mardi 8 juillet 2014

réflexion

 
Les formes extrêmes de la violence sont bien connues, ce sont le racisme et la xénophobie, mais aussi le mépris, la dévalorisation et la volonté de détruire l’autre. La peur de l'autre est à l'origine de ces sentiments, quand celui-ci est vécu comme menaçant et nous pousse à la haine.

La violence physique est la plus évidente à reconnaître, mais il existe d’autres formes plus sournoises quasi invisibles et plus dévastatrices de la violence. Celle-ci peut s’exercer de multiples manières : elle peut être intellectuelle, verbale, physique, idéologique, économique. Dans tous les cas, elle est liée à la représentation de l’autre ou « des » autres. Il s’agit toujours de déconsidérer, nier, négliger ou détruire des personnes pour lesquelles il sera impossible d’éprouver la moindre empathie. Et de cela nous sommes tous capables.
C’est parce que je me refuse à considérer l’autre comme un frère d’humanité que je peux exercer sur lui ma violence. Cela peut aller de la simple maltraitance à l’égard d’un ex-conjoint ou d’un voisin dérangeant jusqu’à la capacité de torturer des personnes que l’on ne connaît pas, simplement parce qu’ils appartiennent à tel groupe ou sont de telle nationalité ou origine.

Or, nous le sommes tous potentiellement ; l’être humain a toujours été partagé entre une propension à l’amour, la compassion, la non-violence, le dialogue, la paix, la sociabilité et des tendances belliqueuses, incitant à la haine, l’égoïsme, l’avidité, l’exploitation, l’esclavage, le sadisme… Haine et amour sont, selon Freud, les revers d’une même médaille, inhérentes à l’humain, elles sont en chacun de nous sans exception.

La violence du quotidien s’exprime de multiples façons : je suis violent quand je méprise l’autre, quand je le fuis, je l’agresse, quand je lui attribue tous les torts et toutes les responsabilités, quand je le diabolise ou le considère comme un sous-homme. Si je pense que cet homme violent, ce criminel, pédophile par exemple, mérite la mort et n’est pas « humain », je formule une pensée hautement violente qui présage de ma propre capacité à détruire. Et pourtant je ne mets pas en acte ma violence. Le problème est que nous sous-estimons, à tort, cette violence plus sournoise et invisible.

La violence se manifeste le plus communément par une grande difficulté de vivre ou de travailler ensemble, le nombre des séparations dans les couples et les situations de travail particulièrement tendues en attestent. Il faut pouvoir admettre sa propre violence pour empêcher l’exacerbation de certaines situations au sein d’un groupe d’individus. L’espace de la thérapie sociale est propice à cela.

L’expression si célèbre de Charles Rojzman peut paraître choquante : « La violence n’est pas un problème, mais une solution ». Elle dit une chose simple : la violence apparaît quand une personne ou un groupe n’a trouvé aucune solution à ses problèmes. Quand quelqu’un souffre, il a besoin de sortir de cette souffrance, mais souvent il se sent impuissant à changer quoique ce soit. Souvent, il croit qu’il souffre seulement à cause des autres ou d’une situation extérieure sur laquelle il ne peut pas agir. La violence est un moyen d’agir, de réagir face à cette impuissance.

Affirmer que la violence n’est pas un problème mais une solution est une autre manière de dire qu’elle permet de sortir de l’impuissance, de ne plus se sentir victime, ni persécuté. Dans l’exemple évoqué, le « voleur » se sent impuissant à changer sa situation précaire mais aussi victime d’un système qui l’aura rejeté (l’école, le monde du travail).

Pour beaucoup de personnes aujourd’hui, la violence est le seul moyen d’agir sur leur environnement et d’obtenir la satisfaction des besoins d’argent, de reconnaissance ou de pouvoir. Et si toutes ces personnes deviennent violentes, adoptent des comportements régressifs, c’est avant tout parce qu’elles se sentent victimes de l’autre : le système, leur famille, leur patron...

Elle est une solution face à l’humiliation : humilier les autres est un moyen de ne pas ressentir la souffrance des humiliations subies par soi-même, par sa famille ou par sa communauté.

Elle est encore une solution contre l’isolement et la solitude subis par un grand nombre de personnes : le racisme et la xénophobie permettent de recréer avec les membres de son groupe d’appartenance un lien identitaire fort face à d’autres groupes devenus ennemis.

Toutes les violences peuvent être considérées comme des solutions répondant à un manque, à un besoin insatisfait, à un sentiment d’impuissance ou de persécution.

 
La Thérapie Sociale soigne les peurs dans la mesure où celles-ci empêchent l’individu d’avoir des relations sereines avec les autres : la peur engendre en effet des phénomènes de protection qui peuvent être autant de barrières à une relation authentique avec autrui.

La peur peut engendrer la violence, mais aussi une attitude de retrait ou plus simplement une timidité maladive, un manque de confiance en soi, ou encore elle peut conduire à manipuler l’autre. Tous ces systèmes de protection empêchent une saine relation à l’autre ; il en résulte un grand sentiment d’impuissance et de nombreuses violences, contre soi-même ou contre les autres.

Les peurs sont toujours liées à des besoins non satisfaits, qui sont en réalité les besoins fondamentaux de l’être humain : le besoin d’amour, le besoin de sécurité, le besoin de sens et le besoin de subsistance. Si ces quatre besoins ne sont pas satisfaits, l’individu va développer des mécanismes de défense.

Les commanditaires habituels (gouvernement, institutions, municipalités ou associations) font souvent appel à la Thérapie Sociale pour régler un problème de violence sociale. Or, notre travail ne consiste pas à conduire les groupes à la non-violence, mais plutôt à un conflit constructif aboutissant à une dynamique de coopération.

Si nous ne passons pas par la transformation de la violence en conflit, au final, la violence est apaisée, mais les problèmes ne sont pas réglés pour autant. C'est seulement à partir du moment où la violence apparaît que l’on commence à se soucier des problèmes véritables. Elle sert de révélateur et met au jour les vraies difficultés.

Ce constat est valable à tous les niveaux de la vie en société : en famille, au travail, dans la rue, dans la société tout entière. La violence « visible » permet donc d’identifier les maux les moins visibles et les plus préoccupants.

Dans notre travail en Thérapie Sociale, nous sommes toujours surpris de découvrir à quel point l'enfance et la vie de chacun sont souvent remplies de drames, de peurs et de maltraitance.

Au sein d’un groupe, il ne s'agit pas d'aller chercher les souffrances des gens pour s'apitoyer sur les malheurs de chacun. Seulement voir, écouter et accepter ce qui est douloureux - chez soi et chez les autres - permet d’avancer. Généralement, dans la vie sociale, nous sommes habitués à faire en sorte que les souffrances ne prennent jamais le dessus, nous les faisons taire pour pouvoir travailler, aimer, vivre avec les autres.

Cela a pour conséquence de nous faire mentir les uns aux autres, nous empêchant de régler les problèmes en profondeur. Car, en cachant la souffrance, nous cachons en même temps la violence qui en découle très souvent. Apaiser la violence implique donc que la souffrance soit identifiée, entendue et dite.

En Thérapie Sociale, on se préoccupe particulièrement de la souffrance créée par l'environnement social des gens. Bien entendu, la souffrance personnelle (blessures de l'enfance, blessures de la vie) n’est pas étrangère à l'environnement social d’une personne (l'école, la famille, le couple, le travail). Mais la spécificité de la Thérapie Sociale sera de voir ensemble comment changer l'environnement pour qu'il aille plutôt dans le sens de la réparation que dans le sens d'une augmentation des souffrances.

Nous nous préoccupons tout particulièrement de lever ces blocages très inhibant et aux conséquences très néfastes au sein d’une collectivité d’individus. Le sentiment d’impuissance se retrouve à l’origine de nos peurs collectives (peur de l’avenir, peur de l’échec…), de certaines formes de violences (diabolisation des autres, solutions « régressives »…) et de toutes les formes de dévalorisation de soi, pouvant aller jusqu’au désespoir le plus profond. Il est aussi à l’origine d’un gâchis considérable de bonnes intentions collectives. Il gêne toute possibilité de coopération en laissant croire à chacun qu’il ne servirait à rien de se mobiliser pour changer les choses.

Les crises que traverse notre société et le sentiment d’impuissance sont intimement liés. Le manque de coopération et la solitude deviennent préoccupants aujourd’hui où les motivations individuelles dominent et où le sens du collectif, au sens fraternel et solidaire du terme, est perdu.

Ainsi, les cloisonnements (entre les milieux, les cultures, les catégories socioprofessionnelles, les générations…) ont-ils sérieusement contribué à renforcer le sentiment d’impuissance et l’idée qu’au-delà, de son groupe, résident les « ennemis », ceux qui ont tort et surtout ceux qui nous empêchent d’agir.

Pour sortir de cette impasse, il faut recréer du lien et reprendre confiance dans la force d’action du collectif. Il faut aussi retrouver le sens du projet commun. Il ne s’agit pas seulement de comprendre qu’à plusieurs nous sommes plus fort, mais surtout qu’à plusieurs, venant d’horizons différents, nous multiplions nos ressources pour transformer concrètement une société qui ne répond pas à nos besoins personnels et sociaux.

En fait, nous avons tous beaucoup de mal à admettre que les crises que nous traversons sont globales et profondes, qu’elles ne sont pas le fait de groupes spécifiques ou l’expression d’une fatalité contre laquelle il serait impossible d’agir. L’admettre reviendrait à reconnaître la responsabilité de chacun.

Agir sur l’impuissance consiste donc à aider les individus à retrouver la maîtrise de leur vie, ce qui leur permettra d’intervenir sur leur environnement et de le changer.

Exercer sa force et son pouvoir peut être terriblement destructeur. Mais force et pouvoir peuvent aussi constituer en chacun une réserve d’énergie pour aller vers le changement, clé du mieux-être personnel ou social.

Mais ce changement peut, quant à lui, être bloqué par les peurs, les violences et les sentiments d’impuissance décrits précédemment.

La Thérapie Sociale va donc favoriser, à un niveau psychologique et personnel, la confiance en soi, la responsabilité, et la satisfaction des besoins de base et, à un niveau social et collectif, la coopération concrète et le conflit constructif.

Ce travail va permettre d’apaiser les peurs, de transformer la violence en conflit et de diminuer le sentiment d’impuissance pour laisser place à une capacité d’action collective.

En Thérapie Sociale, nous travaillons à partir des réalités émotionnelles pour aider les individus, les groupes sociaux à mieux vivre ensemble dans un premier temps, puis à s’organiser pour produire un changement collectif au sein de leur milieu professionnel (institutions ou autres), tout en se réalisant sur le plan personnel.

Pour créer les conditions d’un vivre ensemble équilibré, but d'une Thérapie Sociale, un travail exigeant est donc à faire pour permettre aux personnes de prendre conscience de l’existence de ces émotions, mais aussi les conduire à transformer celles-ci de manière plus constructive.

Comprendre qu’elles sont à l’œuvre en permanence, tout en créant, chacun à son niveau, et en concertation, les moyens de les dépasser pour retrouver une capacité d’action commune, voilà l’objectif essentiel. Travailler sur les peurs, la violence et le sentiment d’impuissance et, finalement, stopper le cycle infernal qui découle de ces émotions est un préalable à tout projet collectif.

Si on évite de se confronter à ce ressenti ou si l’on s’imagine pouvoir s’en affranchir comme par miracle, rien ne pourra se vivre à une échelle collective sans pertes et dommages. Ce que nous venons de décrire est présent en chacun de nous à des degrés variables et nous empêche une relation saine entre soi, les autres et le monde.

La manifestation dite du « Printemps de l’optimisme » organisée à l’initiative de Thierry Saussez au Conseil Economique et Social a pour objet de fédérer les français autour de cette notion d’optimisme, de les aider à sortir de la morosité et de la défiance en proposant « un bol d’air » pour résister à un climat dépressif entretenu par les responsables politiques et les medias.

Mettre en lumière le côté lumineux et positif de l’humanité correspond à un besoin profond : faire en sorte d’aller mieux dans un monde moins malade. Il est évident que ce positionnement apporte un soulagement face à des réalités souvent pénibles et douloureuses, mais ce regard positif sur le monde qui nous entoure doit être accompagné, à notre avis, par un changement personnel et collectif.

Les émotions authentiques ne se décident pas. Elles sont le résultat de ce que nous sommes dans nos relations avec nous-mêmes et avec les autres. Nous pouvons naturellement les manipuler et « décider » d’aller mieux . Nous pouvons décider d’être joyeux, positifs, bien dans notre peau mais ce genre de conditionnement risque de créer cen nous un « faux-self ». Nous pouvons éviter de voir nos peurs, nos jugements, nos dépressions, notre sentiments de mépris de nous-mêmes ou des autres. Au mieux, cela nous permettra de ne pas envenimer les situations et certains diront que c’est mieux que rien.

Oui, c’est vrai, c’est « mieux que rien » mais ce système ne fonctionnera qu’en situation de paix et de tranquillité, où nous pouvons créer dans notre vie des sortes d’ilots de bonheur et une exclusion de toutes les personnes qui sont difficiles, de toutes les situations à risque. Cet équilibre précaire peut être sans cesse menacé par des événements ou des personnes, qui représenteront pour nous l’adversité et la contrariété. Le risque est grand de créer du communautarisme, du repli sur soi et par conséquent un moindre contact avec une réalité sociale complexe et un sentiment d’impuissance en fin de compte.

Il nous semble qu’il serait plus important de savoir comment faire face à cette adversité qui nous rend pessimiste. Comment dépasser les peurs qui nous manipulent et transformer les violences qui nous blessent?

Ce qui nous intéresse dans le travail que nous menons en Thérapie Sociale, ce n’est pas d’aider les personnes à aimer, apprécier, savourer, jouir, partager. Nous savons par expérience que ces qualités existent en chacun de nous et qu’elles ne demandent qu’à s’épanouir. Elles sont là derrière les masques, les armures, les blindages qui, croyons-nous, nous protègent. C’est l’acceptation de la réalité qui soigne et non la vision positive de la réalité.

La vision systématiquement optimiste de la réalité risque de nous empêcher de voir ce que nous sommes et de ce qu’est la complexité de la vie. Nous sommes des êtres de lumière et d’ombre. La vie est faite de lumière et d’ombre. Refuser ses ombres revient à se juger soi-même, à se culpabiliser.


Or, nous avons surtout besoin de soigner nos parties malades qui refusent la vie et le mouvement de la vie. Nous sommes en partie des êtres blessés et un peu fous, lorsque survient l’adversité. Au lieu de mettre sous le tapis ce qui nous horrifie, nous devons cesser de nous condamner. C’est cette condamnation de nous-mêmes qui perpétue le cercle vicieux du pessimisme et empêche le changement.


La transformation sur le long terme viendra de cette guérison et de cette découverte humble et sincère de notre rapport au monde , au delà des fantasmes et des préjugés.

Dans la vie sociale, nous sommes en relation avec beaucoup de personnes, en famille, dans notre travail, et dans nos loisirs.

A part quelques exceptions plus ou moins dramatiques, nous avons l’impression que tout le monde, y compris nous-mêmes vivons de façon normale ces relations. En réalité, un certain nombre de frictions et de tensions devraient nous inviter à y voir plus clair.


Notre travail dans les groupes de Thérapie Sociale met en lumière la réalité complexe des relations et nous ont fait comprendre à quel point les difficultés relationnelles sont liées aux blessures de l’enfance.

Nous avons tous été blessés, à des degrés divers. Ces souffrances qui ne sont pas toujours reconnues et comprises, nous empêchent de connaître la réalité de nous-mêmes et des autres, la complexité de cette réalité. Ces souffrances dont la trace est toujours présente nous font voir la réalité de façon manichéenne : nous sommes bons ou mauvais, les autres sont bons ou mauvais. Un monde vu en noir ou blanc. La zone grise est ignorée.

La tentation habituelle, protection de survie légitime, consiste à « geler » ces parties en soi qui sont trop douloureuses. Une partie de nous-mêmes est alors coupée, la partie qui nous relie à l’humanité, à l’empathie. Cela n’existe plus. Il n’y a plus de lien d’amour avec cette partie blessée, et donc plus de clairvoyance possible avec la part de réalité qui est reliée à elle.

Notre travail dans les groupes révèle ces obstacles à la coopération. Par exemple, une éducation maltraitante ou abusive n’a pas tué l’enfant. Adulte, il est devenu résistant et fort, tout en étant très perfectionniste et ambitieux. En apparence, il va bien. Toutefois, dans un groupe, il éprouvera une énorme difficulté d’empathie et de considération avec des personnes vulnérables, très sensibles, très demandeuses d’amour et de lien.


Le lien blessé en soi ne permet pas un lien guérisseur à l’autre.

Dans ces groupes, le fait de se retrouver avec des personnes qu’on n’a pas choisies, qui se révèlent progressivement et qui sont à la fois différentes et à la fois similaires, réveille des peurs et des parties de soi que nous n’aimons pas.


La peur existe mais n’est pas toujours consciente. Nous vivons avec ces peurs, elles sont tapies en nous, banalisées, sublimées par différents moyens.

Nous avons différentes stratégies pour faire face aux peurs que réveillent les autres: indifférence, mépris, jugement, catégorisation, condamnation … Ce sont des stratégies qui peuvent être des stratégies violentes, tournées contre soi-même ou contre les autres. Ces stratégies réveillent chez les autres des sentiments de sympathie ou d’antipathie, conscients ou diffus. On parle de feeling, on justifie par des indices ces « feelings » : physiques, idées, paroles, attitude, idéologie, comportement … La personne est alors figée dans un aspect d’elle et progressivement, elle est limitée et condamnée à ces aspects de soi. Ne plus voir la complexité de l’autre, c’est ce que nous appelons en Thérapie Sociale « la violence ». C’est ce que nous soignons dans notre travail.

Notre violence, la plupart du temps est civilisée et n’empêche pas, en apparence, de vivre avec les autres. Mais c’est justement cette violence qui contribue aux blindages, aux protections, aux masques, aux replis sur soi et sur une communauté. La violence est une manière de reprendre du pouvoir sur la situation qui déstabilise et d’empêcher une véritable coopération, fondée sur un lien de confiance: les gens ne peuvent se révéler les uns aux autres, mais ne montrent qu’une image d’eux-mêmes, celle qui les protège avec ses masques, ses blindages et ses armures.

Oui, ce combat est nécessaire. Oui, il reste du chemin à faire, des combats à mener : changer des mentalités, des rapports de force, des imaginaires.

Mais aujourd’hui, dans le monde occidental les femmes doivent combattre sur deux fronts. Le front des valeurs du progrès et le front des valeurs archaïques. Je m’explique : le front du progrès, c’est le combat qui doit être mené pour accompagner les avancées réelles de notre époque. Les hommes et les femmes d’aujourd’hui doivent consolider ce qui existe déjà et soigner les blessures du passé, avec ses risques de ressentiments et de représailles qui font du mal à la vie des couples et des relations humaines en général.

Il s’agit de valoriser ces progrès de l’émancipation, de la liberté et de la justice issus d’une longue lutte. Les droits des femmes ne sont plus discutables. Les femmes d’aujourd’hui ne se sentent plus menacées dans leurs droits fondamentaux mais elles doivent lutter avec les hommes pour les consolider, non pas contre eux pour faire commune société.

Mais il reste un autre combat, peut-être plus difficile à mener sur le front des valeurs archaïques. Il y a dans certaines sociétés et dans la nôtre même, un combat à mener pour reprendre des luttes qui furent celles de nos ancêtres depuis le Moyen-âge, lorsque la femme était considérée comme une mineure, sans aucun droit citoyen.
Ces deux combats ne sont pas les mêmes. Ils ne doivent pas être confondus.
Un court métrage récent met en scène l’histoire d’un mariage forcé entre une jeune fille qui est encore une petite fille et un homme âgé. http://www.youtube.com/watch?v=Cl-TtSFJS-g
Ce qui est visé dans ce film interprété par Julie Gayet, c’est cette coutume des mariages forcés qui sont plutôt nombreux parmi les populations issues de l’immigration magrébine et africaine. L’histoire se passe à Paris, dans un milieu de la classe moyenne supérieure, la jeune fille va dans une école mixte et laïque. L’histoire telle est contée est totalement invraisemblable.

Le souci du film était de créer une identification des spectateurs avec le thème et probablement d’éviter la stigmatisation de certaines populations qui pratiquent le mariage forcé. Mais le résultat est pour le moins déroutant, au sens propre du terme. Il nous empêche au nom du politiquement correcte de combattre cette coutume qui est devenue légalement interdite dans notre société. Nous sommes ainsi interdits de penser la réalité, fûsse-t-elle dérangeante. Nous sommes contraints de rester dans le relativisme où tout se vaut, où toutes les cultures se valent.

Le combat pour les droits des femmes mérite de s’attacher à la réalité des oppressions, de toutes les oppressions. Le risque est grand de rester dans l’impuissance si nous ne savons pas choisir les combats à mener, avec le discernement nécessaire.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à ce clivage, qui n’est pas/plus situé géographiquement. Il s’agit d’un combat contre l’obscurantisme. Les humiliations, les tortures, les viols, les maltraitances subies par les femmes dans le monde demandent qu’on s’intéresse aux situations réelles et différents et qu’on ne mélange les problèmes au nom d’une lutte indifférenciée pour les droits de La Femme.
 

La question de savoir si on doit ou non exprimer sa colère n’est plus tellement d’actualité. Nombre de psychothérapeutes, de formateurs, de coachs affirment que la colère est une émotion saine qui doit faire partie légitimement de la vie relationnelle dans les familles, les équipes et les organisations.

On peut faire remonter cette réhabilitation de la colère, cette légitimation de la colère aux années ’60, à la révolte anti-autoritaire de ces années-là où la colère était valorisée en tant qu’énergie indispensable pour se libérer de cet ordre établi qui étouffait les individus. Aujourd’hui encore, un petit livre célèbre au titre évocateur « Indignez-vous » sacralise en quelque sorte cette énergie. Cette indignation supposée libératrice signifie également que cette colère doit prendre des formes acceptables, raisonnées et justifiées. On parle donc bien de gérer la colère pour qu’elle soit utile à l’individu lorsqu’il est victime d’injustice et de dénis de sa liberté.

Or, je voudrais développer une autre vision de la colère. En Thérapie Sociale, la question n’est pas de savoir gérer la colère ; la question n’est pas de savoir si la colère c’est bien ou si c’est mal. Je pense préférable de comprendre la nature profonde de la colère qui peut être au service de la violence ou au service de la confrontation et du conflit. Une relation plus pacifique avec nous-même et avec les autres est la clé du vivre-ensemble. Alors comment faire à la fois usage de la colère, tout en répondant à la nécessité d'avoir une vie plus pacifiée avec soi-même et les autres?


Les deux visages de la colère
Nous confondons très souvent colère et violence. La différence n’est parfois pas facile à faire mais néanmoins essentielle. N’entend-on pas de la bouche de nombreux parents, d’enseignants, partout dans les relations de travail mais également dans les médias ou de la part d’autorités politiques que se mettre en colère est une faiblesse, un « dérapage », que ce n’est pas bien de crier ou encore que la colère est une perte de maîtrise de soi? L’on voit à quel point cette émotion dont on parle souvent en termes péjoratifs est en fait complexe à décrypter.

Nous considérons en Thérapie Sociale qu’il existe une colère qui est destructrice et une colère qui permet de transformer les relations dans la direction de la coopération et du respect de l’autre.

Il est très difficile de faire la différence entre ces deux aspects de la colère parce que dans les situations de stress et de panique intérieure nous avons toujours l’impression que notre colère est légitime, que nous sommes en colère parce que l’autre nous fait du mal et que nous sommes donc une victime.
La question que nous devons nous poser alors : sommes-nous une victime d’un danger réel ou exagérons-nous le danger représenté par l’agression, le mépris ou l’indifférence de l’autre ?

Dans le premier cas la colère est là pour empêcher l’autre de nous faire du mal et dans le deuxième cas, la colère n’est pas réellement au service de nos vrais besoins.

Ce qui nous empêche de voir si le danger est réel ou non c’est que nous ne sommes pas conscients de ce qui se passe en nous à ce moment-là, et c’est notre violence intérieure que nous ne connaissons pas toujours qui place entre la réalité et nous-même un filtre déformant.

Extrait d'un article de Nicole Rothenbühler dans Non-Violence Actualité N° 332 - janvier-février 2014

Les échanges pour être honnêtes et transparents intègrent nécessairement le conflit, qui permet le bon fonctionnement de nos relations sociales. Le conflit est à distinguer de la violence. C’est la distinction entre la violence et le conflit qui permet de faire face durablement à la violence.

La haine et la violence prennent le plus souvent naissance dans la peur et le sentiment d’être une victime. La Thérapie Sociale travaille à partir de ces réalités émotionnelles pour aider les individus, les groupes sociaux à mieux vivre ensemble dans un premier temps, puis à s’organiser pour produire un changement collectif au sein de leur milieu professionnel (institutions ou autres), tout en se réalisant sur le plan personnel.


Les mots de « violence » et « conflit » sont souvent pris l’un pour l’autre et c’est une spécificité de la Thérapie Sociale que de les distinguer:

On parle des guerres comme de « conflits internationaux » et de violence lorsqu’un conflit s’exprime avec une certaine agressivité. La différence réside dans la représentation qu’on se fait de l’autre dans un conflit. Si lorsqu’il y a désaccord, dispute, on voit l’autre comme un être irréductiblement mauvais, incapable de changer, alors on est dans la violence et le passage à l’acte brutal devient possible.
Au contraire, « le conflit » peut, lui, s’exprimer avec agressivité, à la différence que l’autre existe dans son humanité, il n’est pas diabolisé, il ne représente pas le Mal. On pense qu’il peut changer. On n’est pas toujours conscient qu’on est dans la violence et qu’on diabolise l’autre quand on l’enferme dans une représentation et un jugement négatifs. Il est important de transformer les relations de violence en relations de conflit qui peuvent alors déboucher sur une solution.

La violence apparaît souvent quand le conflit n’est pas possible, quand il n’y a pas d’espaces pour exprimer les conflits inévitables dans toute relation humaine. La violence est présente quand il n’y a pas la confiance nécessaire pour se parler et oser dire ce qu’on pense réellement. C’est le cas dans la société, la politique, dans le monde du travail mais également dans les couples et les familles.

Face aux crises multiples, aux incertitudes et la mouvance rapide du monde, l’adaptabilité et la confiance en soi sont des ressources incontournables à développer pour que les membres d’une société parviennent à vivre dans une tranquillité relative, contribuant au bien-être.

Pourtant, cette relation aux autres et à nous-mêmes est souvent conflictuelle: les autres et l’environnement familial et social nous présentent en permanence des défis, des contradictions difficiles à gérer.


Une relation plus consciente avec nous-mêmes et avec les autres est la clé du vivre-ensemble. Ce qui dépend de nous, c’est comment nous réagissons aux blessures provoquées par les autres et l’environnement dans lequel nous vivons et comment nous proposons aux autres un cadre qui les amène à réagir de façon constructive.

Le besoin d'apprendre et de développer la capacité au conflit par opposition à la violence, c’est l’axe central et incontournable pour aborder les défis relationnels et sociétaux.

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