Cela
part d'un bon sentiment: restituer aux héritiers l'épargne qui n'a pas
fait l'objet d'une succession. Il y a en effet des centaines de milliers
de comptes bancaires et d'assurances-vie dont les souscripteurs ne se
sont pas manifestés depuis des années, pour la bonne et simple raison
qu'ils sont morts! Quant aux héritiers, ils ignorent, pour la plupart,
l’existence de ces héritages potentiels. Jusqu'alors, ces sommes –que
les professionnels appellent « contrats en déshérence »- étaient
conservées tel quel. Sans que les banquiers ni les assureurs ne s'en
émeuvent. Et pour cause: cette épargne gonflait leurs bilans et
contribuait à arrondir leurs profits. Car non seulement les
établissements financiers ne rémunéraient pas cette épargne, mais en
plus, ils prélevaient des "frais" annuels, qui dans certains cas ont pu
grignoter jusqu’à 40% des encours déposés par le souscripteur initial… A
partir du 1
er janvier, ce sera impossible. La nouvelle loi,
proposée par Christian Eckert, le secrétaire d'État au Budget, et votée
en juin 2014, oblige les assureurs à créer un fichier (Ficovie) qui
recensera les contrats d'assurance-vie et à rechercher activement les
héritiers de leurs souscripteurs.
Des effets réels sur l’économie
Jusqu’à aujourd’hui, il était en effet impossible de savoir si l’on
avait hérité d’un contrat, à moins que le souscripteur n’ait laissé des
instructions à sa famille à son notaire ou à son assureur, ce qui est
rarement le cas. Du coup, assureurs et notaires doivent parfois avoir
recours aux services d’enquêteurs et de généalogistes pour rechercher
les héritiers. Vianney Paris, PDG de Ségur, une société de généalogie, a
par exemple récemment retrouvé Emilie. « Cette jeune
femme » explique-t-il, « ignorait qu’un ami de sa
mère,
décédée depuis longtemps, avait souscrit un contrat en sa faveur. Je
l’ai retrouvée grâce au fichier des entreprises. Elle venait d’en créer
une. Elle a touché, grâce à cet héritage, 68.000 euros, qu’elle a
investis aussitôt en matériel professionnel. »
Epargner, ça conserve!
Banquiers et assureurs ont toujours affirmé qu’il s’agissait là d’un
phénomène très marginal. Un peu d’arithmétique élémentaire suffit à
comprendre qu’il n’en est rien. L'Institut national de la Statistique,
notre bon vieil INSEE, relève 20.000 centenaires en France. Or, en 2013,
la Cour des comptes notait, elle, et on doit se pincer pour le croire,
que 674.000 Français de plus de 100 ans disposaient d'un compte
bancaire! Il y a donc TRENTE
fois plus
de clients centenaires dans les fichiers des banques qu’il n’y en a en
réalité! En effectuant la même opération sur les contrats
d’assurance-vie non réclamées, on arrive à un total de plus de 1,5
million de comptes et contrats inactifs dans les établissements
financiers. « La cour des Comptes, explique Vianney Paris, estimait à
environ 3 milliards d’euros l’encours des seuls contrats d’assurance-vie
en déshérence. Mais il faut y ajouter les comptes bancaires, les bons
de caisse et les livrets, sans compter les assurances-vie souscrites
auprès de compagnie étrangères… » Au total, les spécialistes estiment
que les sommes en jeu devraient dépasser les dix milliards d’euros.
De grands assureurs à l’amende
En principe, les établissements détenteurs des comptes sont tenus de
vérifier que leurs souscripteurs existent bien, et à défaut, de clore
les comptes pour transmettre les sommes à leurs descendants. « Ce n’est
pas facile », reconnaît Gérald Loobruyck, directeur du courtier en
assurances Magnolia, « car les clients sont de plus en plus mobiles
alors que beaucoup de produits d’épargne, dont les assurances-vie, ne
sont pas transférables d’un établissement à l’autre… » D’autant que ni
les banquiers, ni les assureurs ne font preuve d’un zèle excessif pour
retrouver les bénéficiaires... Au point que le gendarme du secteur,
l’ACPR (autorité de contrôle prudentiel et de résolution) s’en est ému
et a sanctionné plusieurs grandes compagnies pour « insuffisance de
recherche » d’assurés décédés: au cours des deux dernières années,
Allianz a écopé de 50 millions d’euros d’amende (c’est le record de
celles qu’a infligé l’ACPR), la CNP de 40 millions, Cardif (filiale de
BNP Paribas) de 10 millions et Groupama de 3 millions d'euros d'amende.
D’autres ont joué le jeu et mis en
place
des structures ad-hoc. C’est le cas, par exemple, d’Axa, qui a créé des
plateformes dédiées, mobilisant au total plusieurs centaines de
personnes , pour croiser les données, éplucher les archives les plus anciennes du groupe et réaliser de véritables enquêtes de
proximité
pour retracer les souscripteurs disparus ou leurs héritiers. « Nous
avons aujourd’hui réglé 80% de notre stock de contrats en déshérence et
d’ici fin juin, nous espérons bien avoir résolu la totalité des cas »,
explique le directeur de ce programme pilote, Jean-Yves Calvo.
Le lobby bancaire avantagé
Axa
sera donc moins concerné que d’autres compagnies par la nouvelle loi
Eckert. Elle oblige les assureurs à tenir un registre de leur contrat,
le FICOVI, et à recenser les contrats inactifs de leurs portefeuilles.
Puis à les
comparer au Registre national d'identification des personnes physiques (RNIPP),
mis à jour
par l'Insee. Les assureurs seront d’autant plus incités à le faire
qu’ils devront désormais rémunérer ces contrats non réclamés et ne
pourront plus prendre de frais. Mais bizarrement, ces nouvelles
contraintes ne concernent que les contrats d’
assurance-vie et laissent de côté les autres formes de comptes (livrets, comptes courants et coffres de
banque).
« Ne pas obliger les banquiers à faire les mêmes recherches que les
assureurs, c’est un peu fort ! » s’insurge Vincent Chauveau, notaire et
président du mouvement civique « le Conseil du Coin ». De fait, selon
que leur parent aura souscrit une assurance ou déposé sur un compte, les
héritiers ne pourront donc pas profiter de la même façon de la nouvelle
loi Eckert…
Les comptes sont d’Eckert
Le seul qui sera assuré de faire une bonne opération, grâce à cette loi, ce sera… l’Etat. Car
Christian Eckert,
jamais à court d’idée pour augmenter les recettes publiques, s’est
arrangé pour que sa loi prévoit que les encours des contrats restés
inactifs plus de dix ans et sans bénéficiaire déclaré soient versés à la
Caisse des Dépôts et Consignation. Puis, après dix nouvelles années de
conservation, directement au …
budget
de l’Etat. Cela pourrait représenter plusieurs centaines de millions
chaque année. « Ce petit manège pourra durer quelques années, le temps
d’épurer le stock. Cela revient à dire que l’administration fera là, en
quelque sorte, les poches des morts !», s’indigne un assureur.
Ironiquement, ce genre de tours de passe-passe est précisément surnommé,
par les spécialistes des questions budgétaires, des… « recettes de
poche » !
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