Les nanoparticules, petites mais toxiques ?
Écrit par J.Maherou, S. Norest & L.Ferrer
Créé le mercredi 4 juin 2014 11:16
Cosmétiques, emballages, automobiles,
textiles, les nanoparticules ont envahi notre quotidien. Les industriels
y voient la solution à de nombreux problèmes car ces toutes petites
particules possèdent des propriétés physico-chimiques que n’ont pas les
particules plus grosses. Pourtant, elles suscitent des inquiétudes.
Certains scientifiques les soupçonnent en effet d’être dangereuses pour
la santé. Mais à quoi peuvent-elles bien servir ? Sont-telles vraiment
utiles ? Doit-on s’en méfier ? Eléments de réponses…
Les nanoparticules : de quoi s’agit-il ?
Les nanoparticules sont des éléments dont la taille est comprise approximativement entre 1 et 100 nanomètres, 1 nanomètre étant 1 milliard de fois plus petit qu'un mètre. A titre de comparaison, il existe le même rapport de taille entre une orange et la Terre qu’entre une nanoparticule et une orange. Cette caractéristique dimensionnelle confère à ces matériaux des comportements particuliers et des propriétés très intéressantes. Les nanotubes de carbone par exemple, sont 100 fois plus résistants que l’acier.
Le terme de nanoparticules fait référence à différentes familles de particules telles que :
- les oxydes de métaux (titane, cuivre, zinc, aluminium, silicium),
- les nanotubes de carbones, qui forment des fibres solides aux propriétés électriques particulières,
- les fullérènes [C60, C70], utilisées
pour améliorer les propriétés électriques et optiques de polymères ou
pour des applications pharmaceutiques,
- les nanopoudres d’argent, dont les propriétés antibactériennes sont mises à profit notamment dans le textile.
Selon la Commission européenne, le
marché des nanotechnologies est estimé à 700 milliards d’euros en 2008.
Il devrait atteindre 2 000 milliards de dollars en 2015, et en matière
d’emploi concerner 2 millions de personnes dans le monde[1].
Où les trouve-t-on ?
Depuis les années 90, les nanoparticules sont utilisées dans de très nombreux domaines :
électronique, revêtements, textiles, articles de sports, applications
pharmaceutiques, applications agroalimentaires, aéronautique,
automobile, chimie, construction, cosmétique, optique, etc. Aujourd’hui, elles sont présentes dans plus d’un millier de produits.
Dans les cosmétiques
Les
nanoparticules sont utilisées dans de nombreux cosmétiques : dans les
rouges à lèvres pour améliorer leur tenue, dans les parfums pour
intensifier leurs arômes, dans les crèmes hydratantes pour qu’elles
soient fluides, dans les dentifrices pour les rendre plus épais[2], etc.
Mais les produits plus particulièrement pointés du doigt sont les crèmes solaires…
Avant, les industriels de la cosmétique utilisaient des microparticules
de poudre de dioxyde de titane ou d’oxyde de zinc (1 000 fois plus
grosses que les nanoparticules) dans les crèmes solaires pour réfléchir
les UV. L’inconvénient, c’est que ces crèmes solaires étaient difficiles
à étaler et laissaient des traces blanches sur la peau. Pour pallier à
ce problème, certaines marques ont eu recours au dioxyde de titane ou à l’oxyde de zinc sous forme de nanoparticules.
Grâce à leur petite taille, ils confèrent fluidité et bonne tenue aux
crèmes solaires, et ne laissent plus de traces blanches sur la peau…
Néanmoins, il existe encore des crèmes
solaires sans nanoparticules. Depuis juillet 2013, les fabricants auront
l'obligation d'indiquer leur présence dans les crèmes solaires. Il n’y
aura plus qu’à lire les étiquettes ! Pour plus d’informations sur les
crèmes solaires, vous pouvez consulter notre synthèse en cliquant ici !
Dans les peintures
Les nanoparticules constituent un outil
de plus pour les producteurs de peintures et de revêtements. Intégrées
comme additifs, elles accroissent la résistance à l'abrasion, aux
rayures ou la corrosion, protègent des UV et améliorent leur durabilité.
Elles ont en plus des propriétés hydrofuges, antimicrobiennes et autonettoyantes.
Autre atout : les nanoparticules intégrées dans les formules de
peinture ne modifient en rien la façon de déposer les peintures.
Dans l’alimentation
Les nanoparticules sont également présentes dans notre alimentation. Elles peuvent modifier
la couleur, l’odeur, le goût, la fluidité, la texture, la conservation
des aliments mais aussi être incorporés aux emballages pour agir sur
leur conservation, leur traçabilité et leur recyclage. Par
exemple, les nanoparticules d’oxyde de silice (E551) améliorent les
émulsions. Elles sont ajoutées dans le sel, les soupes, les laits, le
chocolat, les crèmes en poudre et les hamburgers. Quant au dioxyde de
titane sous forme nano, il est utilisé comme agent blanchissant pour le
glaçage, mais aussi pour l’enrobage des bonbons afin d’empêcher
l’oxygène et l’humidité d’altérer le produit et ainsi accroitre sa durée
de conservation.
Plus de 300 nano-aliments ont été répertoriés
et constituent déjà un marché de plusieurs centaines de milliards de
dollars dans le monde, les Etats-Unis en tête, suivis par le Japon et la
Chine. En France, peu d’informations sont disponibles, car la mention
de nanomatériaux sur l’étiquetage n’est pas obligatoire dans notre pays.
Dans les vêtements
L’industrie textile recourt parfois aux
nanotechnologies pour améliorer ses produits (propriétés thermiques,
anti-plis) et leur résistance à l’eau, au feu ou à l’abrasion. C’est le
cas de certains vêtements de sport et de certaines chaussettes dont des
nanoparticules métalliques, d’argent notamment, sont intégrées aux
fibres afin de donner des propriétés bactéricides au tissu et de lutter contre les mauvaises odeurs.
Pour en savoir plus sur les polluants contenus dans nos vêtements, consultez notre synthèse « Les fringues qui tuent ».
Dans le domaine médical
Dans ce domaine, les nanotechnologies
ont permis de grandes innovations telles que l’élaboration de nouveaux
types de prothèses plus résistantes mais aussi biocompatibles. La
médecine actuelle fonde donc d’immenses espoirs dans les applications
des nanotechnologies, notamment pour le traitement du cancer, en
permettant de trouver une alternative à la chimiothérapie, lourde et
éprouvante.
En 2012, des chercheurs[3] britanniques
ont mis au point un test à base de nanoparticules d'or qui permet de
dépister à l'œil nu les premiers stades d'une maladie ou d'une
infection, comme le cancer de la prostate ou le VIH. Ce détecteur,
constitué d'infimes particules d'or déposées sur une base en plastique,
permet d'analyser le sérum contenu dans le sang du patient. Si ce sérum
contient les marqueurs biologiques distinctifs d'une maladie, comme le
p24 associé à une infection par le virus du sida ou l'antigène
prostatique spécifique (PSA) servant à diagnostiquer un cancer de la
prostate, les nanoparticules d'or réagissent, donnant une teinte bleue
caractéristique à la solution remplissant le détecteur. En l'absence de
ces marqueurs, les particules se séparent pour former des sortes de
petites boules qui donnent une coloration rougeâtre.
Selon ses inventeurs, ce prototype est
dix fois plus sensible que les procédés actuels et dix fois moins cher à
fabriquer, ce qui pourrait particulièrement intéresser les pays
défavorisés.
Dans d’autres domaines d’application
Les nanoparticules sont également
utilisées pour booster les performances des lecteurs de DVD, des pneus,
des carrosseries de voitures, des raquettes de tennis, des machines à
laver, etc. Les industriels pharmaceutiques les exploitent aussi comme
vecteurs pour transporter les principes actifs des médicaments vers les
cellules cibles.
Depuis le 1er janvier 2013, les
fabricants sont obligés de déclarer l'identité, les quantités et les
usages des substances à l'état nanoparticulaire produites, distribuées
ou importées en France. Cela permettra de mieux connaître les substances
mises sur le marché et leurs usages, de disposer d’une traçabilité des
filières d’utilisation et d’une meilleure connaissance du marché et des
volumes commercialisés.
Quels sont les risques pour la santé ?
Les nanoparticules ont des propriétés
très intéressantes pour la fabrication de tous ces objets mais elles
pourraient bien être dangereuses, et c'est là tout le problème de
ces nanomatériaux… Les industriels savent très bien les fabriquer, mais
leurs impacts sur la santé ne sont pas encore bien connus.
Le problème, c’est leur petite taille…
On sait que les nanoparticules ont des niveaux d’interaction et de pénétration plus importants que leurs homologues macros. Le danger potentiel provient de leur petite taille, qui facilite leur passage à travers les cellules de l’organisme
puis vers la circulation sanguine et les organes internes. Etant 50 000
fois plus petites qu’un cheveu, leurs dimensions sont inférieures à
celles des particules atmosphériques ultrafines, reconnues comme
cancérigènes par l’OMS en juin 2012 ! Par ailleurs, les
nanoparticules présentent une surface spécifique (rapport surface/masse)
énorme, ce qui augmente leur capacité d’interactions avec les
organismes vivants. Le phénomène est identique avec un carré de
chocolat et du chocolat en poudre : plongés dans un bol de lait chaud,
le carré de chocolat ne va pas fondre totalement tandis que le chocolat
en poudre, va se dissoudre immédiatement.
Les nanoparticules pourraient également servir de cheval de Troie
pour les autres polluants présents dans l’environnement. Certaines
nanoparticules ont en effet la propriété d’adsorber à leur surface des
molécules qui peuvent être toxiques. Dans ces conditions, la toxicité ne
relève pas de la nanoparticule elle-même mais des substances véhiculées
à sa surface et qui peuvent ainsi pénétrer parfois plus facilement dans
l’appareil respiratoire.
Dans son rapport intitulé « Évaluation des risques liés aux nanomatériaux »
publié en mai 2014, l’Anses a pointé les effets encore méconnus de ces
technologies infiniment petites. Chez les organismes vivants (animaux ou
des végétaux), des travaux ont mis en évidence la persistance de
nanomatériaux, ainsi que des retards de croissance, des anomalies ou
malformations dans le développement ou la reproduction, des troubles
neurologiques, des phénomènes d'immunosuppression, des réactions
d'hypersensibilité et d'allergie. Chez l’animal, des effets cancérogènes
ont également été mis en évidence avec les nanomatériaux tels que les
nanoparticules de cobalt et de nickel et les nanotubes de carbone. Ces
derniers peuvent aussi entraîner des effets toxiques sur l'environnement
avec par exemple un effet antimicrobien lorsqu'ils sont dispersés dans
le sol. En ce qui concerne les effets sur l’homme, ils restent encore
largement méconnus en raison de l'absence d'études épidémiologiques. Ces
technologies sont en effet très récentes, elles ne sont apparues sur le
marché que depuis une dizaine d’années seulement. Mais si leur taille
infinitésimale est un atout pour l’industrie, pour la santé de l’homme,
elle pourrait plutôt représenter un danger. En effet, cette
propriété leur permet de franchir les barrières physiologiques, comme la
peau ou les muqueuses, qui constituent les protections naturelles du
corps ou le placenta qui permet l’échange sanguin entre la mère et le
fœtus.
Les différentes voies d’exposition
Les voies d’exposition de l’homme aux nanoparticules sont respectivement les voies respiratoire, cutanée et digestive.
La voie principale est la voie respiratoire. Les nanoparticules
inhalées se déposent sur les fosses nasales, les bronches et les
alvéoles pulmonaires et se logent ensuite dans les poumons. Après avoir
traversé la paroi épithéliale des alvéoles et celles des vaisseaux
sanguins, elles gagnent le foie, le cœur, les reins et s’y accumulent.
Les nanoparticules peuvent également pénétrer dans l’organisme et
traverser la barrière intestinale via les aliments qui en contiennent.
De nombreuses études suggèrent que les
nanoparticules induisent la production de radicaux libres, des molécules
très réactives contenant de l’oxygène et qui conduisent à un stress
oxydant. Ces phénomènes déclenchent une réponse inflammatoire de défense
qui peut entrainer diverses pathologies : bronchite chronique, fibrose
pulmonaire, cancer du poumon, troubles cardio-vasculaires et maladies
neuro-dégénératives.
Ceci a été confirmé par une étude[12]
publiée par le National Institute for Occupational Safety and Health
(Niosh). Impliquant treize universités américaines, cette étude a montré
que le dioxyde de titane et les nanotubes de carbone provoquent, chez
la souris et le rat, des inflammations des voies respiratoires. Cliquez ici pour en savoir plus !
Des nanoparticules qui affectent le cerveau
Certaines nanoparticules peuvent atteindre le système nerveux central, voire même endommager le cerveau.
C’est ce qu’a démontré une étude[4] publiée en 2011 et réalisée par une
équipe de chercheurs du CEA de Gif-sur-Yvette et de Grenoble. Ils ont
reconstitué un modèle cellulaire de la barrière hémato-encéphalique -
barrière qui protège le cerveau des éléments toxiques - associant des
cellules endothéliales (cellules de la paroi des vaisseaux sanguins),
cultivées sur une membrane semi-perméable, et des cellules gliales (pour
le système nerveux). Ils ont ensuite exposé ce modèle à des
nanoparticules de dioxyde de titane (nano-TiO2). Les chercheurs ont
alors constaté qu'une exposition in vitro aux nano-TiO2 entraîne leur
accumulation dans les cellules endothéliales. Il en résulte aussi une
rupture de la barrière de protection, associée à une inflammation
cérébro-vasculaire. Les résultats de cette étude ont montré qu’une
exposition chronique à ces nanoparticules pourrait entraîner leur
accumulation dans le cerveau avec un risque de perturbation de certaines fonctions cérébrales.
Des nanoparticules sur la peau : danger ?
En ce qui concerne le contact avec la
peau (solvants, pesticides, crèmes), le sujet est toujours soumis à
débat. D’un côté, des études ont mis en évidence leur toxicité. C’est le
cas d’une étude[5] qui a montré que même l’épiderme d’une peau intacte
était perméable aux nanoparticules. D’après une autre étude[6] menée sur
des souris, l’oxyde de titane induirait des dommages au niveau des
chromosomes et des ruptures des brins d’ADN, pouvant augmenter les
risques de développement d’un cancer.
D’un autre côté, l’Ansm (Agence
nationale de sécurité du médicament) a démontré le contraire… Répondant à
une demande de la Direction générale de la santé (DGS), l'agence a
analysé les données scientifiques relatives à la pénétration cutanée, la
génotoxicité et la cancérogénèse des nanoparticules de dioxyde de
titane (TiO2) et de l'oxyde de zinc (ZnO) utilisées sous forme de
nanoparticules comme anti-UV dans les produits cosmétiques.
Dans deux rapports[7] publiés en juin
2011, elle a constaté que les études scientifiques actuelles ne montrent
pas de pénétration cutanée significative du nano TiO2 pour les peaux
saines, et ne permettent pas de tirer de conclusion dans un sens ou dans
l'autre pour les peaux lésées. Les données de toxicité chronique et de
cancérogenèse sont également limitées.
Par précaution, l’Ansm a tout de
même recommandé de ne pas utiliser de cosmétiques - en particulier les
crèmes solaires - contenant des nanoparticules de dioxyde de titane sur
une peau lésée ou sur les coups de soleil du fait des risques potentiels
pour la santé humaine. L’agence déconseille également
d'utiliser sur le visage ou dans des locaux fermés les cosmétiques
contenant des nanoparticules et se présentant sous formes de spray. Dans
ces cas, il y a en effet un risque d’absorber les nanoparticules par
les voies respiratoires. Attention également aux enfants ! Ils ont une
peau plus fine que les adultes, les composés peuvent alors pénétrer plus
facilement…
Quels sont les impacts sur l’environnement ?
Les stations d’épuration n’étant pas
efficaces pour éliminer les nanoparticules, celles-ci se retrouvent dans
l’environnement, en particulier lors du lavage des vêtements contenant
des nano argents telles que les chaussettes antibactériennes.
Des chaussettes antibactériennes mais polluantes !
Selon l’avis[8] de l’Anses (Agence
nationale de sécurité sanitaire) de mars 2010, qui a étudié le cas de
ces chaussettes anti-odeur, pour l’environnement, la dispersion
de nanoparticules attendue est qualifiée d’importante. L’Anses estime
qu’une chaussette libère environ 144 milligrammes de nanoparticules lors
d’un lavage. En considérant qu’un Français sur dix utilise des
chaussettes anti-transpiration et qu’il achète 10 paires par an, leur
lavage entraînerait le relargage annuel de 18 tonnes de nano argent dans
les milieux aquatiques ! En savoir plus sur l’expertise de l’Anses…
Et une fois libérées dans
l’environnement, ces nanoparticules d’argent peuvent entrainer des
effets néfastes sur les écosystèmes. Mais tout comme les impacts
sanitaires, ces effets sont encore mal connus.
Les nanoparticules d'argent sont
utilisées dans les chaussettes pour leur propriétés antibactériennes.
Mais une études récemment publiée a montré que le nano-argent était
efficace pour neutraliser des bactéries cibles (Escherichia coli), mais
qu’il initie l'émergence inattendue, l'adaptation et la croissance anormalement rapide d'autres espèces de bactéries, les Bacillus. Les
chercheurs estiment que le caractère de résistance peut potentiellement
être transféré aux gènes d'autres micro-organismes et que, pour l'usage
médical, cela impliquerait une diminution de l’efficacité ainsi qu’un
développement de populations résistantes en milieu clinique. En savoir plus sur cette étude.
Que deviennent les nanoparticules libérées dans l’environnement ?
Dans une étude[9] publiée avril 2012,
des scientifiques de l’université de Duke (Caroline du Nord) ont décidé
de suivre l’évolution de ces molécules dans l’environnement. Pour cela,
ils ont dispersé des nanoparticules d’argent sur le sol et dans l’eau,
dans des «mésocosmes» c’est-à-dire des boîtes recréant à la fois
l’habitat terrestre mais aussi les milieux humides. Ils ont étudié
pendant 18 mois les transformations chimiques subies dans le milieu
naturel et la manière dont ces particules interagissaient avec les
plantes et les animaux une fois dans l’environnement.
Ensuite, les concentrations en
nanoparticules ont été mesurées dans l’eau, le sol, les poissons et
leurs embryons, les plantes et les différents insectes. Elles ont été
comparées à la boite référence, sans nanoparticules d’argent. Les
scientifiques ont ainsi trouvé une accumulation de nanoparticules
d’argent dans les plantes terrestres et les animaux aquatiques. Parmi
les poissons, ce sont les guppys qui présentent les concentrations en
nanoparticules d’argent les plus élevées. Les femelles de ces petits
poissons semblent transmettre de fortes concentrations (10 à 20 fois les
concentrations de contrôle) à leurs embryons. Par ailleurs, 70% des
particules se sont retrouvées dans les sols, et après lessivage des
terres, dans les sédiments des zones humides. A la fin de l’étude, 18%
de l’argent qui s’était concentré dans l’eau est resté sous la même
forme, 55% a réagi avec le soufre pour former du sulfure d’argent, alors
que 27% des particules se sont liées à la matière organique des
sédiments. Les particules présentes dans le milieu terrestre ont subi
moins de transformation : 47% sont restées à l’état initial tandis que
52% se sont transformées en sulfure d’argent.
Les effets toxiques des nanoparticules
Aujourd’hui, une majorité d’études a montré que les nanoparticules ont des effets cytotoxiques (toxique pour les cellules) sur les organismes vivants.
Plus elles sont petites, plus leur capacité à synthétiser des radicaux
libres augmente et plus elles endommagent les membranes cellulaires et
les chromosomes. Par exemple, les fullerènes C60, des nanosphères
composées de 60 atomes de carbone, libèrent une quantité importante de
radicaux libres lorsqu’ils sont en suspension dans l’eau. Quant aux
nanoparticules d’argent inférieures à 10 nanomètres, elles libèrent des
ions argent qui interagissent avec les atomes de soufre dans les
protéines des membranes cellulaires et avec les atomes de phosphore de
l’ADN. Les nanotubes de carbone, eux, bloqueraient l’activité
respiratoire et la digestion de certains amphibiens. Par ailleurs, le
nano argent risquerait d’anéantir les bactéries utiles aux stations
d’épuration.
Une étude[10] suédoise publiée en février 2012 a montré que les nanoparticules jouent également un rôle dans le comportement alimentaire des poissons.
Les chercheurs ont reconstitué une chaîne alimentaire en laboratoire en
commençant par cultiver des algues microscopiques dans une eau dont la
concentration en nanoparticules de polystyrène est de 0,01 %. Le
lendemain, ils y ont introduit des daphnies, des petits crustacés
zooplanctoniques se nourrissant exclusivement d’algues. Une fois les
algues consommées, les chercheurs ont récupéré les daphnies et les ont
lavées pour qu’il ne reste plus que les nanoparticules contenues à
l’intérieur des daphnies. Le troisième jour, ces daphnies ont été
consommées par des carrassins, appelés plus communément poissons rouges.
Cette expérience a été répétée tous les trois jours.
Les chercheurs ont ensuite comparé le
comportement des poissons avec celui d’un groupe témoin de poissons dont
la nourriture ne comportait pas de nanoparticules. Ils ont alors
constaté que le groupe à nanoparticules mettait deux fois plus de temps à se nourrir que le groupe témoin.
Aussi, les individus du premier groupe nageaient moins vite, chassaient
moins et semblaient comme apathiques. Comme les scientifiques ont donné
volontairement peu de nourriture aux poissons, ceux du groupe de
contrôle maigrissaient et métabolisaient leur graisse pour supporter le
jeune. Pour l’autre groupe en revanche, le contraire s’est produit : les
poissons avaient grossi au bout de cinq semaines d’expérience. D’après
les auteurs de cette étude, en jouant un rôle dans le comportement
alimentaire des poissons, les nanoparticules peuvent aussi modifier
l’équilibre de tout un écosystème. Cliquez ici pour en savoir plus sur cette étude.
Une autre étude[11], toujours réalisée
sur des poissons a montré que les nanoparticules d’argent s’avèrent
toxiques pour les embryons et pour les adultes. Lors d’une contamination
chronique aux nanoparticules d’argent, les auteurs ont noté une
perturbation importante du développement de l’embryon se matérialisant
notamment par des retards de développement. Parallèlement, le taux
d’éclosion est diminué de 38 %.
Le projet Nanogenotox
Ce
projet, auquel 13 Etats membres de l’Union européenne participent, a
été lancé en mars 2010 par l’Afsset (maintenant Anses). Ce programme,
d’une durée de trois ans, vise à fournir à la Commission européenne une
méthode alternative, robuste et fiable de détection du potentiel
génotoxique des nanomatériaux susceptibles d’engendrer un risque de
cancer ou de toxicité pour la reproduction chez l’homme. Les travaux
permettront de tester 14 nanomatériaux manufacturés regroupés en 3
groupes : dioxyde de titane, silice et nanotubes de carbone. Une fois la
distribution des nanomatériaux dans l'organisme identifié
(toxico-cinétique des nanomatériaux), les tests de génotoxicité in vitro
et in vivo adéquats seront réalisés et comparés entre eux. Pour en
savoir plus sur ce projet, consultez notre article.
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Aujourd’hui, les scientifiques se
veulent prudents car les études se contredisent et ne permettent pas de
conclure quant à la dangerosité des nanoparticules. Les chercheurs
évoluent dans ce qu’ils appellent une période d’incertitude. Mais en
attendant les industriels continuent à mettre sur le marché des produits
contenant des nanoparticules, et cela sans aucune étude de toxicité
préalable à leur mise sur le marché. Il serait donc important d’évaluer
le ratio bénéfice/risques et de savoir si les nanoparticules sont
vraiment indispensables dans notre quotidien…
Pour aller plus loin, vous pouvez regarder la vidéo « Comment faire des nanotechnologies une affaire publique » ou l’article du Dr Jean-François Lesgards sur les nanoparticules.
Nanoparticules
Entre grande peur et immenses espoirs
Jean-Paul
Geai
Rédacteur en chef
Lancé en octobre dernier, le grand débat national sur le développement
et la régulation des nanotechnologies a tourné au fiasco. Autant par sa
complexité que par la volonté des opposants à cette nouvelle technologie
de le faire capoter. « Informer, écouter, rendre compte », tels étaient
les objectifs de cette consultation publique sur « les enjeux, les
promesses et les dangers » de l'infiniment petit. Les progrès
scientifiques permettent en effet aujourd'hui d'observer et de manipuler
les atomes, éléments constitutifs de la matière, pour fabriquer des
objets de taille nanométrique, celle du millionième de millimètre.
Incorporées en petite quantité, les nanoparticules ont déjà envahi plus
de 800 produits de notre quotidien : appareils électroniques, cadres de
vélo, raquettes de tennis, pneumatiques, vitrages, peintures, crèmes
solaires, vêtements, emballages alimentaires, médicaments... À cette
échelle microscopique, les propriétés de la matière sont radicalement
nouvelles et ouvrent des perspectives immenses et jamais exploitées.
Mais comme toute innovation, cette technologie comporte des inconnues.
Si les nanotechnologies suscitent d'immenses espoirs, elles inspirent
beaucoup de craintes. Du fait de leur taille minuscule, ces particules
sont susceptibles de s'infiltrer partout, à travers le système
respiratoire ou digestif, voire à travers la peau. Plusieurs études
scientifiques soulignent leurs dangers potentiels. Quant à l'impact
environnemental de leur dissémination dans l'air ou dans l'eau, il est
encore très mal connu. Sans oublier les questions éthiques, comme le
respect des libertés individuelles, posées par leur utilisation dans la
surveillance des individus à leur insu. À se développer sans garde-fou
ni veille scientifique, les nanotechnologies risquent fort de tourner au
débat passionnel, écrivions-nous en février 2007. Trois ans plus tard,
rien n'a vraiment changé. Le Conseil national de la consommation doit
rouvrir le dossier fin avril. Comme pour n'importe quelle autre avancée
technologique, il est indispensable que l'on s'inquiète des effets
éventuels des nanoparticules sur l'homme et sur l'environnement. Il faut
renforcer les contrôles, multiplier les études de toxicologie et
édicter des règles. Le temps presse.
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