Trente
ans après sa mort, le Français Jean Pain fait des émules jusqu’en
Amérique du Nord. Sa méthode de chauffage par compost, décrite dans une
mystérieuse vidéo YouTube, fait aussi son retour dans le Sud.
Des tomates qui poussent par -35°C, en janvier, le tout sans « un sou
d’électricité ». La prouesse a fait grand bruit au Canada. Fin mars,
l’agronome Vincent Leblanc a enfin expliqué au Journal de Montréal comment il a procédé :
« J’ai récupéré du fumier d’une écurie du coin
et j’ai ajouté des copeaux de bois pour avoir un bon compost. La chaleur
créée par les bactéries du compost est récupérée par un système de
tuyauterie qui chauffe l’eau de mes bassins [qui sont placés dans une
serre, ndlr]. Les racines de mes plantes trempent dans l’eau chaude. »
Sur sa page Facebook, l’homme dit s’inspirer d’un système en vogue ces derniers mois en Amérique du Nord, appelé « méthode Jean Pain ». Déjà, en 2013, une vidéo très remarquée – tournée chez le célèbre fermier du Vermont Ben Falk par Possible, un média alternatif canadien – montrait une serre chauffée de la même manière.
Une 2CV qui roule au compost
J’ai demandé à Ben Falk d’où il avait tiré cette idée géniale. Il m’a
répondu par e-mail ces trois mots, comme une évidence : « Online on
YouTube [une vidéo postée sur YouTube ndlr]. » Grâce à Olivier Asselin,
fondateur de Possible, j’apprends que l’homme qui a installé ce système
chez Ben Falk (mais aussi par exemple dans l’université de Burlington, dans le Vermont), s’appelle Gaelan Brown.
En interrogeant ce dernier, je découvre que le récent attrait pour la
méthode Jean Pain est décidément une histoire de vidéos. Gaelan Brown a
en effet commencé à s’y intéresser il y a sept ans… en découvrant les
images ci-dessous.
Dans ce film de très mauvaise qualité, d’origine inconnue et en
langue allemande, on voit Jean Pain former un grand tas de broussailles
broyées qui a au moins trois utilités :
- il donne en quelques mois un très bon compost qui permet de cultiver de grandes quantités de légumes ;
- la chaleur du tas de compost permet de chauffer sa maison pendant dix-huit mois ;
- le tas de compost produit du méthane qui permet d’alimenter la 2CV, dans laquelle roule Jean Pain au début de la vidéo.
C’est donc l’invention d’un Français, datant des années 70, qui passionne aujourd’hui les maraîchers d’Amérique du Nord.
« Toutes des héritières de Jean Pain »
Jean Pain (Vincent Gobbe)
Comment expliquer la diffusion lointaine et tardive de la méthode
Jean Pain, plus de trente ans après sa mort ? Vincent Gobbe – qui a
travaillé avec Jean Pain à la fin des années 70 et a cofondé en Belgique
un comité dédié à la préservation de cette technique – m’a aidé à reconstituer cette folle histoire :
« Jean Pain vivait en Provence, sur un terrain de 250 hectares dont il avait le gardiennage, dans une région où des incendies provoquaient régulièrement des drames. A la fin des années 60, il a commencé à débroussailler son terrain pour éviter les feux.
Des tomates dans le jardin expérimental de Jean Pain (Etienne Bonvallet)
Il a trempé les broussailles dans une mare et les a broyées pour les
composter. Il s’est rendu compte à ce moment-là que ça donnait un très
bon compost, il a réussi à y cultiver des plants de tomates de 3 m de haut sans aucun arrosage.
Au début des années 70, un marchand de vin qui s’appelait Armand Ell
est tombé par hasard sur Jean Pain. Il a vu que sa méthode de production
de compost était formidable, et il a reproduit la même chose à
Bruxelles, dans le parc de Schaerbeek. Il a commencé par y planter de la
vigne et des tomates et il a lui aussi eu des résultats
impressionnants.
Frederik Vanden Brande, un Belge qui présidait une association
d’agriculture biologique, a vu ça en 1974. Il a décidé d’aller
rencontrer Jean Pain et de reproduire le concept à Londerzeel, dans le
Brabant Flamand, où il a couvert
de compost un terrain de 80 ares, c’est qui est énorme. Il a ensuite
créé le comité Jean-Pain en Belgique 1978, à la demande de Jean Pain.
Mais Jean Pain est mort trois ans plus tard et le comité est toujours
resté un peu dans l’anonymat du grand public.
Par contre, juste avant la mort de Jean Pain, le Reader’s Digest a publié un article en seize langues qui a fait connaître la technique
partout dans le monde. On a reçu à ce moment-là 25 000 lettres de gens
intéressés. Encore aujourd’hui, on entend parfois parler de gens qui
s’en servent pour le chauffage. On a un exemple comme ça en Hongrie je
crois, mais c’est surtout pour le compost que le travail de Jean Pain
perdure. On peut dire que les plateformes de compostage de déchets verts
d’aujourd’hui sont toutes des héritières de Jean Pain. »
Pas possible pour un particulier ?
Le neveu de Jean Pain, Etienne Bonvallet, a poursuivi l’œuvre de son oncle et dirige aujourd’hui une entreprise qui commercialise des broyeurs à végétaux. Il confirme qu’un large pan des découvertes de Jean Pain est tombé dans l’oubli après sa mort :
« La méthode Jean Pain a eu une audience
planétaire pendant le choc pétrolier, parce qu’il parlait un peu
d’énergie. Mais le cœur de son concept, c’est le compost, qui apporte au
sol une matière vivante, fraîche et très fertile. Il a vendu au moins
100 000 livres un peu partout dans le monde et il a été fait Chevalier
du mérite agricole pour cette découverte. Beaucoup de jardiniers se
servent de sa méthode aujourd’hui mais on n’a bien sûr aucun décompte,
aucun suivi.
Par contre, l’utilisation du tas de compost pour le chauffage est
très marginale. Il faut des quantités de matière énorme, on estime qu’il
faut un volume de broussailles égal au volume de la maison à chauffer.
Ça ne me paraît pas vraiment possible pour un particulier. »
Et pourtant. Sur les pages Facebook dédiées à la permaculture,
nombre de Géo Trouvetou français disent depuis quelques semaines
vouloir imiter les succès enregistrés au Canada. Dans cette
micro-communauté, un post de blog publié à la fin du mois de mars a fait l’effet d’une bombe. Il commençait par ces mots :
« Grosse émotion….
Cet après-midi, j’ai branché deux mois de travail acharné, plus de 200 heures de travail, des années d’études et d’insomnies.
J’ai rempli le circuit d’eau froide… Moins de dix minutes plus tard,
je fixe en hâte le bulbe du thermomètre sur le collecteur de sortie. Et
là, le miracle de la nature. »
Trente ans après la mort de Jean Pain, la technique de chauffage par
tas de compost venait de faire son retour en France, en partie grâce au
travail de quelques Belges et Canadiens opiniâtres.
Je suis allé à la rencontre de ce blogueur anonyme, qui répond au
pseudo de Pierre1911 et vit à 20 km d’une grande ville du Sud de la
France.
L’installation de Pierre 1911 (Thibaut Schepman/Rue89)
Renversé par une voiture alors qu’il roulait à vélo il y a quelques
mois, cet écologiste a dû cesser son travail et une bonne partie de ses actions militantes. Ses réflexions sont maintenant entièrement consacrées à son domicile.
Avec ses poules, son élevage de lombrics et maintenant son réacteur
Jean Pain, sa maison est un petit laboratoire d’écologie pratique à
tendance survivaliste :
« J’ai longtemps pensé à l’échelle macro, je
luttais pour des changements en France et en Europe ; maintenant, je
suis passé au local et même au niveau pico. Je n’ai plus envie de
convaincre, j’ai envie de faire des choses qui marchent et qui soient
reproductibles. Surtout, je vois toutes ces avancées comme des boîtes
qui doivent êtres connectées. A quoi ça sert d’avoir des toilettes
sèches si on ne sait pas quoi faire du résidu ? »
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