Une jeune Française revenue de Syrie raconte le djihad
La rédaction avec AFP | Le 24 juin 2015
« C'était un peu un lavage de cerveau, estime aujourd'hui l'étudiante. On nous dit : "Tu vis dans un pays où il n'y a pas d'islam, où l'islam est interdit", "Si tu meurs, tu iras en enfer"... On prend vite peur. » « Après, on se renferme, on est toute seule. Et finalement, on se dit : "D'accord." On part, on émigre vers une terre où il y a les lois d'Allah. » Pour Nadia, c'est le début du voyage. Son recruteur, dont le nom apparaît dans plusieurs enquêtes sur les filières djihadistes, lui envoie un chèque de 1800 euros. Le 4 mars, elle quitte la France pour Genève, où elle prend un vol pour Istanbul.
Mariage express et menaces de mort
Son voyage de Turquie en Syrie ressemble à celui décrit dans des dizaines d'autres dossiers judiciaires impliquant des recrues du groupe radical. Dès l'aéroport, l'ex-étudiante a été prise en charge par deux hommes, avec lesquels, dissimulée sous un niqab (voile intégral), elle a pris ensuite un bus pour Sanliurfa, dans le sud-est de la Turquie. « Le lendemain, on a fait 50 km environ en voiture », affirme Nadia. « On marche pendant une vingtaine de minutes, on saute des barbelés et ensuite on vient nous chercher en voiture pour nous conduire à Tall Abyad. » La voilà en Syrie.Le 7 mars, la jeune femme arrive à Raqqa, à moins de 100 km de la frontière turque. C'est là que l'EI a établi son quartier général en Syrie. Nadia est enfermée dans une maison avec plusieurs dizaines d'autres femmes. Ses papiers d'identité et son téléphone portable sont confisqués ; elle ne peut avoir aucun contact avec l'extérieur. « Ils m'ont dit : "Si tu veux sortir de cette maison, il faut te marier." Sinon tu y restes à vie, tu ne sors pas. (...) Il est interdit d'appeler ses parents, d'avoir accès à Internet, tout est interdit. (...) On nous dit que c'est pour notre sécurité ». Au bout de quinze jours, la jeune femme consent à se marier avec son « recruteur », de langue maternelle française. Pas pour longtemps. « Je suis restée un jour. (...) Le lendemain, j'ai annulé le mariage, raconte-t-elle. Je suis partie et ce garçon (...) m'a présenté deux Françaises ; je suis allée vivre chez elles. »
Jusque-là très classique sur le fond, le récit de l'ex-étudiante prend une tournure plus dramatique. Elle affirme que les djihadistes la soupçonnent alors de « travailler pour la police française » et la jettent en prison. « Tous les jours, ils m'ont menacée : "Tu vas mourir", "Nous allons te tuer"... » La jeune femme clame son innocence, répète qu'elle veut rentrer en France. « Je leur ai dit qu'il y avait trop d'injustice (à Raqqa), que pour moi ce n'était pas l'islam, rapporte-t-elle. Il n'y a pas de coran (là-bas), il y a juste des armes (...) et les femmes ne viennent que pour le repos du guerrier. »
Une libération "improbable"
Nadia affirme avoir alors réussi à convaincre ses geôliers de son innocence et de la laisser rentrer en France. Elle est reconduite jusqu'à la frontière par un homme qui lui rend ses papiers d'identité et l'aide à repasser illégalement en Turquie. « Il m'a dit : "Tu rentres en France, (...) mais tu fermes ta bouche et tu oublies tout;" »Le récit de cette « libération » soulève de nombreuses questions. Interrogés par l'AFP, des spécialistes de ces dossiers l'ont jugé « très improbable au vu des conditions décrites », rappelant que peu d'apprentis djihadistes, a fortiori des femmes, parviennent à quitter l'EI contre la volonté des recruteurs. Quelques heures après son retour en Turquie, Nadia a été arrêtée à Sanliurfa grâce à des renseignements de la police française, qui avait été avertie de la situation par le père de la jeune femme. Elle a été renvoyée mardi vers la France et placée en garde à vue dès son arrivée.
Avant son expulsion, la jeune femme confiait sa crainte de la prison. Mais elle s'est juré de dénoncer la supercherie djihadiste. « La plupart (des recrues de l'EI) sont des convertis. (...) Ils ont très peu de pratique du coran, ils sont plus poussés par la haine ou l'envie de faire la guerre. » Nadia confie également ne pas avoir « peur » d'éventuelles représailles de l'EI et espère surtout que son récit empêchera d'autres jeunes de tomber dans le piège radical. « Beaucoup de gens traînent sur Internet et ont besoin qu'on les secoue un peu, dit-elle. Maintenant je vais progresser dans mon apprentissage de la religion, mais correctement. (...) Je veux vivre correctement, comme toutes les jeunes filles de mon âge en France. »
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