. Pensez-vous que cette distinction entre une volonté formelle de Dieu et une permission de Dieu soit valable ? Qu'est-ce qui nous permet de parler d'une sorte de nécessité qui s'impose à Dieu lui-même comme si Dieu ne pouvait pas faire autrement ? N'oublions pas que la toute-puissance de Dieu est la puissance de l'amour. Dieu ne peut pas détruire, écraser, dominer, Il ne peut que ce que peut l'amour. Faut-il donc que ce soit l'amour qui exige que Dieu permette la souffrance ? Peut-être, mais nous ne pourrons le dire que si nous nous situons vraiment à la pointe du christianisme.
Dans toutes ces tentatives pour innocenter Dieu ou pour résoudre le problème du mal, il s'agit de rendre acceptable pour Dieu ce qui scandalise ou révolte notre conscience. C'est tout de même un peu fort ! Un Dieu qui tolère le mal n'est qu'une idole. Une conscience qui refuse le mal est supérieure à un Dieu qui le tolère.
2° La souffrance serait un châtiment
C'est un thème très ancien qu'on trouve dans certains passages de l'Ancien Testament. Nous connaissons tous les formules populaires : après tout, tu l'as bien mérité ! tu es puni par où tu as péché ! L'homme souffrirait parce qu'il pèche.
Les objections sont aussi très anciennes. Il apparaît bien vite que le mal et la souffrance ne sont nullement répartis à nos yeux conformément aux mérites de chacun. Malebranche, prêtre du XVIIe siècle, écrit : « Le soleil se lève indifféremment sur les bons et les méchants, il brûle souvent les terres des gens de bien, alors qu'il rend fécondes celles des impies. Les hommes ne sont pas misérables à proportion qu'ils sont criminels. » Par conséquent, si l'on parle de justice, il ne peut s'agir que d'une justice divine toute différente de la nôtre. On risque fort de lui prêter ce que l'on veut et de lui ôter toute signification. En outre, on rend incompréhensible ou illusoire la révolte de la conscience. Il est bon, il est sain que notre conscience soit révoltée par le mal et par la souffrance.
En face d'une telle conception, on a toujours élevé une protestation au nom de la souffrance de l'enfant innocent et de l'homme juste. Il est tout de même choquant d'affirmer que les souffrances de l'enfant sont méritées. Dans La Peste de Camus, l'on voit précisément un médecin incroyant refuser les arguments que lui propose un père jésuite.
Dans le livre de Job, vous avez à la fois la thèse du malheur-châtiment, à laquelle croient les amis de Job, et la proclamation toujours reprise par Job de son innocence. Il est bien certain que Dieu n'est pas du côté des consolateurs de Job. Les amis de Job lui offrent des consolations qui ne sont absolument pas efficaces et qui sont plutôt insultantes à sa souffrance.
C'est toujours la même prétention de l'homme de se substituer à Dieu. En vérité, il n'y a rien de plus déplaisant que cette prétention à lire, dans les malheurs individuels ou collectifs, le jugement de Dieu. Cela suppose une fausse conception de la Providence. Lorsque j'étais enfant, on me disait d'un homme qui revenait de tromper sa femme et qui était victime d'un accident de chemin de fer : ah ! c'est la justice immanente de Dieu, c'est le châtiment, il l'a bien mérité ! Je n'avais pas la répartie très vive, mais, plus tard, je me suis dit : les accidents de la route ou de chemin de fer au retour d'un pèlerinage à Lourdes, est-ce la justice divine ? Allons donc, la Providence n'est pas dans les freins de la voiture ou de la locomotive qui n'ont pas fonctionné. Il est facile de dire n'importe quoi et de faire intervenir Dieu dans l'histoire n'importe comment.
Voici un glissement de terrain qui anéantit un certain nombre de maisons où tout le monde périt sous les décombres, sauf une famille. Elle est chrétienne, le père dit à sa femme et à ses enfants : si vous voulez, nous allons nous mettre à genoux afin de remercier Dieu qui nous a bien protégés. Tiens ! Il vous a protégés vous, et il n'a pas protégé les autres ? C'est se flatter de déchiffrer à la place de Dieu ses desseins. Je crois très fort à la Providence : elle ne se situe pas au niveau des événements mais à celui des consciences (sauf miracle, ce qui est extrêmement rare !). Dieu intervient dans l'histoire certes, mais pour lui donner une dimension divinisante. Il divinise nos actions humaines humanisantes !
Ces plaidoiries, dans leur effort pour justifier Dieu du mal, aboutissent toujours à justifier le mal lui-même, ce qui revient à dire que le mal est finalement un bien. Le mal justifié n'est plus le mal, puisque le mal est précisément l' « injustifiable », comme l'écrit J. Nabert [Essai sur le mal, PUF, 1955]. On ne parvient pas à justifier le mal sans heurter la conscience.
3° Le mal se rattacherait à la liberté de l'homme
Voici plus sérieux : ce n'est pas Dieu, dit-on, mais la liberté de l'homme qui est responsable du mal. Affirmer que le mal naît de notre liberté semble à la fois innocenter Dieu et échapper aux contradictions qu'il y a à vouloir justifier le mal. Cette affirmation est valable mais insuffisante.
La liberté de la créature entraîne la possibilité d'un mauvais usage de cette liberté, donc la possibilité du mal moral et, parmi la multitude des conséquences qui en découlent, se trouve en particulier la souffrance. Il est très vrai qu'en bien des cas, l'homme est l'artisan de ses propres maux. Supprimez l'égoïsme humain : incontestablement, une grande part de la souffrance qui est dans le monde n'existera plus. Il faut même pousser le plus loin possible cette recherche destinée à rattacher chaque forme du mal (guerre, injustice sociale, etc.) à des responsabilités humaines. Dans quelle mesure, nous autres Français, sommes-nous responsables de tout ce qui s'est passé au Cambodge, de toutes les tortures qui sont perpétrées en Argentine et au Chili ?
C'est assez difficile à dire mais je suis persuadé que nous sommes tous responsables parce que nous sommes tous solidaires. Il y a un sens profond dans l'idée d'une responsabilité qui dépasse nos actes individuels et qui rattache notre volonté mauvaise à une carence dans l'ordre de l'amour. Notre égoïsme est responsable de bien des choses. Max Scheler écrit : « Le méchant aurait-il été méchant si je l'avais suffisamment aimé ? » [L'homme du ressentiment]. On ne peut nier que la plupart des gangsters sont des mal-aimés. Je pense toujours à cette jeune femme de vingt-deux ans qui me disait que sa maman ne l'avait jamais embrassée !
Pourtant, il est difficile de rattacher toutes les formes du mal à la liberté de l'homme. Est-ce parce que je fais un mauvais usage de ma liberté qu'il y a des raz de marée, des éruptions volcaniques, des cyclones, des épidémies ? Il est tout de même difficile d'affirmer que c'est à cause du péché que tous ces cataclysmes existent. Quand j'étais enfant, je me demandais pourquoi il y avait des moustiques et l'on me répondait : mon petit bonhomme, c'est parce que l'homme est pécheur ! Je ne vois pas le rapport qu'il y a entre le péché de l'homme et cet animal qui bourdonne et empêche de dormir...
Même si tout mal et toute souffrance ont pour origine une ancienne démarche libre de l'homme, cela ne supprimerait pas le scandale de la souffrance pour une conscience qui souffre sans avoir elle-même causé sa souffrance. Après tout, je ne suis pas responsable du péché d'Adam et l'Eglise le reconnaît. Le péché n'est pas employé dans le même sens s'il s'agit du péché originel ou s'il s'agit du péché actuel que, moi, je commets. Le problème rebondit : reste à savoir pourquoi l'homme use si mal de sa liberté et quelle puissance mauvaise ou quel penchant incline si fréquemment la volonté à vouloir le mal. Il ne semble pas que la seule finitude de la créature, son imperfection, suffise à rendre compte de la fréquence et de l'intensité de toutes ces défaillances de la volonté qui s'appellent péché ou crime.
Toute tentative de justification ou d'explication du mal échoue. La conscience continue de protester. En toutes ces argumentations, la conscience dénonce quelque chose qui est radicalement insuffisant, pour ne pas dire dérisoire.
Notre protestation scandalisée contient peut-être un enseignement : ne peut-elle pas nous amener à prendre, en face du problème du mal, une autre attitude ? Au lieu de chercher à tout prix en Dieu la justification du mal, ne faut-il pas découvrir Dieu au sein même de notre protestation et de nos efforts pour supprimer le mal ou, au moins, le surmonter ? « Dieu se manifeste dans la larme versée par l'enfant qui souffre et non dans l'ordre du monde qui justifierait cette larme » (Berdiaeff [Esclavage et liberté de l'homme]).
Le chrétien, je dirai même le philosophe, est invité à se détourner d'une explication du mal qui ne peut être que stérile et insuffisante pour se tourner vers l'attitude concrète que l'homme doit prendre en face du mal. Il faut renoncer définitivement à trouver au mal et à la souffrance une explication, une fonction, une finalité. Même à l'intérieur de la foi, il n'y a pas d'explication au mal. Le péché originel n'est pas du tout une explication de l'origine du mal. La foi n'est pas faite pour expliquer les choses (c'est à la science ou à la philosophie que revient cette tâche). Dieu n'explique pas le problème du mal, il n'est pas un professeur qui nous donnerait des réponses de professeur à des questions que nous lui poserions. Il ne répond pas à notre curiosité intellectuelle. Le mal n'est pas fait pour être compris mais pour être combattu.
Le mal est un non-sens, la souffrance est absurde. Impossible de leur trouver un sens, mais peuvent-ils prendre un sens ? Puis-je, moi, avec ma liberté, leur donner un sens ? Berdiaeff dit bien : « Objectivement, c'est le non-sens qui règne ici-bas sur la vie (il va loin !) mais la vocation de l'esprit est de lui donner un sens. » Pour cela, je vous propose quelques réflexions très simples.
1° Maintenir les exigences de la conscience
Il faut d'abord lucidement reconnaître le mal et refuser les fausses solutions. Il s'agit pour le chrétien, non pas de voiler le mal comme s'il était nécessaire pour mieux faire saillir la bonté de Dieu, mais, tout au contraire, de le reconnaître partout où la conscience le dénonce. Il faut maintenir très fermement les aspirations et les exigences de la conscience. Ce sont les progrès de la conscience qui font apparaître des formes de plus en plus nombreuses du mal et de l'injustice dans le monde. Il n'y a pas tellement longtemps, les chrétiens n'estimaient pas scandaleux le fait qu'on faisait travailler des gamins de huit ans, la nuit, dans les boulangeries.
Ce sont les progrès de la conscience qui font apparaître que, dans bon nombre d'institutions sociales et politiques, il y a des choses qui ne vont pas et qu'il faut réformer. C'est lorsque l'inertie de la conscience est secouée que de nouvelles formes du mal apparaissent auxquelles elle était d'abord insensible. Nous devons rester capables d'indignation et de colère. Il y a de saintes colères. Il nous faut refuser énergiquement le dilettantisme, le pharisaïsme et le fanatisme qui entendent « résoudre dans l'histoire, le problème du mal par des techniques d'écrasement » (E. Borne). Ne nous résignons pas au mal, restons capables de le dénoncer, et toujours avec davantage de lucidité.
2° La vocation à la joie est plus forte que le mal
La révolte de la conscience devant le mal serait une absurdité si elle ne s'enracinait pas dans une certitude. A moins de se résigner à l'absurdité de nos aspirations les plus fondamentales vers la justice, le bien, l'amour, la fraternité, à moins d'accepter de dire que tout cela n'est qu'illusion, il faut bien admettre, derrière le refus ou le scandale du mal, une aspiration qui, d'une certaine manière, nous assure déjà que le mal est surmonté. N'est-ce pas parce que nous sommes faits pour la joie, parce que notre vocation est le bonheur, que nous protestons contre le mal et la souffrance ? J'affirme que si notre vocation, qui est gravée au coeur de notre conscience, n'était pas une vocation à la joie, notre indignation contre le mal et la souffrance ne serait pas ce qu'elle est.
Par le salut proposé en Jésus Christ, c'est, en définitive, la joie qui sera victorieuse. Le Christ nous dit bien : « Je veux que là où je suis, vous soyez avec moi » (Jn 14, 3). Divinisés, introduits au coeur même de la Trinité, participant à ces relations d'amour qui sont celles des Trois Personnes, nous nous donnerons les uns aux autres le Don que les Trois Personnes se font d'Elles-mêmes, l'une à l'autre. Notre joie sera la Joie même de Dieu.
3° Passer de l'avoir à l'être
C'est dans la foi qu'il nous est possible de donner un sens à ce non-sens qu'est la souffrance. Je ne dis plus maintenant : le mal, je dis : la souffrance. Le mal : il n'y a qu'une chose à faire, c'est retrousser ses manches et travailler autant qu'il est possible à le diminuer, sinon à le supprimer. La souffrance : je vous invite ici à vous situer à ce que j'appellerai l'extrême pointe de la foi chrétienne. Quand on est devant la chaîne du Mont-Blanc, au coucher du soleil, à Combloux par exemple, on voit l'ombre qui gagne la montagne, qui monte peu à peu ; puis vient un moment où il n'y a plus qu'un point lumineux, une aigrette, c'est le sommet qui est encore illuminé par le soleil couchant, le quatre mille huit cent septième mètre et, tout à coup, tout s'éteint. Pour que la souffrance ne nous soit pas un scandale, il faut qu'elle soit pour nous un mystère de purgatoire corrélatif du mystère du ciel, je veux dire : mystère de purification.
S'il ne s agissait que de contempler Dieu éternellement, comme un beau spectacle ou une belle oeuvre d'art, une purification aussi complète, aussi totale, brûlant jusqu'à la racine de l'égoïsme ne serait peut-être pas absolument nécessaire. Mais, puisque le Dieu vivant n'est qu'Amour, puisque ma vocation d'homme est d'entrer en Lui pour vivre à jamais de sa Vie et être rendu capable d'aimer comme Il aime, il me faut bien admettre que pas un atome d'égoïsme ne peut subsister là où il n'y a que de l'amour. C'est pourquoi la plus haute joie, ce qui fait que nous sommes chrétiens - ne faire qu'un éternellement avec l'amour infini - s'accompagne nécessairement de la plus haute exigence : être moi-même tout entier amour, être purement, c'est-à-dire uniquement, amour, sans aucune attention à moi, regard sur moi, repliement sur moi.
Or, il est bien certain qu'il y a en nous autre chose que de l'amour. Plus profonde que tout autre, il y a en nous cette souffrance, qui est une noblesse en même temps qu'un aveu, de ne pouvoir aimer personne sans nous aimer nous-mêmes davantage. Lorsque je dis à quelqu'un : je t'aime, je ne suis jamais absolument sincère ; trop souvent et toujours un peu, celui ou celle à qui je dis que je l'aime, est un moyen pour l'amour que je me porte à moi-même. Lorsque je pleure un être cher, c'est toujours un peu sur moi que je pleure. Nous savons que notre impureté essentielle consiste en ce que nous nous appartenons à nous-mêmes. Propriété et amour s'excluent rigoureusement. Or, nous ne pouvons faire qu'en cette vie mortelle nous ne soyons des propriétaires, non pas de biens matériels, mais de nous-mêmes. Pour être à Dieu, il ne faut pas être à soi. Pour ne plus être à soi, il faut être arraché à soi. Mais l'arrachement à soi est précisément ce que nous appelons la souffrance.
Toute souffrance peut être comprise, c'est le sens que je peux lui donner, comme une mort partielle, une ébauche de mort. La souffrance est le pion avancé de la mort tout au long de la vie. La mort est le passage de l'avoir à l'être ou de l'égoïsme à l'amour. Ces termes ici sont interchangeables : l'avoir, c'est l'égoïsme, l'être, c'est l'amour. « Bienheureux les pauvres » veut dire : bienheureux ceux qui sont et qui aiment. Comme Dieu. Pour être vraiment, il faut que je sois dépouillé de mon avoir. Ce dépouillement, c'est la souffrance. Et la mort finale n'est pas autre chose que la fin de ce mouvement d'expropriation qui me jette hors de moi pour que, n'ayant plus rien à moi, je sois tout à Dieu et au Christ, pure relation à l'Autre et aux autres, ce qui est la définition même de l'amour. Moyennant quoi, je pourrai enfin entrer dans l'amour. [...]
j'ai trouvé ce beau texte
Mon fardeau
Le fardeau que je traîne est bien encombrant
j'ai trop mal à mes cicatrices, elles sont vraiment trop profondes
je me demande pourquoi ci, pourquoi ça, c'est comment ?Pourquoi moi et pas les autres, pourquoi les autres et pas moi
J'ai du mal à m'accepter alors je me révolte, verve furibonde
un mot contrariant et j'agresse sans réfléchir, quel désarroi
je ne sais que faire, je n'aime pas ma vie, elle est nauséabonde
Pourquoi toujours chercher à plaire pour pouvoir exister
Pourquoi ne pas croire que l'on peut m'aimer sans conditions
J'ai beau dire que je m'en fous de ce que les autres peuvent penser
En vérité j'attends toujours en secret des approbations
Si je prends quelques instants de réflexion
je m'aperçois que la vie est comme un lycée technique
seule différence, on a la pratique suivie d'une leçon
au lieu d'une leçon suivie d'une pratique
Si je prends encore quelques instants pour réfléchir
je me rends compte que nous sommes tous égaux
seulement nous portons un masque pour ne pas trahir
l'être fragile que nous sommes et qui croit que l'autre est costaud
Avec mes pourquoi et comment, je réfléchis davantage
Et me dit que nul n'a son BEP, apprentis nous sommes encore
que je devrais être indulgent avec mon voisin, s'il n'est pas un sage
que l'on peut tomber puis se relever, c'est notre leçon de sport
C'est pas carnaval, laissons tomber nos déguisements
soyons nous mêmes, arrêtons les faux-semblants
commençons par dire que l'on s'aime, que l'on s'aime vraiment
que nous méritons l'amour que nous avons gagné en naissant
Marie M.@(*_-)@ --- > pour LAURA
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