vendredi 27 juin 2014

toujours dans mes coups de gueule

La face noire de la mondialisation

La guerre des pauvres

Il n’est plus possible de faire l’économie d’une refondation des politiques de sûreté publique
Alain Bauer
Alain Bauer
Voici quelques jours, un jeune “Rom” a été brutalement agressé, “lynché” selon les médias, en Seine- Saint-Denis.
Comme l’écrit si bien le journal Le Monde : “La “cité des Poètes”, à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), porte affreusement mal son nom. C’est à proximité de ce quartier déshérité qu’un jeune Rom de 16 ans, Darius, a été retrouvé, abandonné dans un chariot de supermarché, entre la vie et la mort, vendredi 13 juin. Avec sa famille, il vivait dans un campement de fortune, de l’autre côté de la nationale 1.
La population de ce bidonville avait brusquement augmenté depuis quelques semaines, après le démantèlement d’autres campements de Seine-Saint-Denis, un département où se concentrent près de 20 % des 17 000 Roms, le plus souvent originaires de Roumanie et de Bulgarie, qui vivent, ou plutôt survivent, en France. Depuis, l’on avait assisté à une explosion des cambriolages dans le quartier, provoquant l’exaspération des habitants, selon le maire socialiste de Pierrefitte. Darius lui-même était connu des services de police pour des faits de vol et de conduite sans permis.

Selon les enquêteurs de la police judiciaire, c’est à la suite d’une nouvelle tentative de cambriolage que des habitants du quartier auraient décidé de régler l’affaire eux-mêmes.” Ici s’arrête la partie descriptive de l’éditorial du journal qui se voudrait de référence de la presse nationale avant de se lancer dans son habituel appel à la réaction publique face à cet événement naturellement choquant.
Au-delà de l’émotion naturelle, il semble que les médias aient manqué la mise en relation de plusieurs éléments se téléscopant : le score récent du Front national, la énième relance de la politique de la ville, l’absence de débat sur la réforme pénale, la dégradation générale de la situation en Irak, au Mali, en Centrafrique, au Nigéria, au Kenya … Certes, un journal est fait de pages qui se suivent, et ne se ressemblent pas toujours, mais on pourrait penser que celles et ceux qui les font ressentent parfois le même sentiment que les lecteurs, celui d’une rupture forte des indicateurs de la réalité de terrain, face aux illusions des records boursiers quotidiens. Ces situations sont la conséquence non pas d’un aveuglement, mais de la création d’une illusion terrible qui a permis la création de deux univers qui se juxtaposent. 

Celui d’une misère réelle et qui s’accroît dans le silence et l’indifférence, et celui du gâchis et du mépris, entre luxe insolent et ignorance. Mais hélas, comme souvent, au-delà du tragique, il faut remettre les événements en perspective. Michel Rocard avait tristement raison : “La France ne peut accueillir toute la misère du monde. Mais elle doit en prendre sa juste part.”. Au désespoir des citoyens de France, qui après trente années de patience et des alertes répétées, viennent de signifier leur exaspération par la violence des faits et des urnes, il conviendrait d’enfin apporter une réponse politique et de cesser les chamailleries politiciennes autocentrées affaiblissant les principes mêmes d’une démocratie. En 1998, j’écrivais déjà ce qui suit dans le même grand quotidien du soir : “Il n’est pas de jour qui ne connaisse sa moisson d’actes de violence touchant villes, réseaux de transports urbains, écoles, HLM… Mais ces événements ne sont pas nouveaux. La délinquance évolue, se répète, se déplace et se renouvelle. Durant quatre siècles, une véritable extinction des crimes de sang (de plus de cent pour cent mille habitants à moins de deux) a été enregistrée. La ville a civilisé le crime. Cependant, au fil des ans, des phénomènes récurrents apparaissent. Bandes de mineurs délinquants des faubourgs (“apaches” au début du siècle, “blousons noirs” ou “loubards” après la Seconde Guerre mondiale), criminalité sur la première ligne du métro dès son ouverture, en 1900, développement de la toxicomanie (100 000 cocaïnomanes à Paris en 1921).

La délinquance d’appropriation explose dès 1964, en pleine période de plein-emploi. La statistique des faits constatés passera ainsi de 500 000 faits dans l’après-guerre à 4 millions en 1994 pour retomber à 3,5 millions en 1997. La destructuration de la cellule familiale, le départ des retraités vers un univers séparé, la progression des familles monoparentales (1,3 million) créaient des espaces sans présence donc sans surveillance. En complément, l’arrivée sur le marché de nouveaux produits de consommation (véhicules, télévisions, autoradios…) engendrait une forte augmentation de la délinquance contre les biens, qui atteignait ensuite la voie publique, impliquant un retour aux agressions contre les personnes… pour atteindre les biens. Le tout combiné avec de nouvelles “offres” : téléphones portables, distributeurs de billets… “Orphelins de 16 h 30”, les scolaires se retrouvaient laissés à eux-mêmes, les parents travaillant de plus en plus tard, les grands-parents n’assurant plus le relais, l’école ne prodiguant plus les devoirs surveillés, expulsant les enfants les plus pertubants et connaissant un absentéisme scolaire rarement traité. Plus important : pour la première fois dans notre histoire, l’univers virtuel, moins celui de la télévision que celui des jeux vidéo, permet à des enfants de plus en plus jeunes et de plus en plus dépendants de leurs consoles de vivre dans un monde parallèle, imitant le plus possible le réel, où les actions, même les plus meurtrières, n’ont jamais de conséquences. Chaque mort vaut des points, chaque partie permet la résurrection des victimes antérieures.

Les statistiques officielles ne fournissent que des informations limitées. Elle sont partielles : elles ne prennent en compte que les crimes et délits, pas les contraventions ou les “incivilités”. Elles sont parcellaires : elles n’enregistrent que les faits constatés et déclarés, alors que les enquêtes de victimation indiquent que près de la moitié des actes ne seraient pas enregistrés. Elles sont partiales, enfin : les méthodes de tenue et de contrôle connaissent parfois des variations saisonnières peu scientifiques. Mais c’est au nom de cette présentation statistique qu’on a opposé, jusqu’à ces derniers mois, le réel connu au réel vécu par les citoyens auxquels on tentait de démontrer que leur sentiment d’insécurité relevait de la psychose, de l’exagération ou de la manipulation. Il aura fallu attendre le colloque de Villepinte, en octobre 1997, pour que soit reconnu, honnêtement et courageusement, par le gouvernement que le “chiffre noir” de l’insécurité correspondait à une réalité indiscutable.Exception française en Europe, la police nationale, de création récente (1942), assume des missions de police de proximité alors que son organisation privilégie fortement ses activités de défense des institutions (missions d’ordre public) et prend peu en compte les besoins des citoyens (tranquillité publique). 

Elle a essayé de répondre par un îlotage couvrant pourtant de moins en moins de zones. Son implantation correspond à la France de l’après-guerre, sans prendre en compte le double déracinement des populations (exode rural, expulsion des “classes laborieuses, classes dangereuses” des centres-villes). Cette distorsion a même été accentuée lorsque furent regroupées les forces de police dans des hôtels centraux, alors que la délinquance rejoignait peu à peu la périphérie, cet espace “rurbain” qui regroupe désormais une part majeure de la population.
Le niveau de sensibilité de la population évoluant de manière inverse, bruits, odeurs, troubles et nuisances de voisinage préoccupent davantage les citoyens et engendrent une revendication très forte vis-à-vis des autorités, dont l’offre de sécurité se trouve paradoxalement déconnectée territorialement et techniquement.
De son côté, l’Etat a “éliminé” les délits plutôt que de poursuivre les délinquants. Par la décriminalisation, puis la dépénalisation entamée au début des années 70, par la mise en place de systèmes de conciliation ou de médiation, l’Etat, dépassé par l’inflation des procédures, a évacué des prétoires et de la statistique judiciaire de nombreux faits. En classant sans suite, souvent par manque de moyens, plus de huit plaintes sur dix, les parquets ont contribué à renforcer le phénomène, notamment en matière de stupéfiants, dès lors que la quantité ne dépassait pas un ou deux grammes. Le débat sur la dépénalisation des stupéfiants, par son hypocrisie fondamentale, se devrait donc d’être apprécié au vu des réalités. De même faut-il signaler les difficultés de gestion des 175 000 personnes placées sous contrôle judiciaire, notamment des 50 000 détenus, pour un effectif de 175 juges d’application des peines, ou les indications selon lesquelles certaines peines inférieures à un an de prison ferme ne seraient pas exécutées dans certaines juridictions. 

Sans parler de la non-inscription au casier judiciaire de certaines condamnations, faute de moyens des greffes. Ce n’est donc pas de la nouveauté de ces phénomènes qu’il faut s’inquiéter, mais du renversement de tendance qu’ils démontrent. Le nombre de mineurs délinquants n’a jamais été aussi important (près de 20 % du total des mis en cause). Ils sont plus jeunes, plus récidivistes, plus violents. Les structures sociales et éducatives issues des ordonnances de 1945 et de 1958 ne semblent plus répondre aux actions de jeunes qui, suivant la logique du “déni, défi, délit”, attaquent désormais tous les représentants des institutions (policiers, pompiers, agents des sociétés HLM, agents EDF, postiers et même médecins). En même temps, le nombre de jeunes mineurs délinquants emprisonnés n’a jamais été aussi faible, même si les incriminations sont de plus en plus fortes et les peines de plus en plus longues.

La délinquance est devenue un phénomène d’expression sociale, marqué par des tendances d’enfermement dans un univers fini , “le quartier”, marqué par des modes d’appropriation qui vont des tags au contrôle territorial caractérisé par des passages de “frontières”, sans oublier l’utilisation des téléphones portables ou des “pagers” pour l’organisation des trafics. Les bandes se féminisent, développent des dépendances à l’alcool, connaissent un niveau de troubles psychiatriques important. Près de 1 100 quartiers sont “sensibles” en France, environ 200 présentent des signes tangibles de rejet des institutions et d’agressions récurrentes contre ses représentants. Les affrontements sont de plus en plus violents, homicides et tentatives sont en hausse constante et les saisies d’armes à feu sont loin d’être anecdotiques. 

Pour autant, l’économie souterraine et le trafic organisé de produits stupéfiants sont, paradoxalement, des facteurs de stabilité interne, comme l’islamisme militant. Pour des raisons liées à la volonté de ne pas attirer l’attention de la police, un autre ordre se substitue à l’Etat républicain, mettant les autorités devant un dilemme complexe : choisir de rétablir l’ordre ou se contenter d’une absence de désordres visibles. La reconquête territoriale de ces quartiers est un enjeu majeur, mais elle passe par des séquences de tension et de confrontation. Un médicament qui ne produit pas de poussée de fièvre est souvent inefficace. Il y a pourtant des résultats tangibles. Les efforts de prévention, de présence et de proximité portent souvent leurs fruits, notamment dans les espaces commerciaux. Ils créent aussi des mouvements de délinquance vers des zones moins ou mal contrôlées. De plus, le saupoudrage, les actions à la marge, les opérations, portant plus sur les effets que sur les causes, produisent, au nom de la meilleure volonté possible, des effets pervers remarqués mais jamais évalués.

Le processus fondamental qui vise à user de la répression comme d’un moyen de compréhension de l’acte plus que de sanction du défi continue de peser fortement sur la nature et les moyens d’action de l’Etat pour préserver le contrat social qui permet la vie en société. Impuissance de l’Etat, usure, sentiments d’abandon et d’impunité pour les délinquants sont aujourd’hui des perceptions largement répandues.

L’Etat a surtout réagi en fonction des violences urbaines et répondu par un amoncellement de dispositifs désormais unifiés sous le vocable “politique de la ville”. Les sigles barbares se sont ajoutés les uns aux autres selon la logique du capharnaüm. Il en est de même pour les moyens ou les emplois affectés à ces dispositifs. Il lui revient maintenant d’assumer enfin une réorientation forte pour répondre aux besoins exprimés par la population. Faute de quoi les tenants des solutions les plus simplistes et les plus extrêmes, qui disposent à portée de main du bouc émissaire responsable de tous les maux, arriveront à convaincre des électeurs de plus en plus nombreux. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard. C’est pourquoi il n’est plus possible de faire l’économie d’une refondation des politiques de sûreté publique, en particulier de gestion du traitement judiciaire des troubles subis par la population. Et, au premier chef, de ceux qui sont provoqués par des mineurs.”
Je peux, hélas, le recopier intégralement aujourd’hui.



USA drapeau aigle nu

« Les USA en récession de 3 % ! »

Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Il y a quelques jours, dans l’édito du Contrarien Matin, j’attirais votre attention sur le fait que toutes les prévisions économiques étaient fausses. Pas fausses uniquement par erreur d’appréciation mais bien par une volonté manifeste des autorités politico-économiques de contrôler au mieux les anticipations des agents économiques.
L’idée c’est évidemment d’afficher un optimisme à toute épreuve pour chaque trimestre prochain ou pour chaque année suivante.
Vous trouverez en bas de page le lien pour relire cet article.
Bref, le problème de ces prévisions et de ces statistiques c’est qu’à un moment ou à un autre vous êtes obligés de faire des « révisions », c’est-à-dire des corrections dans les chiffres publiés (qui sont là pour remonter le moral au cric des investisseurs et déclencher aussi bien l’investissement des entreprises que la consommation des ménages).
Ainsi, la croissance du premier trimestre aux États-Unis vient d’être calculée pour la troisième fois et au dernier pointage, les USA connaissent une récession de presque 3 % de leur PIB, ce qui n’est pas négligeable vous en conviendrez.

États-Unis : l’économie subit sa plus forte contraction depuis 5 ans

Ainsi notre AFP nationale nous apprend aujourd’hui à travers une dépêche lénifiante que finalement « le produit intérieur brut (PIB) américain a plongé de 2,9 % en rythme annualisé entre janvier et mars, en données corrigées des variations saisonnières, alors que les analystes tablaient sur un recul plus modeste de 1,8 % »… Sauf que, en réalité, les premières prévisions d’estimation n’attendaient que 0,5 % de baisse du PIB, puis elles sont passées à 1 % (on parle des estimations et des prévisions)… Ce sont ces estimations qui forment ce que l’on appelle le « consensus ». Du coup, tous les spécialistes s’attendent doctement à la même prévision… Alors soit ils sont déçus ensemble et dans ce cas on explique « baisse surprise de la statistique machin », soit ils sont contents ensemble et dans ce cas vous avez des gros titres du type « chiffre bidule bien meilleur qu’attendu ».
Ce cirque dure depuis des années, il est totalement faux et inutile mais semble justifier l’occupation de quelques centaines de milliers de spécialistes grassement rémunérés à travers le monde, tout le monde étant ainsi content.
Alors l’AFP nous explique que « bouhhh » mauvais chiffre (difficile de dire l’inverse), mais l’Agence France Propagande n’a plus pour objet de vous informer mais encore une fois de vous rassurer afin que vous consommiez, que vous empruntiez, que vous investissiez, etc., raison pour laquelle l’AFP précise immédiatement que : « Mais elle ne traduit toutefois pas un retour en récession, qui se définit techniquement par deux trimestres consécutifs de contraction du PIB. »
Vous noterez la perfidie (intelligente, roublarde et codée) du rédacteur de l’AFP qui fait son travail (être « optimiste même quand il faut avoir peur ») mais glisse quelques petits messages subliminaux comme le « se définit techniquement » pour la récession. C’est évidemment très insolent de sa part que d’insister sur l’aspect technique de la définition d’une récession… cela me rappelle « les heures les plus sombres de l’histoire »… de la Pravda !
D’ailleurs, le pauvre journaliste de l’AFP, surveillé par son commissaire politique et un colt 45 (de fabrication américaine) sur la tempe mais officiellement parfaitement libre d’écrire son texte comme il l’entend, insiste en disant « un tel scénario ne semble d’ailleurs pas se dessiner, la Banque centrale américaine (FED) tablant sur un net rebond de l’activité au deuxième trimestre »…
Mais même sous la menace, là encore, il est très fort pour nous dire la vérité en la cachant. Car il dit que c’est la FED qui « table » (sous-entendu comme à chaque fois) sur un net rebond de l’activité. Promis, demain ça ira mieux, fable que l’on nous vend depuis maintenant quoi… environ 40 ans !
Hélas, un peu plus loin, notre auteur craque sous l’amicale pression du canon froid que l’on appuie un peu plus fort sur sa tempe. Il craque et… il nous parle du froid. Ha, quelle blague ce froid aux USA alors que cela aurait dû au moins faire augmenter les dépenses de chauffage et les ventes de doudounes (ce qui n’a pas été le cas)…
« L’hiver particulièrement rigoureux au début de l’année a affecté la quasi-totalité des secteurs de l’économie, selon les données publiées par le ministère… » Mais il prend grand soin de ne pas se mouiller. Ce n’est pas lui qui le dit, ce sont les données (comprendre « bidons ») publiées par le ministère !
Bon, je vous passe le reste de la dépêche car tout est à l’avenant. Les chiffres sont mauvais tout simplement parce que la crise économique mondiale que nous traversons est loin, très loin d’être endiguée et qu’en réalité, c’est le système entier qui est porté à bout de bras depuis plus de 7 ans maintenant.
Reprenons les faits, les USA sont en récession de 3 % mais ce n’est pas grave car le trimestre prochain nous verrons ce que nous verrons ! Alors certes, la croissance sera sans doute excellente, puis révisée progressivement en baisse pour être moins bonne tout en restant positive, et à la fin tout est tellement opaque que plus personne n’analyse rien et se contente, comme l’AFP, de reprendre en boucle les mantras gouvernementaux.
Rien ne s’arrangera par magie, et rien ne redeviendra comme avant. Il n’y a que François Hollande qui attend encore désespérément que tournent les vents et le retour de la sainte croissance.
Préparez-vous et restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!
Charles SANNAT

« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »

Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans concession de l’actualité économique édité par la société Au COFFRE.com. Article écrit par Charles SANNAT, directeur des études économiques. Merci de visiter notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement www.lecontrarien.com.

Finance solidaire, l’économie réelle a de l’avenir

Investissement solidaire et épargne de partage, des produits à double rentabilité : financière et sociale
Finance solidaire
Eugénie Rieme

“Valoriser l’humain par rapport au capital”, c’est tout l’enjeu de la finance solidaire. Une vision partagée aujourd’hui par près d’un million d’épargnants désireux de donner du sens à leur placement. Pour financer les causes auxquelles ils croient – l’accès au logement, l’aide aux pays en développement, la réinsertion professionnelle de personnes en difficulté, etc. – ,deux mécanismes d’épargne leur sont proposés : les produits de partage (l’épargnant reverse sous forme de dons tout ou une partie des revenus de son placement à une œuvre d’intérêt général) et les investissements solidaires (l’épargne est investie pour tout ou partie dans des projets dits d’utilité sociale). Avec à la clé, une double rentabilité : sociale et financière.

Donner du sens à son épargne en finançant des entreprises et des associations à forte utilité sociale et/ ou environnementale, une idée qui commence à faire son chemin dans l’esprit des Français. Aujourd’hui, la finance investie dans l’économie sociale et solidaire (ESS) représente 10 % du PIB de la France. Si de plus en plus d’épargnants délaissent l’économie traditionnelle pour investir le marché de la finance solidaire, c’est aussi pour manifester leur défiance vis-à-vis du système bancaire actuel. “Les souscripteurs qui s’orientent vers des placements solidaires veulent que leur patrimoine serve à quelque chose d’utile”, témoigne Geneviève Guénard, directrice administrative et financière au sein de l’association CCFD-Terre Solidaire.

“La crise financière intervenue à l’automne 2008 a marqué les esprits, et a incité certains épargnants à se tourner vers une économie à une vocation sociale”, poursuit Hélène Bongrain, directrice du développement des ressources à l’Institut Curie. “En reprenant la main sur leur argent, les souscripteurs solidaires veulent être utiles à l’économie réelle. Pour eux, l’envie d’aider son prochain prime sur l’enrichissement personnel”, explique Audrey Bégué, responsable de développement épargne solidaire au Crédit Coopératif. Parmi les acteurs de l’ESS, on compte des coopératives, des mutuelles, des associations, des syndicats ou encore des fondations, soit “près de 10 % de l’emploi salarié en France”, déclare Finansol, association en charge de la promotion de la finance solidaire. Dans cette grande famille, la finance solidaire a pour but de collecter des fonds auprès de personnes (physiques et morales) souhaitant que leur argent serve à financer un projet d’utilité sociale grâce à leur souscription à un produit d’épargne solidaire. Et le principe séduit, puisque d’après le 12e Baromètre Finansol-La Croix, au 31 décembre 2013, les encours de l’épargne solidaire ont atteint 6,02 milliards d’euros, soit une hausse de 28 % en un an.

Qu’est ce qu’une entreprise solidaire ?

Une entreprise solidaire est une structure non cotée sur les marchés boursiers qui œuvre en faveur de l’emploi, du logement très social, de l’environnement ou encore de la solidarité internationale. Pour être qualifiée de “solidaire”, l’entreprise doit obtenir un agrément délivré par l’État. À condition de remplir de remplir au moins l’une des deux conditions suivantes : “employer au moins 30 % de salariés dans le cadre de contrats aidés, en situation d’insertion professionnelle ou de travailleurs handicapés ; être constituées sous forme d’association, de coopérative, de mutuelle, d’institution de prévoyance ou de société dont les dirigeants sont élus par les salariés, les adhérents ou les sociétaires, et plafonner la moyenne des rémunérations versées aux cinq salariés ou dirigeants les mieux rémunérés à cinq fois le Smic” (source : Guide de l’épargne solidaire 2013 du Crédit Coopératif).
À noter que les structures d’insertion par l’activité économique et les entreprises adaptées conventionnées par l’État sont agréées de plein droit. Toutefois, ces dispositions sont aujourd’hui remises en question dans le cadre du nouveau projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire. En effet, le texte prévoit “une rénovation de l’agrément ‘entreprise solidaire d’utilité sociale’, qui permet aux entreprises agréées de bénéficier de financements fiscalement aidés, issus de la collecte d’épargne solidaire”, confirme le secrétariat d’État chargé du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Économie sociale et solidaire, dans un communiqué du 6 juin 2014. Pour Sophie des Mazery, directrice de Finansol, “ce projet de loi déstabilise l’agrément en le complexifiant à outrance, au risque de voir le vivier des entreprises solidaires s’assécher. Et ce, alors que de plus en plus de personnes souhaitent épargner par ce biais”.

Depuis 2002, la finance solidaire a permis de créer plus de 100 000 entreprises et 200 000 emplois. Mais également de loger 38 000 personnes en situation de grande précarité, de développer de projets dans les pays émergents et de transformer des milliers d’hectares en terres agricoles biologiques.

L’épargne de partage

Il existe trois portes d’entrée pour devenir épargnant solidaire : via un établissement bancaire, par le biais de son entreprise, ou en souscrivant directement au capital d’une entreprise solidaire exerçant une activité à vocation sociale et/ ou environnementale. Dans le cas où le souscripteur sollicite un organisme bancaire – banque, mutuelle d’assurance ou société de gestion d’actifs –, deux types de placement s’offrent à lui : les produits d’investissement solidaire (épargne investie pour tout ou partie dans des activités à forte plus-value sociale et/ou environnementale) et les produits d’épargne de partage (25 % à 100 % des fruits d’un produit d’épargne sont reversés sous forme de dons à une association choisie par l’épargnant).

“Aujourd’hui, toutes les banques proposent au moins un produit d’épargne solidaire”, affirme Ève Bénichou, chargée de communication de Finansol. Parmi les produits de partage disponibles, les souscripteurs peuvent souscrire un livret d’épargne solidaire, un fonds commun de placement (FCP), une société d’investissement à capital variable (Sicav), une assurance-vie, une carte bleue solidaire ou encore un bon de caisse (produit de placement assimilable à des dépôts à terme). C’est au Crédit Coopératif, acteur historique de l’économie sociale et solidaire, que l’on doit la création du tout premier fonds de partage en France. Il s’agit du FCP “Faim et développement” du Comité contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre Solidaire. Toujours d’actualité, ce fonds solidaire permet à l’association de percevoir chaque année des revenus réguliers grâce aux intérêts des épargnants reversés pour partie dans le cadre de leur placement.

“En 30 années d’engagement solidaire, ce sont 47,8 millions de dons issus du partage qui ont été versés aux associations partenaires du Crédit Coopératif”, se félicite la banque solidaire. Cependant, ce produit, tout comme les Sivav, est moins sollicité qu’auparavant. “Les épargnants se tournent davantage vers les comptes à terme et les livrets d’épargne. Des produits simples et moins risqués que les Sicav et les FCP, dont les rendements dépendent de la fluctuation des marchés boursiers”, explique Geneviève Guénard du CCFD-Terre Solidaire.

Parmi ces produits peu risqués, le livret Agir du Crédit Coopératif est rémunéré à 1,85 % brut. “En 2013, sur les 6,1 millions d’euros de dons reversés aux 23 associations partenaires des produits de partage, le livret Agir du Crédit Coopératif a généré à lui seul 2,7 millions d’euros de dons”, précise Audrey Bégué. Le mécanisme de solidarité de ce produit implique que l’épargnant s’engage à reverser la moitié du fruit de son épargne sous forme de don à l’une des associations partenaires de la banque coopérative. “Une formule d’accès facile et sécurisé pour le souscripteur, qui peut disposer à tout moment de son argent”, insiste Audrey Bégué. Autre avantage de ce produit d’épargne : la diversité de ses partenariats associatifs, et donc des causes défendues. À savoir, la protection de l’environnement, (Écho mer, Surfrider Foundation…), le logement social (Habitat et humanisme), la lutte contre le chômage (Solidarités nouvelles face au chômage, Aquitaine active, ADIE…), l’agriculture biologique (Terre et humanisme, Réseau cocagne) ou encore la solidarité internationale (Action contre la faim, CCFD-Terre solidaire…).

Si les particuliers sont les principaux contributeurs de l’épargne solidaire, les personnes morales (associations, entreprises, comités d’entreprise, ou encore congrégations) peuvent aussi souscrire des produits de partage : livrets d’épargne, fonds de placement (Agir avec la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Agir avec la Fondation Abbé Pierre, CM-CIC France Emploi, Éthique et Partage-CCFD, Solidarité-CA Contre la Faim,…) ou encore des dépôts à terme. En fonction de sa sensibilité à une cause, le donateur choisit d’investir son argent dans l’association de son choix. “En contrepartie, des journées d’initiation ‘découverte’ peuvent être organisées pour remercier nos souscripteurs, à l’instar de nos ateliers ‘potagers’”, renseigne Renaud Douci, coordinateur du département développement et communication au sein de Solidarités International. Une association dont 92,7 % des ressources sont affectées aux missions humanitaires en faveur des populations démunies.

Encore peu développée, l’assurance-vie est également sur la liste des produits de partage des établissements bancaires. Son fonctionnement repose sur “le versement d’une partie des droits d’entrée au moment de la souscription du contrat, ou sur un versement annuel d’une partie des bénéfices réalisés par le contrat”, détaille le ministère de l’Économie et des Finances. Avec plus de 1 400 milliards d’euros d’encours, l’assurance-vie représente le placement bancaire préféré des Français, après le livret A, selon une étude du Cercle des épargnants de février 2013. Un enjeu de taille pour les acteurs de la finance solidaire, encore trop peu nombreux à proposer ce produit.
Les cartes bleues solidaires ou “caritatives” sont quant à elles plus répandues. Banques traditionnelles comme solidaires possèdent en général ce produit de partage en stock. Le principe : déclencher un don à chaque transaction. En arrondissant le montant réglé par le client avec sa carte bancaire, en reversant un pourcentage du montant de l’achat effectué ou en reversant une partie de la cotisation de la carte bancaire. Un moyen simple et efficace pour consommer “utile” tout en soutenant une grande cause.

Une fiscalité séduisante

En termes de fiscalité, l’épargne de partage fonctionne sur le même principe que les dons directs. Ainsi, 66 % des sommes données à une association peuvent être déduits de l’impôt sur le revenu, dans la limite de 20 % pour les particuliers (75 % pour les dons versés à une association à caractère très sociale). La déduction s’élève à 60 % des versements dans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires pour les personnes morales. De plus, la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA) précise que les contribuables redevables de l’impôt sur la fortune (ISF) peuvent soustraire 75 % du montant de certains dons de cet impôt, à raison de 50 000 euros/an, et 45 000 euros en cas de cumul des réductions d’ISF au titre de dons et de souscriptions au capital de PME.

Toutefois, l’épargne bancaire solidaire ne se limite pas aux produits de partage. Les épargnants peuvent aussi s’orienter vers des investissements solidaires. En effet, la plupart des banques, mutuelles d’assurance ou sociétés de gestion d’actifs proposent dans leur catalogue des livrets, des fonds commun de placement (FCP) et des Sicav. Dans le cadre de ce type d’investissement solidaire, les épargnants (personnes physiques et morales) sont soumis au prélèvement fiscal libératoire. “Les intérêts donnés à l’association bénéficieront d’un prélèvement réduit à 5 %, tandis que les intérêts que vous conserverez seront taxés au taux normal de 24 %, hors prélèvement social de 15,5 %”, précise Finansol.

Épargne salariale et actionnariat solidaires

Deuxième démarche pour épargner solidaire : via son entreprise. Les épargnants ont la possibilité de placer leur argent sur le plan épargne de leur entreprise en souscrivant un produit d’investissement solidaire appelé Fonds commun de placement d’entreprise solidaire (FCPES). Le succès de ce mode d’épargne est en grande partie dû à la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, qui oblige les entreprises détenant un Plan d’épargne entreprise (PEE) ou un Plan d’épargne retraite collective (Perco) à proposer à leurs salariés au moins un fonds solidaire, depuis le 1er janvier 2010. Avec 3,7 milliards d’euros d’encours au 31 décembre 2013 – soit plus de la moitié de l’encours total d’épargne solidaire –, il s’agit du produit d’investissement solidaire le plus souscrit par les Français. “En 2013, l’épargne salariale a gagné 41 % des parts de marché par rapport à l’année précédente”, rapporte Sophie des Mazery, de Finansol. Ces produits, des fonds “90/10”, financent à hauteur de 5 à 10 % des entreprises à forte utilité sociale. Les sommes investies (si elles sont placées au moins cinq ans sur un PEE) et les intérêts perçus sont exonérés d’impôts.

Enfin, troisième mode d’épargne solidaire : l’actionnariat. Les épargnants souscrivent directement au capital d’une entreprise solidaire exerçant une activité à vocation sociale et/ou environnementale. Tout comme l’épargne salariale, il s’agit d’un investissement solidaire. En 2013, l’actionnariat solidaire a représenté 10 % de l’encours de l’épargne solidaire, selon Finansol. Sur le plan fiscal, l’épargnant bénéficie d’une réduction de l’impôt sur le revenu égale à 18 % du montant de la souscription (jusqu’à 10 000 euros maximum) ou de 50 %, s’il est assujetti à l’ISF (jusqu’à 45 000 euros), à condition qu’il conserve son titre au moins cinq ans. Dans le cas d’une société de capital-risque, l’épargnant est exonéré d’impôt sur les plus-values pour toute détention de titres supérieure à cinq ans.
Selon l’Observatoire des marchés de l’épargne et du crédit, en 2010, le patrimoine financier des Français s’élevait à 4 000 milliards d’euros, sur les 11 000 milliards que représentait le patrimoine des ménages français. En augmentation constante ces dernières années, l’épargne solidaire a un immense potentiel de développement devant elle. Notamment du côté des particuliers, dont seulement 800 000 à 1 million s’adonnent aujourd’hui à la finance solidaire. Même si de plus en plus de personnes souhaitent épargner de façon utile, il reste toutefois à faire changer des habitudes de consommation encore bien ancrée.

Profils type
Qui sont les épargnants solidaires en France ? Pour mieux cerner le profil des épargnants solidaires en France, l’association Finansol a réalisé une étude auprès d’un échantillon de personnes physiques représentant entre 60 et 65 % des épargnants solidaires du territoire. D’après le collectif, ces souscripteurs étaient près d’un million au 31 décembre 2012. Un chiffre encourageant qui souligne l’engouement des Français pour l’épargne solidaire. Une tendance confirmée par le Baromètre de la finance solidaire Finansol-La Croix, publié le 19 mai dernier, qui estime les encours de l’épargne solidaire au 31 décembre 2013 à 6,02 milliards d’euros (+28 % en un an). “À la diversité des placements solidaires, répond une pluralité de profils et de comportements des épargnants investissant solidaire. Pour certains, la motivation première, et unique, est de participer au développement de projets à forte utilité sociale et/ou environnementale. Pour d’autres, le couple sécurité/investissement solidaire est le déclencheur du placement”, analyse Sophie des Mazery, directrice de l’association Finansol.

C’est pourquoi les profils des épargnants solidaires ont été déterminés en fonction de leur mode de placement. Ainsi, il ressort de l’étude que l’épargne via une entreprise solidaire attire plutôt les hommes (54 %) proches de la cinquantaine, habitant l’Île-de-France (20 %), les régions Rhône-Alpes (19 %) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (8 %). Montant moyen de leur épargne : 3 449 euros.
A contrario, l’épargne bancaire solidaire séduit davantage les femmes (54 %). Âgées de 52 ans en moyenne, elles résident en Île-de-France (15 %), Pays de la Loire (7 %) et Rhône-Alpes (16 %). Leur épargne avoisine en moyenne 11 510 euros. Troisième mode de placement solidaire : l’épargne salariale. Elle intéresse majoritairement les hommes (56 %), âgés de 44 ans, vivant en Île-de-France (35 %) et investissant en moyenne 3 485 euros sur des produits solidaires.

De façon plus globale, les épargnants solidaires sont à des “hommes (55 %), âgés de près de 46 ans, vivant en Île-de-France (31 %) et investissant en moyenne 4 306 euros sur des produits solidaires”, précise l’étude. À noter que plus les épargnants sont âgés, plus les montants investis sont importants. Et inversement, les souscripteurs de moins de 30 ans investissent en moyenne 1 543 euros, contre 11 051 euros pour les plus de 70 ans.

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