Cop 21, le tournant ? Tout ce qui a changé depuis l’échec de la conférence sur le climat de Copenhague
Si
la conférence sur le climat de Copenhague a été un échec, les espoirs
se portent désormais sur la Cop21 qui se déroulera à Paris. Depuis 2009,
la prise de conscience du réchauffement climatique dans le monde incite
les Etats à se montrer responsables.
Atlantico : 6 ans après la
conférence climat de Copenhague, le fiasco du bilan est dans les
esprits. La position des Etats-Unis et de la Chine divergeait, alors que
les pays en développement soupçonnaient en permanence les grandes
puissances de vouloir imposer leurs intérêts. Peut-on espérer une
évolution sur ces points pour la Cop21 ?
Jean-Paul Maréchal : On peut en
effet espérer que les choses se passent mieux cette fois-ci ! En fait,
la Conférence de Copenhague n’a fait que révéler au grand jour des
divergences sino-américaines qui existaient depuis bien longtemps.
Rappelons que les Etats-Unis se sont retirés des négociations sur
l’application du Protocole de Kyoto (1998) en 2001 au motif qu’il
exemptait la Chine de toute obligation de réduction d’émissions de gaz à
effet de serre. En 1997, une résolution adoptée par le Sénat (la
résolution Byrd-Hagel) avait en effet mis deux conditions à la
ratification par les États-Unis du Protocole de Kyoto : d’une part que
cela ne cause pas de dommages significatifs à l’économie américaine et,
d’autre part, que soit rejeté tout accord qui fixerait des objectifs de
réduction d’émissions pour les pays développés et qui en dispenserait
les pays en développement.
Or,
il faut rappeler qu’en 1990, les rejets chinois représentaient la
moitié des rejets américains : 2,5 contre 5 milliards de tonnes (Gt). En
2000, ces chiffres étaient déjà passés à 3,6 Gt pour la Chine et 5,9
pour les États-Unis. Aujourd’hui, l’empire du Milieu émet deux fois plus
de CO2 que les États-Unis.
On comprend mieux pourquoi, encore aujourd’hui, ni la
Chine ni les États-Unis n’accepteront un accord contraignant si l’autre
n’y est pas soumis.
Quant aux pays les plus pauvres, ils considèrent
toujours, et à juste titre d’ailleurs, qu’ils sont les premières
victimes d’un phénomène dont ils ne partagent qu’une responsabilité
infime voire pas de responsabilité du tout.
Robert Dardanne : La position des
gouvernements est difficile à préjuger. Néanmoins, je crois que certains
aspects ont énormément progressés, comme ceux relatifs aux entreprises
puisque partout dans le monde, de nombreuses entreprises ont intégré la
problématique du climat dans leurs investissements et leur attitude.
Selon moi qui ai été sur le terrain ces 7-8 dernières années, les
entreprises prennent de plus en plus en compte les contraintes
climatiques.
Cela s’explique de plusieurs manières. D'une part par
les cadres légaux : il y a des mesures, des textes plus rigoureux dans
un certain nombre de domaines environnementaux, des incitations dans
d'autres domaines comme l'énergie renouvelable, soutenue par des aides
pour une partie. Egalement, pour une part des sociétés, une volonté de
prendre en compte les améliorations de leur emprunte carbone, de leur
pollution à travers leur activité. Un exemple frappant en la matière :
en 2014, les investissements dans les usines de production d'électricité
ont été majoritairement en énergie renouvelable dans le monde. Ce taux a
progressé ; ainsi la moitié de toutes les usines de production
d’électricité ont été en 2014 des usines soit éolienne, soit à biomasse,
soit hydro-électriques. Nous ne sommes plus dans des investissements
mineurs, il s’agit d’investissements lourds. Dans la pratique, les
entreprises semblent plus motivées que ne le sont peut-être les Etats.
Albert Bressand : L’état d’esprit
dans lequel se présente Paris est très diffèrent de Copenhague. Malgré
le discours sur un accord dit "contraignant", la COP21 va en fait réunir
les propositions que les états –180 environ—ont élaborées
souverainement et sans cadre commun. D’un point de vue européen—inspiré
par la philosophie de Kant et de l’impératif moral universel-, c’est un
recul important car le principe de souveraineté revient au centre du
jeu. Mais en matière d’efficacité de l’accord, on évite les oppositions
stériles entre les idéaliste et les souverainistes. Pour vous répondre,
Paris se définira en effort de persuasion et non pas en contrainte, ce
qui est moins ambitieux mais en réalité beaucoup plus efficace dans le
monde tel qu’il est. On recule si l'on envisageait une gouvernance
environnementale globale, mais on avance en ce qui concerne les
résultats concrets.
Albert Bressand est l'auteur de deux notes récemment publiées à la Fondation pour l'innovation politique : Good COP21, Bad COP21 (1) : le Kant européen et le Machiavel chinois et Good COP21, Bad COP21 (2) : une réflexion à contre-courant
Au total, le bilan de Paris sera probablement positif
mais pour environ le tiers seulement du problème. C’est déjà bien, et
il est probable que dans le cadre ONU ou 200 pays ont un droit de veto
(les COP annuels) on ne pourra ne pourra guère faire mieux. Au processus
COP, pour la suite, il faudra donc ajouter un second niveau de
négociation entre une dizaine de pays seulement (dix pays émettent 85%
des gaz à effet de serre) et sur des sujets beaucoup plus ciblés
notamment le charbon.
Pour ce qui est des relations Nord-Sud, il faut
distinguer l’aide au développement—à laquelle des pays comme la Chine ou
le Brésil doivent aujourd’hui participer—et la dimension climatique.
Sur cette dernière, il est absurde, comme cela et pourtant presque
unanime, de dire que les pays riches ont une ‘dette climatique’. La
révolution industrielle européenne a, d’une part, arrêté le
refroidissement dû aux cycles solaires naturels qui avait causé bien des
ravages pendant le ‘petit Age glaciaire’ de 1300 à 1850. En outre, elle
a permis de porter l’espérance de vie d’une trentaine d’année a une
soixantaine pour une population mondiale qui sextuplé—des milliards
d’êtres humains ne sont en vie aujourd’hui que grâce à la révolution
industrielle et de marché dont l’Europe a été le berceau et que les bons
esprits proposent aujourd’hui de lui faire expier.
Enfin, l’Europe
raisonne aujourd’hui en termes d’économie statique alors que la
population mondiale, sujet tabou, est passée de 4 à 7 puis sera très
vite a 8 et bientôt 9 milliards d’hommes et que, grâce à la diffusion de
l’économie libérale de marché, cette population remporte son combat
contre la pauvreté absolue et s’enrichit rapidement. La classe moyenne
européenne ne sera bientôt qu’une faible fraction d’une classe moyenne
mondiale de 5 milliards d’êtres. Sur ce plan, après que la ‘repentance’
européenne infondée ait atteint un sommet a la réunion de
Copenhague—sans résultat concrète car cette repentances fait de nous de
mauvais négociateurs—on constate un début de prise de conscience et de
réalisme. Mais il est encore timide.
Qu'est ce qui a changé depuis 2009 ? Y a-t-il aujourd'hui une réelle prise de conscience de la part des Etats, ou d'autres acteurs, permettant d'affirmer que la Conférence sur le Climat de Paris tombe à point nommé ?
Jean-Paul Maréchal : Ce qui a changé
depuis 2009 c’est la prise de conscience de la réalité et de la gravité
du changement climatique ainsi que de la responsabilité humaine dans
celui-ci.
En conséquence, aucun des grands pays – et l’on pense
en particulier là encore à la Chine et aux Etats-Unis – ne voudra
apparaître comme le responsable de l’échec des négociations.
D’où la déclaration conjointe sino-américaine faite
lors du sommet de l’APEC en novembre 2014 qui a permis à Pékin et à
Washington d’annoncer jusqu’où les deux pays étaient prêts à aller. Il
sera intéressant de voir si la COP21 les incitera à prendre des
engagements plus audacieux.
Robert Dardanne : Le "timing" est
certainement bon dans la mesure où nous n’avons plus de doute sur le
fait que l’activité humaine et économique a un impact sur le climat,
alors qu'il y a 7 ou 8 ans, certaines entités étaient sceptiques. Cette
phase-là est, pour l'énorme majorité des gens, acquise. Les constats
sont là et ils sont graves.
Et puis de nombreuses solutions existent. Nous avons
la possibilité de rentrer dans une nouvelle économie
Albert Bressand : En
6 ans la réalité du changement climatique apparait plus nettement, et
le débat avec le climato-sceptiques passe au second plan. A Paris on
constatera qu’existe maintenant un consensus d’ordre politique et
culturel sur la réalité du problème. De ce point de vue le processus
COP, lancé une décennie seulement après les premières mesures
scientifiques de la température de la planète, et les travaux du GIEC
auront joué un rôle essentiel.
Ceci dit, les Républicains américains restent
climato-sceptiques. Or contrairement à ce qu’imaginent les Européens,
tout particulièrement les Français dont le zèle révolutionnaire s’exerce
sur toile de fond monarchiste, le président Obama ne peut nullement
engager seul les Etats-Unis (sauf pour des accords qui ne seraient que
l’élaboration de traites antérieurs ayant suivi la procédure, ce qui
n’est pas le cas). Sa signature au bas du communiqué final n’aura pas
plus de valeur que celle d’Al Gore en bas du projet d’accord de Kyoto
(qui fut rejeté par le Sénat par 96 vote, un score unanime très rare
outre-Atlantique).
Compte tenu de la personnalité de Barack Obama elle a néanmoins un effet de persuasion moral fort.
L’exception se situera certainement en Europe, qui
imposera des objectifs contraignants aux états membres en invoquant un
‘accord’ universel qui ne sera pas davantage que le communiqué final
d’une conférence de l’ONU—un engagement moral important mais, quoi qu’en
disent les diplomates, pas un accord juridique au sens d’un accord que
l’on puisse opposer à autrui pour exiger qu’il prenne telle ou telle
disposition. L’Europe reste kantienne dans un monde machiavélien, et
l’effet d’entrainement qu’elle pense avoir est limité –y compris par le
jusqu'au-boutisme d’une partie du courant écologiste qui présente
toujours les efforts européens comme insuffisants et contribue, ce
faisant, à ce que l’Europe ne soit pas perçue comme le leader qu’elle
imagine être.
Quelles sont les évolutions d'un point de vue technique depuis 2009 en matière d'environnement ? En quoi ces évolutions ayant eu lieu permettent également d'être optimiste pour la COP21 ?
Jean-Paul Maréchal : Les industriels
ont intégré la contrainte écologique à tous les niveaux. Les
technologies dites "vertes" (LED, panneaux solaires, éoliennes...) se
sont considérablement développées et leur utilisation contribue à une
part croissante du mix énergétique mondiale.
Dans un secteur plus classique comme l’automobile,
les voitures électriques ou hybrides ont été largement développées en
même temps que la pollution engendrée par les véhicules à moteur
thermique a diminué (même si le scandale des véhicules truqués de VW
laisse planer un doute sur l’authenticité des chiffres fournis par les
constructeurs).
Dans le transport aérien, les émissions de CO2 par kilomètres passagers transporté ont été divisé par 5 en 30 ans.
En fait, dans tous ces exemples, la contrainte
écologique permet de réduire la consommation de carburant et entre de ce
fait en phase avec l’objectif de réduction des coûts.
Et puis, il y a aussi des progrès considérables dans
les processus industriels. Ainsi, les centrales à charbon émettent
nettement moins de substances polluantes que par le passé.
Robert Dardanne : Dans le domaine de
l'énergie, le prix de construction dans le domaine solaire a été divisé
par 5 ces 7-8 dernières années. Il y a donc une véritable amélioration
économique. D'autres exemples se retrouvent dans le secteurs des
transports. Nous sommes aujourd’hui en mesure de produire des véhicules
électriques ou hybrides qui peuvent être performants sur le plan
environnemental, et il est possible d’augmenter la production très
rapidement puisque les outils techniques existent.
Dernière illustration quant aux progrès énormes
réalisés depuis la conférence climat de Copenhague, il s’agit de
l'habitat, dans la construction. En effet les normes BBC se sont
imposées avec des effets positifs sur l’émission de l'habitat. Pour
rappel, dans les émissions on distingue 3 grosses activités émettrices
de CO2 à un tiers chacune à peu près : le transport, l’habitat et la
production d'électricité.
qui peut se mettre
en œuvre très rapidement pour certains aspects, et pour d'autres, qui
doivent être planifiés dans le temps avec l’aide des Etats. A titre
d’exemple, l’énergie nucléaire qui peut être remplacée tout comme
l’utilisation des véhicules diesel… Le rôle des Etats et de l'Europe
pour les pays européen est déterminant. Cette mutation ne doit pas
effrayer la population – laquelle doit être guidée - car elle n'est pas
génératrice d'arrêt d’activité ou de perte d’emplois, il s’agit bien
d'évolutions d'activités qui elles-mêmes vont générer emplois et
activité économique si elles sont bien planifiées.
Cela dit, deux remarques s’imposent. Tout d’abord une
prise de conscience fondée sur des données scientifiques (rapport du
GIEC) ne se traduit pas mécaniquement par des décisions politiques.
Ensuite, le risque demeure que l’accord qui sera trouvé à Paris ne
prévoit ni procédures de vérification des engagements des pays, ni
dispositifs contraignants, comme c’est le cas du protocole de Kyoto avec
les permis d’émissions.
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