mardi 29 novembre 2016

articles médicaux

AVC : la génération X plus à risque que les baby-boomers
Vincent Bargoin

New Brunswick, Etats-Unis – L’augmentation de la fréquence des AVC chez les sujets de moins de 50 ans semble se confirmer. De nouveaux résultats en ce sens viennent d’être publiés dans le Journal de l’American Heart Association. Pour fixer les idées, l’incidence dans la tranche d’âge des 35-39 ans ayant fait un AVC a été multipliée par un facteur 2,5 entre les périodes 1995-1999 et 2010-2014 [1].

En France aussi
Un certain nombre d’études, y compris françaises, avaient déjà attiré l’attention sur ce phénomène. Le papier du JAHA cite ainsi l’étude de Khellaf et coll, qui, à partir des données collectées à Dijon entre 1985 et 2005, a montré une augmentation du risque d’AVC chez les hommes de moins de 60 ans entre 1992-1998 et 1999-2005 [2].

L’augmentation constatée chez les sujets jeunes laisse craindre une prochaine augmentation globale.

Cette évolution récente s’inscrit dans une perspective plus large. En fait, pour la génération née après-guerre, une diminution du nombre des AVC avait été observée. Jusqu’au tournant des années 2000, la maladie serait donc passée par un minimum. Mais si le taux d’AVC, entre 35 et 84 ans reste en diminution entre 1995 et 2014, l’augmentation constatée chez les sujets jeunes laisse craindre une prochaine augmentation globale.
On note que l’étude du JAHA s’intéresse aussi aux infarctus du myocarde (IDM-ST+), et que la tendance à la baisse, elle aussi rapportée dans un certain nombre de pays (notamment FAST-MI en France), se poursuit, mais de manière beaucoup plus marquée et dans toutes les tranches d’âge, contrairement à ce qui est observé pour les AVC.

Hypothèses diagnostiques
On s’interroge naturellement sur des causes du phénomène Et à dire vrai, on n’en trouve guère, hormis un effet de cisaillement entre les progrès des années 60 à aujourd’hui dans le domaine cardiovasculaire, et l’épidémie de diabète et de maladies métaboliques qui explose depuis les années 80.

Dans la diminution de l’âge de survenue des AVC, il reste donc difficile d’exclure complètement l’effet du progrès diagnostique.

Depuis 20 ans, les AVC augmentent chez les moins de 55 ans
L’étude publiée dans le JAHA a été menée dans les bases de données hospitalières du New Jersey. Les AVC ischémiques et les IDM-ST+ recensés entre 1995-2014 ont été stratifiés par tranches d’âge pour les périodes 1995-1999, 2000-2004, 2005-2009 et 2010-2014.

L’ensemble des AVC survenus dans une population de 35 à 84 ans est en diminution durant la période d’étude : 314 pour 100.000 personne/années (PA) en 1995-1999, et 271 pour 100.000 PA en 2010-2014. Les minimums sont toutefois rencontrés durant les périodes intermédiaires 2000-2004 et 2005-2009 (252,6 et 255,5 pour 100.000 PA), et ce profil est suggestif d’un rebond d’incidence
S’agissant des IDM-ST+, le recul est d’une part beaucoup plus important (de 206,4 en 1995-1999 à 84,7 pour 100.000 PA en 2010-2014). Mais surtout, les valeurs intermédiaires sont suggestives de la poursuite de la décroissance (134,4 et 88,6 pour 100.000 PA).

Si l’on s’intéresse maintenant aux incidences par tranche d’âge en fonction de la période, le résultat le plus spectaculaire est certainement le risque relatif d’AVC chez les 35-39 ans en 2010-2014 par rapport à la période 1995-1999 : 2,47 (IC95%[2,07-2,96] ; p<0,0001). Durant les 20 ans considérés, le taux d’AVC passe de 9,5 à 23,6 pour 100.000 PA. Et surtout, il progresse de manière continue, avec des valeurs intermédiaires de 10,5 et 17,2 pour 100.000 PA.

S’agissant des IDM-ST+ dans cette même tranche des 35-39 ans, l’évolution est également régulière, mais progresse en sens inverse : 21 ; 16,7 ; 14,6 ; 13,6 pour 100.000 PA.

Les mêmes évolutions sont retrouvées pour la tranche d’âge 40-44 ans (AVC : 22,9 ; 22,8 ; 31,1 ; 46 pour 100.000 PA – IDM-ST+ : 50,8 ; 35,8 ; 27,4 ; 29,2 pour 100.000 PA), ainsi que les tranches 45-49 et 50-54 ans.

Ce n’est qu’à partir de 55 ans que le taux d’AVC diminue de période en période.
« Les personnes nées entre 1945 et 1954 présentent un taux d’AVC ajusté sur l’âge plus faible que les personnes nées dans les 20 années qui précèdent ou dans les 20 années qui suivent », résument les auteurs. « Les taux d’IDM-ST+, au contraire, diminuent dans toutes les tranches d’âge, sur toute la période considérée ».

Les personnes nées entre 1945 et 1954 présentent un taux d’AVC ajusté sur l’âge plus faible que les personnes nées dans les 20 années qui précèdent ou dans les 20 années qui suivent—Les auteurs

Une augmentation des AVC, pourquoi ?
Tout se passe comme si, en une petite vingtaine d’années, la fréquence des AVC avait « remonté » une tranche d’âge. Les incidences de 23,6 et 46 pour 100.000 PA, observées en 2010-2014 dans les tranches 35-39 ans et 40-44 ans respectivement, étaient observées, en 1995-1999 dans les tranches d’âge 40-44 et 45-49 ans (22,9 et 45,5 pour 100.000 PA).

Commentant la courbe en U, et son minimum dans les classes d’âge nées entre 1945 et 1954, les auteurs indiquent que « par rapport aux cohortes de personnes nées antérieurement, la cohorte 1945-1954 fume moins et présente moins d’obésité ». Par ailleurs cette cohorte « a bénéficié des hypolipémiants, comme les statines, et des antihypertenseurs comme les IEC, plus tôt dans son existence que les cohortes précédentes. Malgré une prévalence du diabète déjà en augmentation, on restait loin des proportions épidémiques observées dans les cohortes plus tardives ».

La classe 1945-1954 a « probablement bénéficié des améliorations de la prévention et de la prise en charge des maladies cardiovasculaires », résument-ils.
Dans ces conditions, pourquoi l’inversion de courbe ?

« Pour les cohortes tardives, la tendance à la réduction de l’obésité se renverse, et l’augmentation de prévalence du diabète s’accélère beaucoup », constatent les auteurs. « Il a également été montré qu’en dépit des développements thérapeutiques, le contrôle de l’HTA et des lipides sanguins est plus faible parmi les sujets jeunes ». Par ailleurs, « l’observance est plus faible en l’absence de couverture sociale, situation qui est davantage celle des personnes nées après 1955 ».

Enfin, « la fibrillation atriale, un facteur de risque majeur d’AVC, a augmenté de manière continue chez les adultes jeunes, peut-être à cause de l’augmentation de l’obésité ».

« Ces facteurs peuvent aider à expliquer l’augmentation des taux d’AVC parmi les cohortes de personnes nées récemment », estiment les auteurs.

La fibrillation atriale, un facteur de risque majeur d’AVC, a augmenté de manière continue chez les adultes jeunes, peut-être à cause de l’augmentation de l’obésité –Les auteurs

Une évolution des AVC seulement ?
La formulation est prudente, et surtout, ces évolutions épidémiologiques n’expliquent pas le hiatus entre évolution des AVC ischémiques et évolution des infarctus coronaires.
Le découplage entre les deux pathologies ischémiques n’est d’ailleurs pas certain. Certes, les IDM-ST+ continuent de diminuer là où les AVC recommencent à augmenter, mais en fin de période d’étude, on constate un tassement de l’évolution des IDM. Peut-être la pathologie coronaire suit-elle simplement les AVC avec un certain retard à l’allumage.

On ne le saura pas avant quelques années, mais les auteurs ont un commentaire un peu sibyllin à ce propos. « Bien qu’il soit important de comprendre la différence entre l’évolution des taux d’AVC et d’IDM-ST+ chez les jeunes, il est également intéressant de constater la tendance au ralentissement du déclin des IDM-ST+ dans les tranches d’âge les plus jeunes. Cette tendance précoce pourrait avoir des implications significatives pour l’avenir ».

La vérité est qu’on ne sait pas précisément ce qui explique aujourd’hui l’avance de l’âge des AVC, ni si cette évolution est véritablement spécifique par rapport aux IDM. Ce qu’on sait en revanche, c’est que le phénomène se confirme, et des deux côtés de l’Atlantique.

Pr Marie-France Hivert, Pr Ronan Roussel
Les déterminants génétiques permettraient-il de mieux prédire le développement de complications ou d’un futur  diabète de type 2 chez les femmes enceintes? Ronan Roussel interroge Marie-France Hivert sur ses travaux présentés lors du dernier congrès de l’ American Diabetes Association (ADA) 2016.

Enregistré le 13 juin 2016, à la Nouvelle-Orléans, LA, É.-U.

TRANSCRIPTION
Ronan Roussel (RR): Bonjour, je suis le professeur Ronan Roussel, de l’Hôpital Bichat à Paris. Je suis heureux d’accueillir aujourd’hui sur le plateau de Medscape, au congrès de l’ADA à la Nouvelle Orléans, Marie-France Hivert, assistant professor à l’école de médecine de Harvard.
Objectifs de l’étude et population
RR: Vous avez présenté des résultats sur les déterminants génétiques du risque de diabète partagés en dehors et pendant la grossesse. [1] Alors qu’est-ce que cela signifie puisque la génétique est la même en dehors et pendant la grossesse?

Marie-France Hivert (MFH): Oui, il y a eu beaucoup d’investigations pour découvrir les déterminants génétiques, autant ceux du diabète de type 2 que ceux qui contrôlent le glucose et l’insuline, dans la population générale. Mais il y a eu très peu d’études qui ont été faites chez les femmes enceintes en particulier. Pendant la grossesse, il y a un changement majeur de la régulation du glucose et de l’insuline. De plus, une des choses qu’on voit chez toutes les femmes enceintes, c’est une diminution de la sensibilité à l’insuline; cela fait partie de la physiologie normale de la grossesse. Donc on était intéressé à comprendre si les déterminants génétiques qui sont connus hors grossesse sont aussi actifs pendant la grossesse, étant donné ces changements majeurs.

RR: Donc la population de cette étude était des femmes non diabétiques avant la grossesse et qui avaient développé, ou non pour les contrôles, un diabète gestationnel.

MFH: En effet, la population qu’on a étudiée est une cohorte de femmes enceintes au Canada qui étaient toutes en santé au début de leur grossesse, et une certaine proportion de ces femmes ont développé un diabète gestationnel.

Les variants déterminés dans le diabète de type 2 ont-ils une pertinence dans le diabète gestationnel?

RR: Comme vous l’avez mentionné, on connait déjà beaucoup de choses sur la propension génétique à développer du diabète, le diabète de type 2 commun. On sait qu’il y a une multitude de variants, certains plutôt associés avec une défaillance de l’insulinosécrétion, certains favorisant le développement de l’insulinorésistance. Est-ce que ces variants déterminés dans le diabète de type 2 ont une pertinence pour le diabète gestationnel?

MFH: Ce qu’on a trouvé, c’est qu’en groupe, ces variants [prédictifs de développer un] diabète de type 2 sont aussi prédictifs de développer un diabète gestationnel -- diabète gestationnel de type commun qu’on détecte par la mesure du glucose lors d’un test de tolérance orale. Mais on a été plus loin pour mieux comprendre les phénomènes d’insulinorésistance et de sécrétion d’insuline. On a sous-divisé les femmes selon que leur diabète de grossesse était causé par un défaut de sensibilité à l’insuline ou un défaut de sécrétion. Ce qu’on a trouvé c’est que les déterminants génétiques du diabète de type 2 sont surtout présents chez les femmes qui ont un défaut de sécrétion d’insuline. Et donc ces femmes seraient probablement plus à risque de développer un diabète de type 2 après leur grossesse, même si elles étaient tout à fait normales avant leur grossesse

RR: Comment vous y êtes pris pour séparer cette population de femmes avec diabète de la grossesse, plutôt sur le versant « insulinosécrétion-défaillante » ou plutôt « insulino-résistance majorées », au cours de leur grossesse? Et quelle est la proportion plutôt de l’un ou plutôt de l’autre, même si j’imagine qu’il y a un mixe des deux?

MFH: On a basé nos sous-catégories en utilisant des mesures répétées de glucose et d’insuline pendant le test oral de glucose, puis on a dérivé des indices qui sont validés. On a trouvé qu’environ 50% des femmes avec un diabète gestationnel avait surtout un défaut de résistance ou un défaut de sensibilité à l’insuline, et donc il y avait une résistance augmentée. Environ 30% avaient un défaut isolé de sécrétion d’insuline, puis 20% avaient les deux défauts qui semblaient contribuer à la pathologie du diabète gestationnel.

RR: Et avant d’évoquer les effets des déterminants génétiques, est-ce que les facteurs classiques de diabète, en particulier l’indice de masse corporelle, permettaient avant la grossesse ou précocement dans la grossesse, de classer les femmes en fonction de ces défauts?

MFH: En effet, les femmes qui avaient un défaut de sensibilité à l’insuline avaient un indice de masse corporelle plus élevé que les autres catégories. La chose qu’il faut aussi souligner, et qui est dans l’article que nous avons publié cette année dans Diabetes Care [2], c’est que ces femmes qui ont un défaut de sensibilité à l’insuline sont aussi celles qui sont plus à risque de complications du diabète gestationnel -- donc d’avoir des bébés plus gros à la naissance, d’avoir plus de risque de nécessiter une césarienne -- même si on corrige leur indice de masse corporelle. Donc la prochaine étape serait d’essayer de comprendre quels sont les facteurs qui contribuent à cette résistance à l’insuline ou défaut de sensibilité à l’insuline pendant la grossesse, et de savoir si quand on les comprend mieux, est-ce qu’on pourrait les traiter. Parce que toutes les femmes avec un diabète gestationnel qui étaient inclues dans l’étude ont été traitées, et traitées de la même façon. Les femmes avec un défaut de sécrétion n’avaient pas ce niveau de complication, le traitement du glucose a réduit leurs complications; mais le traitement du glucose chez les femmes avec un défaut de sensibilité ne semble pas complètement normaliser leur risque de complications.

Quel intérêt en pratique clinique ?
RR: On comprend bien que c’est pour mieux comprendre ce qui se passe et éventuellement les complications pour le bébé à naitre. Est-ce que d’un côté pratique on peut imaginer que la détermination génétique peut précocement, et même avant la grossesse puisque les gènes sont déjà là, avoir un impact clinique pour mieux classer les femmes? Aujourd’hui, on fait une HGPO de façon quasiment universelle lors de la grossesse. À quoi bon prédire les choses? Ou est-ce que vous pensez que la pertinence sera un jour que, oui, il faudra aller dans cette direction-là?

MFH: Je pense que pour ce qui concerne les femmes qui développent un diabète gestationnel, ce serait bien de catégoriser, et les gènes pourraient être une façon d’aider à catégoriser. Il semble que ces femmes qui ont un défaut de sécrétion et qui portent aussi une augmentation des gènes qui prédisposent au diabète de type 2, si on les traite de façon normale, elles ne développeront pas de complications. On pourrait dont peut-être relâcher un peu leur suivi tout en contrôlant très bien leur glucose. Mais ce qui va être important ce sera de les suivre après la grossesse pour détecter si elles développent un diabète de type 2. Concernant les autres femmes qui ont un IMC élevé et une sensibilité à l’insuline diminuée, il faudrait peut-être les contrôler plus agressivement ou découvrir quels autres facteurs contribuent aux complications.

RR: D’accord. Donc la perspective clinique n’est peut-être pas tant d’identifier très tôt mais plutôt d’orienter la prise en charge thérapeutique et de faire porter les efforts là où ils sont le plus efficaces.

MFH: On a vu aussi que les gènes de diabète de type 2 prédisent qui va développer le diabète gestationnel dans toute la population, mais la plupart du temps les facteurs cliniques sont aussi une bonne façon de prédire. Dans une prochaine étude il faudrait comparer les deux approches, seulement par génétique versus génétique en plus des facteurs cliniques.

RR: Oui, il n’y a pas de raison effectivement de renoncer aux facteurs cliniques, auxquels de toute façon on aura accès comme initialement. Je vous remercie beaucoup pour cette présentation et à très bientôt.

LIENS
Diabète : une association de Lantus et de Lyxumia approuvée par la FDA
Vincent Bargoin

Paris, France – Un communiqué de Sanofi annonce que la FDA vient d’approuver Soliqua® 100/33, une association d’insuline glargine (Lantus®, Sanofi) et d’un agoniste GLP-1, le lixisénatide (Lyxumia®, Sanofi), destinée au traitement des diabétiques de type 2 insuffisamment contrôlés par l’insuline seule ou lixisénatide.

Cette approbation repose sur un programme de phase 3 portant sur plus de 1900 patients. Le communiqué de Sanofi cite notamment une étude d’intensification de la dose d’insuline, dans laquelle Soliqua® a permis d’abaisser l’HbA1c en dessous du seuil de 7% chez 55% des patients après 30 semaines de traitement, contre 30% avec la seule insuline glargine. L’incidence des hypoglycémies est par ailleurs comparable sous Lantus® et sous Soliqua®. Outre les hypoglycémies, des nausées (10 %), des rhinopharyngites (7 %), des diarrhées (7 %) et des infections des voies respiratoires supérieures (5 %), sont rapportées sous Soliqua® [1].

Le traitement, sera disponible aux Etats-Unis en janvier 2017, et présenté dans un stylo prérempli, délivrant une dose quotidienne comprise entre 15 et 60 unités d’insuline glargine 100 unités/ml et entre 5 et 20 microgrammes de lixisénatide.

Sanofi indique que le dossier d’enregistrement de Soliqua® a également été déposé auprès de l’European Medicine Agency. Le Comité des médicaments à usage humain de l’Agence a émis le 11 novembre un avis favorable.

REFERENCE :
1. Aroda VR, et al. Diabetes Care. 2016, DOI: 10.2337/dc16-1495.
LIENS


Diabète gestationnel: des variants génétiques pour prédire les complications?
Pr Marie-France Hivert, Pr Ronan Roussel
Les déterminants génétiques permettraient-il de mieux prédire le développement de complications ou d’un futur  diabète de type 2 chez les femmes enceintes? Ronan Roussel interroge Marie-France Hivert sur ses travaux présentés lors du dernier congrès de l’ American Diabetes Association (ADA) 2016.

Enregistré le 13 juin 2016, à la Nouvelle-Orléans, LA, É.-U.
TRANSCRIPTION

Ronan Roussel (RR): Bonjour, je suis le professeur Ronan Roussel, de l’Hôpital Bichat à Paris. Je suis heureux d’accueillir aujourd’hui sur le plateau de Medscape, au congrès de l’ADA à la Nouvelle Orléans, Marie-France Hivert, assistant professor à l’école de médecine de Harvard.
Objectifs de l’étude et population

RR: Vous avez présenté des résultats sur les déterminants génétiques du risque de diabète partagés en dehors et pendant la grossesse. [1] Alors qu’est-ce que cela signifie puisque la génétique est la même en dehors et pendant la grossesse?

Marie-France Hivert (MFH): Oui, il y a eu beaucoup d’investigations pour découvrir les déterminants génétiques, autant ceux du diabète de type 2 que ceux qui contrôlent le glucose et l’insuline, dans la population générale. Mais il y a eu très peu d’études qui ont été faites chez les femmes enceintes en particulier. Pendant la grossesse, il y a un changement majeur de la régulation du glucose et de l’insuline. De plus, une des choses qu’on voit chez toutes les femmes enceintes, c’est une diminution de la sensibilité à l’insuline; cela fait partie de la physiologie normale de la grossesse. Donc on était intéressé à comprendre si les déterminants génétiques qui sont connus hors grossesse sont aussi actifs pendant la grossesse, étant donné ces changements majeurs.

RR: Donc la population de cette étude était des femmes non diabétiques avant la grossesse et qui avaient développé, ou non pour les contrôles, un diabète gestationnel.

MFH: En effet, la population qu’on a étudiée est une cohorte de femmes enceintes au Canada qui étaient toutes en santé au début de leur grossesse, et une certaine proportion de ces femmes ont développé un diabète gestationnel.

Les variants déterminés dans le diabète de type 2 ont-ils une pertinence dans le diabète gestationnel?

RR: Comme vous l’avez mentionné, on connait déjà beaucoup de choses sur la propension génétique à développer du diabète, le diabète de type 2 commun. On sait qu’il y a une multitude de variants, certains plutôt associés avec une défaillance de l’insulinosécrétion, certains favorisant le développement de l’insulinorésistance. Est-ce que ces variants déterminés dans le diabète de type 2 ont une pertinence pour le diabète gestationnel?

MFH: Ce qu’on a trouvé, c’est qu’en groupe, ces variants [prédictifs de développer un] diabète de type 2 sont aussi prédictifs de développer un diabète gestationnel -- diabète gestationnel de type commun qu’on détecte par la mesure du glucose lors d’un test de tolérance orale. Mais on a été plus loin pour mieux comprendre les phénomènes d’insulinorésistance et de sécrétion d’insuline. On a sous-divisé les femmes selon que leur diabète de grossesse était causé par un défaut de sensibilité à l’insuline ou un défaut de sécrétion. Ce qu’on a trouvé c’est que les déterminants génétiques du diabète de type 2 sont surtout présents chez les femmes qui ont un défaut de sécrétion d’insuline. Et donc ces femmes seraient probablement plus à risque de développer un diabète de type 2 après leur grossesse, même si elles étaient tout à fait normales avant leur grossesse

RR: Comment vous y êtes pris pour séparer cette population de femmes avec diabète de la grossesse, plutôt sur le versant « insulinosécrétion-défaillante » ou plutôt « insulino-résistance majorées », au cours de leur grossesse? Et quelle est la proportion plutôt de l’un ou plutôt de l’autre, même si j’imagine qu’il y a un mixe des deux?

MFH: On a basé nos sous-catégories en utilisant des mesures répétées de glucose et d’insuline pendant le test oral de glucose, puis on a dérivé des indices qui sont validés. On a trouvé qu’environ 50% des femmes avec un diabète gestationnel avait surtout un défaut de résistance ou un défaut de sensibilité à l’insuline, et donc il y avait une résistance augmentée. Environ 30% avaient un défaut isolé de sécrétion d’insuline, puis 20% avaient les deux défauts qui semblaient contribuer à la pathologie du diabète gestationnel.

RR: Et avant d’évoquer les effets des déterminants génétiques, est-ce que les facteurs classiques de diabète, en particulier l’indice de masse corporelle, permettaient avant la grossesse ou précocement dans la grossesse, de classer les femmes en fonction de ces défauts?

MFH: En effet, les femmes qui avaient un défaut de sensibilité à l’insuline avaient un indice de masse corporelle plus élevé que les autres catégories. La chose qu’il faut aussi souligner, et qui est dans l’article que nous avons publié cette année dans Diabetes Care [2], c’est que ces femmes qui ont un défaut de sensibilité à l’insuline sont aussi celles qui sont plus à risque de complications du diabète gestationnel -- donc d’avoir des bébés plus gros à la naissance, d’avoir plus de risque de nécessiter une césarienne -- même si on corrige leur indice de masse corporelle. Donc la prochaine étape serait d’essayer de comprendre quels sont les facteurs qui contribuent à cette résistance à l’insuline ou défaut de sensibilité à l’insuline pendant la grossesse, et de savoir si quand on les comprend mieux, est-ce qu’on pourrait les traiter. Parce que toutes les femmes avec un diabète gestationnel qui étaient inclues dans l’étude ont été traitées, et traitées de la même façon. Les femmes avec un défaut de sécrétion n’avaient pas ce niveau de complication, le traitement du glucose a réduit leurs complications; mais le traitement du glucose chez les femmes avec un défaut de sensibilité ne semble pas complètement normaliser leur risque de complications.

Quel intérêt en pratique clinique ?
RR: On comprend bien que c’est pour mieux comprendre ce qui se passe et éventuellement les complications pour le bébé à naitre. Est-ce que d’un côté pratique on peut imaginer que la détermination génétique peut précocement, et même avant la grossesse puisque les gènes sont déjà là, avoir un impact clinique pour mieux classer les femmes? Aujourd’hui, on fait une HGPO de façon quasiment universelle lors de la grossesse. À quoi bon prédire les choses? Ou est-ce que vous pensez que la pertinence sera un jour que, oui, il faudra aller dans cette direction-là?

MFH: Je pense que pour ce qui concerne les femmes qui développent un diabète gestationnel, ce serait bien de catégoriser, et les gènes pourraient être une façon d’aider à catégoriser. Il semble que ces femmes qui ont un défaut de sécrétion et qui portent aussi une augmentation des gènes qui prédisposent au diabète de type 2, si on les traite de façon normale, elles ne développeront pas de complications. On pourrait dont peut-être relâcher un peu leur suivi tout en contrôlant très bien leur glucose. Mais ce qui va être important ce sera de les suivre après la grossesse pour détecter si elles développent un diabète de type 2. Concernant les autres femmes qui ont un IMC élevé et une sensibilité à l’insuline diminuée, il faudrait peut-être les contrôler plus agressivement ou découvrir quels autres facteurs contribuent aux complications.

RR: D’accord. Donc la perspective clinique n’est peut-être pas tant d’identifier très tôt mais plutôt d’orienter la prise en charge thérapeutique et de faire porter les efforts là où ils sont le plus efficaces.
MFH: On a vu aussi que les gènes de diabète de type 2 prédisent qui va développer le diabète gestationnel dans toute la population, mais la plupart du temps les facteurs cliniques sont aussi une bonne façon de prédire. Dans une prochaine étude il faudrait comparer les deux approches, seulement par génétique versus génétique en plus des facteurs cliniques.

RR: Oui, il n’y a pas de raison effectivement de renoncer aux facteurs cliniques, auxquels de toute façon on aura accès comme initialement. Je vous remercie beaucoup pour cette présentation et à très bientôt.

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Diabète : une association de Lantus et de Lyxumia approuvée par la FDA
Vincent Bargoin

Paris, France – Un communiqué de Sanofi annonce que la FDA vient d’approuver Soliqua® 100/33, une association d’insuline glargine (Lantus®, Sanofi) et d’un agoniste GLP-1, le lixisénatide (Lyxumia®, Sanofi), destinée au traitement des diabétiques de type 2 insuffisamment contrôlés par l’insuline seule ou lixisénatide.

Cette approbation repose sur un programme de phase 3 portant sur plus de 1900 patients. Le communiqué de Sanofi cite notamment une étude d’intensification de la dose d’insuline, dans laquelle Soliqua® a permis d’abaisser l’HbA1c en dessous du seuil de 7% chez 55% des patients après 30 semaines de traitement, contre 30% avec la seule insuline glargine. L’incidence des hypoglycémies est par ailleurs comparable sous Lantus® et sous Soliqua®. Outre les hypoglycémies, des nausées (10 %), des rhinopharyngites (7 %), des diarrhées (7 %) et des infections des voies respiratoires supérieures (5 %), sont rapportées sous Soliqua® [1].

Le traitement, sera disponible aux Etats-Unis en janvier 2017, et présenté dans un stylo prérempli, délivrant une dose quotidienne comprise entre 15 et 60 unités d’insuline glargine 100 unités/ml et entre 5 et 20 microgrammes de lixisénatide.

Sanofi indique que le dossier d’enregistrement de Soliqua® a également été déposé auprès de l’European Medicine Agency. Le Comité des médicaments à usage humain de l’Agence a émis le 11 novembre un avis favorable.

REFERENCE :
1. Aroda VR, et al. Diabetes Care. 2016, DOI: 10.2337/dc16-1495.
LIENS



Stéphanie Bonnefille : « On en a plein de mots sur l’écologie, mais on n’a pas le récit »

Stéphanie Bonnefille : « On en a plein de mots sur l’écologie, mais on n’a pas le récit »

Stéphanie Bonnefille : « On en a plein de mots sur l’écologie, mais on n’a pas le récit »

19 novembre 2016 Entretien avec Stéphanie Bonnefille 

  

    
Comment parler de la crise écologique en se faisant entendre ? Aux Etats-Unis comme en France, les mots de l’environnement induisent des représentations biaisées ou démotivantes. Nos sociétés manquent d’un récit à même de les mettre en mouvement.
Stéphanie Bonnefille est enseignante-chercheuse en linguistique au département d’anglais de l’université Bordeaux-Montaigne. Ses recherches portent notamment sur la construction des discours politiques sur l’environnement. Elle est l’auteur d’un livre d’entretiens avec Noël Mamère,Les Mots verts. Pour un langage de l’écologie politique.


Reporterre — En tant qu’universitaire, qu’est-ce qui vous intéresse dans les discours politiques portant sur le réchauffement climatique et l’écologie ?
Stéphanie Bonnefille — Le domaine de recherche dans lequel s’inscrivent mes travaux de recherche est celui de la linguistique cognitive, élaborée à Berkeley par George Lakoff et son équipe. Le postulat de départ est que la métaphore n’est pas qu’affaire de poésie et de littérature. Plus qu’une figure de style, c’est une figure de pensée, qui donne accès à certains fonctionnements de la cognition. J’aime pratiquer une linguistique branchée sur le monde, voir comment le sens se construit. Donc, j’applique cette théorie en l’associant à des outils de rhétorique, afin de m’interroger sur les systèmes de représentation qui sont activés dans le discours.
J’ai grandi près de Font-Romeu, dans les Pyrénées-Orientales, proche de la nature, que j’ai prise pour acquise. C’est bien plus tard, dans une vie citadine, que j’ai mesuré l’ampleur des dégâts et que je me suis dit qu’avec ce métier, je pouvais peut-être ajouter ma contribution en réorientant mes travaux dans la direction de la crise climatique, des énergies et des processus d’écoblanchiment.
Étant linguiste et angliciste de formation, le premier travail a consisté à analyser les huit discours sur l’état de l’Union de G. W. Bush, en me focalisant sur les passages portant sur l’environnement. Je me suis aperçue que, dans ces discours, le thème de l’environnement était la porte d’entrée pour aborder la politique énergétique. J’ai vu à quel point le premier thème était instrumentalisé pour servir le second.

Comment les questions environnementales ont-elles été traitées durant la récente campagne présidentielle aux États-Unis ?
Elles ont été absentes du premier débat entre les candidats Trump et Clinton. Sauf lorsque Hillary Clinton a évoqué rapidement la création de « green jobs », salvateurs pour le pays, et l’expansion du photovoltaïque. Mais, rappelons que la fracturation hydraulique ne l’a jamais inquiétée, et qu’elle ne s’est pas opposée non plus à la création de l’oléoduc XL Keystone.
Quant à Trump, il a lancé sur une chaîne télévisée américaine en août dernier : « Je ne suis pas un grand croyant du changement climatique induit par l’homme. » Au sujet de la hausse des températures, il a ajouté : « It goes up, it goes down », « ça monte, ça descend ». Autrement dit, « c’est comme ça » ! Celui qui candidate au poste le plus puissant de la planète affirme au fil de sa campagne que le changement climatique est un « hoax » inventé par les Chinois, c’est-à-dire une intox, une conspiration. Il appartient à la catégorie des climatosceptiques. Voilà un mot à bannir : au-delà de ce qu’il évoque, c’est en réalité un abus de langage, car ces hommes savent, ils mentent et optent pour le négationnisme. Appelons-les donc par leur nom : des « climatomenteurs », qui agitent le spectre de la conspiration pour rallier les citoyens à leur cause, celle des industries fossiles et des lobbys pétroliers.
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Le mode de vie étasunien est indissociable de la voiture individuelle.
D’ailleurs, voyant la cause pour l’environnement se déliter par le biais de Trump, 375 scientifiques membres du National Academy of Sciences se sont récemment adressés aux candidats à la présidentielle dans une lettre ouverte, pour rappeler que le réchauffement n’est pas une intox.

Auparavant, vous aviez analysé les discours d’Obama, notamment au sujet de la marée noire dans le golfe du Mexique en 2010. Qu’y aviez-vous remarqué ?
D’abord, le contexte. Quand on touche au pétrole aux États-Unis, on touche à quelque chose de tabou. Tabou parce que totem : la consommation d’énergie de ce pays se répartit en 40 % de pétrole, 23 % de gaz, 23 % de charbon, soit presque 90 % d’énergies fossiles. Les villes américaines ont été construites alors que la voiture existait déjà, ou presque. Et le pays est 15 fois plus grand que le nôtre. Les Américains prennent l’avion comme nous, Français, prenons le train. Enfin, le lobby pétrolier est extrêmement puissant aux États-Unis, et n’oublions pas qu’Obama a été le candidat le plus financé par British Petroleum pour sa campagne présidentielle.
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L’incendie de la plateforme Deepwater Horizon, en 2010.
Quand la plateforme Deepwater Horizon a explosé le 20 avril 2010, il n’y a pas eu de discours officiel adressé à la nation, mais des sortes de bribes médiatiques. Les habitants du golfe se disent : « Mais qu’est-ce qu’il fait ? Le pétrole se répand [plus de 3 millions de barils avant que la fuite ne soit colmatée, au bout de trois mois] ; on ne sait plus quoi faire pour l’éliminer ; le tourisme est mort et la pêche à la crevette aussi ; on n’a jamais vécu pareil drame, et il fait de petits discours çà et là ! » Finalement, Obama s’est adressé à la nation depuis le Bureau ovale le 15 juin, expliquant que c’était la pire catastrophe environnementale de l’histoire du pays, qu’il fallait mettre l’accent sur les énergies propres et que, pour l’heure, l’administration avait un « plan de bataille » : tout nettoyer. Ça s’appelait le « cleanup operation ». Le site web alors mis en place afin de tenir les citoyens informés sur l’opération de nettoyage affirmait, dans une transparence douteuse, que tout était sous contrôle.

Le même tabou joue-t-il au sujet de la fracturation hydraulique et des forages non conventionnels ?
Sous Bush le fils, on s’inquiétait beaucoup de la dépendance énergétique du pays, car le pétrole était importé du Moyen-Orient. Est arrivé le 11 Septembre : les discours présidentiels se sont colorés de l’idée que, en matière d’énergie, les États-Unis dépendent d’un méchant qui leur veut du mal. Donc, la dépendance énergétique était synonyme d’insécurité sur le sol américain.
Quelques années plus tard, Obama a expliqué qu’avec la fracturation hydraulique et les forages non conventionnels, les États-Unis allaient accéder à l’indépendance énergétique. Qui plus est, ils seraient exportateurs de pétrole. Voilà donc un nouvel eldorado dans un pays frappé par la récession.
Cette dichotomie, entre les notions de « dépendance » dans le discours de G. W. Bush, et d’« indépendance » chez Obama, est très intéressante, parce que ces mots renvoient à des représentations et à des scénarios qui sont complètement différents. Si le premier est anxiogène, le deuxième est porteur d’espoir, de sécurité énergétique… et de dollars. Cela dit, en France, nous avons connu cette dichotomie après le premier puis le deuxième choc pétrolier : sous Pompidou puis Valéry Giscard d’Estaing, il fallait se défaire du pétrole pour accéder à cette fameuse indépendance énergétique. D’où le nucléaire civil.
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Opération de fracturation hydraulique dans le Dakota du Nord, en 2011.
Aujourd’hui, les reportages sur la fracturation hydraulique, par exemple dans le Dakota du Nord, montrent qu’il s’agit d’une deuxième ruée vers l’or, au sens littéral. Des gens, des hommes généralement, partent avec rien pour se faire une fortune, prêts à s’entasser dans des maisons mobiles pour exploiter ce pétrole, nettoyant leurs camions-citernes à la sauvette dans des rivières pour gagner du temps et être encore plus rentables. Comme lorsqu’ils partaient vers l’ouest des États-Unis avec leur carriole et leur tente. C’est la réactivation du mythe des pionniers du milieu du XIXe siècle.

Avec Noël Mamère, vous analysez les différentes manières dont le personnel politique et médiatique raconte la crise environnementale. Quelles sont-elles ?
Il y a le catastrophisme, qui n’est pas du tout vendeur. C’est une des raisons pour lesquelles le documentaire de Nicolas Hulot, Le Syndrome du Titanic, n’a pas marché. Il faisait trop peur. Et puis, les gens n’ont pas envie de se sentir coupables. D’ailleurs, Nicolas Hulot a changé sa tactique de communication depuis. On l’a vu lors de sa campagne « Osons », juste avant la COP21, où il se met en scène dans un clip humoristique.
Il y a le récit guerrier : on personnifie le climat ou le réchauffement, on donne corps et âme à ce phénomène, qui devient une personne contre qui se battre. Pourquoi pas, puisque les tropes [Emploi d’un mot ou d’une expression dans un sens figuré, NDLR] servent à rendre tangible quelque chose qui l’est difficilement, à frapper les esprits. Mais, pourquoi tout le temps mobiliser la pensée et le raisonnement par l’image de la guerre ? C’est quelque chose contre quoi je m’élève. Car, à partir du moment où vous activez le cadre de connaissance de la guerre, vous activez aussi des mécanismes de représentation, de catégorisation, de raisonnement guerriers. Et, alors là, c’est fichu : comment pouvez-vous faire machine arrière dans l’esprit des gens ? Impossible. Et je pense que cela peut conduire à faire la guerre dans les faits, même si on pourra me rappeler que les activistes Greenpeace se revendiquent ecowarriors [guerriers de l’écologie]. Pourquoi ne peut-on pas porter un discours pacifiste et laisser la guerre, la vraie, là où elle est ?
Comme la sauce ne prend pas, ou mal, avec les nombreuses tonalités déjà essayées, le récit spirituel a récemment été testé aussi : certains experts en communication, spin doctors et storytellers, se disent que parler au cœur plutôt qu’à la raison, faire raisonner cette spiritualité perdue en quelque sorte, ça peut fonctionner. Pensons à Nicolas Hulot, qui avait rassemblé plusieurs chefs d’État en juillet 2015, en vue de la COP21, autour d’un cycle de conférences intitulé le Sommet des consciences. Qu’en penser ?

Une autre image que l’on rencontre souvent est celle de l’« écologie punitive », qui serait faite d’interdictions et d’austérité. Vous écrivez par exemple que le terme « décroissance » évoque pour beaucoup de gens une société « où le plaisir (la jouissance) n’aurait pas sa place ou, pire, serait interdit ».
Le mot « décroissance » fait peur et certains partisans de ce slogan ont du mal à entendre ce point, d’ailleurs, qu’ils interprètent comme un refus de changer les choses ou une preuve de candeur. Ce n’est pas le bon mot pour traduire l’idée qu’il porte, les gens ne sont pas prêts. Donc, sur le plan des représentations, c’est de l’ordre de la bourde.
Les gens ne comprennent pas très bien de quoi il s’agit. Et en général, de la même façon que l’on préférera « propre » à « sale », on aimera davantage « croissance » à « décroissance ». Sur le plan conceptuel, « plus », c’est « mieux » ; croître, c’est mieux. Si je vous dis que vous allez rapetisser, que votre maison, votre voiture, votre niveau de vie vont rapetisser, vous n’allez pas vouloir vivre dans ce monde de lilliputiens !
Et pourtant, le concept de « less is more » (moins est plus), « small is beautiful » (le petit est beau), ça marche ! Car, tant qu’on a du plus et du joli, finalement, ça va. C’est une question de représentations : « Plus, c’est mieux. » Mais, si l’on peut parvenir à avoir plus avec moins, joli avec petit, alors d’accord. Et maintenant, on vante les « légumes moches » et les « dumb phones », et c’est accepté. C’est pour cela que j’ai beaucoup apprécié L’Âge des Low Tech, de Philippe Bihouix, qui fait appel à la raison et non aux émotions, au changement et non à la frustration, pour nous inviter à renverser la vapeur. Savoir mettre en mots, c’est crucial pour ne pas effrayer les cibles. Et travailler la communication n’est pas forcément vendre son âme au diable, on le sait depuis Aristote !

Comment reconstruire une image positive de l’écologie ?
Aujourd’hui, on en a plein de mots sur l’écologie, qui sont comme des photos, mais on n’a pas le film. Voilà ce qui manque, ce fameux récit. Je ne suis pas la seule à le dire, mais je le dis de mon point de vue de linguiste. Il faut qu’on invente, mais on est dans un vide total, saisis par la peur et par ce que nous vendent les médias comme à la fois urgence climatique et en même temps statu quo dans les faits.
Il existe un jeu pour enfants très à la mode aux États-Unis en ce moment : vous lancez neuf dés, qui ont un dessin sur chaque face et, selon la face sur laquelle ils tombent, vous devez imaginer une histoire. Pour l’écologie, c’est pareil : on a les dés et leurs faces, mais on peine à trouver la juxtaposition de ces faces entre elles, la syntaxe à faire partager, celle qui active des représentations qui mènent à une prise de conscience, à une acceptation, à des actes.
Une solution serait de rassembler des acteurs de divers horizons, qui partagent cette même préoccupation pour la crise climatique, afin d’élaborer ce récit. Il me semble important de partir du "bas", des militants et associations qui agissent sur le terrain mais qui n’ont pas forcément le temps ou l’envie de mettre tout cela en forme. Donner une configuration, une syntaxe, un poids en termes de communication à ces investissements multiples et travailler à faire émerger un récit audible, comme le fait déjà Alternatiba par exemple, c’est ce vers quoi j’ai envie de me diriger.

samedi 26 novembre 2016



ce soir au téléphone nous voulions une définition du verbe manger, n’ayant rien trouvé j’ai pensé à vous que je suis depuis bien nombres d’années, et je me suis mise à lire votre débat sur « manger pour vivre et vivre pour manger », je précise que nous sommes toutes les deux anorexiques dues à des maltraitances et mon amie que je nommerai pas par respect pour elle a comme moi beaucoup de mal à manger pour vivre. J’ai vu d’ailleurs que vous traitiez l’anorexie, cette maladie vicieuse que les gens ne comprennent toujours pas ou font semblant. Bref, j’ai lu et j’ai apprécié la valeur de ce débat qui j’espère nous aidera dans notre combat au quotidien. Je crois avoir fait du bien à mon amie et à moi-même par la même occasion. Alors je vous remercie de mettre à la portée de tous des textes et débats construits et constructifs pour qui prend la peine de les lire. je savais tout ça mais une piqûre de rappel est toujours positif. j’ai longtemps travaillé en psychiatrie et connaît bien le problème de l’alimentation à l’excès ou inexistant. je souhaite que le café-philo continue et dure dans le temps. à très vite de vous lire.  A lire le livre de Claude Pujade-Renaud : Sous les mets, les mots, où les expériences psychologiques liées aux mets sont finement décrites.



Faut-il manger pour vivre, ou vivre pour manger?
Publié le 2 février 2013 par cafes-philo
Fruits d’automne. Gaston Hammanovick. 1932. Collection particulière.
Restitution du débat du Café-philo
du 12 décembre 2012 à Chevilly-Larue.
Animateurs : Guy Pannetier, Danielle Vautrin, Guy Philippon.
Introduction : Florence Desvergnes

Introduction : L’expression :  « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » a été attribuée à Socrate. Son sens était qu’il ne faut pas passer son temps à manger. Plus tard, reprise par Molière dans L’avare, ce sera plutôt une diatribe dirigée contre l’avarice et prise dans le sens ironique.

Pour nous, ce soir, c’est juste un prétexte pour parler du rôle du repas dans nos sociétés.
L’humain est un animal social, et donc le seul animal qui a donné une valeur symbolique au repas. Dans les expressions connues, on trouve notamment :  « on dresse la table » ; quand on avoue, « on se met à table » ; si l’on veut choquer, « on met les pieds dans le plat ». Les métaphores culinaires sont nombreuses.

La place du repas est importante dans notre vie, parce qu’on estime que, dans une vie moyenne, on consomme environ 55.000 repas. Au départ, effectivement, manger est une nécessité de survie. Mais l’homme, qui est un animal grégaire, a très vite remarqué que c’était un lien social. Le premier lien social lié à la nourriture remonte à la cueillette, puis la chasse, où il fallait se mettre en bande.
Ensuite, nous avons lié les nourritures terrestres et les nourritures de l’esprit. De fait, il n’y a pas d’événement sans repas : mariage, baptême, communion, et jusqu’aux enterrements et même au café-philo !

Quand on avait des dieux qui étaient proches des hommes, il existait la symbolique du sacrifice ; on commençait par partager le repas avec les dieux. Puis la symbolique du repas va évoluer avec les religions monothéistes, où, dans le christianisme, c’est Dieu en quelque sorte qui se donnait à manger. Au fur et à mesure que ce dernier a pris son omnipotence, il s’est éloigné des hommes, il en reste la symbolique de l’eucharistie. Dans le cadre social et religieux, les chrétiens commençaient toujours un repas par “Mon Dieu, bénissez ce repas !”

Donc, le repas, qui n’est pas uniquement lié à la survie, est un lien humain. Lorsque l’enfant vient au monde, son premier lien social, c’est la tétée ; c’est son premier contact avec l’humanité. Les mémoires les plus anciennes sont souvent au niveau des odeurs et des goûts.

On pourrait dire que la symbolique du repas est tellement forte que, dans certaines cultures, quand on refuse de tout manger, c’est comme si on signifiait une déclaration de guerre. Dans bien des cultures, à partir du moment où l’on partage la nourriture, on devient un hôte, donc sacré. Manger peut être un instrument commercial, tel le repas d’affaires. Manger, peut être aussi un instrument politique, comme on l’a vu récemment par la grève de la faim du maire de Sevran en Seine-Saint-Denis, Stéphane Gatignon. C’est un acte politique fort.

Par ailleurs, il y a des gens qui sont tellement dans une relation pathologique avec la nourriture que cela envahit toute leur vie ; ce sont les problèmes d’anorexie ou de boulimie.

Débat : G Parmi les repas on peut citer l’exemple du repas d' Esope qui, pour servir ce qu’il y a de meilleur et de moins bon, a servi chaque fois de la langue, car elle permet de faire du bien ou du mal.

Dans l’expression du débat de ce soir, l’idée est aussi que l’on doit mettre dans sa vie de la mesure, de la tempérance. La question pourrait s’appliquer à l’accumulation des richesses, s’appliquer à ceux qui n’en n’ont jamais assez, qui lorgnent vers celui qui a un peu plus, les boulimiques de la fortune, les insatiables qui vivent tant pour s’enrichir qu’ils passent à côté de la vie. « J’ai réussi et j’en suis fier,/ au fond je n’ai qu’un seul regret ,/ j’fais pas ce que j’aurais voulu faire », dit la chanson Le blues du businessman [paroles de Luc Plamondon, musique de Michel Berger]. (très belle musique)

C’est vouloir n’avoir pour but que d’être financièrement toujours plus gros, quitte pour cela à trahir ceux qui vous ont nourri, par exemple en s’exilant en Belgique. « Obélix, tu nous fais honte ! »
C’est la question de la prédominance de l’utile ou du nécessaire. Un homme, disait-on, qui a un lit, une table, et une chaise est un homme heureux. Celui qui a deux lits, deux tables, deux chaises, est-il deux fois plus heureux ?

C’est l’objet principal de nombre de philosophies, comme l’épicurisme qui enseigne la tempérance,  la frugalité, la juste mesure épicurienne.

Dans la continuité de cette formule « Vivre pour manger, ou manger pour vivre ? », peut-être que Molière aujourd’hui, avec tout son talent et son humour, et devant cette folle croissance exponentielle, cette nécessité de croissance qui nous fait manger toutes les ressources de cette planète, poserait ainsi la question : « Faut-il consommer pour vivre, ou vivre pour être consommateur ? »

N’aurions-nous que ce rôle d’homo oeconomicus, manger, ou plutôt consommer toujours plus ? La formule de Molière revisitée correspond à une option économique un peu folle qui nous dit que plus nous aurons d’offre, plus il y aura de consommation, ou manger toujours plus pour pouvoir manger. Cela est aussi futé que de tuer la poule pour avoir les œufs et, sur le plan de la société, c’est créer une crise sans pareil. S’il s’agissait d’une farce de Molière, on pourrait en rire, mais ce n’est pas une farce.
Alors, à l’approche des fêtes, et au-delà, allons-nous être les dindons de la farce, ou la farce du dindon ?

Je répondrai d’abord à la première partie de la question : « manger  pour vivre »
Indépendamment des nécessaires calories qu’il nous faut absorber pour maintenir notre organisme en bon état, les moments où l’on mange sont des moments privilégiés.
Ils satisfont d’abord un besoin.

Mais les repas aussi ont un rôle particulier. Il n’y a qu’à voir les repas d’affaires, où se traitent des négociations, les repas de famille, les repas de fêtes ou les repas et les banquets professionnels, politiques ou associatifs, ou même les repas « aux chandelles » en amoureux…

Dans les différentes cultures, le repas est important :

– Dans le christianisme : de nombreux repas sont mentionnés dans l’Evangile et prennent une valeur symbolique : les noces de Cana, le repas de Jésus chez Zachée le collecteur d’impôts, la Cène et le repas dominical de la messe, où on partage le pain et le vin, qui sont les symboles du corps et du sang de la vie. Mais aussi la dinde de Noël ou l’agneau de Pâques, de façon plus profane.

– Dans l’Ancien testament et dans le judaïsme aussi, les repas sont très importants : la manne qui tombe dans le désert quand le peuple a faim, les prémisses des récoltes et les agneaux aux herbes sauvages au printemps après une période de restrictions, ou encore tout ce qui touche à la cacherout, le vin du Kaddish ou les repas de Shabbat… Et tout ce que l’on fait pour les fêtes dans le judaïsme.

– Dans l’Islam, on trouve le mouton de l’Aïd-el-kébir que l’on partage et toutes les pâtisseries et repas que l’on prépare aussi pour les fêtes. Et la façon Hallal de préparer les viandes.
– Dans le bouddhisme, le disciple se promène toujours avec son bol.

– Les crémations en Indonésie sont toujours accompagnées de victuailles et d’un grand repas.
– Dans l’Egypte ancienne, des repas et des offrandes sont servis aux morts pour qu’ils continuent à vivre dans l’au-delà.

– Dans la franc-maçonnerie et le compagnonnage, les trois maîtres sont le père Soubise, Salomon et aussi Maître Jacques pour les métiers de bouche avec les créations de chefs d’œuvre par les meilleurs ouvriers et artisans de France…

– Sous Napoléon : on trouve les premiers repas ordonnancés tels que nous les connaissons de nos jours et on peut citer quelques grands chefs : Vatel, Escoffier, Antonin Carême et ses pâtisseries architecturées.

– Dans toutes les cultures, les repas et la nourriture sont suffisamment élaborée parfois pour faire partie du patrimoine gastronomique du pays… et même s’exporter.

D'où, pour moi, l’importance de manger pour vivre, pour la qualité de la vie, pour la convivialité et la générosité des repas partagés ; le partage est un maître-mot dans ma vie.

Je pense que la vie et les repas sont constamment associés : on s’invite à déjeuner en famille ou entre amis, on commence une relation ou une histoire d’amour par un repas au restaurant, on partage des grands repas de mariage, de baptême, de communion, d’anniversaire, de fête, de noces d’or, de réussite à un examen, ou encore les vœux du maire, le colis de Noël des retraités…

La nourriture fait grandement partie de la vie, à la fois comme une nécessité, mais aussi généralement associée à un plaisir. Il y a un réel plaisir associé au fait de partager un repas fait de bonnes choses avec une conversation agréable connexe ; cela fait partie de la qualité de la vie. Car, de plus, l’oralité est satisfaite par le repas, mais aussi souvent par les conversations associées ; les langues se délient au cours d’un bon repas arrosé en conséquence.

Chacun a ses rituels alimentaires et manger est une façon de vivre sa vie. Celui qui ne mange pas pour vivre, comme les anorexiques, risque sa vie.

De la qualité du repas dépend en partie la satisfaction des convives. S’appliquer pour recevoir est une façon de témoigner de son amitié et de son affection à ceux que l’on accueille et pour qui on cuisine.

La nourriture a un sens concret et abstrait. Comment alimente-t-on sa vie ? Matériellement et spirituellement. Il y a des sociétés où nous voyons des famines qui sévissent et le problème est de savoir comment donner à manger ; donc, c’est manger pour vivre, manger pour survivre, et ce n’est pas toujours évident.

Et puis, il y a les dangers. La nourriture, cela peut être dangereux. Pour certaines personnes, manger moins peut être un choix, je pense aux athlètes, aux ermites, ou chez des moines où la frugalité est la règle, et puis aussi aux moines mendiants, pour qui les repas étaient incertains. On peut aussi mentionner les cas des sans-domiciles-fixes et des clochards, pour qui manger est une préoccupation essentielle.

Les repas peuvent être une corvée pour les adolescents ; les repas de famille cela peut aussi avoir des aspects négatifs, cela peut être le moment de règlements de comptes.
Il y a aussi parfois un manque d’enthousiasme à manger, comme à la cantine, dans la solitude ou dans les cas de « malbouffe ».

Donc, de ces deux propositions de la question du débat, on peut retenir qu’il faut de la tempérance. Savoir bien manger, bien se nourrir n’est pas évident quand on voit certains obèses dans les pays occidentaux. Pour que ce soit un plaisir, il faut manger en connaissance de cause.
On peut aussi se nourrir l’esprit, par exemple, en l’enrichissant par des lectures, en allant à la bibliothèque, au café-philo, etc.

Dans la question, j’ai vu différents angles. L’angle philosophique, comme nous l’avons vu avec l’épicurisme, l’angle culturel à travers les pratiques, l’angle économique à travers les moyens financiers, des aliments de bases aux aliments de luxe, l’angle humanitaire, celui de la faim dans le monde et de la malnutrition.

Ce qui m’a intéressée dans ces quatre approches, c’est l’angle humanitaire, c’est-à dire qu’une partie des hommes mange trop, d’autres mangent mal, d’autres ne mangent pas du tout. L’alimentation, on l’a évoqué, détermine les regroupements sociaux, la forme des sociétés et leur organisation.
La nourriture est nécessaire pour le plaisir ; elle chasse l’anxiété. C’est aussi la plus intime des relations, de toutes les formes de consommation. Il faut convenir que l’aliment n’est pas seulement le carburant qui permet de vivre, mais qu’il doit aussi être adapté à chacun, suivant ses goûts et ses ressources.

Par ailleurs, on a évoqué le rituel de l’eucharistie que j’appelle la communion, laquelle consiste à partager symboliquement la chair et le sang du Christ, la seule manière de partager à proprement parler, la même nourriture, à condition de croire, bien entendu.

Sur le plan économique, l’alimentation est l’un des principaux marchés planétaires. Un psychologue, Kurt Lewin, a entrepris en 1943 des recherches en collectant des données empiriques pour essayer de répondre à la question de savoir pourquoi on mange ce qu’on mange ? Il va nommer son étude : « La théorie des canaux », c’est-à-dire, qu’il va chercher les chemins par lesquels les aliments venaient sur la table familiale ; dans son étude, il tient compte du rôle stratégique du gardien de passage, rôle tenu en général par la mère de famille. Il se met en devoir d’analyser les facteurs psychologiques qui influent sur la personne qui contrôle les canaux. Il constate qu’il y a deux dimensions : dimension cognitive, et dimension de motivation. Il analyse également les classes sociales et culturelles, et ce qui constitue l’ordre des comestibles dans une société considérée et les aliments appropriés à cette culture, aliments spécifiques souvent. Dans le cadre de la motivation, il cherche les valeurs qui sous-tendent le choix des aliments, que ce soit : argent, santé, statut social.

Depuis quelques années, il y a un essor des recherches sur l’alimentation. Cet essor est lié d’une façon paradoxale à l’abondance. Malgré cette abondance, il y a encore de nombreuses personnes qui meurent de faim. Dans le monde, il y a deux milliards de personnes qui souffrent de malnutrition, dix-huit millions qui meurent chaque année de faim, et parmi les pays riches, comme la France, le Canada, les Etats-Unis, il existe des pauvres qui ne peuvent pas se nourrir correctement. Quinze millions d’enfants meurent chaque année, soit de faim, soit qu’ils ne mangent pas assez, soit parce qu’ils mangent trop, soit qu’ils mangent mal.

Dans le domaine de l’alimentation, les valeurs ne sont pas respectées entre les hommes, et, là, on rentre dans le domaine politique, et c’est un autre débat.

Dans notre société moderne, la convivialité et le fait de préparer des repas existent de moins en moins. Parce que les femmes travaillent, elles n’ont plus assez de temps, parce que les industriels après la guerre se sont mis sur ce marché et ont commencé à fabriquer des produits, des plats (pas toujours très bons pour la santé). Finalement, dans les familles, malheureusement, on n’a plus le temps de faire à manger, plus le temps de cuisiner des légumes frais, on achète du « tout fait » ; j’ai l’impression, aussi, que l’individualisme poussé à l’extrême, même dans les familles, fait que parfois on ne mange même plus ensemble. Les adolescents mangent de leur côté, les parents, du leur, et, de là, la fonction de convivialité au sein d’une même famille a tendance à se perdre.

Dans ce thème, « vivre pour manger », j’ai aussi extrapolé au niveau de la consommation ; c’est-à-dire qu’il y a des gens qui, devant une publicité de plus en plus agressive, vont avoir envie de tout ; finalement, on voit des gens qui semblent ne vivre que pour consommer. Consommer des produits, consommer de la télévision, consommer tout et n’importe quoi ; ils vont s’endetter, faire des crédits « revolving » à n’en plus finir, se mettre dans des situations impossibles. Ils ont l’impression que plus ils consomment, plus ils sont heureux. Pour moi, que je sache, le fait de consommer à outrance ne me rend pas heureuse.

Dans des coutumes des pays arabes, la nourriture est présente dans toutes les fêtes, comme par exemple au hammam pour le bain de celle qui va se marier ou qui vient d’avoir un enfant ; il y a des beignets, plein de douceurs ; la nourriture fait partie du rituel.
Mais un proverbe dit : « On creuse sa tombe avec ses dents ».

Ce besoin de se nourrir nous le partageons avec les animaux ; c’est ce que nous disait Descartes : « Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture » (Principes de la philosophie, lettre préface).

Depuis des siècles, l’alimentation, c’est l’expression sociale du besoin chez l’homme ; quant à sa satisfaction, choisir la seule alimentation humaine, est-ce que c’est très important ? Sûrement, puisque c’est très régulier et que ça dure toute une vie. Après, on pourrait dire : comment ? Alors, il existe deux plans, comme nous l’explique Jean Anthelme Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût (parue en 1825) : « Le plaisir de manger est la sensation actuelle et directe d’un besoin qui se satisfait. Le plaisir de la table est la sensation réfléchie, qui naît des diverses circonstances de faits, de lieux, de choses et de personnes qui accompagnent le repas.

Le plaisir de manger nous est commun avec les animaux ; il ne suppose que la faim et ce qu’il faut pour la satisfaire. Le plaisir de la table est particulier à l’espèce humaine ; il suppose des soins antécédents pour les apprêts du repas, pour le choix du lieu et le rassemblement des convives. Le plaisir de manger exige, sinon la faim, au moins l’appétit ; le plaisir de la table est le plus souvent indépendant de l’un et de l’autre. Ces deux états peuvent toujours s’observer lors de nos festins.
Au premier service, […] chacun mange évidemment sans parler, sans faire attention à ce qui peut être dit ; et, quel que soit le rang qu’on occupe dans la société, on oublie tout pour n’être qu’un ouvrier de la grande manufacture. Mais quand le besoin commence à être satisfait, la réflexion naît, la conversation s’engage, un autre ordre de choses commence ; et celui qui, jusque là, n’était que consommateur, devient convive plus ou moins aimable, suivant que le maître de toutes chose lui en a dispensé les moyens. »

C’est, à mon avis, la différence qui existe entre se nourrir et prendre un repas avec des gens qu’on aime, avec des gens qu’on a choisis. C’est quelque chose de plus social, de plus amical, et cela peut être aussi initiation, pour préparer les plus jeunes pour leurs rencontres autour d’un repas ; puisque le repas, c’est là où se rencontrent, en un même lieu, en un même temps, plusieurs générations.
J’ajouterai que parfois, longtemps après un bon repas, on se souviendra plus d’une conversation intéressante que des mets.

Entre « manger pour vivre, et vivre pour manger », je voudrais bien une autre option, car, par nature, par éducation, j’accorde encore une très grande importance à la nourriture, au repas, à la qualité des produits. Manger est  une des relations les plus intimes qui soient. Nous portons un produit à notre bouche, nous l’ingurgitons et il va venir dans notre corps et nous l’excréterons. Comment peut-on faire ce geste de manger sans un peu de réflexion, ou manger n’importe quoi,  parce que, suivant l’expression, « tout ce qui rentre fait ventre », ou que l’on est, suivant une autre expression populaire, un « béni bouffe-tout ».

Mais on peut être dans l’excès par gourmandise, l’un des sept péchés capitaux, sujet traité  par Alphonse Daudet dans son oeuvre « Les trois messes basses ».

(Résumé/aperçu) : Le curé Dom Balaguère, avant une des trois messes basses du soir de Noël, a écouté son enfant de choeur Garrigou (qui est un envoyé du Diable) lui parler du dîner du réveillon ; pendant qu’il dit sa messe, il entend cette voix qui lui dit: “Il y a des dindes magnifiques mon révérend, des dindes bourrées de truffes, on aurait dit qu’elles allaient craquer en rôtissant tellement elles étaient dodues…” L’enfant de choeur agite sa sonnette, on a sauté quelque pages…”kyrie eleison”, dit le curé à la stupéfaction des paroissiens. Dans une scène suivante, le curé est agenouillé, il lève les yeux vers l’autel, il est en adoration, car là, sur l’autel, devant le tabernacle, il voit des chapelets de saucisses, des pâtés, des volailles juteuses, des carafes de vin ambré, des fruits… Au final, il mangera tant au dîner qu’il piquera du nez dans l’assiette et qu’il en mourra….
Le repas n’est pas toujours convivialité ; je pense à la malédiction des Atrides : Atrée, renouvellant le geste de son grand-père Tantale, voulant se venger de son frère, tue les deux fils de son frère et les lui sert à manger. A la fin du repas, il fait apporter la tête des deux enfants sur un plateau. La malédiction des dieux, qui avaient été courroucés, va se poursuivre sur plusieurs générations.
Sur le même thème de malédiction familiale qui sera levée par les générations futures, par une relation à un mets (une pomme), on peut citer le livre de Katharina Hagena : Le goût des pépins de pommes.

Dans le passé, nous avons connu le cannibalisme, où parfois on mangeait l’ennemi vaincu ou les personnes âgées pour acquérir la sagesse, la force et l’esprit de l’autre, de fait, un cannibalisme rituel. C’était avant “la communion”! Mais on peut être rassuré, le dernier cannibale a été mangé !
Il y a de nombreux écrits sur la gastronomie ; cela peut vous mettre l’eau à la bouche en dehors de tous les aspects sociaux déjà cités. Mais nous avons aussi des exemple d’excès, comme dans le film : La grande bouffe.

Le repas peut aussi être un lieu culturel avec spectacles, musiques, danses et chants.
Pour revenir à la question initiale, on peut se poser la question : est-ce qu’on garde une vie la plus sobre possible, en ne satisfaisant que les besoins? Ou faut-il avoir un peu de superflu qui donne l’appétit de vivre et pas seulement la satisfaction des besoins.
Dans le film Festen, on est dans un repas de famille où on va en découdre…
Pour ce qui est de la littérature sur ce sujet, il faut citer également : « Agate ou les repas de famille » de Geneviève Krick et Catherine-G. Mathiew, avec des tas de souvenirs de l’enfance,  qui remontent au cours des repas. Et aussi, le livre de Claude Pujade-Renaud : Sous les mets, les mots, où les expériences psychologiques liées aux mets sont finement décrites. Puis le roman : Une pièce montée de Blandine Le Callet, où les langues se délient et les secrets se dévoilent autour d’un repas de mariage, sans oublier Boule de suif de Guy de Maupassant, qui partagera son repas, mais n’en aura pas de reconnaissance !

Pour ce qui est de vivre pour manger, je pense en premier à ceux qui passent leur vie à travailler et à gagner juste de quoi manger justement. Ils vivent pour réussir à manger.
Mais il est aussi des métiers où les gens vivent pour que les autres mangent : restaurateurs, commerçants d’alimentation, industries associées à la table (vaisselle, linge de maison, décorations)…
Vivre pour manger peut aussi être une pathologie, comme dans le cas de la boulimie. On peut aussi souligner la place du budget d’alimentation dans les familles de prolétaires parfois très supérieur aux dépenses des ménages bourgeois dans ce domaine (qui sont souvent un peu radins sur la nourriture). Nourrir ses enfants pour les revenus modestes est une priorité qui demande un gros investissement. C’est une façon de faire ce qu’il faut pour ses enfants, même si, au fond, ils savent bien que les nourritures corporelles ont aussi besoin d’être complétées par des nourritures affectives, intellectuelles et culturelles, pour le bien de l’enfant.

Par conséquent, manger pour mieux vivre et vivre plus intensément, surtout dans la vie sociale et en collectivité, me paraît important, mais vivre pour manger demande une réflexion. Cela peut-être une nécessité, mais aussi une compensation orale à ce qui ne peut pas se dire… De toutes les façons,  on ne peut pas porter de jugement de valeur sur le comportement alimentaire des individus et l’obésité n’est pas toujours dû à un comportement alimentaire excessif (cas de traitements médicaux faisant grossir, maladies, sédentarités…).

En cette période de fêtes, on peut se demander : qu’est-ce que l’on va partager de plus que « la grande bouffe » à Noël ? Quel sens cela a pour certains de se retrouver en famille ou de partager la fête d’une communauté ou de faire plaisir à des proches ? Peut-on encore concevoir un Noël sans la dinde et les cadeaux, et avec encore un minimum de réflexion sur le pourquoi de cette fête qui tombe d’ailleurs pratiquement chaque année en même temps que la fête juive de Hanoukka et aussi du solstice d’hiver…  Tout le monde peut fêter Noël, tant sa dimension athée a pris de l’ampleur aussi et a d’une certaine façon complété la dimension religieuse…
Je retiens aussi l’idée du repas comme réunion intergénérationnelle, même si ce n’était que pour cela, Noël vaut la peine d’être fêté.

Les dictateurs, comme il y a peu Ceausescu, avaient des goûteurs pour prévenir tout empoisonnement. Ce n’était pas toujours pour eux, « manger pour vivre ».

On a fait l’apologie du banquet, du festin. Evidemment que c’est un moment privilégié, mais la nourriture je m’en méfie quand même ; la nourriture actuelle, souvent industrielle, me fait quand même peur. Ceci parce que les industriels n’ont qu’une idée, produire le plus possible au moindre coût, avec des ajouts de colorants, de conservateurs, d’huile de palme, tout plein de choses pas très bonnes pour la santé. On voit aussi les animaux destinés à l’alimentation qui sont élévés en batterie et auxquels on donne des produits pour qu’ils grossissent le plus vite possible. Quand on voit tout cela, on n’a pas tellement envie de manger de la viande.
Dans nos pays occidentaux, on a une nourriture plus ou moins mauvaise. On a, pour beaucoup, des racines paysannes : on mangeait ses propres produits, des produits de qualité, des légumes frais, on tuait le cochon. Une nouvelle tendance commence à émerger dans les jeunes générations, où certains se remettent à faire leur jardin potager, à acheter autrement ; ils ont envie d’une nourriture plus saine. Ils ont compris les risques de cette industrialisation après des catastrophes comme “la vache folle”. Il y a une prise de conscience.

Texte de Michèle:
« Voici que l’on étend la nappe blanche. Les gestes sont précis, rapides. Il faut que tout soit beau et quasi la perfection. De sublimes assiettes bien tournées de la plus grande à la plus petite. Et voici les verres scintillants de brillance, également des plus petits aux plus grands. On frotte les couverts pour qu’ils soient irréprochables, et on n’oublie pas tous les petits accessoires : fourchettes à huitres, pinces à escargots, supports de couteaux. Il est temps de faire le pliage des serviettes, de déposer quelques bougeoirs, des dessous de plats. On décore la table avec des pommes de pin, couleur or, couleur argent. Quelques branches de houx, quelque figurine, des anges. Et puis, pour finaliser une poussière d’étoiles. Il est bientôt l’heure de passer à table pour fêter tous ensemble un Noël enchanté. »

Entre nécessité et art de vivre, quelle place occupe la nourriture chez chacun de nous ? Quelle place est-elle appelée à avoir dans les décennies à venir ?
 » Il revient à ma mémoire » les grands repas à la ferme, lors des battages, des vendanges ou des mariages, qui duraient parfois  trois jours et où des femmes n’arrêtaient pas de cuisiner.  Je revois ces tablées : des roulés au jambon farcis de macédoine de légumes luisants sous leur gélatine. Des produits de la ferme : le jambon sec, le saucisson,  des terrines et pâtés, des rillons…, puis sortant du four des plaques pleines d’escargots qui embaument l’ail et le persil. Puis viennent les viandes en sauce, veau, lapin… Les miches de pain défilent ; à chaque fois les assiettes sont saucées « à propre » ! (Nous serions déjà au bicarbonate !) C’est alors que venaient rôtis d’oies ou de dindes, entourés de pommes de terre, champignons. Nous, les enfants, nous donnions un coup de main pour aller tirer du vin à la cave. Les convives avaient  autant de vigueur à table qu’au travail ; sans mollir, ils enchaînent sur le fromage frais à la crème double, les mokas maison au chocolat, les tartes aux fruits.
Aujourd’hui, des cousins qui  sont céréaliers en Seine-et-Marne exploitent 300 hectares à deux. Ils sont équipés d’une moissonneuse-batteuse lieuse avec cabine insonorisée, radio, téléphone… Quand vient l’époque de moissons, la nuit, le mari moissonne ; le jour, sa femme prend le relais. En 48 heures, ils ont fait le travail de deux journées de labeur de 20 à 30 personnes et ils se font livrer des pizzas. Out ! La convivialité qui s’ensuivait. Out ! Le lien social ! « La table est entremetteuse d’amitié », dit le proverbe. Manger ensemble est un acte social.  ! Est-ce que le progrès est un frein au bonheur ?

Poème de Florence :     
                                   
Les fraises et la fringale
La fringale ayant duré
Endurée
Le frigo en garde à vue
La volonté bien menue
A trop rêver de cuissots
De calories par monceaux
Je faisais fort grise mine
Overdosé en caféine
Et la balance arrêtée
Sur un poids bien regretté
Au retour de manivelle
Un yoyo pêché véniel
Cette fois-ci c’est moindre mal
Et j’ai hurlé : « même pas mal »
J’ai refermé la friteuse
Plus un seul petit morceau,
De frite ni de chien chaud
La décision est audacieuse
Et n’est pas du tout venant
Je tiendrai, ne vous déplaise
Je ne mang’rai qu’une fraise
Et laissez-moi, maintenant !

Dans la fable de la cigale et la fourmi en sabir (patois de français et d’arabe algérien), la moralité dit : « Ti bouffes, ti bouffes pas, ti crèves quand même ! »

Texte de Michèle :
« Je suis l’invitée ; bon appétit à mon estomac. Il est affamé, il supplie. Mon nez est enivré par toutes ces effluves, mes yeux pétillent d’admiration ; que de bons petits plats, tous plus gargantuesques les uns que les autres. Merci aux cuisiniers, au saucier, au pâtissier, à toutes ces petites mains agiles. Après avoir si bien festoyé, je suis repue, il est temps de prendre congé. Que la nuit vous soit douce. »
La France est un pays de gastronomie. L’apport au cours du siècle dernier des diverses cuisines, marocaine, libanaise, chinoise, japonaise, indienne, etc., cuisines qu’on peut aimer découvrir, va-t-il enrichir tout le patrimoine ? On peut en douter. Les habitudes alimentaires définissent la cuisine de demain. On se nourrit très différemment des générations précédentes. On a moins de temps ; on n’y consacre pas le même budget ; les produits et l’offre sont plus nombreux pour une qualité inférieure. Notre rapport à la nourriture est en train de changer totalement. Qu’en sera-t-il demain de la cuisine de Brillat-Savarin ?

Je suis d’origine normande, mariée avec un monsieur d’origine méditerranéenne. Quand j’ai voulu mettre de la crème fraîche sur les haricots verts, il a réagi ! Finalement, on a vécu des années en mélangeant nos cuisines.

Poème de Florence :
Le monde de la faim, la fin du monde
Le monde de la faim, la fin du monde
C’est la ronde des pains, c’est le pain de la fronde
Le monde est rond comme un Mac-do
Rond comme une tomate, comme un dodo
Le monde du silence, le silence du monde
C’est le monde du son, le son du monde
Taper sur la terre comme un tambour
Tu la bourres et débourres, elle geint et tu laboures
Le monde du futur au non de l’avenir
Le mur du son s’écroule au souvenir
Des promesses éphémères d’un avenir radieux
Alibi de quelques savants studieux
Je suis un clown, hélas je suis un clone
Il n’y a pas un bruit dans l’œil du cyclone
Et sur le fil tendu de l’horizon
Têtu comme un zombi, léger comme un bison
Tu danses la danse de la pluie et du vent
Pour une tornade au soleil levant
Un arc-en-ciel d’apocalypse, dans les décombres
Le sombre de la faim, la fin du sombre.

On parle de convivialité, de lien intergénérationnel grâce au repas, mais, depuis déjà quelques années, une invitée importune est venue partager nos repas, c’est la télévision. Alors que ce doit être le moment où enfin dans la famille, on peut parler un peu ensemble, cela finit souvent par : « Tais-toi, je n’entends pas ce qu’ils disent. » Dans des familles, on ne mange plus rituellement ensemble, que ce soit le déjeuner ou le dîner ; chacun, à n’importe quelle heure, va chercher quelque chose dans le réfrigérateur et mange seul. Manger s’accompagnait d’un certain rituel ; ce sera dommage que cela se transforme en simple nécessité.
Aujourd’hui, hasard du calendrier, nous sommes le 12/12/12 ; à l’occasion de ce café-philo du 12/12/2012, voici un texte de Guy Louis:

Une douzaine de vers  à douze pieds
Aujourd’hui, douze, douze, douze, c’est en alexandrins
Qu’il nous faut s’exprimer et faire des douzains
Pour le café-philo on choisit divers thèmes
Essayant de changer, ne pas prendre les mêmes
On prend parfois des sujets, bizarres et curieux
Cela pourrait un jour être un choix malheureux
Et puis grâce au savoir et l’imagination
On finit par avoir une riche conversation
Malgré tout on s’en sort, et toutes les idées fusent
Avec l’inspiration, parfois reçue des muses
Si l’appétit, dit-on, nous viendrait en mangeant
La philosophie, elle, vient en philosophant
Œuvres citées :
LIVRES :
L’avare. Molière
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Physiologie du goût. Brillat-Savarin
Flammarion. Champs n° 109
Les trois messes basses, dans le recueil  Les lettres de mon moulin.
Alphonse Daudet
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Le goût des pépins de pommes. Katharina Hagena
Editions Anne Carrière
Sous les mets, les mots. Claude Pujade-Renaud
Editions Nil
Agate ou les repas de famille. Geneviève Krick et Catherine G. Mathiew
Editions La dispute
Une pièce montée. Blandine Le Callet.
Editions Stock
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Boule de suif. Guy de Maupassant.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
FILMS :
La grande bouffe. Marco Ferreri. 1973.
(Disponible en DVD  à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Festen. Thomas Vinterberg. 1998.
(Disponible en DVD à la médiathèque de Chevilly-Larue)


Waouh, j’ai trop apprécié votre article, je suis d’accord, de nos jours, nous vivons davantage pour manger que manger pour vivre, c’est comme si on subissait cette société de consommation et qu’on n’a pas le choix par ce que de toute façon, tout le monde fait pareil…Je trouve ça décevant. Je me trouve dans une période de réflexion sur le sujet, et cet article mérite qu’on s’y attarde.
Merci pour cette lecture,
ça fait du bien d’entendre ce qui est vrai à mon sens, que trop peu de gens pensent.
Merci
c’est magnifique! merci

Bonjour,
Ce fut un délice, un régal, tout est dit ou presque, merci.
Malgré mes difficultés à la lecture, j’ai dégusté avec beaucoup de plaisir, il est midi l’heure « rituel » de déjeuner mais j’ai peu faim, (j’en ai pas loupé une miette) donc l’appétit viendra peut-être en mangeant.
Je me suis donc nourrie pendant plus d’une heure (j’ai pris beaucoup de notes).
Ce « festin » m’a apportée sur tous les niveaux. Dans un premier temps, au niveau professionnel, actuellement j’écris un projet pour des personnes déficientes (atelier cuisine « FAIRE UN REPAS POUR SE RESTAURER ! ») et je souhaitais rajouter une réflexion philosophique.
Et bien ce fut encore plus succulent ce que cette lecture m’a apportée au niveau personnel, ma vie, mes souvenirs, ma culture, les fêtes, etc…..
Et enfin en tant que citoyenne, pas de jugement……..à chacun son histoire, son vécu, ses souvenirs, ses qualités, ses souffrances etc…….
GRAND MERCI A VOUS c’est une belle ouverture d’esprit POUR MOI.