Djihadisme
Le djihadisme est une doctrine contemporaine au sein de l'islamisme qui prône l'utilisation de la violence pour la réalisation des objectifs islamistes. Bien que le djihadisme soit dérivé du djihad, ce dernier est un élément important de l'islam qui n'est pas nécessairement violent.
Le djihadisme moderne naît dans les années 1980 au cours de la guerre d'Afghanistan. Dans le contexte de ce conflit, émerge notamment la figure d'Abdallah Azzam, considéré comme le père fondateur du djihadisme. À partir des années 1980 et 1990 apparaît le salafisme djihadiste, traduction de l'arabe salafiyya jihadiyya, qui puise ses racines chez des penseurs musulmans radicaux comme Abou Qatada, Abou Moussab al-Souri (en) ou Abou Muhammad al-Maqdisi (en), il s'étend à l'ensemble du monde musulman et devient le principal courant du djihadisme. Au début du XXIe siècle, des organisations terroristes islamistes comme Al-Qaïda, l'État islamique ou Boko Haram, se réclament du salafisme djihadiste1.
Le mot « djihadisme » a été adopté dans le monde islamique comme la moins mauvaise option pour désigner les groupes comme Al-Qaïda qui ont un intérêt exclusif pour le côté violent du djihad. Le terme est utilisé par les media arabes et aussi par les milieux du contre-terrorisme où il désigne, même si le terme est problématique, ceux des musulmans sunnites qui utilisent la violence pour poursuivre leurs buts politiques universalistes. Pour autant, le djihadisme est loin d'être un mouvement uni. Il est même parcouru de multiples fractures. Des questions telles le renversement de régimes islamiques, le droit de tuer d'autres musulmans et l'attitude vis-à-vis du chiisme sont sujettes à des considérations de partage du pouvoir2.
Pour les historiennes Ladan Boroumand et Roya Boroumand, la source de l'idéologie des djihadistes n'est pas le Coran mais le léninisme, le fascisme et les courants totalitaires du XXe siècle5.
Pour Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'EHESS, le djihadisme est « l'idéologie totalitaire la plus élaborée depuis le communisme et le nazisme » et certains djihadistes peuvent même être chiites. Selon lui, « les idéologues [djihadistes] intègrent les idées extrémistes occidentales, notamment de l’extrême gauche et de l’extrême droite et présentent une version de l’islam qui tente de briser le tabou de la « sécularisation irréversible » »6.
Pour Anne-Clémentine Larroque, maître de conférences à Sciences Po en Questions internationales, le djihadisme n'est pas « consubstantiel à la religion ». Bien qu'il soit fait référence texto au djihad dans le Coran, « le djihadisme est un mouvement contemporain qui puise ses racines dans les thèses de deux grands idéologues » : « la pensée de Saïd Qotb (1906-1966), militant des Frères musulmans qui lutta activement contre l'État de Nasser jugé « mécréant » car ne respectant pas la loi coranique et théorisa dans les années 1960 le retour à un islam politique où le djihad prend une place centrale » et « la pensée de Maulana Maududi (1903-1979) théologien fondamentaliste pakistanais qui à la même époque pense et encourage la lutte pour la création d'un État islamique pakistanais. Ses thèses seront suivies par les Talibans: il prône un retour au djihad global »9.
Les djihadistes prônent la lutte armée non seulement pour libérer les pays musulmans de l'occupation étrangère mais aussi pour chasser les régimes jugés impies7. Aujourd'hui, Al-Qaïda7, les Talibans et l'État islamique en sont des représentants.
Certaines actions djihadistes ont été menées à l'échelon national, en Afghanistan, au Liban, en Tchétchénie, en Irak, en Palestine et en Algérie ; et d'autres à l'échelon mondial avec les attentats du 11 septembre et ceux de Bali en 2002, de Madrid en 2004 et de Londres en 20057. D'autres encore ont visé l'Afghanistan, l'Arabie saoudite, l'Inde, l'Indonésie, l'Irak, Israël, la Jordanie, le Kénya, le Koweït, le Liban, le Maroc, l'Ouzbékistan, le Pakistan, la Russie, la Somalie, la Turquie et le Yémen3. Boko Haram commet ses actes de terreur au Nigéria.
Pour Gilles Kepel10, Al-Qaïda a été vaincue et maintenant ,« c'est l'État islamique et sa culture qui mène le jeu ». « Daech [...] s'est infiltrée par les réseaux sociaux au cœur de l'Europe pour la détruire en déclenchant la guerre civile entre ses citoyens et résidents musulmans et non musulmans ». Pour Daech, « soit on est musulman à leur manière, soit on mérite la mort ».
L'attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015 à Paris est revendiqué par un groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda11. Quant à celui contre un magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, son auteur se présente comme lié à l'État islamique12. Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris sont aussi revendiqués par l'État islamique13.
Cette campagne s'appuie sur le site stop-djihadisme gouv fr. Cette campagne fait suite à une campagne menée par les États-Unis15.
Cette campagne s'appuie notamment sur une vidéo à la manière de la communication menée par les djihadistes16. Il informe les jeunes, parfois asociaux, du fait que sous couvert de gloire, en réalité les djihadistes cherchent à les conduire à la désolation, notamment au travers de la phrase : «Ils te disent: sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause. En réalité tu découvriras l'enfer sur terre et mourras seul loin de chez toi»
Le site web vise également à soutenir les familles dont les enfants sont incités à la radicalisation par les djihadistes, à l'insu des parents16.
Cette abondance de lecture djihadiste peut conduire certains jeunes gens manquant d'esprit critique à se faire radicaliser par quelques rencontres ou quelques lectures internet hasardeuses18,19.
Cet endoctrinement s'inscrit dans l'empirisme et l'amateurisme mais il est toujours violent20.
Les djihadistes européens ont souvent une très faible connaissance de la langue arabe. Leur endoctrinement se fait alors au travers de traductions approximatives de la propagande disponible sur internet 21.
Les motivations de cette radicalisation sont variées, elles peuvent notamment se développer pour des raisons sociales, culturelles, individuelles, familiales ou psychologiques.
Entrent notamment en jeu, d'après des études internationales, une surestimation ou une sous-estimation de soi, la double aliénation des jeunes ne se sentant ni appartenir à leur pays de résidence, ni à celui de leurs origines familiales, l'âge, ou encore la victimisation. Entrent aussi en jeu, d'après ces mêmes études, la recherche d'appartenance à une communauté, à une famille, une mauvaise gestion de sa colère, et aussi la dimension psychiatrique22.
Les enfants d’immigrés sont intégrés culturellement à la société d’accueil mais ne le sont pas structurellement, car souvent discriminés aux plans de l’emploi et de l’habitat. Cette antinomie entre aux plans de l’emploi et de l’habitat. Cette antinomie entre intégration culturelle et intégration structurelle peut inciter les plus frustrés à la violence23.
Le djihadisme bénéficie parfois d'un effet de mode, il peut apparaître romantique à une personne trop candide. La réalité est quelquefois plus sordide, certains sont employés à des taches logistiques (il faut par exemple enterrer les cadavres), d'autres peuvent être tués à l'occasion24.
Anne-Clémentine Larroque est historienne de formation, maître de conférences à Sciences Po en Questions internationales. Elle a tenu une chronique internationale sur la Matinale France Inter (été 2013). A paraître: Géopolitique des islamismes chez PUF, collection Que sais je?, en octobre prochain.
Figarovox: Sous le nom d' «islamistes», on regroupe des réalités qui n'ont rien à voir: le Hamas, les frères musulmans, les djihadistes d'EEIL. Qu'est ce que l'islamisme?
Anne-Clémentine Larroque: Sur le sujet, les amalgames sont quotidiens, c'est une thématique complexe qu'on a tendance à vouloir désespérément rendre simple. Il convient avant tout de distinguer islam, islamisme et islamisme radical ou violent, terminologies très souvent confondues dans le débat public.
L'islam correspond à la religion monothéiste numériquement la plus importante au monde aujourd'hui, mais chronologiquement la dernière apparue après le judaïsme et le christianisme. Les Sunnites sont majoritaires et se placent à côté des Chiites, branche minoritaire.
L' «islamisme» est la dénomination occidentale d'un «réveil de l'islam» au moment de la Modernité occidentale. C'est une idéologie politico-sociale qui a un ressort religieux, né au XIXème siècle en réaction à la
Modernité qui a touché le monde musulman, via la colonisation. On oppose systématiquement l'islamisme au progrès, alors que cette idéologie n'est pas anti-moderne au départ. Au contraire les réformistes Muhammad Abduh et Jamal Afghani, pères du réformisme islamiste au XIXème siècle, prônent une réinstauration de l'islam dans les sociétés musulmanes tout à fait compatibles avec les valeurs modernes. Finalement, l'islamisme s'inscrit parmi les grandes idéologies (socialisme, libéralisme, marxisme) nées au XIXe siècle.
En revanche l'islamisme radical ou islamisme violent est une des formes que prend l'islamisme (qui peut aussi s'incarner dans des mouvements pacifiques de prédications qui refusent la violence). Les salafistes prédicateurs barbus que l'on voit dans certains quartiers sont loin de tous prôner le djihad armé! A certains égards on pourrait les comparer aux ordres mendiants dans la Chrétienté car leur vocation est uniquement missionnaire.
Finalement, il y aurait trois familles d'islamismes: l'islamisme missionnaire, l'islamisme politique et l'islamisme violent ou djihâdisme, que vous nommez islamisme «radical».
Ainsi, les Frères Musulmans sont des islamistes réformistes avec un projet politique ; certaines de leurs branches ont pu évoluer vers la violence mais ce n'est pas l'objectif sous-tendu, le Hamas a été fondé par les Frères: cependant, il est constitué d'un parti puis d'une branche armée, tandis que l'EIIL est un groupe djihadiste.
Quel est le point commun entre ces différentes formes d'islamisme?
Le point commun de tous ces islamismes est la volonté de mettre en place un Etat islamique, c'est-à-dire une structure étatique où l'autorité mène une politique islamique, au sein de laquelle la «charia», la loi islamique, demeure centrale et est imposée à l'ensemble des habitants. Cependant, leurs moyens diffèrent et leur objectif varie selon l'échelle de temps et d'espace.
Qu'est-ce que le salafisme?
La Salafiyya symbolise une nouvelle idéologie islamiste défendant le «retour à l'islam» ou le «réveil de l'islam» favorisant la remise en question de celui-ci vis-à-vis la Modernité occidentale. C'est une idéologie islamiste apparue au XIXe siècle. Le salafisme prône le retour vers le message des pieux ancêtres (salaf signifie «ancêtre»). Mais il prend aussi un visage réformiste avec l'émergence de l'islam politique. Suivant la même logique que l'islamisme, trois formes différentes de salafisme existent:
-Le salafisme missionnaire ou de prédication: éducation, œuvres de bienfaisance, etc
-Le salafisme politique : réformisme menant à la création d'un Etat islamique par des voies «politiques»: les Frères musulmans par exemple.
-Le salafisme djihadiste qui ne veut pas se limiter au strict message politique et va plus loin en utilisant l'action violente et terroriste soit à l'intérieur d'un pays musulman (comme le Hamas) soit à l'extérieur (comme Al-Qaïda).
Quelles sont les racines du «djîhadisme»? Est-ce un phénomène contemporain au consubstantiel à l'islam en tant que religion?
Non, on ne peut pas dire que le djihâdisme soit consubstantiel à la religion. Si le djihâd existe littéralement dans l'islam (petit et grand djihâd dans le Coran), le «djihâdisme»: (idéologie qui place le djihad comme moteur d'action et comme finalité), est un mouvement contemporain qui puise ses racines dans les thèses de deux grands idéologues:
-La pensée de Sayyid Qotb (1906-1966), militant des Frères musulmans qui lutta activement contre l'Etat de Nasser jugé «mécréant» car ne respectant pas la loi coranique et théorisa dans les années 60 le retour à un islam politique où le djihad prend une place centrale.
-La pensée de Maulana Maududi (1903-1979) théologien fondamentaliste pakistanais qui à la même époque pense et encourage la lutte pour la création d'un état islamique pakistanais. Ses thèses seront suivies par les Talibans: il prône un retour au djihad global.
L'application du djihâd se résume en trois vagues successives dans le monde musulman:
-Dans les années 70-80, dans le cadre de la guerre d'Afghanistan contre les Soviétiques ;
-Le djihâd des années 90, contre les régimes militaires algérien, égyptien et en Bosnie
-Depuis la fin des années 90, le nouveau djihâd contre l'Occident, qui est devenu la raison d'être du mouvement d'Al-Qaida.
On pourrait ajouter une quatrième «vague»: que ce soit Boko Haram au Nigéria, EEIL en Irak ou Al-Nosra en Syrie, les shabbabs en Somalie on assiste à l'émergence d'un djihâdisme plus ancré territorialement qui s'inscrit d'abord localement dans une histoire particulière avant de revendiquer une perspective internationaliste globalisée.
Vous distinguez islamisme de prédication, islamisme politique et djihâdisme. Dans quelle catégorie se trouve le Hamas?
Le Hamas, «Mouvement de résistance islamique» est une émanation des Frères musulmans en Palestine, où leur présence date des années 30. Dans les années 40, se crée une branche armée dont le but est de lutter contre les Britanniques et le projet de création de l'Etat d'Israël, Etat sioniste pour eux.
Le Hamas actuel est créé en 1987 lors de la première intifada. L'objectif affiché est alors d'anéantir Israël et le sionisme tout en islamisant la Palestine. Ils lancent les premières vagues d'attentats dans les années 90. En 2006, ils deviennent la première force politique du pays, devant le Fatah, en remportant les élections législatives palestiniennes avec 56 % des suffrages.
On pourrait donc dire que le Hamas constitue un groupe islamiste politique (au départ fondé par les Frères musulmans) qui adopte les moyens d'une mouvance djihadiste de résistance.
Le Printemps arabe avait vu la consécration des frères musulmans qui sont devenus une force politique capable de rassembler les masses arabes, à l'instar du nationalisme panarabe autrefois. Quelle idéologie véhiculent les Frères musulmans?
Les Frères musulmans sont un mouvement islamiste réformiste fondé par Hassan Al-Banna en 1928, en Egypte, peu après l'effondrement de l'empire ottoman. La confrérie prône une conquête du pouvoir politique par le bas mais elle s'inscrit dans les trois formes d'islamismes que je décris: missionnaire, politique et violent. Cependant, son but reste politique. Certaines branches radicales violentes en sont issues mais ne fondent pas le cœur de leur action. Ils font partie du mouvement des Salafistes réformistes. Leur but est avant tout politique: mettre en place un Etat islamique et installer la Charia. Leur évolution est corrélée à leurs rapports avec les pouvoirs en place.
Dans les années 1960-80, Nasser et Sadate jouent entre répression et instrumentalisation des Frères Musulmans, ce qui pousse ceux-ci à migrer en péninsule arabique et notamment en Arabie Saoudite où ils s'allient momentanément avec les wahhabites. C'est la période particulière du «wahhabo-salafisme».
Les Frères musulmans prennent dès lors, une dimension internationaliste et essaiment dans de nombreux pays, y compris en Occident au travers des prises de positions d'intellectuels musulmans réformateurs comme Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères Musulmans Hassan Al-Banna, même s'il ne revendique pas son appartenance à la Confrérie.
Où en est l'islamisme politique quatre ans après les révolutions arabes?
On a longtemps cru que les dictatures arabes réussissaient à cantonner et maitriser les islamistes. Mais en réalité, l'islam radical s'est renforcé en réaction aux pouvoirs dictatoriaux, le nationalisme de Nasser puis l'autoritarisme de Moubarak en Egypte, la tyrannie de la dynastie Assad en Syrie, la «ploutocratie»de Ben Ali en Tunisie. Dans les années 2000, certains tentent l'ouverture et l'adoucissement, c'est le cas d'Hosni Moubarak en Egypte, lors des élections de 2005, mais cela ne suffit pas car les revendications économiques et sociales du peuple prennent le pas et les islamistes s'intègrent au mouvement de protestation.
Ensuite, les révolutions arabes ont révélé au grand jour la «frérisation» du monde arabe. Mais les Frères musulmans n'ont pas su garder le pouvoir. L'islamisme a gagné socialement, «par le bas: les stigmates visuels de l'islamisation se sont multipliées en dix ans dans bon nombre de pays arabes. Mais il ne l'a pas gagné politiquement. Les islamistes ont perdu le pouvoir, faute d'expérience, de vision politique et économique globale. Hormis deux exceptions: la Tunisie où le parti Ennahdha de Ghannouchi a su s'adapter à la transition politique du pays, et la Turquie d'Erdogan, qui n'a pas fait la Révolution mais où l'islamisme politique a gagné depuis 2002, dans un pays laïc où se dessinent aujourd'hui les contours de ce que l'on peut qualifier de «post-islamisme».
Le djihadisme moderne naît dans les années 1980 au cours de la guerre d'Afghanistan. Dans le contexte de ce conflit, émerge notamment la figure d'Abdallah Azzam, considéré comme le père fondateur du djihadisme. À partir des années 1980 et 1990 apparaît le salafisme djihadiste, traduction de l'arabe salafiyya jihadiyya, qui puise ses racines chez des penseurs musulmans radicaux comme Abou Qatada, Abou Moussab al-Souri (en) ou Abou Muhammad al-Maqdisi (en), il s'étend à l'ensemble du monde musulman et devient le principal courant du djihadisme. Au début du XXIe siècle, des organisations terroristes islamistes comme Al-Qaïda, l'État islamique ou Boko Haram, se réclament du salafisme djihadiste1.
Sommaire
Définition
Pour Jarret Brachman (en), le « djihadisme » est un terme maladroit et controversé qui réfère au courant de la pensée extrémiste islamique, qui demande l'utilisation de la violence de façon à chasser toute influence non-islamique des territoires traditionnellement musulmans, ceci pour établir une gouvernance véritablement islamique fondée sur la charia2. Le terme contient le mot « djihad » qui, pour la plupart des musulmans, est le fondement d'une vie pieuse mais qui pour certains consiste à faire la guerre pour la défense de l'islam. Le premier principe du djihadisme est qu'il existe un complot pour détruire l'Islam et que les pays conspirateurs sont les pays chrétiens « croisés » et leurs alliés juifs et sionistes d'Israël3. Pour le théoricien koweïtien du djihadisme Hamid al-Ali (en), il faut ajouter à ces ennemis du djihadisme, les chiites4.Le mot « djihadisme » a été adopté dans le monde islamique comme la moins mauvaise option pour désigner les groupes comme Al-Qaïda qui ont un intérêt exclusif pour le côté violent du djihad. Le terme est utilisé par les media arabes et aussi par les milieux du contre-terrorisme où il désigne, même si le terme est problématique, ceux des musulmans sunnites qui utilisent la violence pour poursuivre leurs buts politiques universalistes. Pour autant, le djihadisme est loin d'être un mouvement uni. Il est même parcouru de multiples fractures. Des questions telles le renversement de régimes islamiques, le droit de tuer d'autres musulmans et l'attitude vis-à-vis du chiisme sont sujettes à des considérations de partage du pouvoir2.
Pour les historiennes Ladan Boroumand et Roya Boroumand, la source de l'idéologie des djihadistes n'est pas le Coran mais le léninisme, le fascisme et les courants totalitaires du XXe siècle5.
Pour Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'EHESS, le djihadisme est « l'idéologie totalitaire la plus élaborée depuis le communisme et le nazisme » et certains djihadistes peuvent même être chiites. Selon lui, « les idéologues [djihadistes] intègrent les idées extrémistes occidentales, notamment de l’extrême gauche et de l’extrême droite et présentent une version de l’islam qui tente de briser le tabou de la « sécularisation irréversible » »6.
Histoire
Pour Antoine Sfeir7, le djihadisme est né au cours de la guerre menée par les Soviétiques en Afghanistan durant les années 1980. Il est le fruit de la synthèse entre le courant traditionaliste saoudien et la stratégie des Frères musulmans. Il suit une « ligne révolutionnaire, base intellectuelle du terrorisme et des opérations suicide, encourageant des actions violentes contre les Occidentaux »7, fondée sur la pensée du Frère musulman égyptien Saïd Qotb et celle de l'écrivain jordano-palestinien Abu Muhammad al-Maqdisi) et obligeant d'affronter ceux « qui oppriment les musulmans pieux », qu'ils soient musulmans ou non7. Saïd Qotb exalte tout particulièrement la lutte contre les Juifs : « Les juifs devinrent les ennemis de l'islam dès qu'un État musulman fut établi à Médine. Ils complotèrent contre la communauté musulmane dès que celle-ci fut créée (...) Cette âpre guerre que les juifs nous ont déclarée (...) dure sans interruption depuis quatorze siècles et enflamme, encore maintenant, la terre jusqu'en ses confins. »8.Pour Anne-Clémentine Larroque, maître de conférences à Sciences Po en Questions internationales, le djihadisme n'est pas « consubstantiel à la religion ». Bien qu'il soit fait référence texto au djihad dans le Coran, « le djihadisme est un mouvement contemporain qui puise ses racines dans les thèses de deux grands idéologues » : « la pensée de Saïd Qotb (1906-1966), militant des Frères musulmans qui lutta activement contre l'État de Nasser jugé « mécréant » car ne respectant pas la loi coranique et théorisa dans les années 1960 le retour à un islam politique où le djihad prend une place centrale » et « la pensée de Maulana Maududi (1903-1979) théologien fondamentaliste pakistanais qui à la même époque pense et encourage la lutte pour la création d'un État islamique pakistanais. Ses thèses seront suivies par les Talibans: il prône un retour au djihad global »9.
Les djihadistes prônent la lutte armée non seulement pour libérer les pays musulmans de l'occupation étrangère mais aussi pour chasser les régimes jugés impies7. Aujourd'hui, Al-Qaïda7, les Talibans et l'État islamique en sont des représentants.
Certaines actions djihadistes ont été menées à l'échelon national, en Afghanistan, au Liban, en Tchétchénie, en Irak, en Palestine et en Algérie ; et d'autres à l'échelon mondial avec les attentats du 11 septembre et ceux de Bali en 2002, de Madrid en 2004 et de Londres en 20057. D'autres encore ont visé l'Afghanistan, l'Arabie saoudite, l'Inde, l'Indonésie, l'Irak, Israël, la Jordanie, le Kénya, le Koweït, le Liban, le Maroc, l'Ouzbékistan, le Pakistan, la Russie, la Somalie, la Turquie et le Yémen3. Boko Haram commet ses actes de terreur au Nigéria.
Pour Gilles Kepel10, Al-Qaïda a été vaincue et maintenant ,« c'est l'État islamique et sa culture qui mène le jeu ». « Daech [...] s'est infiltrée par les réseaux sociaux au cœur de l'Europe pour la détruire en déclenchant la guerre civile entre ses citoyens et résidents musulmans et non musulmans ». Pour Daech, « soit on est musulman à leur manière, soit on mérite la mort ».
L'attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015 à Paris est revendiqué par un groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda11. Quant à celui contre un magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, son auteur se présente comme lié à l'État islamique12. Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris sont aussi revendiqués par l'État islamique13.
Campagne de communication contre le djihadisme
Peu de temps après les attentats de janvier 2015, le gouvernement français met en ligne un site internet ayant pour but de lutter contre la propagande djihadiste14.Cette campagne s'appuie sur le site stop-djihadisme gouv fr. Cette campagne fait suite à une campagne menée par les États-Unis15.
Cette campagne s'appuie notamment sur une vidéo à la manière de la communication menée par les djihadistes16. Il informe les jeunes, parfois asociaux, du fait que sous couvert de gloire, en réalité les djihadistes cherchent à les conduire à la désolation, notamment au travers de la phrase : «Ils te disent: sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause. En réalité tu découvriras l'enfer sur terre et mourras seul loin de chez toi»
Le site web vise également à soutenir les familles dont les enfants sont incités à la radicalisation par les djihadistes, à l'insu des parents16.
Diffusion en Occident
Si à l'origine, le djihadisme s'adressait à un public arabophone, avec la montée en puissance d'Internet, et des nouvelles technologies de l'information et de la communication que tout le monde connaît, la propagande djihadiste s'effectue à présent également dans des langues étrangères comme le français, l'anglais, l'allemand ou l'espagnol17. Cette démarche s'inscrit dans une volonté de mondialiser le djihadisme.Cette abondance de lecture djihadiste peut conduire certains jeunes gens manquant d'esprit critique à se faire radicaliser par quelques rencontres ou quelques lectures internet hasardeuses18,19.
Cet endoctrinement s'inscrit dans l'empirisme et l'amateurisme mais il est toujours violent20.
Les djihadistes européens ont souvent une très faible connaissance de la langue arabe. Leur endoctrinement se fait alors au travers de traductions approximatives de la propagande disponible sur internet 21.
Les motivations de cette radicalisation sont variées, elles peuvent notamment se développer pour des raisons sociales, culturelles, individuelles, familiales ou psychologiques.
Entrent notamment en jeu, d'après des études internationales, une surestimation ou une sous-estimation de soi, la double aliénation des jeunes ne se sentant ni appartenir à leur pays de résidence, ni à celui de leurs origines familiales, l'âge, ou encore la victimisation. Entrent aussi en jeu, d'après ces mêmes études, la recherche d'appartenance à une communauté, à une famille, une mauvaise gestion de sa colère, et aussi la dimension psychiatrique22.
Les enfants d’immigrés sont intégrés culturellement à la société d’accueil mais ne le sont pas structurellement, car souvent discriminés aux plans de l’emploi et de l’habitat. Cette antinomie entre aux plans de l’emploi et de l’habitat. Cette antinomie entre intégration culturelle et intégration structurelle peut inciter les plus frustrés à la violence23.
Le djihadisme bénéficie parfois d'un effet de mode, il peut apparaître romantique à une personne trop candide. La réalité est quelquefois plus sordide, certains sont employés à des taches logistiques (il faut par exemple enterrer les cadavres), d'autres peuvent être tués à l'occasion24.
Hamas, Frères musulmans, djihadistes : les différents visages de l'islamisme
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- Par Eugénie Bastié
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FIGAROVOX/ENTRETIEN
- Qu'y a-t-il de commun entre un prédicateur salafiste et un combattant
du Hamas ? Entre Tariq Ramadan et le calife de Mossoul ? La chercheuse
Anne-Clémentine Larroque nous donne les clefs pour comprendre la
nébuleuse islamiste.
Anne-Clémentine Larroque est historienne de formation, maître de conférences à Sciences Po en Questions internationales. Elle a tenu une chronique internationale sur la Matinale France Inter (été 2013). A paraître: Géopolitique des islamismes chez PUF, collection Que sais je?, en octobre prochain.
Figarovox: Sous le nom d' «islamistes», on regroupe des réalités qui n'ont rien à voir: le Hamas, les frères musulmans, les djihadistes d'EEIL. Qu'est ce que l'islamisme?
Anne-Clémentine Larroque: Sur le sujet, les amalgames sont quotidiens, c'est une thématique complexe qu'on a tendance à vouloir désespérément rendre simple. Il convient avant tout de distinguer islam, islamisme et islamisme radical ou violent, terminologies très souvent confondues dans le débat public.
L'islam correspond à la religion monothéiste numériquement la plus importante au monde aujourd'hui, mais chronologiquement la dernière apparue après le judaïsme et le christianisme. Les Sunnites sont majoritaires et se placent à côté des Chiites, branche minoritaire.
L' «islamisme» est la dénomination occidentale d'un «réveil de l'islam» au moment de la Modernité occidentale. C'est une idéologie politico-sociale qui a un ressort religieux, né au XIXème siècle en réaction à la
Modernité qui a touché le monde musulman, via la colonisation. On oppose systématiquement l'islamisme au progrès, alors que cette idéologie n'est pas anti-moderne au départ. Au contraire les réformistes Muhammad Abduh et Jamal Afghani, pères du réformisme islamiste au XIXème siècle, prônent une réinstauration de l'islam dans les sociétés musulmanes tout à fait compatibles avec les valeurs modernes. Finalement, l'islamisme s'inscrit parmi les grandes idéologies (socialisme, libéralisme, marxisme) nées au XIXe siècle.
En revanche l'islamisme radical ou islamisme violent est une des formes que prend l'islamisme (qui peut aussi s'incarner dans des mouvements pacifiques de prédications qui refusent la violence). Les salafistes prédicateurs barbus que l'on voit dans certains quartiers sont loin de tous prôner le djihad armé! A certains égards on pourrait les comparer aux ordres mendiants dans la Chrétienté car leur vocation est uniquement missionnaire.
Finalement, il y aurait trois familles d'islamismes: l'islamisme missionnaire, l'islamisme politique et l'islamisme violent ou djihâdisme, que vous nommez islamisme «radical».
Ainsi, les Frères Musulmans sont des islamistes réformistes avec un projet politique ; certaines de leurs branches ont pu évoluer vers la violence mais ce n'est pas l'objectif sous-tendu, le Hamas a été fondé par les Frères: cependant, il est constitué d'un parti puis d'une branche armée, tandis que l'EIIL est un groupe djihadiste.
Quel est le point commun entre ces différentes formes d'islamisme?
Le point commun de tous ces islamismes est la volonté de mettre en place un Etat islamique, c'est-à-dire une structure étatique où l'autorité mène une politique islamique, au sein de laquelle la «charia», la loi islamique, demeure centrale et est imposée à l'ensemble des habitants. Cependant, leurs moyens diffèrent et leur objectif varie selon l'échelle de temps et d'espace.
Qu'est-ce que le salafisme?
La Salafiyya symbolise une nouvelle idéologie islamiste défendant le «retour à l'islam» ou le «réveil de l'islam» favorisant la remise en question de celui-ci vis-à-vis la Modernité occidentale. C'est une idéologie islamiste apparue au XIXe siècle. Le salafisme prône le retour vers le message des pieux ancêtres (salaf signifie «ancêtre»). Mais il prend aussi un visage réformiste avec l'émergence de l'islam politique. Suivant la même logique que l'islamisme, trois formes différentes de salafisme existent:
-Le salafisme missionnaire ou de prédication: éducation, œuvres de bienfaisance, etc
-Le salafisme politique : réformisme menant à la création d'un Etat islamique par des voies «politiques»: les Frères musulmans par exemple.
-Le salafisme djihadiste qui ne veut pas se limiter au strict message politique et va plus loin en utilisant l'action violente et terroriste soit à l'intérieur d'un pays musulman (comme le Hamas) soit à l'extérieur (comme Al-Qaïda).
Quelles sont les racines du «djîhadisme»? Est-ce un phénomène contemporain au consubstantiel à l'islam en tant que religion?
Non, on ne peut pas dire que le djihâdisme soit consubstantiel à la religion. Si le djihâd existe littéralement dans l'islam (petit et grand djihâd dans le Coran), le «djihâdisme»: (idéologie qui place le djihad comme moteur d'action et comme finalité), est un mouvement contemporain qui puise ses racines dans les thèses de deux grands idéologues:
-La pensée de Sayyid Qotb (1906-1966), militant des Frères musulmans qui lutta activement contre l'Etat de Nasser jugé «mécréant» car ne respectant pas la loi coranique et théorisa dans les années 60 le retour à un islam politique où le djihad prend une place centrale.
-La pensée de Maulana Maududi (1903-1979) théologien fondamentaliste pakistanais qui à la même époque pense et encourage la lutte pour la création d'un état islamique pakistanais. Ses thèses seront suivies par les Talibans: il prône un retour au djihad global.
L'application du djihâd se résume en trois vagues successives dans le monde musulman:
-Dans les années 70-80, dans le cadre de la guerre d'Afghanistan contre les Soviétiques ;
-Le djihâd des années 90, contre les régimes militaires algérien, égyptien et en Bosnie
-Depuis la fin des années 90, le nouveau djihâd contre l'Occident, qui est devenu la raison d'être du mouvement d'Al-Qaida.
On pourrait ajouter une quatrième «vague»: que ce soit Boko Haram au Nigéria, EEIL en Irak ou Al-Nosra en Syrie, les shabbabs en Somalie on assiste à l'émergence d'un djihâdisme plus ancré territorialement qui s'inscrit d'abord localement dans une histoire particulière avant de revendiquer une perspective internationaliste globalisée.
Vous distinguez islamisme de prédication, islamisme politique et djihâdisme. Dans quelle catégorie se trouve le Hamas?
Le Hamas, «Mouvement de résistance islamique» est une émanation des Frères musulmans en Palestine, où leur présence date des années 30. Dans les années 40, se crée une branche armée dont le but est de lutter contre les Britanniques et le projet de création de l'Etat d'Israël, Etat sioniste pour eux.
Le Hamas actuel est créé en 1987 lors de la première intifada. L'objectif affiché est alors d'anéantir Israël et le sionisme tout en islamisant la Palestine. Ils lancent les premières vagues d'attentats dans les années 90. En 2006, ils deviennent la première force politique du pays, devant le Fatah, en remportant les élections législatives palestiniennes avec 56 % des suffrages.
On pourrait donc dire que le Hamas constitue un groupe islamiste politique (au départ fondé par les Frères musulmans) qui adopte les moyens d'une mouvance djihadiste de résistance.
Le Printemps arabe avait vu la consécration des frères musulmans qui sont devenus une force politique capable de rassembler les masses arabes, à l'instar du nationalisme panarabe autrefois. Quelle idéologie véhiculent les Frères musulmans?
Les Frères musulmans sont un mouvement islamiste réformiste fondé par Hassan Al-Banna en 1928, en Egypte, peu après l'effondrement de l'empire ottoman. La confrérie prône une conquête du pouvoir politique par le bas mais elle s'inscrit dans les trois formes d'islamismes que je décris: missionnaire, politique et violent. Cependant, son but reste politique. Certaines branches radicales violentes en sont issues mais ne fondent pas le cœur de leur action. Ils font partie du mouvement des Salafistes réformistes. Leur but est avant tout politique: mettre en place un Etat islamique et installer la Charia. Leur évolution est corrélée à leurs rapports avec les pouvoirs en place.
Dans les années 1960-80, Nasser et Sadate jouent entre répression et instrumentalisation des Frères Musulmans, ce qui pousse ceux-ci à migrer en péninsule arabique et notamment en Arabie Saoudite où ils s'allient momentanément avec les wahhabites. C'est la période particulière du «wahhabo-salafisme».
Les Frères musulmans prennent dès lors, une dimension internationaliste et essaiment dans de nombreux pays, y compris en Occident au travers des prises de positions d'intellectuels musulmans réformateurs comme Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères Musulmans Hassan Al-Banna, même s'il ne revendique pas son appartenance à la Confrérie.
Où en est l'islamisme politique quatre ans après les révolutions arabes?
On a longtemps cru que les dictatures arabes réussissaient à cantonner et maitriser les islamistes. Mais en réalité, l'islam radical s'est renforcé en réaction aux pouvoirs dictatoriaux, le nationalisme de Nasser puis l'autoritarisme de Moubarak en Egypte, la tyrannie de la dynastie Assad en Syrie, la «ploutocratie»de Ben Ali en Tunisie. Dans les années 2000, certains tentent l'ouverture et l'adoucissement, c'est le cas d'Hosni Moubarak en Egypte, lors des élections de 2005, mais cela ne suffit pas car les revendications économiques et sociales du peuple prennent le pas et les islamistes s'intègrent au mouvement de protestation.
Ensuite, les révolutions arabes ont révélé au grand jour la «frérisation» du monde arabe. Mais les Frères musulmans n'ont pas su garder le pouvoir. L'islamisme a gagné socialement, «par le bas: les stigmates visuels de l'islamisation se sont multipliées en dix ans dans bon nombre de pays arabes. Mais il ne l'a pas gagné politiquement. Les islamistes ont perdu le pouvoir, faute d'expérience, de vision politique et économique globale. Hormis deux exceptions: la Tunisie où le parti Ennahdha de Ghannouchi a su s'adapter à la transition politique du pays, et la Turquie d'Erdogan, qui n'a pas fait la Révolution mais où l'islamisme politique a gagné depuis 2002, dans un pays laïc où se dessinent aujourd'hui les contours de ce que l'on peut qualifier de «post-islamisme».
Terrorisme : la France est-elle en guerre ?
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- Par Christophe Barthélemy
- Mis à jour
- Publié
TRIBUNE/VOX.-
Christophe Barthélemy, avocat*, rappelle que la guerre est une et que
notre seule marge de manœuvre est de tracer la limite entre théâtre de
guerre et territoire en paix.
*Auteur de La Judiciarisation des opérations militaires, L'Harmattan, 2012
Contrairement à une idée répandue, la guerre n'a jamais été cantonnée à un affrontement militaire sur un champ clos. Les guerres hybrides, par procuration, totales ou hors limites ne sont pas une nouveauté. Pas plus que le fait que l'ennemi soit à la fois au dedans et au dehors - des guerres de religion aux conflits idéologiques du XXème siècle. En réalité, nous avons oublié la guerre, dont Clausewitz écrivit qu'elle est un caméléon.
Dans le système wetsphalien, fondement du droit international public, elle n'opposait que des États. Cette parenthèse s'est refermée, avec la chute du Mur et la démonstration, lors de la 1ère Guerre du Golfe, de l'asymétrie entre l'armée américaine et toute autre. L'adversaire de l'Occident n'a plus d'autre choix que les modes d'action asymétriques ou l'espace dématérialisé. D'où les deux problèmes majeurs des relations internationales contemporaines: la remise en cause de l'ordre de 1945, fondé sur les frontières issues de la colonisation, et l'absence de régulation si l'hyperpuissance militaire américaine s'abstient. Après les illusions des années 1990, le Conseil de sécurité s'est grippé: le système de sécurité collective est inadapté à la gestion des crises actuelles. Plus encore: les instigateurs de celles-ci contestent les principes du droit international. Pourtant, la France continue de légitimer ses interventions par le droit. Pour elle, la guerre n'est légale que dans deux situations, selon l'article 51 de la Charte des Nations-Unies: légitime défense individuelle ou collective face à une agression armée ; résolutions du Conseil de sécurité sous chapitre VII.
Dans le droit de la guerre, ou droit des conflits armés, il est permis de faire usage de la violence contre l'ennemi et l'affrontement obéit à la logique de la montée aux extrêmes, freinée par la résistance de l'adversaire, les contraintes matérielles et les restrictions religieuses ou morales. Ce droit admet la violence, mais la cantonne au champ de bataille et aux combattants: crimes de guerre et crimes contre l'humanité sont prohibés. A l'inverse, dans le cadre étatique en temps de paix, l'appareil d'État est seul autorisé à faire usage de la force. Qui déroge à ce monopole est délinquant ou criminel: il doit être appréhendé par une police civile et traduit en justice. Les forces de l'ordre sont tenues à un usage minimal de la violence, dans un cadre procédural strict. Ni le criminel, ni le policier ne sont des combattants ; aucun n'est l'ennemi de l'autre ; porter atteinte à l'intégrité physique du criminel est a minima un échec, au pire un crime. La distinction est donc triple: territoriale, juridique (paix ou conflit armé) et finaliste (les belligérants poursuivent un but politique, les criminels des fins privées).
Or, la multiplication des États faillis, la globalisation et les facilités de déplacement font s'interpénétrer théâtres de guerre et territoires en paix. Nous n'avons pas tiré les enseignements de ce bouleversement. Nous entretenons une confusion, philosophique et juridique, entre affrontement guerrier et infraction pénale, relations internationales et société démocratique. D'une part, nous prétendons juger les auteurs de crimes commis à l'étranger, pour peu qu'un lien juridique les rattache à nous. D'autre part, nous définissons le terrorisme comme une infraction pénale afin de lui dénier toute dimension politique, alors qu'il est aussi un mode d'action militaire.
Pour sortir de cette confusion, trois solutions.
La première verrait la France en guerre, ici et ailleurs. Les djihadistes seraient des ennemis, quels qu'ils soient et où qu'ils se trouvent, y compris sur notre sol. L'emploi de la force obéirait aux lois de la guerre. Ce serait semer les germes d'une guerre civile, le pire des maux et l'objectif de l'adversaire. La confusion du droit interne et du droit international, souhaitable à terme, conduirait à une catastrophe.
Deuxième solution: la France ne ferait nulle part la guerre. Le résultat serait tout aussi désastreux: tels des policiers, nos soldats ne devraient faire usage de la force qu'en légitime défense et en rendre compte individuellement devant le juge pénal français. Nous ne pourrions plus conduire d'opérations coercitives.
Troisième solution, souhaitable: la France en paix sur son sol et parfois en guerre ailleurs. Elle permet de dénier l'unicité et l'universalité de l'affrontement souhaitées par nos adversaires. Il faut alors donner une base légale à chaque intervention. On voit la difficulté en Syrie: faute de résolution du Conseil de sécurité ou de réponse à un appel de Damas, seule la légitime défense collective peut fonder notre action, au profit des membres de la coalition (Irak, Jordanie), voire du Liban.
Cette orientation doit conduire, à l'intérieur, à continuer de traiter les terroristes comme des criminels. A l'extérieur, à admettre que la France est belligérante dans des conflits armés et à adapter le droit international public à des situations ignorées en 1945, comme l'apparition d'organisations politico-militaires sur le territoire d'États faillis, voire de proto-Etats ; en particulier, cela conduit à qualifier les organisations adverses d'ennemies et à traiter leurs membres comme des combattants, indépendamment de leur mode d'action (symétrique, dissymétrique, asymétrique), conformément aux lois de la guerre et à l'éthique militaire française. Selon que nous affrontons l'adversaire sur un théâtre d'opérations ou qu'il commet des actes terroristes en France en temps de paix, il est donc soit l'ennemi, soit un criminel, mais jamais à la fois l'un et l'autre: la confusion des statuts interdirait à nos soldats, à l'extérieur, et aux forces de l'ordre, à l'intérieur, de savoir quel usage de la force leur est permis ou prescrit. Il appartient aux responsables politiques de lever toute ambiguïté et d'assurer la sécurité juridique de ces serviteurs de l'État en même temps que la sécurité physique de nos concitoyens.
Contrairement à une idée répandue, la guerre n'a jamais été cantonnée à un affrontement militaire sur un champ clos. Les guerres hybrides, par procuration, totales ou hors limites ne sont pas une nouveauté. Pas plus que le fait que l'ennemi soit à la fois au dedans et au dehors - des guerres de religion aux conflits idéologiques du XXème siècle. En réalité, nous avons oublié la guerre, dont Clausewitz écrivit qu'elle est un caméléon.
Dans le système wetsphalien, fondement du droit international public, elle n'opposait que des États. Cette parenthèse s'est refermée, avec la chute du Mur et la démonstration, lors de la 1ère Guerre du Golfe, de l'asymétrie entre l'armée américaine et toute autre. L'adversaire de l'Occident n'a plus d'autre choix que les modes d'action asymétriques ou l'espace dématérialisé. D'où les deux problèmes majeurs des relations internationales contemporaines: la remise en cause de l'ordre de 1945, fondé sur les frontières issues de la colonisation, et l'absence de régulation si l'hyperpuissance militaire américaine s'abstient. Après les illusions des années 1990, le Conseil de sécurité s'est grippé: le système de sécurité collective est inadapté à la gestion des crises actuelles. Plus encore: les instigateurs de celles-ci contestent les principes du droit international. Pourtant, la France continue de légitimer ses interventions par le droit. Pour elle, la guerre n'est légale que dans deux situations, selon l'article 51 de la Charte des Nations-Unies: légitime défense individuelle ou collective face à une agression armée ; résolutions du Conseil de sécurité sous chapitre VII.
Dans le droit de la guerre, ou droit des conflits armés, il est permis de faire usage de la violence contre l'ennemi et l'affrontement obéit à la logique de la montée aux extrêmes, freinée par la résistance de l'adversaire, les contraintes matérielles et les restrictions religieuses ou morales. Ce droit admet la violence, mais la cantonne au champ de bataille et aux combattants: crimes de guerre et crimes contre l'humanité sont prohibés. A l'inverse, dans le cadre étatique en temps de paix, l'appareil d'État est seul autorisé à faire usage de la force. Qui déroge à ce monopole est délinquant ou criminel: il doit être appréhendé par une police civile et traduit en justice. Les forces de l'ordre sont tenues à un usage minimal de la violence, dans un cadre procédural strict. Ni le criminel, ni le policier ne sont des combattants ; aucun n'est l'ennemi de l'autre ; porter atteinte à l'intégrité physique du criminel est a minima un échec, au pire un crime. La distinction est donc triple: territoriale, juridique (paix ou conflit armé) et finaliste (les belligérants poursuivent un but politique, les criminels des fins privées).
Or, la multiplication des États faillis, la globalisation et les facilités de déplacement font s'interpénétrer théâtres de guerre et territoires en paix. Nous n'avons pas tiré les enseignements de ce bouleversement. Nous entretenons une confusion, philosophique et juridique, entre affrontement guerrier et infraction pénale, relations internationales et société démocratique. D'une part, nous prétendons juger les auteurs de crimes commis à l'étranger, pour peu qu'un lien juridique les rattache à nous. D'autre part, nous définissons le terrorisme comme une infraction pénale afin de lui dénier toute dimension politique, alors qu'il est aussi un mode d'action militaire.
Pour sortir de cette confusion, trois solutions.
La première verrait la France en guerre, ici et ailleurs. Les djihadistes seraient des ennemis, quels qu'ils soient et où qu'ils se trouvent, y compris sur notre sol. L'emploi de la force obéirait aux lois de la guerre. Ce serait semer les germes d'une guerre civile, le pire des maux et l'objectif de l'adversaire. La confusion du droit interne et du droit international, souhaitable à terme, conduirait à une catastrophe.
Deuxième solution: la France ne ferait nulle part la guerre. Le résultat serait tout aussi désastreux: tels des policiers, nos soldats ne devraient faire usage de la force qu'en légitime défense et en rendre compte individuellement devant le juge pénal français. Nous ne pourrions plus conduire d'opérations coercitives.
Troisième solution, souhaitable: la France en paix sur son sol et parfois en guerre ailleurs. Elle permet de dénier l'unicité et l'universalité de l'affrontement souhaitées par nos adversaires. Il faut alors donner une base légale à chaque intervention. On voit la difficulté en Syrie: faute de résolution du Conseil de sécurité ou de réponse à un appel de Damas, seule la légitime défense collective peut fonder notre action, au profit des membres de la coalition (Irak, Jordanie), voire du Liban.
Cette orientation doit conduire, à l'intérieur, à continuer de traiter les terroristes comme des criminels. A l'extérieur, à admettre que la France est belligérante dans des conflits armés et à adapter le droit international public à des situations ignorées en 1945, comme l'apparition d'organisations politico-militaires sur le territoire d'États faillis, voire de proto-Etats ; en particulier, cela conduit à qualifier les organisations adverses d'ennemies et à traiter leurs membres comme des combattants, indépendamment de leur mode d'action (symétrique, dissymétrique, asymétrique), conformément aux lois de la guerre et à l'éthique militaire française. Selon que nous affrontons l'adversaire sur un théâtre d'opérations ou qu'il commet des actes terroristes en France en temps de paix, il est donc soit l'ennemi, soit un criminel, mais jamais à la fois l'un et l'autre: la confusion des statuts interdirait à nos soldats, à l'extérieur, et aux forces de l'ordre, à l'intérieur, de savoir quel usage de la force leur est permis ou prescrit. Il appartient aux responsables politiques de lever toute ambiguïté et d'assurer la sécurité juridique de ces serviteurs de l'État en même temps que la sécurité physique de nos concitoyens.
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