RATP, Aéroports de Paris... L'islam radical dans ces entreprises, fantasme ou réalité ?
Samy Amimour, un des terroristes du Bataclan, a travaillé comme chauffeur de bus à la RATP, avant d'en démissionner en octobre 2012. Les cas de radicalisation de salariés restent marginaux, mais ils augmentent et inquiètent.
A
la RATP, c'est un salarié refusant de conduire un bus parce que le
véhicule avait été touché, avant lui, par une conductrice, donc une
femme. Au hub de Roissy, ce sont des agents de piste qui ne veulent pas
prendre le document de travail du cockpit tendu par une copilote. En
cause : des salariés pratiquant un islam fondamentaliste. Face à ces
situations, très minoritaires mais conflictuelles, les entreprises sont
désemparées. D'autant que les signalements se multiplient depuis les attentats du 13 novembre.
Contacté par francetv info, un syndicaliste CFDT à la RATP avoue ne pas
avoir eu le temps de faire le tri dans les situations qu'on lui
rapporte. Surtout depuis que la presse a annoncé que l'un des auteurs
des attaques, Samy Amimour, avait travaillé pendant quinze mois comme
chauffeur de bus à la RATP, avant de démissionner en octobre 2012.
Quelques dizaines de cas signalés à la RATP
De l'avis général, le phénomène est difficile à chiffrer. Le secrétaire général adjoint de la CFDT Transports-Environnement, Fabian Tosolini, souligne qu'il reste très marginal :
"La remontée d'incidents liés à la religion par nos équipes dans les
transports s'est faite à partir de 2007, mais c'est loin d'être
quotidien. C’est de l’ordre de plusieurs fois par an." A la RATP, quelques dizaines de cas ont été signalées, soit, sur un total de 43 000 employés, 0,1% des effectifs, avance Libération, citant la direction de la régie publique des transports. Un ordre de grandeur corroboré par Jacques Eliez, de la CGT-RATP : "Des
salariés refusant de serrer la main à des femmes, ce n'est pas
fréquent. C'est un épiphénomène, un peu plus de 0%. Ceci dit, on n'est
pas dans la négation. Ce n'est pas le volume qui fait la gravité."
Publiée en avril 2015, la troisième étude menée par l'institut Randstad et l'Observatoire du fait religieux en entreprise tire les mêmes conclusions, reprises par Les Echos. "Même
si 88% des cas rencontrés 'ne génèrent pas de conflit' et que 92% des
sondés 'ne sont pas gênés au travail par la pratique religieuse de leurs
collègues', l’étude précise néanmoins que 'les cas compliqués à
résoudre, éventuellement conflictuels, augmentent'", écrit le quotidien économique. Des
cas d'autant plus compliqués que la pratique religieuse ne peut être
retenue contre le salarié, explique l'avocate Maï Le Prat dans L'Express, seulement si "les prises de position du salarié l'empêchent de remplir sa mission correctement".
Dans
ce cadre, refuser de dire bonjour à une femme ne peut pas être
sanctionné. Mais refuser d'obéir à une supérieure hiérarchique, oui. "Face
à ce type de conduite, nous ne restons pas inertes. Des mesures de type
disciplinaire sont possibles. Cela n'a rien de spécifiquement
religieux, d'ailleurs : refuser d'obéir à un supérieur hiérarchique est
passible de sanctions", explique Alain Zabulon, directeur de la sûreté aérienne chez Aéroports de Paris (ADP).
Les pratiques prosélytes ou agressives posent problème
Comment estime-t-on que quelqu'un franchit les limites ? Dans les aéroports parisiens, on constate "depuis plusieurs années une montée du fait religieux" et plus précisément de l'islam radical. "Ce n'est pas nouveau, remarque Alain Zabulon, d'autant plus que les entreprises implantées à Roissy puisent dans le bassin d'emploi local.
" Et le haut fonctionnaire de poursuivre : "Mais
il faut bien distinguer fait religieux et radicalisation. La pratique
religieuse – lire le Coran pendant sa pause, choisir de ne pas manger
tel aliment – ne pose pas de problème. Ce qui pose problème, ce sont les
pratiques prosélytes ou agressives. Par exemple, faire
pression sur d'autres salariés de la même religion pour qu'ils
respectent les préceptes religieux ou faire l'apologie d'actes
terroristes. Cette attitude doit appeler des réponses de la part du
management. Le salarié peut être exfiltré de la
zone critique de l'aéroport, celle qui mène aux avions, et se voir
retirer son badge rouge valable trois ans délivré après un double
agrément du préfet et du procureur de la République".
Rien
qu'à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, 86 000 salariés de
dizaines d'entreprises (ADP, mais aussi Air France, Servair, etc.) sont
habilités, via un badge rouge délivré par le préfet et le procureur de
la République, à travailler dans la zone dite "critique" menant aux
avions. En 2015, le préfet a recalé une cinquantaine de personnes
dans l'obtention du badge, et a retiré leur habilitation à une dizaine
de personnes. A la RATP, deux agents de la sûreté se sont vus retirer leurs armes en novembre, dont l'un converti à l'islam. Tous deux faisaient apparemment l'objet d'une fiche S.
Des soupçons de "communautarisme" syndical
Les cas sont signalés "soit
par le milieu professionnel – collègues ou managers – soit par les
services de l'Etat, qui ont repéré, par exemple, un individu fréquentant
une mosquée très radicale". Des recours sont possibles pour un salarié qui se voit retirer son habilitation. Metronews
rapportait ainsi, en janvier 2014, que le tribunal administratif de
Nice avait suspendu la décision du préfet des Alpes-Maritimes retirant à
un jeune agent de sûreté l'autorisation de travailler au contrôle des
bagages en soute à l'aéroport de Nice.
Les directions des
entreprises ne sont pas les seules à être gênées aux entournures par les
soupçons de radicalisation. Les syndicats aussi. Certains sont accusés
de favoriser le "communautarisme" pour trouver de nouveaux
adhérents ou gagner des voix. Le patron de la CGT, Philippe Martinez, a
ainsi affirmé qu'il avait fait le ménage dans ses rangs, et s'est
quasiment posé en martyr. Il a en effet expliqué, sur France Info, le 2 décembre, avoir perdu les élections professionnelles en mars dernier à Air France pour avoir "viré
purement et simplement ce genre d'individus de la CGT (...). Ils
n'étaient pas tous radicaux. On parle d'intégristes islamistes." Ces propos ont stupéfié le secrétaire général CGT d'Air France, Miguel Fortea, qui a démenti à francetv info toute exclusion pour "intégrisme ou prosélytisme".
Les syndicats installés pointent aussi du doigt les petits nouveaux qui leur taillent des croupières, comme le "Syndicat anti-précarité" (SAP, 3% des voix aux élections syndicales à la RATP en novembre 2014). A tort ou à raison ? Joint au téléphone, le secrétaire général du SAP-RATP, Hani Labidi, soupçonne que les autres syndicats, "totalement déconnectés du terrain", en veulent à un nouvel entrant qui a fait 8,22% en novembre 2014 "au niveau du département bus". Et il dément toute revendication communautaire :
"C'est vraiment du fantasme total ! C'est contre nos valeurs ! On
entend toutes sortes de choses, mais pour nous dire précisément où,
quand, comment, quel jour et à quel dépôt ça s'est passé, il n'y a plus
personne !"
Selon une enquête de L'Obs, qui cite la direction de la RATP, "environ quarante sanctions ont été prononcées [dans l'entreprise], du simple avertissement à la mise à pied, et même dans un cas, au licenciement" en raison d'une pratique radicale de l'islam.
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