A l’école de l’écolo, petite histoire d’une pensée sauvage
Il y en a de partout, en Europe, aux États-Unis, en Inde. Ce sont les écologistes. L’écrivain belge Frédéric Dufoing dresse un magistral panorama de la pensée écologiste contemporaine pour « Limite ». De la contre-culture américaine à Serge Latouche, l’écologie se distingue par sa soif de radicalité.Petite histoire de l’écologisme
L’écologie (oikos la maison, logie la science) est une science qui reçoit son appellation de Ernst Haeckel en 1866; elle étudie les relations entre les divers éléments organiques et inorganiques dans une ensemble donné , qu’on appelle écosystème, et à des échelles diverses, d’une flaque d’eau à la planète entière. Elle est « systémique », c’est-à-dire que les relations valent autant que les choses elles-mêmes, elle induit un point de vue holiste (le tout est supérieur à l’ensemble de ses parties) et amène un certain nombre de concepts d’interdépendance, d’équilibre, etc.
L’écologisme, pour sa part, est une idéologie. Au delà de sa version péjorative (de réduction de la complexité de la réalité), le terme « idéologie » désigne un ensemble de valeurs (égalité, liberté, autonomie, famille, etc.), de références culturelles, sociales, historiques, esthétiques, de raisonnements et d’explications, de symboles, parfois même d’affects qui forment une vision du monde commune à un groupe et avec des objectifs socio-politiques. Une idéologie présente des problèmes, des explications et donne des pistes de solutions pour les résoudre.
L’environnementalisme pourrait se définir comme la défense de l’environnement, de son milieu naturel pour des raisons esthétiques, économiques ou des intérêts personnels divers. Il n’implique pas nécessairement une idéologie, une vision plus vaste de l’organisation de la société.
Il convient aussi de distinguer écologisme et animalisme; si l’écologisme défend des entités abstraites comme les écosystèmes, les animalistes défendent les droits des animaux en tant que sujets, qu’individus. Autrement dit, pour un écologiste, on peut tuer des animaux si l’on veut rétablir un équilibre écologique bouleversé; pour un animaliste, il n’est pas question – en principe – de sacrifier des animaux à l’ensemble.
La galaxie écologiste
Si l’écologisme se constitue comme idéologie dans les années 1960 aussi bien aux Etats Unis (avec comme date de naissance officielle la parution en 1965 du fameux Silent Spring de la biologiste Rachel Carson, qui dénonçait la pollution aux DDT, et la première mobilisation de l’Earth Day) qu’en France et en Allemagne (autour de la question nucléaire), elle s’enracine dans une histoire culturelle et intellectuelle spécifique, multi-séculaire et très riche : d’une part, diverses expériences, comme celles des observations et tentatives de résolution des problèmes créés, dès la fin du XVIIe siècle, par l’exploitation agricole intensive dans les colonies, notamment dans les Iles Maurice, à Sainte Hélène, etc., ou les révoltes luddites en Angleterre, d’autre part, des travaux philosophiques, politiques et scientifiques qui remontent au XVIIIe siècle, avec des écrits de naturalistes comme Gilbert White, la pensée de Rousseau et les courants littéraires romantique (dont le poème de Wordsworth The World Is Too Much With Us est un exemple révélateur) et « gothique » (comme Frankenstein), critiques de l’industrialisme, de l’urbanisme et du technicisme, ainsi que les oeuvres de Henri Thoreau, John Muir et Aldo Léopold ou encore les réflexions de William Morris et de John Ruskin; elle s’enrichit aussi des travaux et des concepts de la science écologique, qui naît durant la deuxième moitié du XIXe siècle, bouscule les frontières entre les sciences de la nature et les sciences humaines, et amène une vision systémique (et holiste) de l’interdépendance des êtres vivants et des équilibres nécessaires à la survie des espèces. Entre les années 1930 et 1950, c’est le personnalisme de Jacques Ellul et de Bernard Charbonneau, critique de l’individualisme libéral comme du collectivisme communiste, puis les réflexions morales sur la déshumanisation de l’univers concentrationnaire et la menace atomique de Hannah Arendt et son mari Gunther Anders, mais aussi de la littérature de science fiction et des combats, des réflexions anticolonialistes (celles de Gandhi, en particulier),qui vont affiner et préparer la logique écologiste.
De la contre-culture à la décroissance
Dans les années 1960, c’est, aux Etats-Unis, dans de très nombreux et anciens combats associatifs ancrés dans l’imaginaire de la wilderness (la nature « sauvage », intouchée par l’homme civilisé) ainsi que dans le terreau de la contre-culture (notamment dans l’ouvrage de Roszak Person/Planet) et du féminisme (en particulier celui de Françoise d’Eaubonne, plus tard de Vandana Shiva) que des auteurs comme Murray Bookchin puis Arne Naess vont créer respectivement l’écologie sociale et l’écologie profonde, suivies par le très productif mouvement biorégionaliste; s’en détacheront des courants d’anarchisme vert et de primitivisme, ainsi que des groupes d’environnementalistes radicaux comme Earth First !. Naitront aussi des courants d’éco-socialisme avec de auteurs comme Barry Commoner.
En Europe, c’est Ivan Illich, inspiré par J. Ellul et L. Kohr qui va donner à l’écologisme son oeuvre majeure, fondatrice : La Convivialité. S’y ajouteront des réflexions philosophiques à la fois sur l’éthique de l’environnement (dans le monde anglo-saxon) et sur la relation au pouvoir et à la technique, par exemple les travaux fondateurs de H. Jonas, de C. Castoriadis, F. Guattari, etc.
En France, la réflexion de S. Moscovici et de A. Gorz (issu de la gauche autogestionnaire) et les évènements de 1968 vont permettre un apport important – celui du bagage intellectuel de la gauche libertaire – à l’écologisme, accentuant le rejet de la centralisation du pouvoir (voire de l’Etat) mais modérant la critique des techniques; en Allemagne, l’écologisme se développe d’abord à partir de valeurs conservatrices puis se gauchisent comme en France et, notamment, avec la réflexion de Rudolf Bahro; en Grande Bretagne, c’est Teddy Goldsmith qui sera la tête de proue d’un écologisme plus proche de l’écologisme américain – il lancera la plus célèbre des revues écologistes, The Ecologist.
Depuis 2002, un nouveau courant écologiste, le décroissantisme, se constitue autour de l’œuvre des économistes S. Latouche et N. Georgescu-Rogen. Il est à noter aussi que, aux États-Unis et dans une moindre mesure en Europe, l’écologisme devient aussi de plus en plus spiritualiste et religieux et que s’est développé une véritable écopsychologie; à l’instar du socialisme au XIXe siècle, l’idéologie écologiste déborde donc lentement de son cadre politique.
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