mardi 22 juillet 2014

La maladie de Ménière





Maladie de Ménière


Définition :
La maladie de Ménière peut se définir comme une affection de l’oreille interne de cause inconnue, mais dont le substratum anatomopathologique est un hydrops endolymphatique.
Elle se caractérise par l’association d’une surdité fluctuante avec sensation de plénitude de l’oreille, de crises vertigineuses avec signes neurovégétatifs marqués, et d’un acouphène.

Ces symptômes surviennent par crises paroxystiques et imprévisibles, selon un rythme variable, touchent d’abord une oreille, voire les deux à long terme, et au début s’amendent entre les crises.
Le terme « maladie de Ménière » paraît préférable aux appellations trop communément admises de « vertige de Ménière » ou de « syndrome de Ménière ».
Le terme « vertige » accorde une place prépondérante au symptôme vestibulaire qui, s’il est le plus bruyant, n’est ni le plus constant ni le plus préoccupant de l’histoire de la maladie.
C’est, en effet, la surdité qui soulève le plus de problèmes thérapeutiques, et constitue le critère sans doute le plus tangible d’efficacité thérapeutique.
Le terme de « syndrome » sous-entend une étiologie possible à l’association des symptômes caractéristiques de l’affection.
Or, si ceux-ci peuvent s’observer au cours d’affections auto-immunes, du syndrome de Cogan ou de la syphilis, la maladie de Ménière est, par définition, idiopathique et doit donc être individualisée comme telle.
Le terme de « maladie de Ménière » paraît donc le plus adapté, et autorise une appréhension d’ensemble de la maladie ainsi qu’une unité de langage, avec les Anglo-Saxons notamment.
D’autres atteintes du système cochléovestibulaire, du nerf cochléovestibulaire ou du système nerveux central peuvent entraîner des symptômes similaires à ceux de la maladie de Ménière.
Le diagnostic différentiel de cette affection s’avère souvent difficile et, même pour un praticien expérimenté, il n’est pas toujours aisé de diagnostiquer une maladie de Ménière tant que la triade typique n’existe pas et qu’une pathologie rétrocochléaire n’a pas été écartée.
Ainsi, une surdité fluctuante isolée et des vertiges périphériques à répétition isolés ne sauraient être assimilés à la maladie de Ménière, et ne peuvent être considérés qu’avec réserve comme des variantes cochléaire ou vestibulaire de l’affection.
L’American Academy of Otolaryngology-Head an Neck Surgery (AAO-HNS) a publié en 1995 des critères de définition de la maladie de Ménière.
Historique :
Après que Itard eut décrit l’association caractéristique d’un vertige, d’une surdité et d’un acouphène en 1821, Prosper Ménière rapporta, en 1861, devant l’Académie impériale de médecine, la présence d’une lymphe plastique rougeâtre, dans le labyrinthe de deux malades ayant présenté des symptômes de congestion cérébrale apoplectiforme.
Si l’affection qu’il décrivit alors ne correspond vraisemblablement pas à ce que nous appelons aujourd’hui maladie de Ménière, Prosper Ménière eut l’immense mérite de rapporter pour la première fois à l’oreille interne une symptomatologie alors systématiquement attribuée à un désordre du système nerveux central.
Il valida par la même occasion les lois de la physiologie vestibulaire édictées par Flourens en 1842.
Ménière venait de donner naissance à une maladie vedette, qui devait, de par le monde, soulever passions et controverses.
Trois événements méritent d’être retenus parmi cette floraison de travaux :
– en 1921, Portmann démontra sur des poissons le possible rôle du sac endolymphatique dans la genèse d’une hypertension endolymphatique ;
– en 1938, Hallpike et Cairns découvrirent une dilatation du labyrinthe membraneux sur les os temporaux de deux patients porteurs de l’affection ;
– à partir des travaux de Guild, qui, en 1927, avait démontré sur l’animal que de la teinture injectée dans l’endolymphe cochléaire se retrouvait concentrée dans le sac endolymphatique, Naito fut capable, en 1959, d’induire un hydrops endolymphatique chez le cochon d’Inde, en détruisant chirurgicalement le canal et le sac endolymphatiques.
Cette méthode, améliorée par Kimura et Schuknecht en 1965, est aujourd’hui le modèle expérimental le plus courant pour l’étude de l’hydrops endolymphatique.
En 1952, Tasaki et Fernandez démontrèrent qu’une réduction réversible des potentiels microphoniques et des potentiels d’action cochléaires pouvait être obtenue lorsqu’une solution de Ringert comprenant 0,25 % de chlorure de sodium était injectée dans l’espace périlymphatique de la cochlée.
En 1954, Smith, Lowry et Wu démontrèrent que l’endolymphe présentait une faible concentration en sodium (3 à 5 mmol/L) et une forte concentration de potassium (130 à 145 mmol/L), tandis que ces chiffres s’inversaient dans la périlymphe.
En 1959, Lawrence et McCabe postulèrent que la rupture des membranes endolymphatiques distendues par l’hydrops, suivie du mélange de l’endolymphe riche en potassium et de la périlymphe riche en sodium, étaient à l’origine des symptômes de la maladie de Ménière.
Cette hypothèse fut étayée expérimentalement par la provocation, chez l’animal d’attaques typiques de la maladie de Ménière, en injectant une solution riche en potassium dans l’espace périlymphatique, jusqu’à ce que la concentration en potassium y fût aussi élevée que dans l’endolymphe.
Le concept d’une intoxication potassique des fibres démyélinisées de l’épithélium sensoriel de la cochlée et du vestibule fut alors adopté comme étant le mécanisme fondamental des crises.
De nombreux travaux ont ensuite porté sur la structure et les modifications pathologiques du sac endolymphatique, car l’hypothèse la plus communément admise pour la genèse de l’hydrops endolymphatique est un défaut de résorption de l’endolymphe au niveau du sac.
En 1983, Schuknecht a observé, sur des rochers de patients ayant présenté une maladie de Ménière, non seulement un hydrops endolymphatique, mais aussi une fibrose et une oblitération osseuse du canal et du sac endolymphatiques.
Enfin, le sac endolymphatique aurait un rôle immunologique.
Cependant, comme nous le verrons plus loin, la pathogénie de la maladie de Ménière reste inexpliquée, même si de nombreuses hypothèses ont été avancées.
Épidémiologie :
De grandes variations existent au sein des incidences publiées de la maladie de Ménière, peut-être en raison de nombreux aléas méthodologiques, notamment par absence de critères cliniques ou paracliniques communs.
Ces incidences seraient de 46/100 000 personnes en Suède, en excluant la forme cochléaire pure (surdité fluctuante isolée), de 50/100 000 personnes au Japon, de 160/100 000 personnes en Angleterre, de 15 à 21/100 000 personnes aux États-Unis et 7,5/100 000 personnes en France.
Kitahara et al ont démontré qu’il n’existait pas de différence significative de survenue de la maladie de Ménière dans différents groupes ethniques aux États-Unis, et aucune prépondérance sexuelle, raciale ou géographique n’a pu être démontrée à ce jour.
Le niveau social semble en revanche influencer la survenue de l’affection, car elle touche plus volontiers les classes moyennes et supérieures.
Si elle peut apparaître à tout âge, la maladie de Ménière survient le plus souvent entre la quatrième et la sixième décennie.
Elle est rare avant 20 ans et exceptionnelle chez l’enfant.
En outre, une grande partie des enfants touchés par la maladie de Ménière peut être classée comme souffrant d’un syndrome de Ménière « secondaire ou symptomatique », en raison d’antécédents rapportés de surdité consécutive à des oreillons, à une méningite à Haemophilus influenzae, à une fracture temporale, à des atteintes otologiques congénitales ou embryopathiques, ayant dégénéré en une triade complète de Ménière quelques années plus tard.
L’atteinte prédominante de l’oreille gauche au cours de la maladie de Ménière demeure inexpliquée.
Enfin, la survenue fréquente de plusieurs cas au sein d’une même famille laisse supposer l’existence de facteurs génétiques prédisposants.
Syndrome clinique :
Le tableau clinique de la maladie de Ménière se caractérise par la survenue, étalée dans le temps ou simultanée, d’une triade associant un vertige rotatoire survenant par crises, une surdité fluctuante et un acouphène unilatéral intermittent.
Plus spécifiquement encore, le patient relate de véritables attaques se déroulant comme suit :
– sensation inaugurale de plénitude d’une oreille ;
– puis surdité ou aggravation d’une surdité ancienne de ce même côté ;
– apparition ou aggravation d’un acouphène, toujours du même côté ; – suivies d’un vertige rotatoire, avec station debout difficile, nausées et vomissements.
C’est l’interrogatoire qui retrouve généralement ces symptômes, mais ils peuvent aussi être observés lors d’une crise.
L’examen clinique est donc essentiel, les examens complémentaires cochléovestibulaires ne venant que confirmer le diagnostic.
Cependant, la maladie ne débute pas toujours par la triade complète, et se développe même souvent de façon monosymptomatique durant parfois 1 an, soit sur le plan vestibulaire, soit sur le plan cochléaire.
Le diagnostic ne peut être affirmé qu’après la survenue de plusieurs crises, et après que la triade complète eût été observée. 

Symptômes :

A - CRISES VERTIGINEUSES :
Les crises vertigineuses constituent le symptôme majeur de la maladie de Ménière, et sont généralement le motif pour lequel les patients consultent un spécialiste.
Elles sont éminemment variables dans leurs modalités de survenue, leur déroulement, leur durée, leur intensité et leur fréquence.
Elles peuvent survenir à toute heure : en pleine nuit, réveillant le patient, à l’occasion d’un stress, d’une fatigue ou d’une variation de pression atmosphérique.
Elles sont généralement précédées durant 15 à 60 minutes de signes précurseurs auditifs, isolés ou associés, mais unilatéraux : apparition ou modification d’acouphènes ou d’une hypoacousie, sensation de plénitude ou de pression auriculaire.
Ces signes prémonitoires, véritables auras de la crise vertigineuse, permettent au patient, qui a déjà eu une crise, de prendre certaines mesures de sécurité : s’asseoir, s’allonger, descendre d’une hauteur, garer sa voiture, etc.
Puis, survient un grand vertige rotatoire, empêchant la station debout et s’accompagnant de signes neurovégétatifs importants : malaises, lipothymie, sueurs, nausées, vomissements, diarrhée, céphalée.
Cela souligne la valeur localisatrice des signes auditifs, qui permettent de rapporter à l’oreille une symptomatologie digestive, et également de définir le côté affecté par la maladie.
Il n’existe normalement pas de perte de connaissance, même si des syncopes ont parfois été rapportées.
La sensation vertigineuse atteint son acmé en quelques minutes et dure environ 2 à 3 heures, pour s’estomper ensuite, laissant un malade épuisé qui s’endort volontiers.
Si, lors de la crise inaugurale, le vertige peut durer 24 heures, il ne dépasse jamais cette durée. De même, il ne dure jamais moins de 1 minute.
Une fois la crise passée, le patient peut soit se sentir tout à fait disponible, soit se plaindre durant quelques jours de malaise, d’asthénie et/ou d’instabilité lors des mouvements.
Parfois, notamment à un stade plus tardif, la crise survient sans prodrome et peut se traduire par une sensation de tangage, de roulis, d’ascension, de descente ou de latéralisation.
La fréquence de ces crises vertigineuses varie considérablement d’un patient à l’autre et chez un même patient, allant de plusieurs crises par semaine à quelques crises espacées de plusieurs mois ou années.
Théoriquement, cette fréquence décroît au fur et à mesure de l’évolution, bien que certains estiment qu’elle soit indépendante de la durée de l’évolution. 

B - SURDITÉ :

La surdité fluctuante de l’oreille atteinte, qui apparaît ou s’aggrave lors des crises, est l’un des deux symptômes les plus fréquents de la maladie, avec le vertige.
Au stade initial, elle peut même être isolée et faire poser le diagnostic de surdité brusque.
Elle a une valeur localisatrice et diagnostique.
Au début de l’évolution, l’hypoacousie domine sur les fréquences graves et présente des fluctuations caractéristiques, avec retour à la normale en quelques heures ou quelques jours.
Elle s’associe souvent à une sensation d’oreille bouchée, de plénitude ou de pression, qui cède en règle après l’attaque.
Elle peut aussi s’accompagner d’une atteinte de la discrimination, d’une intolérance aux sons forts, d’une distorsion sonore ou d’une diplacousie, qui signent une atteinte endocochléaire.
Au cours de l’évolution, la surdité s’accentue, touche l’ensemble des fréquences, perd ses fluctuations si caractéristiques et se stabilise entre 50 et 70 dB de perte, la cophose restant exceptionnelle. 

C - ACOUPHÈNES :

Les acouphènes dans la maladie de Ménière simulent classiquement un bruit de conque marine, mais ils peuvent aussi se présenter comme des sifflements, un ronronnement ou un vrombissement.
Constants ou intermittents, non pulsatiles, ils apparaissent ou s’accentuent en règle dans les minutes précédant la crise vertigineuse.
Ils présentent donc l’intérêt d’avertir le patient de l’imminence de la crise, ce qui lui permet de prendre des mesures de sécurité.
Leur deuxième intérêt est de rapporter, tout comme la surdité, le vertige présenté par le patient à une pathologie de l’oreille interne, ce qui lui évite de s’égarer dans une autre spécialité.
Leur troisième intérêt est d’indiquer le côté atteint.
L’intensité des acouphènes peut être cotée en trois degrés :
– degré 1 : acouphènes uniquement perceptibles dans le silence ;
– degré 2 : acouphènes perceptibles dans n’importe quel environnement mais diminuant lors d’activités mentales ;
– degré 3 : acouphènes permanents et retentissant sur la vie du patient.
Cette classification, bien que subjective, permet d’apprécier le retentissement psychique de ces acouphènes et d’évaluer le résultat des traitements instaurés.
Les acouphènes peuvent persister longtemps après que le vertige et la surdité aient disparu.
À long terme, ils deviennent permanents et invalidants. 

D - SYMPTÔMES ASSOCIÉS :

D’autres symptômes peuvent s’associer à la triade spécifique de la maladie de Ménière :
– les céphalées et les migraines sont parfois rapportées par les patients, sans qu’il soit possible d’établir une relation pathogénique précise entre ces manifestations et la maladie de Ménière.
Par ailleurs, il est établi qu’au cours ou entre des crises d’authentique migraine basilaire peuvent survenir des symptômes otoneurologiques, et tout particulièrement des vertiges rotatoires, parfois même accompagnés de signes auditifs.
Il paraît donc important d’identifier, devant tout tableau évoquant une maladie de Ménière, une éventuelle migraine, susceptible de répondre à un traitement adapté ;
– le contexte psychologique constitue pour certains un élément essentiel du tableau clinique.
De nombreuses publications ont évoqué le rôle du stress, de la fatigue, des soucis familiaux ou professionnelsl ou encore des chocs affectifs, dans la survenue des crises.
Les patients affectés d’une maladie de Ménière présentent volontiers un profil psychologique particulier, fait d’intelligence, de grande culture, mais aussi de méticulosité, de perfectionnisme, voire d’obsession.
Certains auteurs vont même jusqu’à faire de ce profil un élément indispensable au diagnostic.
D’autres ont pu parler de maladie psychosomatique, « d’ulcère de l’oreille interne ».
Andersson, cependant, au cours d’une métaanalyse, n’a pas trouvé d’élément statistiquement significatif en faveur d’un rôle précurseur du stress dans la maladie de Ménière.
La multiplication des crises est même susceptible de déclencher le stress, qui n’apparaît plus alors que comme un symptôme secondaire. 

Histoire naturelle :

Imprévisible, mystérieuse et pouvant devenir bilatérale, tels sont sans doute les épithètes qui paraissent le plus appropriés pour définir et résumer l’histoire de la maladie de Ménière.
Pareille notion doit être soulignée d’emblée, pour donner une information claire au patient et pour obtenir une appréciation lucide des résultats thérapeutiques.
Tous les auteurs sont d’accord pour affirmer que, dans l’immense majorité des cas, l’affection est au début unilatérale. Quatre phases évolutives peuvent être décrites. 

A - PHASE INITIALE :

La maladie s’installe en règle entre 40 et 60 ans, sur un mode le plus souvent unilatéral et monosymptomatique, mais elle peut bien sûr débuter par la triade complète.
N’importe lequel des trois symptômes majeurs peut donc inaugurer et précéder, pour une période indéterminée, l’apparition des deux ou trois autres.
Pour certains, l’acouphène et la surdité précèdent le plus souvent le vertige de plusieurs mois ou années, du fait du site de développement initial de l’hydrops, à savoir le canal cochléaire.
Malgré tout, la maladie peut débuter par des crises de vertige sans signes cochléaires.
En règle, le tableau clinique est complet au bout de 1 an. 

B - PHASE ACTIVE :

C’est durant cette phase que la maladie revêt sa forme la plus typique. La triade symptomatique s’installe de façon paroxystique, avec des périodes de rémission complète.
Cette phase peut durer entre 5 et 20 ans. 

C - PHASE DE DÉCLIN :

Durant cette phase, l’atteinte cochléovestibulaire devient irréversible.
Les crises vertigineuses perdent de leur intensité, alors que la fonction auditive s’altère progressivement.
Les fluctuations disparaissent, les rémissions deviennent rares, et le patient se plaint d’une sensation d’instabilité plus ou moins permanente.
La surdité est plate et fluctuante, et une hyporéflexie vestibulaire s’installe. 

D - PHASE FINALE :

La phase finale de la maladie de Ménière réalise le classique « Ménière vieilli ».
Les vertiges ont disparu, mais le malade, sourd sévère, bourdonne en permanence et de façon intense.
La perte auditive est une subcophose, à 60-70 dB, la réflexivité vestibulaire est minimale, mais cophose et aréflexie sont rares.
Toutefois, cette description de l’histoire naturelle de la maladie de Ménière n’est que schématique, et sa division en quatre phases empirique.
Tout peut en effet s’observer au cours de cette maladie, et une stabilisation ou une reprise peuvent survenir à tout moment. 

E - BILATÉRALISATION :

Élément essentiel de l’évolution, l’atteinte bilatérale voit son pourcentage augmenter proportionnellement à la durée du suivi du patient.
L’étude de la littérature permet d’observer qu’après 2 ans d’évolution de la maladie, 15 % des cas sont bilatéraux, et qu’après 10 ou 20 ans, ce taux s’élève à 30 voire à 60 %.
La grande variation des incidences rapportées dans les différentes publications ne résulte pas seulement de durées d’observation différentes, mais aussi de critères diagnostiques différents.
Sur une série de 67 rochers autopsiés et ayant été le siège d’un hydrops endolymphatique, Kitahara a observé 30 % d’atteintes bilatérales.
Il semble enfin que cette bilatéralisation soit indépendante du stade de l’atteinte controlatérale.
Cette bilatéralisation, qui grève sérieusement l’avenir fonctionnel du patient, pose un problème thérapeutique, car toute décision, et notamment de chirurgie destructive, doit prendre en considération cette menace évolutive. 

Formes cliniques :

A - SYNDROME DE LERMOYEZ :

En 1919, Lermoyez décrivit un vertige paroxystique récidivant s’accompagnant de l’amélioration d’une surdité habituelle ; c’était « le vertige qui fait entendre ».
Ce syndrome fut étiqueté comme une forme clinique de la maladie de Ménière.
Lermoyez lui-même prétendait qu’un spasme des vaisseaux labyrinthiques était à l’origine de la surdité et de l’acouphène, et que la levée soudaine de ce spasme durant le vertige entraînait une amélioration de l’audition ainsi qu’une atténuation des vertiges.
Il est observé chez environ 1 % des patients porteurs d’une maladie de Ménière, et n’est peutêtre qu’une variante chronologique et temporaire de l’affection. 

B - CATASTROPHES OTOLITHIQUES DE TUMARKIN :

En 1936, le Britannique Tumarkin rapporta les cas de trois patients qui souffraient de chutes brutales sans prodromes ou « drop attacks ».
Il s’agissait de sensations brutales de poussées linéaires, faisant chuter le patient.
Elles survenaient sans prodromes, ne s’accompagnaient pas de perte de connaissance, n’étaient pas induites par des déplacements, et pouvaient provoquer des blessures ou des fractures tant elles étaient brutales.
Les crises de Tumarkin sont brèves, durant moins de 1 minute.
Elles surviennent souvent à un stade ultime de l’affection, et chez 10 % des patients porteurs de la maladie de Ménière.
Tumarkin lui-même a supposé que l’origine de ces crises était vestibulaire.
Aujourd’hui, on pense qu’en raison de cette symptomatologie clinique, l’hydrops endolymphatique se situe chez ces patients dans l’appareil otolithique et non dans les canaux semi-circulaires, d’où le nom de « catastrophes otolithiques ».
Sur une série de 11 patients porteurs de cette forme clinique, Black et al ont montré qu’une récupération complète était impossible avec un traitement médical seul.
Tous les patients furent finalement traités chirurgicalement, soit par labyrinthectomie, soit par neurotomie.
En revanche, certaines séries font état d’une rémission spontanée en quelques mois. 

Examen clinique :

Il diffère selon qu’il est mené durant ou entre les crises. 

A - DURANT UNE CRISE :

Durant une crise, l’examen clinique est limité, mais riche d’enseignements.
L’interrogatoire est tout d’abord fondamental pour caractériser le syndrome et surtout localiser l’oreille atteinte, en se renseignant sur le côté de l’acouphène et de la surdité.
L’otoscopie est normale.
L’acoumétrie instrumentale oriente vers une surdité de perception, du côté de l’acouphène.
Mais surtout, le médecin objective la réalité du vertige, en mettant en évidence, au mieux derrière des lunettes de Bartels ou de Frenzel, un nystagmus vestibulaire spontané.
Ce nystagmus est typiquement spontané, horizontorotatoire et atténué par la fixation oculaire, bref de type périphérique.
Le problème essentiel est posé par sa direction.
En effet, il a été clairement établi qu’il pouvait changer de sens au cours de la crise, battant vers l’oreille affectée au tout début de la crise, et c’est alors un nystagmus de type « irritatif », puis battant très rapidement après la phase initiale, au coeur de la crise, vers l’oreille saine, et c’est alors un nystagmus de type « destructif ».
Un nystagmus « irritatif » peut enfin être observé en fin de crise ; il est alors appelé « nystagmus de récupération ». ce dernier serait lié à un phénomène d’adaptation centrale réactionnel à la sidération vestibulaire critique. Lorsque cesse la crise apparaît une stimulation apparente et paradoxale du côté opposé.
Cette hypothèse, également mise en avant pour le phénomène de surcompensation, reste une hypothèse, et le mécanisme réel de la variation directionnelle du nystagmus au cours de la crise de Ménière reste inexpliqué.
Deux remarques doivent être faites :
– il est erroné d’assimiler « irritation » et « hyperexcitabilité ».
Si le premier est utilisé par opposition à destruction, le second est synonyme d’hyperfonctionnement, ce qui reste difficile à admettre d’un organe fonctionnel en état de souffrance aiguë.
La prudence invite donc à ne plus parler, à propos de la crise de Ménière, d’hyperexcitabilité labyrinthique ;
– dans tous les cas, le sens du nystagmus observé ne permet pas de préjuger à lui seul du côté qui souffre.
Après cet examen cochléovestibulaire succinct (le patient est souvent incapable d’effectuer les manoeuvres de déviations segmentaires), le reste de l’examen clinique doit bien sûr être complet, surtout aux plans ORL et neurologique. 

B - EN PÉRIODE INTERCRITIQUE :

L’examen ORL et neurologique est classiquement négatif en période intercritique.
Tout élément déficitaire observé doit orienter vers une autre cause que la maladie de Ménière.
Dans les formes évoluées de la maladie, il est cependant classique de provoquer l’apparition d’un nystagmus lorsque l’on crée une hyperpression dans le méat acoustique externe (au doigt ou au spéculum pneumatique).
C’est le signe d’Hennebert ou « signe de la fistule sans fistule », qui serait lié à une fibrose intralabyrinthique solidarisant la base du stapes aux structures vestibulaires.
Il s’observerait dans près d’un tiers de ces formes évoluées, notamment lors des variations brutales de pression : mouchages, éternuements, vibrations fortes, etc.
Examens paracliniques :
Toute suspicion de maladie de Ménière doit faire l’objet d’un bilan cochléovestibulaire, radiologique et biologique, dans le dessein d’étayer le diagnostic et d’éliminer une autre pathologie possible.

A - BILAN COCHLÉOVESTIBULAIRE :

La maladie de Ménière provoque une surdité de perception endocochléaire caractéristique, tout du moins dans les premiers temps, et un déficit tardif de la réflexivité vestibulaire.
Actuellement, le bilan initial doit comporter au minimum une audiométrie tonale, une audiométrie vocale, une impédancemétrie, un examen calorique et un test osmotique.
1- Audiométrie tonale :
Cet examen objective deux des caractéristiques essentielles de la surdité de perception du Ménière : son aspect ascendant ou plat et son évolution fluctuante. Des études ayant porté sur de grandes séries de patients ont montré que cette surdité était de type ascendant, affectant les fréquences graves jusqu’à 1 kHz d’environ 30 à 50 dB, en période critique.
Au stade précoce de la maladie et durant de nombreuses années, l’audition s’améliore, voire se normalise en période intercritique.
À un stade avancé, les fréquences aiguës sont elles aussi affectées, la ligne audiométrique se stabilisant entre 40 et 60 dB de perte sur toutes les fréquences ; puis la surdité perd son caractère réversible.
On n’observe toutefois qu’exceptionnellement une cophose.
Quatre faits doivent être signalés :
– le caractère ascendant et fluctuant de la courbe audiométrique est très évocateur d’hydrops endolymphatique.
Il n’est cependant pas pathognomonique de la maladie de Ménière ;
– les fluctuations du début de l’affection sont au mieux objectivées par le test osmotique que nous reverrons plus loin ;
– un Rinne de 10 à 15 dB peut être observé sur les fréquences graves.
Il serait dû à une distorsion harmonique déplaçant vers la base de la cochlée la zone de résonance ;
– une chute sur les fréquences aiguës peut parfois être observée, dont la signification n’est pas connue.
2- Impédancemétrie :
L’impédancemétrie permet, par la détermination du réflexe stapédien (RS), de préciser la nature endocochléaire de la surdité, en objectivant un autre élément très caractéristique de l’affection : le recrutement.
Aucune autre pathologie cochléaire n’est capable de s’accompagner d’un phénomène aussi intense.
Ainsi, les seuils des RS restent normaux, quelle que soit l’intensité de la surdité, celle-ci ne dépassant jamais 60 à 70 dB.
Ce recrutement est également bien objectivé par les potentiels évoqués auditifs (PEA), mais ceux-ci sont d’obtention moins facile et moins rapide que l’impédancemétrie.
3- Audiométrie vocale :
Elle montre une discordance souvent marquée avec les scores en audiométrie tonale.
Exprimée en décibels d’intelligibilité, en pourcentage de discrimination ou par le simple aspect de la courbe, elle révèle en effet de plus mauvaises performances que l’audiométrie tonale, ce qui explique les faibles possibilités d’appareillage de ces patients.
Elle fluctue elle aussi avec l’évolution de la maladie, mais assez rapidement dans l’évolution, la courbe vocale n’atteint plus les 100 % de discrimination, et présente souvent un aspect en dôme ou en cloche .
La raison de ce phénomène pourrait être une atteinte élective du ganglion spiral, secondaire à une dégénérescence nerveuse rétrograde.
4- Épreuves vestibulaires :
Pratiquées en dehors de tout traitement vertigineux ou sédatif, elles restent dominées par l’épreuve calorique calibrée.
Cet examen fournit, en effet, et de façon concordante dans la littérature, des informations quant à la réflexivité et à la prépondérance directionnelle.
Nous n’évoquerons ici que les résultats des épreuves effectuées en période intercritique.
La fonction vestibulaire reste longtemps subnormale, et se caractérise par une grande variabilité des réponses aux épreuves, sans parallélisme avec les réponses auditives.
Elle se détériore cependant au fil du temps, et dans 50 à 70 % des cas s’installe une hyporéflectivité du côté atteint.
Finalement, l’hyporéflexie se stabilise à la moitié ou au tiers de sa valeur initiale.
L’aréflexie, comme la cophose, est, en principe, exceptionnelle (5 à 10 % des cas à la phase terminale) et impose, si elle est retrouvée à plusieurs examens successifs, de toujours chercher une autre étiologie, tumorale notamment.
La prépondérance directionnelle, contrairement à l’hyporéflectivité, n’a pas de valeur localisatrice, car elle peut être dirigée vers l’oreille saine ou l’oreille atteinte.
En revanche, elle révèle parfois le phénomène de surcompensation, caractérisé par une prépondérance directionnelle du côté de l’oreille atteinte, alors qu’elle est normalement dirigée du côté sain.
Un tel signe s’observe au décours d’une période de crises vertigineuses de quelques jours ou semaines, et s’explique par un mécanisme central : pour atténuer le déséquilibre, le noyau vestibulaire central controlatéral au côté atteint freine son activité spontanée ; lorsque cesse la période de souffrance du labyrinthe malade, l’activité du noyau vestibulaire homolatéral se rétablit.
C’est alors le côté sain qui paraît hypoexcitable, expliquant la prépondérance paradoxale.
Il a été démontré au sein de canaux semi-circulaires postérieurs de grenouilles, que les récepteurs ampullaires étaient inhibés par une augmentation de la pression hydrostatique, peut-être à cause d’une modification du largage des neurotransmetteurs au niveau du pôle synaptique des cellules ciliées.
L’épreuve rotatoire est plus rarement pratiquée.
En période intercritique, elle ne semble normale que dans 15 % des cas.
Une asymétrie des réponses est retrouvée dans près d’un cas sur deux.
Un recrutement vestibulaire n’a pas été objectivé, après des épreuves rotatoires chez des patients atteints de maladie de Ménière.
5- Test au glycérol :
En 1966, Klockhoff, en adaptant un test de dépistage du glaucome, constata que la prise de glycérol, un puissant agent osmotique, pouvait temporairement soulager un hydrops endolymphatique, et donc induire une amélioration temporaire de la fonction des cellules ciliées externes et du seuil auditif.
Les tests osmotiques ont ainsi acquis un grand intérêt diagnostique, car ils constituent le seul moyen disponible permettant d’objectiver l’hydrops endolymphatique.
Ils ont par ailleurs une valeur pronostique, car leur positivité témoigne du stade encore a priori réversible de l’affection, et une valeur thérapeutique, car ils constituent une aide dans le choix du traitement.
Cependant, un résultat négatif n’écarte pas la maladie de Ménière.
* Principe :
Le principe de ces tests repose sur l’induction d’un gradient entre les compartiments vasculaire et labyrinthique, par la rapide et transitoire élévation de l’osmolalité sanguine que provoque l’ingestion ou l’injection d’une substance à fort pouvoir osmotique.
Ce gradient entraîne un déplacement d’eau hors de l’oreille interne, qui soulage l’hyperpression intralabyrinthique et, par là, améliore la transduction mécanoélectrique au sein de l’oreille interne, donc améliore la fonction auditive ou vestibulaire.
Cette amélioration est objectivée par des tests fonctionnels, réalisés avant et après le test.
Le fait que la soustraction chirurgicale d’endolymphe puisse détériorer l’audition, tandis que l’administration de glycérol l’améliore, pourrait signifier que le déplacement liquidien induit par le test osmotique concerne la périlymphe plutôt que l’endolymphe, et que la baisse de pression périlymphatique serait instantanément transmise à l’endolymphe.
Cependant, l’hypothèse d’un simple effet osmotique direct ne suffit pas à expliquer les différences observées entre les divers produits utilisés.
D’autres mécanismes, tels qu’une augmentation du débit sanguin cochléaire ou un effet hémodynamique direct de la pression artérielle, ont été évoqués.
* Technique :
Le produit le plus couramment utilisé est le glycérol.
Celui-ci est administré per os, à jeun, au repos strict, à raison de 1,5 g/kg de poids, mélangé à un volume égal de sérum salé isotonique et à quelques gouttes de jus de citron, si le goût ne plaît pas au patient.
Outre ses effets sur l’audition, il peut provoquer une céphalée (par hypotension du liquide céphalorachidien) ou des vomissements.
L’urée est parfois utilisée, per os, à raison de 20 g mélangés à 200 mL de jus de fruit.
Le mannitol peut être utilisé, par voie veineuse, avec semble-t-il d’excellents résultats.
Juste avant le test et dans les deux ou trois premières heures qui suivent l’ingestion du produit sont effectués des examens audiométriques.
* Résultats :
L’audiométrie tonale est la plus couramment pratiquée.
Le critère de positivité communément admis est une amélioration des seuils tonaux de 10 dB au moins sur deux des trois fréquences 500, 1 000 et 2 000 Hz.
L’audiométrie vocale est considérée comme plus sensible que l’audiométrie tonale.
Une amélioration de la discrimination de 10 % est considérée comme significative.
Le test au glycérol est positif dans environ 60 % des cas de maladie de Ménière, en ce qui concerne l’audiométrie.
En fait, cette positivité dépend du stade de l’affection. En raison du caractère fluctuant de l’audition, on conçoit en effet qu’il puisse être négatif en dehors d’une crise.
Certains auteurs ont proposé de le sensibiliser par une surcharge sodée dans les jours qui précèdent, ce qui aggrave momentanément l’audition.
Les tests à l’urée et au mannitol semblent globalement moins sensibles que le test au glycérol.
De plus, la prise de ces produits peut, dans certains cas, entraîner non pas une amélioration, mais une aggravation.
L’électrocochléographie par électrode transtympanique est une méthode d’enregistrement de potentiels évoqués auditifs très précoces, c’est-à-dire une latence maximale de 2 ms.
L’origine de ces potentiels se situe dans la cochlée ou dans le nerf cochléaire.
Le potentiel électrocochléographique est constitué de trois éléments : les potentiels microphoniques, qui seront éliminés ; les potentiels de sommation, qui reflètent le déplacement statique de la membrane basilaire ; et les potentiels d’action nerveux, qui proviennent de l’origine du nerf cochléaire.
L’amplitude des potentiels de sommation est augmentée en valeur absolue dans la maladie de Ménière par rapport à celle des sujets normaux.
Cette augmentation est corrélée à la distension de la membrane basilaire vers la rampe tympanique.
Eggermont a mis au point une méthode d’évaluation de ces potentiels, en calculant le rapport des amplitudes des potentiels de sommation sur celles de potentiels d’action (PS/PA).
Si ce ratio est supérieur à 0,35, un hydrops endolymphatique peut être affirmé.
Sous l’action du glycérol d’ailleurs, l’amplitude des PS diminue (traduisant sans doute la diminution de la distension de la membrane basilaire), tandis que celle des PA augmente (traduisant l’amélioration de l’audition).
L’électrocochléographie, qui montrerait une augmentation du rapport PS/PA dans 80 % des cas, apparaît donc actuellement comme la meilleure méthode pour objectiver un hydrops endolymphatique.
Cependant, un test négatif ne permet pas d’écarter formellement un hydrops, car une diminution de ce dernier peut s’être produite avant le test.
Par ailleurs, la technique demande à être codifiée, et il existe encore des problèmes pour obtenir des enregistrements stables et reproductibles.
Certains auteurs pensent que le test au glycérol permet de repérer les patients ayant une maladie de Ménière au stade précoce, et utilisent ce test comme un indicateur de la réponse au traitement.
6- Autres tests cochléaires :
* Potentiels évoqués auditifs :
À défaut d’imagerie par résonance magnétique (IRM), leur intérêt est double : ils permettent d’éliminer un processus tumoral rétrocochléaire pouvant simuler cliniquement une maladie de Ménière, et ils montrent le recrutement si spécifique de cette affection.
* Otoémissions acoustiques :
Elles montreraient, par leur absence, la souffrance des cellules ciliées externes, et seraient susceptibles de réapparaître sous test osmotique.
* Autres tests peu usités :
Citons enfin quelques tests peu usités, soit du fait de leur manque de spécificité, soit du fait de leur complexité :
– étude des courbes d’accord psychoacoustiques.
La déformation imposée à la membrane basilaire par l’hydrops se traduit par une perte de sélectivité et une perte du pouvoir masquant, ce qu’explorent les courbes d’accord. Cette épreuve reste du domaine de quelques laboratoires seulement ;
– test à l’acétazolamide.
Il consiste à pratiquer une audiométrie tonale juste avant et 45 minutes après administration intraveineuse en 1 minute de 500 mg d’acétazolamide.
Cette substance est un inhibiteur de l’anhydrase carbonique contenue en grandes quantités dans l’oreille interne. Son mécanisme reste mal expliqué.
Il pourrait entraîner une chute transitoire de l’osmolalité sanguine.
Ce test est considéré comme positif s’il existe une aggravation des seuils d’au moins 10 dB.
D’une grande sensibilité, provoquant une aggravation et non une amélioration auditive, il pourrait permettre de prédire la bilatéralisation en présence d’une oreille controlatérale apparemment saine ;
– test vestibulaire au furosémide. Curieusement, les substances osmotiques déjà mentionnées n’ont pas d’effet sur le vestibule.
Le furosémide, en revanche, paraît susceptible de modifier la fonction vestibulaire chez les patients porteurs d’une maladie de Ménière.
Le test consiste à pratiquer une épreuve calorique froide (50 mL à 30 °C) avant et 1 heure après l’administration intraveineuse de 20 mg.
Il est positif s’il existe un accroissement de la vitesse maximale du nystagmus supérieur à 9,4 %. Il serait positif dans 80 % des maladies de Ménière typiques, et pourrait être positif au stade de surdité stable, alors que le test au glycérol n’est plus positif.
En raison d’effets secondaires gênants (céphalée, diarrhée, vomissements, diurèse augmentée), les diurétiques osmotiques (glycérol, furosémide, etc) ne sont pas utilisés couramment.
De plus, le diabète, la déshydratation, l’insuffisance cardiaque, rénale ou hépatique sont des contreindications à leur emploi ; – l’enceinte hypobare.
En 1975, Densert rapporta que l’hypoacousie de trois patients en crise de Ménière avait été améliorée par des séjours de 30 à 129 minutes, à -300, -900 mm d’eau, dans une enceinte hypobare.
L’auteur supposa que la crise de Ménière était due à une obstruction partielle ou totale, mais temporaire, du canal endolymphatique, par une stase veineuse.
Dès lors, si l’organisme était exposé à une baisse de la pression ambiante, il se pourrait que les vaisseaux de l’oreille interne se décongestionnent, comme ceux de l’oreille moyenne, et que l’hypertension endolymphatique soit ainsi neutralisée.
Plus récemment, Kitahara et al ont décrit un test diagnostique de la maladie de Ménière.
Les patients supposés atteints sont placés dans une enceinte hypobare, d’abord à une pression ambiante de -500 mm d’eau puis, après 5 minutes, à -700 mm d’eau.
La pression est maintenue à ce niveau durant 5 autres minutes, puis ramenée à 0 mm d’eau. Cette procédure est effectuée trois fois de suite.
Il est demandé aux patients de n’effectuer des manoeuvres d’équilibration des oreilles moyennes que lorsque la pression est à 0 mm d’eau.
Un gain de 10 dB sur au moins deux des fréquences 250, 500 et 1 000 Hz est considéré comme un effet positif du test.
L’audition ne fut améliorée que chez les patients porteurs d’une maladie de Ménière (50 %) et/ou d’une forme cochléaire pure de la maladie (32 %).
Pour les auteurs, un résultat estimé positif à ce test signe une maladie de Ménière.
En revanche, ils ne parviennent pas à expliquer pourquoi une diminution de la pression ambiante peut améliorer l’audition de patients atteints d’une maladie de Ménière ;
– autres tests.
Le test de Fowler, le SISI test, le Bekesy, le Tone Decay Test, confirment la nature endocochléaire de l’affection, mais ils ne sont plus pratiqués.
B - IMAGERIE :
L’imagerie a, dans le cadre de la maladie de Ménière, un double but :
– éliminer une affection susceptible d’emprunter la symptomatologie méniérique : neurinome de l’acoustique, méningiome de l’angle pontocérébelleux, malformation congénitale de l’oreille interne (syndrome de Mondini), malformation de la colonne cervicale ou de la charnière occipitoatloïdienne ;
– tenter de mettre en évidence des variations anatomiques de l’oreille interne, susceptibles de favoriser le développement de la maladie.
Les progrès de l’imagerie médicale, et notamment l’avènement du scanner, ont permis de corroborer les constatations histologiques d’une petite taille de l’aqueduc du vestibule, et d’une diminution de la pneumatisation mastoïdienne périaqueducale chez les patients atteints d’une maladie de Ménière.
Ainsi, des coupes scanographiques de l’os pétreux ont montré une hypoplasie de la région rétrolabyrinthique, et de l’aqueduc du vestibule, chez des patients atteints.
Toutefois, d’autres travaux, fondés sur des scanners des rochers, n’ont pas permis de porter des conclusions définitives quant aux caractéristiques de l’aqueduc du vestibule, car le diamètre du canal endolymphatique n’est pas strictement corrélé à celui de l’aqueduc.
Plus récemment, les études d’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont semblé montrer que l’aqueduc du vestibule était significativement moins souvent visualisé chez les patients porteurs de la maladie de Ménière que chez des sujets témoins. Nous reverrons plus loin que le calibre de l’aqueduc du vestibule semble jouer un rôle prépondérant dans la genèse de la maladie.
L’IRM a également montré que la distance entre la partie verticale du canal semi-circulaire postérieur et la fosse cérébrale postérieure était représentative de la taille du sac endolymphatique d’une part, et que cette distance était significativement inférieure, chez les patients porteurs d’une maladie de Ménière, à celle mesurée chez les patients indemnes, d’autre part.
Cependant, les mêmes auteurs n’ont pas observé de différence significative entre une oreille affectée et une oreille non affectée, chez une même personne.
Ils évoquent pour finir une anomalie anatomique congénitale.
Il faut donc se méfier de possibles variations interindividuelles et du manque d’études comparatives, en raison du défaut de codification des techniques d’imagerie utilisées.
La non-visualisation radiologique de l’aqueduc du vestibule ne doit pas être considérée comme étant significative de son atteinte fonctionnelle.
L’imagerie sert, pour certains, uniquement à éliminer d’autres pathologies, et notamment un neurinome vestibulaire.
C - BILAN BIOLOGIQUE :
Toute suspicion de maladie de Ménière impose un bilan biologique, à la recherche d’une anomalie causale ou intercurrente, dont la correction est, théoriquement, susceptible d’améliorer l’allure évolutive de l’affection.
Sont ainsi demandés : un ionogramme sanguin, une glycémie à jeun et, au moindre doute, une hyperglycémie provoquée orale, une osmolalité sanguine, un bilan lipidique, une sérologie de la syphilis.
D’autres examens ont parfois été recommandés : dosage des hormones thyroïdiennes, tests immunitaires (recherche d’anticorps antinucléaires, électrophorèse des protéines sériques, bilan inflammatoire, étude du système human leucocyte antigen [HLA]).
Toutefois, comme nous le verrons plus loin, l’hypothèse d’une affection auto-immune n’a pour l’instant pas pu être prouvée.
Diagnostics différentiels :
Le problème du diagnostic différentiel se pose essentiellement lorsque la triade clinique n’est pas complète.
A - SYNDROME COCHLÉAIRE ISOLÉ :
Devant un syndrome cochléaire isolé, il faut éliminer :
– une forme cochléaire pure de la maladie, encore appelée surdité fluctuante.
L’individualisation d’une forme cochléaire pure de Ménière est discutée par de nombreux auteurs (AAO-HNS), au motif qu’il n’est nullement démontré que le substratum physiopathologique en soit un hydrops endolymphatique.
Mieux vaut donc parler de « surdité fluctuante, en attendant l’éventuelle survenue de crises vertigineuses associées, pour pouvoir évoquer une maladie de Ménière.
Cette maladie peut en effet évoluer de nombreuses années sur un mode monosymptomatique ;
– une surdité brusque.
Les surdités brusques, lorsqu’elles sont réversibles en quelques heures ou jours, peuvent faire évoquer le diagnostic de maladie de Ménière débutante.
C’est seulement la surveillance à long terme, en montrant l’absence ou au contraire la survenue de récidives, qui permet de poser le diagnostic exact ;
– une labyrinthite séreuse. Une atteinte inflammatoire, aiguë ou chronique, de l’oreille moyenne, peut engendrer un hydrops réactionnel.
Il est d’ailleurs très courant de noter une sensation de plénitude de l’oreille et de léger déséquilibre, ainsi qu’une courbe ascendante de la CO, sur l’audiogramme d’otites séreuses.
Le diagnostic repose sur l’otoscopie et le contexte clinique ; – une syphilis labyrinthique.
La syphilis dans sa phase tertiaire se traduit histologiquement par une atteinte inflammatoire du labyrinthe membraneux, avec hydrops, évoluant secondairement vers la fibrose.
Le diagnostic repose sur les antécédents, les classiques signes associés, le signe d’Hennebert (signe de la fistule sans fistule), particulièrement net ici du fait de la fibrose, et surtout les réactions sérologiques ;
– un syndrome de Cogan ou une autre maladie auto-immune.
Le syndrome de Cogan est une entité rare, qui associe, aux signes labyrinthiques, une kératite et des signes de vascularite diffuse.
Son diagnostic, confié à des spécialistes de médecine interne, repose sur des stigmates généraux suggérant un désordre immunitaire, et sur un bilan explorant la fonction immunitaire.
Le diagnostic, rarement posé, appelle un traitement associant, à des degrés divers, corticothérapie, immunodépresseurs, voire plasmaphérèse.
La lourdeur de ces traitements impose de ne poser ce diagnostic qu’avec la plus extrême prudence.
B - SYNDROME VESTIBULAIRE ISOLÉ :
Devant un syndrome vestibulaire isolé, il faut éliminer :
– une forme vestibulaire pure de la maladie.
Il faut attendre la survenue de signes cochléaires, durant des années et après avoir éliminé tous les diagnostics différentiels possibles, avant de pouvoir poser ce diagnostic ;
– une névrite vestibulaire.
La névrite vestibulaire se différencie de la maladie de Ménière par l’absence de symptômes cochléaires associés, l’unicité de la crise vertigineuse, sa durée, qui dépasse en règle quelques heures pour durer quelques jours, l’hypo- ou l’aréflexie unilatérale souvent définitive aux épreuves vestibulaires, et par le phénomène de compensation centrale, qui s’installe en quelques jours à quelques semaines ;
– un vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB). Le VPPB se caractérise par des épisodes vertigineux brefs, de l’ordre de quelques secondes, apparaissant à certains mouvements céphaliques. Ils sont reproductibles par la manoeuvre de Dix et Hallpike ;
– un vertige d’origine centrale.
Trois affections peuvent s’accompagner de manifestations vertigineuses pouvant évoquer une origine périphérique : la sclérose en plaques et le syndrome de Wallenberg, authentifiés par l’IRM et l’insuffisance vertébrobasilaire. 

C - SIGNES VESTIBULAIRES ET COCHLÉAIRES :

Devant des signes vestibulaires et cochléaires, on élimine :
– une labyrinthite, ou encore une surdité brusque avec atteinte labyrinthique.
Elle se caractérise par la baisse, brutale et unilatérale, de l’audition et de la fonction vestibulaire, associée à un acouphène homolatéral.
Contrairement à la maladie de Ménière, la symptomatologie dure plusieurs jours et la récupération est aléatoire, comme pour la surdité brutale et la névrite vestibulaire ;
– un neurinome de l’acoustique.
Dans sa forme classique, intracanalaire puis pontocérébelleuse, le neurinome de l’acoustique est diagnostiqué par l’IRM, demandée en raison de l’absence de récupération après la première crise.
En revanche, dans son exceptionnelle variante à point de départ intralabyrinthique, il peut simuler longtemps une maladie de Ménière.
Ce n’est souvent qu’après plusieurs années que le diagnostic est posé, devant l’apparition de symptômes atypiques, avec notamment extériorisation tumorale dans l’oreille moyenne, voire externe.
Ce diagnostic doit donc être présent à l’esprit devant toute maladie de Ménière comportant des éléments atypiques, aréflexie vestibulaire et cophose notamment ;
– une fistule labyrinthique. D’origine traumatique (traumatisme crânien, barotraumatisme) ou iatrogène (chirurgie otologique), la fistule labyrinthique se traduit par des sensations vertigineuses fugaces déclenchées par l’effort, et associées à une baisse de l’audition progressive par paliers.
Un tel tableau prête rarement à confusion avec une maladie de Ménière.
Pourtant, il a été signalé que des fistules périlymphatiques de la fenêtre cochléaire pouvaient revêtir toutes les caractéristiques cliniques de la maladie de Ménière, et que seule l’exploration chirurgicale pouvait les identifier et les traiter ;
– l’ototoxicité médicamenteuse.
De nombreuses spécialités pharmacologiques sont susceptibles de léser l’oreille interne (antibiotiques tels les aminosides, par exemple).
D’autres possèdent un effet inhibiteur sur le labyrinthe, tels les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les antiépileptiques et les sédatifs.
L’interrogatoire, qui doit être policier, révèle une relation entre la prise du médicament et l’apparition des symptômes.
La crise dure par ailleurs plus longtemps qu’une crise de Ménière.



Physiopathologie :
La physiopathologie de la maladie de Ménière est encore imprécise, en dépit de nombreux travaux expérimentaux qu’il n’est pas possible de rapporter ici de façon exhaustive.
Nous nous limiterons à n’exposer que les plus marquants d’entre eux, en différenciant les études histopathologiques humaines (d’après autopsie) et les modèles expérimentaux.





Mais auparavant, un bref rappel anatomique s’impose.
A - RAPPEL ANATOMIQUE :
L’aqueduc du vestibule est un canal osseux très étroit (0,5 mm de diamètre sur la plus grande partie de son trajet), qui s’étend du vestibule à la cavité crânienne.
Il débute sur la paroi médiale du vestibule, à l’extrémité supérieure de la gouttière sulciforme, audessous et en avant de l’orifice non ampullaire des canaux semicirculaires supérieur et postérieur.
De là, il se dirige en arrière, médialement et en bas, en décrivant une courbe à concavité inférolatérale, pour aller s’ouvrir sur la paroi postérosupérieure du rocher, au niveau de la fossette unguéale, 1 cm environ en arrière du pore du méat acoustique interne.
Le canal endolymphatique naît de l’union de deux fins canalicules, qui se détachent des parois médiales de l’utricule et du saccule.
Ce canal s’engage dans l’aqueduc du vestibule et se termine sous la dure-mère de l’angle pontocérebélleux, au niveau de la fossette unguéale, par un renflement, le sac endolymphatique.
L’importance de la vascularisation de cette région est probablement due à de possibles et nombreux échanges liquidiens.
B - ÉTUDES HISTOPATHOLOGIQUES HUMAINES :
1- Hydrops endolymphatique :
Le premier pas vers la compréhension de la pathologie de la maladie de Ménière fut la constatation histologique d’un hydrops endolymphatique par Hallpike et Cairns en 1938.
Ces auteurs décrivirent, sur des rochers de patients décédés des suites de neurectomies vestibulaires, l’existence d’une distension du labyrinthe membraneux, que les auteurs anglais appelèrent « hydrops endolymphatique ».
Rauch, en 1989, constata, lors d’une étude en double aveugle portant sur l’histoire clinique et sur l’étude histopathologique de l’os temporal chez 119 patients, que les 13 patients ayant présenté une maladie de Ménière clinique étaient porteurs d’un hydrops endolymphatique ; en revanche, six des 106 patients témoins, qui n’avaient pas présenté de symptomatologie clinique, étaient eux aussi porteurs d’un hydrops endolymphatique.
Ces constatations placent l’hydrops au coeur de la pathogénie.
Cet hydrops est constamment observé dans le canal cochléaire, où il se traduit par une déformation de la membrane vestibulaire, qui, selon le stade de l’affection, peut être localisée ou généralisée.
Il débute pratiquement toujours à l’apex puis s’étend au reste de la cochlée.
La membrane vestibulaire se distend progressivement et, dans les stades évolués, peut combler la totalité de la rampe vestibulaire et s’engager au travers de l’hélicotréma dans la rampe tympanique.
À la base, le cæcum vestibulaire du canal cochléaire distendu saillit dans le vestibule.
L’importance de l’hydrops semble corrélée à celle de la surdité : au-dessous de 70 dB de perte, il reste modéré et prédomine à l’apex, ce qui rend probablement compte de l’atteinte initiale des fréquences graves ; au-dessus de 70 dB de perte, il apparaît important et prédomine à la base.
L’hydrops est également retrouvé dans le saccule.
Ce dernier, une fois dilaté, vient au contact de l’utricule, des canaux semi-circulaires et de la base du stapes (platine de l’étrier), sur laquelle il se moule dans près de 60 % des cas, et avec laquelle il développe parfois des adhérences, dont nous reverrons plus loin les incidences cliniques.
L’utricule et les canaux semi-circulaires sont touchés de façon inconstante par le processus hydropique. Peut-être est-ce dû à la valvule utriculo-endolymphatique qui protège longtemps la pars superior de l’hydrops né en aval.
2- Ruptures, fistules et collapsus :
Des ruptures du labyrinthe membraneux ont été notées selon des fréquences variables, en toutes parts du labyrinthe, à l’exception de l’utricule et du saccule.
Antoli-Candela en a distingué deux types :
– le type I n’est observé que dans le labyrinthe cochléaire et la partie inférieure du labyrinthe postérieur, c’est-à-dire là où les parois membraneuses sont les plus fines, et donc les plus susceptibles d’artefacts de préparation histologique.
Les berges n’en paraissent en effet pas remaniées, et ne présentent pas d’altération des structures neurosensorielles de voisinage ;
– le type II, en revanche, paraît correspondre à des ruptures vraies ante mortem, survenant au point de distension maximum, et caractérisées sur leurs berges par des signes d’atrophie ou plus volontiers de cicatrisation hypertrophique.
Parfois, le defect est obturé par un fin voile unicellulaire.
Ailleurs, ce type de rupture conduit à une fistule organisée et permanente entre espaces endo- et périlymphatiques, voire entre structures endolymphatiques ellesmêmes, avec fréquemment un collapsus des parois ou structures voisines.
Cependant, ces ruptures n’ont pas été retrouvées par tous les auteurs, ce qui remet en question cette théorie et fournit un argument de poids contre la théorie de l’intoxication potassique, que nous reverrons plus loin.
3- Lésions fibreuses :
Dans de nombreux cas, une prolifération de tissu fibreux est observée à l’intérieur du labyrinthe, entre membrane vestibulaire et endoste cochléaire de la rampe vestibulaire, ou entre membranes vestibulaires et parois du vestibule osseux.
Des bandes fibreuses cloisonnent ainsi la cavité labyrinthique, amarrant notamment la base du stapes aux structures vestibulaires profondes.
4- Organes sensoriels :
L’organe spiral (ou de Corti) et les ampoules et macules vestibulaires ne présentent pas de lésions significatives. Les altérations observées à leur niveau paraissent indépendantes du processus méniérique, et plutôt en rapport avec l’âge.
Dans l’organe de Corti peuvent être observées une perte de cellules ciliées, une atrophie des cellules de soutien, une distension ou une atrophie de la membrane tectoriale.
Ces diverses lésions prédominent à l’apex, et s’accompagnent parfois d’une perte des neurones correspondants.
Le ganglion spiral ne présente pas d’anomalies notables.
Dans le vestibule, les crêtes sont refoulées par les parois vestibulaires distendues, ce qui en altère le mouvement .
Les macules otolithiques utriculaires et sacculaires sont parfois disloquées, mais il est très rare d’observer une atteinte des fibres nerveuses vestibulaires.
5- Strie vasculaire et tissus sécrétoires :
Bien que dans leur description princeps, Hallpike et Cairns aient signalé une dégénérescence de la strie vasculaire, celle-ci n’a pas été confirmée dans les travaux ultérieurs.
Les zones d’atrophie éventuellement observées paraissent, comme pour les structures sensorielles, pouvoir s’expliquer par un banal processus de vieillissement.
En revanche, des formations papillaires choroïdiennes ont été décrites dans le ductus reuniens.
De telles structures sont caractéristiques des tissus engagés dans les phénomènes de transport et de production liquidiens.
6- Sac endolymphatique :
De très nombreux travaux histologiques lui ont été consacrés, dans la mesure où il apparaît comme le site électif de réabsorption de l’endolymphe.
Les auteurs ayant travaillé sur ce sujet se sont attachés à décrire les modifications, soit du sac lui-même, soit de l’aqueduc du vestibule.
La fibrose périsacculaire et la disparition du tissu conjonctif sousépithélial paraissent constituer le stigmate histopathologique le plus constant, mais leur valeur pathologique est encore discutée.
Déjà constatées par Hallpike et Cairns en 1938, elles ont été retrouvées par de nombreux auteurs.
Une atteinte dégénérative avec de l’épithélium du sac avec fibrose et adhérences intraluminales identiques à celles observées après infection virale, a également été rapportée.
D’autres auteurs ont retrouvé des signes évocateurs d’ischémie : une diminution nette de l’apport vasculaire serait possible.
Cela corrobore le travail de Shambaugh et Clémis qui, dans les années 1960, constatèrent en peropératoire une ischémie du sac et une obstruction intraluminale de l’aqueduc du vestibule, bientôt appuyées par des observations radiologiques.
Enfin, de façon contingente ont été rapportées des lésions peut-être susceptibles de générer un hydrops, mais ne pouvant rendre compte de la maladie de Ménière : agénésie ou atrophie du sac, obstruction ou oblitération du canal endolymphatique par un ostéome ou une exostose, voire une réaction péritumorale.
En 1982, Kodama et Sando ont étudié la morphologie de l’aqueduc du vestibule et du sac endolymphatique, sur 79 rochers humains, sans maladie de Ménière préalablement connue.
Ils observèrent 17 hypoplasies de ces deux structures (21,5 %), 38 normoplasies (48,1 %) et 24 hyperplasies (30,4 %).
En 1984, Sando et Ikeda étudièrent les rochers de 27 sujets porteurs d’une maladie de Ménière ; 16 d’entre eux étaient hypoplasiques, soit 59,3 %.
Comme nous l’avons déjà signalé dans le chapitre traitant de l’imagerie, des coupes scanographiques du rocher ont montré une hypoplasie de la région rétrolabyrinthique chez les patients porteurs d’une maladie de Ménière.
En 1997, Takeda et al ont montré, par le biais de mesures scanographiques, que les patients porteurs d’une maladie de Ménière présentaient un aqueduc du vestibule hypoplasique et avec un orifice externe étroit.
Depuis quelques années, l’IRM, qui a permis de visualiser le canal et le sac endolymphatiques, a montré qu’ils étaient moins souvent visualisés chez les patients présentant une maladie de Ménière que chez les sujets indemnes.
Cette constatation radiologique a même été confirmée après exploration chirurgicale, dans une série de 41 patients.
Cependant, toutes ces lésions ne sont ni constantes, ni spécifiques.
La « fibrose périsacculaire » observée pourrait ne résulter que des techniques de coupe employées.
7- Lésions vasculaires :
Outre l’ischémie périsacculaire déjà signalée, l’absence congénitale de la veine satellite de l’aqueduc du vestibule a été rapportée, associée au développement d’une circulation de drainage collatérale.
Or, ce système veineux assure le drainage de la partie non sensorielle du vestibule et tout particulièrement des cellules sombres, qui contrôlent la sécrétion de l’endolymphe (le reste du système cochléovestibulaire étant drainé par la veine cochléaire inférieure, satellite de l’aqueduc cochléaire).
C - MODÈLES EXPÉRIMENTAUX :
Sur ces bases histopathologiques, de nombreuses études se sont proposées de développer un modèle animal d’hydrops endolymphatique (HE) et d’en étudier les aspects histologiques, biochimiques, électrophysiologiques et thérapeutiques.
Portmann, dès 1921, a observé des anomalies du comportement natatoire, chez des élasmobranches chez lesquels il avait cautérisé le canal et le sac endolymphatique.
Il en a conclu que le sac endolymphatique jouait un rôle dans l’homéostasie des liquides labyrinthiques, et que son atteinte pouvait entraîner un HE.
À partir de ces travaux historiques, Naito réussit en 1950 à induire un HE chez le cobaye, par l’oblitération directe du sac et du canal endolymphatiques.
Cette expérience fut reproduite avec le même succès par Kimura en 1965 chez le cobaye, et par Schuknecht en 1968 chez le chat.
Cette procédure, capable de produire un HE chez 100 % des cobayes, fut utilisée pour tenter de déterminer l’efficacité des traitements de l’hydrops.
Cependant, ce modèle a une spécificité d’espèce.
Si un HE est obtenu chez 100 % des cobayes ainsi traités, et concerne alors les labyrinthes cochléaire et vestibulaire, tout comme chez le rat et le lapin, il est moins constamment obtenu chez le chat, et ne concerne alors que sa cochlée.
Enfin, l’HE est très difficile à provoquer par cette méthode chez le chinchilla et le singe.
Par ailleurs, les cobayes et les chats ne présentent pas de nystagmus après l’oblitération de l’aqueduc du vestibule, tandis que le lapin et la gerbille en présentent un durant plusieurs jours après la chirurgie.
L’explication la plus probable est le blocage de la veine de l’aqueduc du vestibule, qui est absente chez le cobaye et le chat, et présente chez la gerbille et le lapin.
Or, l’oblitération sélective de cette veine induit un nystagmus chez la gerbille, de façon inconstante, peut-être en raison de l’existence d’un drainage veineux collatéral chez certains animaux.
La principale conséquence de l’oblitération du sac endolymphatique consiste en la distension de la membrane de Reissner et des parois des cavités membraneuses vestibulaires.
Cet HE survient rapidement, souvent en 24 heures, mais de façon variable selon les espèces.
La dilatation de la membrane de Reissner s’effectue aux dépens des cellules existantes, et non par prolifération cellulaire.
Pareille constatation est en contradiction avec certaines observations faites sur rochers humains, faisant état d’une multiplication cellulaire en réponse à un étirement.
Enfin, les jonctions serrées entre cellules épithéliales sont comparables à celles observées chez l’animal normal, ce qui va à l’encontre d’une augmentation de la perméabilité membranaire, évoquée comme possible mécanisme de fuite ionique.
Une atrophie des cellules ciliées est par ailleurs souvent notée, qui touche davantage les cellules externes qu’internes.
Une atteinte des cellules du ganglion spiral et des cellules de la strie vasculaire est également observée.
Toutes ces lésions prédominent à l’apex, ce qui suggère un mécanisme lésionnel différent de celui des traumatismes sonores ou des drogues ototoxiques.
De plus, elles ne sont observées qu’au bout de 1 à 2 mois après l’oblitération du sac, soit bien plus tard que l’HE.
Par ailleurs, des fistules sont observées au niveau des parois des saccules de certaines espèces (singe, chinchilla, rat) et, dans ce cas, aucun hydrops n’est mis en évidence.
À l’inverse, chez le cobaye, où aucune fistule ne peut être retrouvée, un hydrops est observé de façon quasi constante.
Pareille discordance s’explique sans doute par des différences interespèces d’élasticité membranaire ou de physiologie liquidienne.
Quoi qu’il en soit, ces fistules semblent prévenir le développement de l’HE et être la conséquence d’une augmentation de pression à l’intérieur du labyrinthe membraneux, bien que leur siège sacculaire, proche des canal et sac endolymphatiques, suggère qu’elles puissent n’être qu’une conséquence de phénomènes inflammatoires postchirurgicaux.
Elles n’entraînent, semble-t-il, aucune lésion significative des cellules sensorielles, ce qui suggère que la contamination de l’endolymphe par la périlymphe est limitée.
Les fistules induites expérimentalement, simultanément à l’oblitération du sac, retentissent de façon variable sur le développement de l’HE.
Effectuées dans le canal cochléaire, elles semblent en diminuer l’importance, alors que, réalisées dans le vestibule, elles ne semblent d’aucun effet.
Elles cicatrisent par ailleurs très rapidement, surtout dans le vestibule.
De ces données expérimentales, on peut retenir que :
– le modèle d’HE expérimental repose sur l’oblitération du sac ou du canal endolymphatique.
L’HE est d’apparition rapide, prédomine à l’apex, mais n’est obtenu que dans certaines espèces, ce qui rend difficile une extrapolation à l’homme, d’autant que les animaux rendus hydropiques manifestent rarement des symptômes vestibulaires typiques de la maladie de Ménière ;
– les altérations sensorielles prédominent, comme chez l’homme, à l’apex, mais ne peuvent rendre compte à elles seules des symptômes cochléaires observés en clinique humaine.
Elles sont d’apparition retardée par rapport à l’HE ;
– les fistules induites ne limitent le développement de l’HE que lorsqu’elles sont effectuées dans le canal cochléaire, ce qui pourrait constituer un argument en faveur des shunts chirurgicaux endocochléaires.
D - PATHOGÉNIE :
Sur la base de ces données histopathologiques humaines et expérimentales, de nombreuses hypothèses pathogéniques ont été avancées, qui seront envisagées selon qu’elles concernent l’HE ou les symptômes observés en clinique.
Dans les deux cas, cependant, ces hypothèses posent comme établie la réalité de l’hydrops endolymphatique, dont elles se proposent d’expliquer la survenue ou s’en servent pour éclairer la symptomatologie clinique.
Or, le concept même d’hydrops en tant que substratum histopathologique de la maladie ne peut être accepté sans réserve, car :
– il n’est pas constant chez des patients ayant pourtant présenté tous les symptômes caractéristiques de l’affection (il est ainsi absent chez 10 des 22 patients de Paparella) ;
– depuis sa description initiale en 1938, l’observation d’un hydrops ne repose en tout et pour tout, que sur l’examen d’environ 150 rochers humains, chiffre qui n’autorise aucune certitude absolue ;
– enfin, il est observé dans d’autres affections que la maladie de Ménière.
C’est en gardant à l’esprit cette notion critique qu’il convient d’aborder les paragraphes suivants.
1- Pathogénie de l’hydrops endolymphatique :
Aucune étude n’a pu déterminer avec certitude la composition biochimique de l’endolymphe accumulée dans les labyrinthes hydropiques, ou encore montrer si cette endolymphe était normale.
La dilatation du labyrinthe membraneux relève a priori, soit d’une hyperproduction d’endolymphe, soit d’un dysfonctionnement des épithéliums labyrinthiques, qui régulent les concentrations en électrolytes et les osmolarités de l’endolymphe et de la périlymphe, soit d’une insuffisance de résorption de l’endolymphe par le sac endolymphatique.
Une hyperproduction peut théoriquement résulter de trois phénomènes :
– une élévation de la pression hydrostatique dans le segment artériel de la strie vasculaire entraînant une augmentation de la fuite liquidienne du capillaire vers la scala media, ou une diminution de la pression oncotique plasmatique réduisant le retour des fluides dans le segment veineux.
Cette hypothèse ne tient pas compte de ce que l’endolymphe résulte d’une sécrétion active et non d’une ultrafiltration ;
– une stimulation des processus de sécrétion. Feldman et Brusilow ont ainsi rapporté que l’injection de toxine cholérique dans la scala media entraînait un HE.
Mais cette hypothèse fut abandonnée, car cette expérience n’a jamais pu être reproduite ;
– une augmentation de la pression osmotique endolymphatique par accumulation de débris cellulaires ou de macromolécules, par perte de la fonction de phagocytose du sac endolymphatique ou par déficit en hyaluronidase, provoquant l’accumulation de grosses molécules hydrophiles.
Cette hypothèse n’a pu être confirmée. Une réabsorption insuffisante de l’endolymphe par le sac endolymphatique est l’hypothèse la plus communément admise aujourd’hui.
Elle repose sur la théorie du flux longitudinal, suggérée il y a déjà plus de 60 ans par les expériences de Portmann et de Guild.
Ce dernier, ayant injecté des billes d’encre indienne dans la scala media, les a retrouvées quelques jours plus tard dans le sac.
Cette théorie a ensuite été étayée par des études en microscopie électronique, qui ont montré que le sac dispose de l’équipement cellulaire caractéristique des épithéliums engagés dans les phénomènes de transports et d’échanges liquidiens et métaboliques.
Ainsi, grâce au flux longitudinal lui sont acheminés eau et solutés endolymphatiques, notamment les protéines ayant pénétré dans l’espace endolymphatique.
La purification et la réabsorption s’y effectueraient ensuite selon trois mécanismes possibles :
– sortie passive transcellulaire d’eau.
La matrice non collagène sousépithéliale crée un gradient osmotique transépithélial élevé en regard de certaines zones atrophiées, ce qui attire l’eau vers les vaisseaux qui entourent le sac, d’où concentration de l’endolymphe ;
– transport actif transcellulaire des ions vers les espaces intercellulaires, ce qui augmente l’osmolarité et induit secondairement un appel d’eau passif ;
– vacuolisation active transcellulaire transportant l’endolymphe de la lumière du sac vers les vaisseaux périphériques.
Cette théorie du défaut de résorption du liquide endolymphatique a été renforcée par les études histopathologiques humaines, qui ont montré une fibrose autour du sac, une hypoplasie ou une atrophie du sac.
Notons que si le sac est défaillant, l’aqueduc du vestibule paraît être hypoplasique chez les patients atteints de Ménière ; cela pourrait expliquer la fréquente impossibilité de visualiser l’aqueduc du vestibule sur l’imagerie.
Au plan étiologique, l’HE est classé actuellement en malformatif ou acquis.
Le type malformatif est rare, et pourrait être dû à une dysplasie de Mondini. Le type acquis serait dû à une agression du labyrinthe, inflammatoire (virale ou bactérienne) ou traumatique .
On peut en rapprocher le « delayed vertigo » ou HE retardé, qui survient chez des patients ayant présenté une surdité sévère unilatérale, d’origine infectieuse ou traumatique, et qui, après une période prolongée, développent, soit un vertige épisodique du même côté, soit une surdité fluctuante du côté controlatéral, associée parfois à un vertige récidivant.
Une atteinte auto-immune de l’oreille interne a aussi été évoquée, notamment après la découverte d’immuns complexes circulants et d’autoanticorps anti-sac endolymphatique.
Par ailleurs, un HE peut être présent mais asymptomatique :
– s’il n’y a déjà plus de fonction cochléovestibulaire ;
– si une fistule s’est déjà produite spontanément.
La constatation que la migraine est souvent associée à la maladie de Ménière et que son traitement peut aussi atténuer la symptomatologie méniérique ne suffit pas pour prouver que l’origine de la maladie de Ménière est vasculaire.
Cependant, Oliveira et al ont rapporté en 1997 la présence de ces deux pathologies au sein d’une même famille, ce qui pourrait témoigner d’une même origine autosomique dominante.
2- Pathogénie des symptômes :
* Théorie de la rupture membranaire :
L’hypothèse la plus classique pour expliquer les symptômes de la maladie de Ménière est celle décrite par Lawrence et McCabe en 1959, reprise et développée par Schuknecht en 1974 : la rupture du labyrinthe membraneux et l’intoxication potassique.
Sous l’effet de la distension progressive, le labyrinthe membraneux finit par se rompre, libérant ainsi le potassium endolymphatique qui, selon le siège de la rupture, diffuse soit dans la périlymphe de la citerne vestibulaire, soit dans celle de la rampe vestibulaire du canal cochléaire d’où il gagne ensuite, à travers l’hélicotrema, la rampe tympanique.
Le labyrinthe membraneux et les nerfs baignent dans de la périlymphe, dont la composition en électrolytes est similaire à celle du liquide cérébrospinal (Na+ = 143 mmol/L, K+ = 8 mmol/L).
En revanche, le taux de potassium dans l’endolymphe (K+ = 150 mmol/L, Na+ = 15 mmol/L) est suffisamment élevé pour provoquer une dépolarisation axonale à l’origine d’un blocage de la conduction nerveuse.
Il a ainsi été démontré que la perfusion dans l’espace périlymphatique d’une solution potassique est susceptible de bloquer les réponses cochléaires ou de provoquer un nystagmus paralytique.
Lorsque la concentration de potassium augmente dans la périlymphe, les fibres nerveuses afférentes qui traversent cette dernière sont les premières affectées.
Ces fibres sont tout d’abord excitées, car leur potentiel membranaire se rapproche du potentiel d’activation des canaux à sodium.
Si la concentration de potassium continue à augmenter, les potentiels d’action sont bloqués, d’où une réduction de l’activité spontanée, liée à l’inactivation des canaux à sodium axonaux.
Cela a été reproduit chez le cobaye, en perfusant de l’endolymphe artificielle dans les espaces périlymphatiques.
Un tel mécanisme explique pourquoi le nystagmus est de type irritatif au début de la crise, puis change de sens pour devenir de type destructif.
Enfin, lorsque l’excès de potassium est épuré, le nystagmus bat de nouveau vers l’oreille malade (nystagmus de récupération), avant de disparaître.
La durée de ce cycle varie selon le délai nécessaire au renouvellement liquidien.
La direction du nystagmus et du vertige pourrait dépendre également de l’endroit où s’effectue la rupture membranaire.
Une analyse récente en trois dimensions du nystagmus spontané, chez quatre patients atteints de maladie de Ménière, a montré toutefois qu’il n’existait que deux composantes dans les mouvements oculaires chez ces patients : horizontale et rotatoire.
Ces constatations ont conduit à supposer que les fibres afférentes de tous les canaux semi-circulaires étaient stimulées au cours de la crise.
Lorsque les deux canaux verticaux sont stimulés, la composante rotatoire prédomine, tandis que les composantes verticales opposées s’annulent.
Ainsi, Schuknecht a formulé « un concept logique du mécanisme de la surdité fluctuante et des vertiges paroxystiques dans la maladie de Ménière » :
– diminution de la résorption endolymphatique. Une hypoplasie de l’oreille interne, un traumatisme ou une labyrinthite virale altèrent la fonction de résorption du sac endolymphatique ;
– hydrops.
Il s’ensuit une accumulation lente d’endolymphe, à l’origine d’un hydrops et d’une distension de la membrane labyrinthique ;
– ruptures.
L’accroissement du volume d’endolymphe provoque des ruptures répétées du système endolymphatique et une contamination du liquide périlymphatique, qui paralyse temporairement les fonctions cochléaire et vestibulaire, provoquant vertige et/ou surdité ;
– cicatrisation des ruptures. Les déchirures se cicatrisent, autorisant la reproduction du processus entier ;
– distension et atrophie.
À un stade avancé, le labyrinthe membraneux présente des déformations permanentes, responsables de surdité et de déséquilibre, également permanents, cependant que la cavité vestibulaire est occupée par des plages de tissu fibreux dense, stigmates des nombreux processus de fistulisation et de cicatrisation intervenus au décours de l’évolution.
Ces connexions fibreuses assurent la transmission des stimuli mécaniques entre les différentes structures qu’elles relient, et notamment entre base du stapes et structures vestibulaires. Ainsi s’explique le classique signe d’Hennebert.
Cette théorie de l’intoxication potassique secondaire à une rupture membraneuse soulève, cependant, de nombreuses objections : des ruptures ne sont pas toujours retrouvées sur des autopsies de rochers humains ; le processus cyclique distension-rupturecicatrisation suppose un certain délai difficilement compatible avec la répétition de crises parfois quotidiennes ; les dosages effectués sur liquides de prélèvements labyrinthiques humains ne montrent pas de concentrations potassiques significativement élevées dans la périlymphe, comme l’indiquerait la notion d’intoxication permanente.
* Théorie de la dysperméabilité membranaire :
La théorie de la dysperméabilté membranaire a été opposée à celle d’une augmentation brutale de la perméabilité du compartiment endolymphatique.
Les jonctions intercellulaires, qui assurent la parfaite étanchéité électrochimique de ce compartiment, perdraient brusquement leurs propriétés et autoriseraient une fuite de potassium qui, en raison d’un gradient électrochimique hautement favorable, s’effectuerait massivement en direction des espaces périlymphatiques.
Toutefois, cette hypothèse n’a pu être confirmée par la suite.
Elle a donc été abandonnée.
* Théorie mécanique :
Dans une série d’expériences menées sur un modèle cochléaire, Tonndorf a proposé une théorie dite « mécanique », des symptômes de la maladie de Ménière.
Tant que les membranes limitantes, Reissner et basilaire, conservent leurs propriétés élastiques, une augmentation du volume endolymphatique, sous l’effet de l’hydrops, entraîne une augmentation de la pression, qui réduit la sensibilité vibratoire de la membrane basilaire là où elle est la plus souple, c’est-à-dire à l’apex et déplace le siège de la réponse maximale, c’est-à-dire de la fréquence de résonance, vers la base, d’où des distorsions harmoniques.
Le degré de ces altérations serait directement proportionnel à l’augmentation de volume.
Lorsque ces membranes deviendraient flaccides, perdant leur élasticité, l’augmentation de volume affecterait alors les capacités vibratoires de la totalité du canal cochléaire, en raison de l’excès de masse qui lui serait imposé.
De telles conclusions expliquent bien les principaux symptômes observés : surdité fluctuante touchant les basses fréquences avec diplacousie et distorsion à un stade de début, puis surdité en plateau non fluctuante avec diplacousie à un stade avancé.
Quand prédominerait l’effet de rigidité, le déplacement des fréquences de résonance se ferait vers les hautes fréquences et ce serait l’inverse quand prédominerait l’effet de masse.
Par la suite, Tonndorf fait l’hypothèse du découplage entre stéréocils et membrane tectoriale provoqué par l’augmentation pressionnelle intralabyrinthique.
La surdité s’explique alors par l’altération de la transduction mécanoélectrique.
Son intensité varie avec le degré de découplage et le nombre de cellules concernées.
La mauvaise discrimination vocale du Ménière résulte du silence périodique lié au découplage qui affecte la structure des formants.
Les acouphènes sont quant à eux liés à l’agitation spontanée des stéréocils qui, détachés de leur ancrage tectorial, sont animés de mouvements spontanés « browniens ».
Ce mécanisme explique encore que les acouphènes puissent être masqués par un son incident reconnectant stéréocils et membrane tectoriale, et soient directement fonction du siège du découplage : durant les premières crises, la surdité prédomine sur les graves et s’accompagne d’acouphènes de tonalité grave.
La corrélation entre pression liquidienne et audition est confirmée par les travaux récents menés sur des patients atteints de maladie de Ménière.
Les auteurs suédois ont mesuré les seuils auditifs et réalisé une électrocochléographie avant et après passage dans un caisson hypobare, afin d’obtenir une hyperpression tympanique relative.
L’hyperpression tympanique, probablement parce qu’elle comprime la fenêtre ronde, améliore statistiquement les seuils auditifs et les enregistrements électrocochléographiques.
À noter que le développement du test de Marchbanks a un temps fait espérer la possibilité de mesurer la pression périlymphatique de façon non invasive chez les patients porteurs d’une maladie de Ménière. Malheureusement, les résultats de ce test semblent peu probants.
La relation entre volumes liquidiens et pressions s’applique aux symptômes vestibulaires, d’une part parce que les manifestations vertigineuses observées lors d’une crise peuvent être enrayées par la mise du patient dans une chambre de pression, qui diminue le gradient de pression entre endo- et périlymphe, d’autre part parce que l’augmentation expérimentale du volume liquidien dans des canaux de grenouilles entraîne une augmentation proportionnelle de la pression endolabyrinthique, qui provoque elle-même une augmentation de l’activité électrique du nerf ampullaire et qui cesse avec elle.
Il existe donc une relation directe entre l’augmentation de pression et l’activité électrique.
De même, une augmentation continue de pression induit un courant liquidien ampullopète (car l’augmentation de pression se propage plus rapidement dans l’étroit canal semi-circulaire que dans la vaste cavité utriculaire).
À l’inverse, une baisse de pression induit un courant ampullofuge.
Ces données expliquent la direction des nystagmus spontanés observés au cours de la crise, d’abord ipsilatérale, puis controlatérale.
Cependant, ni l’augmentation de pression endolymphatique ni une contamination potassique ne peuvent expliquer le caractère prolongé du nystagmus et du vertige lors de la crise, et celui permanent et non fluctuant de l’hyporéflectivité vestibulaire quasi constante au cours de l’évolution de l’affection.
Cette théorie, qui ne s’applique qu’aux symptômes et pas à l’hydrops, n’exclut pas la possibilité de ruptures du labyrinthe membraneux, responsables des crises.
* Autres hypothèses :
Pour expliquer la survenue de la crise, de nombreuses autres hypothèses ont été proposées, qui ne sont pas reconnues actuellement comme valables : déséquilibre neurovégétatif avec hypersympathicotonie, allergie, accident immunologique, à-coups osmolaires, qui provoqueraient des mouvements d’eau en direction du labyrinthe membraneux, vasculaire, une atteinte primitive, congénitale ou autre, du système veineux de l’aqueduc du vestibule étant alors à l’origine d’une hyperpression veineuse d’amont, retentissant sur les régions sécrétoires vestibulaires et sur les mécanismes de transport liquidien.
Traitement :
Le traitement de la maladie de Ménière devrait avoir quatre objectifs :
– traiter la crise ;
– prévenir la survenue d’autres crises ;
– améliorer et/ou préserver les fonctions cochléaire et vestibulaire ;
– prévenir le développement d’une maladie bilatérale.
Pour l’instant, les traitements conservateurs et chirurgicaux n’ont prouvé leur efficacité que pour les deux premiers.
Il existe par ailleurs une grande confusion dans la littérature internationale pour déterminer le traitement médical le plus efficace.
Aucune autre pathologie vestibulaire n’a suscité un aussi grand nombre d’articles (environ 1 500 entre 1966 et 1996), ce qui illustre la complexité du problème.
Les patients doivent être instruits sur la façon de gérer les crises, et ils doivent être informés de l’évolution globalement bénigne de la maladie, avec la survenue d’une rémission spontanée dans la plupart des cas, ou du moins de la réduction du nombre de crises au bout de quelques années.
A - TRAITEMENT DE LA CRISE :
Le traitement de la crise est essentiellement dirigé contre le vertige et comporte :
– des mesures générales, que le patient doit connaître : arrêt de toute activité, notamment à risque (conduite) dès les prodromes (acouphène notamment), position assise ou allongée pour prévenir une chute, puis mise au repos absolu, isolé, au calme et dans l’obscurité, durant toute la crise ;
– l’évitement des changements de position rapides de la tête, pour ne pas aggraver le vertige ;
– l’administration parentérale d’un sédatif, type diazépam (Valiumt), 10 mg, diménhydrinate (Dramaminet), 50 mg.
Les benzodiazépines ont une puissante action vestibulopressive en renforçant l’inhibition cérébelleuse sur les neurones vestibulaires ;
– on peut associer à ce sédatif des antihistaminiques, en raison de leur action antiémétique et antivertigineuse, type prométhazine (Phénergant), 25 mg, et/ou un antioedémateux cérébral (sulfate de magnésium à 15 %, en injection intraveineuse lente) ;
– dans les cas rares ne cédant pas à de telles prescriptions, on peut essayer un neuroleptique.
L’injection intramusculaire d’un dérivé des butyrophénones comme le dropéridol (Droleptant) 10 mg, se montre généralement efficace.
Les dérivés de la phénotiazine, comme la métopimazine (Vogalènet) ou le sulpiride (Dogmatilt), sont également intéressants, en raison de leur puissante action antiémétique.
L’administration d’un agent osmotique est conseillée par certains auteurs.
Le principe en est le même que celui des tests osmotiques.
Le mannitol trouve ainsi une indication (500 mL à 10 %, perfusé en 2 heures, deux fois par jour, durant la période vertigineuse).
Parmi les multiples autres médicaments conseillés, citons la lidocaïne (Xylocaïnet) intraveineuse, 1 mg/kg de solution à 1 %, à raison de 6 mg/min, qui aurait une grande efficacité sur les troubles neurovégétatifs grâce à son action corticale.
Enfin, des tests caloriques calibrés « répétés » durant la période intercritique, ont été proposés à titre de « psychothérapie comportementale », chez les patients dont les crises vertigineuses provoquent des réactions de panique.
Toutes ces drogues ont aussi pour effet de gêner la pratique d’épreuves vestibulaires percritiques.
Par ailleurs, elles doivent être suivies, au décours de la crise, d’un relais par un traitement de fond.
B - TRAITEMENT DE FOND :
Le traitement de fond, prescrit durant les phases intercritiques, vise à empêcher ou à retarder la survenue d’une nouvelle crise, à préserver l’audition et à empêcher la survenue d’un acouphène invalidant.
Les changements de théories sur la pathogénie de la maladie de Ménière ont suscité le développement d’un grand nombre de protocoles.
La multiplicité des traitements illustre la difficulté de démontrer l’efficacité de telle ou telle thérapeutique.
1- Règles hygiénodiététiques et traitements médicamenteux :
Les programmes diététiques, incluant une restriction de l’apport de sel, d’eau, d’alcool, de nicotine, de caféine sont aussi peu efficaces que l’exercice physique, le fait de ne pas s’exposer aux températures basses, ou les passages en enceinte hypobare.
L’anesthésie du ganglion stellaire, l’administration de diurétiques, de drogues vasoactives, ont été préconisées sous la présomption qu’il était possible de diminuer l’HE en changeant le flux sanguin dans l’oreille interne.
Un traitement médicamenteux de l’anxiété est préconisé par de nombreux auteurs ; il est très largement dominé par les benzodiazépines (Valiumt, Tranxènet, Urbanylt, etc), mais peut reposer aussi sur les barbituriques faiblement dosés qui, en dehors d’une contre-indication respiratoire ou hépatique, sont utiles par leur effet discrètement sédatif.
L’hydroxyzine (Ataraxt), à des posologies de 300 à 400 mg, est très bien acceptée et efficace au décours d’une période vertigineuse. Les bêtabloquants (Sectralt ou Avlocardylt) ont une remarquable action anxiolytique, et sont sûrement indiqués lorsque le malade signale des céphalées ou des migraines.
L’administration d’antidépresseurs sédatifs trouve ici une excellente indication.
L’amitriptyline (Laroxylt), la miansérine (Athymilt) peuvent être prescrites en prises vespérales à doses réduites.
Enfin, il peut être prescrit un neuroleptique ou du lithium.
Tous ces traitements ont été à la mode à un moment ou à un autre, mais excepté les diurétiques et la bétahistine, leur efficacité n’a jamais été démontrée.
En 1977, Torok étudia 834 articles médicaux qui avaient été publiés sur une période de 25 ans ; il conclut que, tous traitements confondus, l’efficacité des traitements médicaux sur la maladie de Ménière était comprise entre 60 et 80 %.
En 1991, Ruckenstein et al allèrent même plus loin, en concluant que tous ces patients avaient en fait bénéficié la plupart du temps d’un effet placebo.
Selon une récente revue de la littérature, seuls les diurétiques et la bétahistine ont prouvé leur efficacité dans des études en double aveugle sur le contrôle du vertige.
Cependant, aucun traitement n’a d’efficacité prouvée sur la surdité ni sur l’évolution à long terme de la maladie :
– les diurétiques à doses filées, hydrochlorothiazide (Esidrext), associés à un régime hyposodé, ont ainsi été recommandés pour le traitement au long cours de la maladie de Ménière.
Une telle association thérapeutique agirait par déshydratation globale, ou directement sur l’homéostasie des liquides labyrinthiques ;
– la bétahistine hydrochloride (Serct) a été recommandée comme traitement de première intention de la maladie de Ménière, car, en supposant que l’hydrops résulte d’un spasme des sphincters précapillaires de la strie vasculaire, ce spasme pourrait être levé par l’histamine produite sur place par une décarboxylation de l’histidine.
Une étude prospective en double aveugle a conclu que ce traitement était préférable à tout traitement et à un placebo, efficacité également retrouvée dans l’étude de Meyer.
Pour prévenir les crises, la bétahistine doit être administrée durant 6 à 12 mois.
À l’opposé, les antihistaminiques H1, comme le diménhydrinate (Dramaminet) ou le diphénhydramine diacéfylline (Nautaminet), atténueraient les stimulations labyrinthiques.
2- Labyrinthectomie chimique :
La « labyrinthectomie fonctionnelle » à l’aide d’aminoglycosides (gentamycine ou streptomycine), a été proposée par Schuknecht dès 1957.
Elle était basée sur les effets ototoxiques des aminoglycosides et sur l’affinité préférentielle de certains d’entre eux pour le vestibule.
Schuknecht traita huit patients avec de la streptomycine.
Cinq d’entre eux présentèrent une disparition des crises vertigineuses, mais les huit perdirent l’audition.
Silverstein poursuivit cette méthode ; depuis, la streptomycine n’a plus été employée.
Depuis la fin des années 1970, ce sont des instillations locales de gentamicine par voie transtympanique qui sont utilisées par de nombreux auteurs, selon des protocoles variés.
La gentamicine s’est révélée plus agressive envers les cellules ciliées vestibulaires qu’envers les cellules ciliées cochléaires.
De plus, un grand nombres d’études animales ont semblé montrer que les aminoglycosides étaient toxiques pour les cellules sombres de la strie vasculaire, supposée produire l’endolymphe, ce qui pourrait induire une diminution du volume endolymphatique et donc de l’hydrops.
L’observation par certains auteurs d’une amélioration des vertiges, voire de l’audition, avant que ne disparaisse, aux épreuves caloriques, la fonction vestibulaire, les a conduits à évoquer la possibilité d’une atteinte première des cellules sécrétoires de l’endolymphe avant la destruction des cellules sensorielles.
Ainsi, l’hydrops serait-il soulagé avant que ne soit affectée la fonction sensorielle vestibulaire et que ne s’installent, en contrepartie de la disparition des vertiges, une ataxie et des oscillopsies particulièrement invalidantes.
En jouant sur les doses et les modalités d’administration, on peut donc théoriquement transformer un traitement destructif en un traitement étiopathogénique.
En pratique, c’est la gentamicine qui est préconisée dans la littérature, par voie locale.
Elle fut d’abord employée en Europe à l’aide de sulfate de gentamicine (Gentallinet), instillé quotidiennement au travers d’un tube de plastique inséré derrière l’annulus fibreux, au travers d’un abord transméatal.
Les instillations étaient stoppées lorsque l’audiométrie ou l’observation d’un nystagmus indiquait un début de désafférentation cochléovestibulaire.
Par la suite, les indications et les techniques du traitement local par gentamicine ont changé, spécialement après que l’on eût observé que l’ototoxicité était retardée de quelques jours jusqu’à 1 semaine après l’instillation de la drogue.
Les instillations transtympaniques d’aminoglycosides permettent le traitement isolé d’une seule oreille, sans effet systémique.
La drogue atteint l’oreille interne, d’abord au travers de la fenêtre cochléaire, puis, secondairement, au travers du ligament annulaire, par voie sanguine, lymphatique ou au travers de lacunes osseuses.
L’hypothèse d’une toxicité en plusieurs étapes de la gentamicine a été étayée par la constatation que le déficit vestibulaire était réversible à un stade précoce, et devenait irréversible à un stade tardif.
L’administration de gentamicine en excès peut donc causer des dégâts indésirables et non nécessaires au niveau des récepteurs de l’oreille interne, et notamment des cellules ciliées cochléaires.
L’administration de faibles doses, qui peuvent même ne pas atténuer les réponses caloriques de l’oreille traitée, a montré son efficacité, et est donc recommandée aujourd’hui par certains comme procédure standard.
Les indications de l’administration de gentamicine par voie transtympanique sont les suivantes :
– évolution résistante au traitement médical, avec crises vertigineuses fréquentes ou chutes brutales évoluant depuis plus de 6 mois ;
– persistance des crises malgré une neurotomie vestibulaire (qui peut être due à des anomalies anatomiques).
Cette technique fait courir le risque d’altérer l’audition.
Aussi certains la réservent-ils aux pertes auditives moyennes supérieures à 60 dB.
Cependant, certains auteurs en administrent même chez les patients présentant des surdités modérées, à condition que l’audition de l’oreille controlatérale soit normale.
Les manifestations bilatérales de la maladie de Ménière sont une contre-indication relative du traitement ototoxique.
Il n’existe pas de consensus sur la concentration optimale, la dose par séance, le nombre d’instillations, le rythme des séances et la dose totale à administrer.
Des concentrations de gentamicine égales ou inférieures à 30 mg/mL ont été administrées dans la plupart des séries rapportées.
Deux à trois instillations consécutives se sont avérées efficaces, tout en offrant moins d’effets adverses, comme la surdité, que quatre injections ou plus.
Une injection hebdomadaire est recommandée pour gérer au mieux les effets ototoxiques retardés ; 1 à 2mL, pour une concentration inférieure à 30 mg/mL sont ainsi instillés au travers du tympan, par le biais d’une paracentèse, avec une seconde incision pour faire appel d’air.
Environ 15 % des patients porteurs d’une désafférentation vestibulaire unilatérale présentent les symptômes d’une insuffisance vestibulaire chronique, tels que des oscillopsies lors des mouvements céphaliques, et une instabilité durant les déplacements.
Cela peut être attribué à une fonction vestibulaire altérée dans le labyrinthe considéré comme sain, ou à une compensation centrale prise en défaut lors des mouvements rapides de la tête.
C - TRAITEMENTS CHIRURGICAUX :
Les traitements chirurgicaux de la maladie de Ménière peuvent être classés en interventions « destructrices », qui suppriment la fonction labyrinthique, et en interventions « non destructrices », qui visent, soit à lever l’hydrops et on peut dire qu’elles sont à visée étiopathogénique, ce sont la chirurgie du sac endolymphatique et les sacculotomies, soit à supprimer électivement les vertiges et elles sont à visée symptomatique, l’exemple-type étant la section du nerf vestibulaire.
1- Traitements non destructeurs :
* Chirurgie du sac endolymphatique :
La chirurgie du sac endolymphatique a été décrite en 1927 par Portmann, puis modifiée par Shambaugh dans les années 1960.
Ses indications et les modalités techniques des nombreuses variantes qui en ont été proposées reposent schématiquement sur quatre hypothèses pathogéniques :
– la fibrose du tissu périvasculaire transforme les parois du sac en une gangue inextensible gênant son expansion : la chirurgie consiste à le décomprimer, en fraisant son couvercle osseux mastoïdien ;
– le sac, englobé dans cette gangue fibreuse, ne reçoit plus de vascularisation suffisante : la chirurgie consiste, après l’avoir décomprimé, à tenter de le revasculariser par des lambeaux de voisinage ;
– le sac ne peut plus réabsorber l’endolymphe sécrétée dans le labyrinthe membraneux : pour résorber l’hydrops qui en résulte, la chirurgie consiste à inciser la face mastoïdienne du sac, réalisant un shunt mastoïdien.
L’ouverture ainsi créée peut être maintenue par divers procédés : lambeau dure-mérien, prothèse en Silastict ou en polyéthylène, valve, ballonnets, etc ;
– le sac ne peut plus transmettre au labyrinthe membraneux, et donc à la face supérieure de la membrane basilaire, les variations de pression intracrânienne, qui sont, en revanche, normalement transmises par l’aqueduc cochléaire à la périlymphe et donc à la face inférieure de cette même membrane : la chirurgie consiste ici à établir une communication entre lumière du sac et espaces sousarachnoïdiens, maintenue par l’insertion d’une prothèse, réalisant un shunt sous-arachnoïdien.
Quelle que soit la technique utilisée, les résultats font état d’une amélioration des symptômes dans 50 à 80 % des cas, y compris à long terme.
Cette amélioration, toutefois, semble s’estomper au fil du temps, vraisemblablement parce que la brèche chirurgicale évolue inéluctablement vers une fibrose qui tend à obturer secondairement le shunt.
L’audition, théoriquement respectée, semble pour certains se détériorer en postopératoire dans 35 % des cas.
Les partisans de la chirurgie du sac endolymphatique préconisent d’intervenir tôt dans l’évolution de la maladie de Ménière, avant l’installation d’une hyporéflexie vestibulaire définitive.
Cependant, il n’est pas démontré qu’un drainage du sac puisse retentir sur le système endolymphatique d’amont et, ainsi, lever l’hydrops.
L’analyse de la littérature ne permet pas de conclure à l’efficacité réelle de cette chirurgie.
Ainsi, il a été montré que la chirurgie du sac endolymphatique n’était pas plus efficace qu’une intervention placebo (simple mastoïdectomie), y compris à long terme.
* Sacculotomies :
Toutes ces interventions semblent donner des résultats identiques : excellents pour leurs auteurs, moyens, sinon franchement mauvais pour les autres.
Globalement, les vertiges paraissent améliorés dans 50 à 90 % des cas, cependant que le risque d’aggravation auditive atteint 50 % dans certaines études.
Dans tous les cas, l’analyse des résultats révèle de nombreuses insuffisances méthodologiques.
De plus, le mécanisme d’action de ces interventions repose sur des hypothèses pathogéniques dont le bien-fondé reste pour le moins critiquable.
Aussi les techniques de sacculotomies sont-elles abandonnées aujourd’hui.
Les sacculotomies visent à diminuer la pression endolymphatique par la création d’une fistule entre le saccule et la caisse du tympan ou les espaces périlymphatiques.
Il en existe trois types :
– la sacculotomie transplatinaire, décrite par Fick, consiste à perforer par le biais d’une platinotomie le saccule dilaté, situé au contact de la base du stapes.
La formation secondaire d’une membrane perméable au lieu de la platinotomie permettrait la filtration permanente de l’excès d’endolymphe, et donc un contrôle permanent de la pression endolymphatique.
Le mécanisme d’action d’un tel procédé reste cependant douteux.
Expérimentalement, il n’a pas été observé chez le singe, ni chez le chat, de collapsus de l’ensemble du système endolymphatique, comme on aurait pu pourtant s’y attendre.
Quant au risque auditif, si Kaufman n’observe pas de modification des potentiels microphoniques cochléaires chez le chat, Colman constate des surdités sévères et définitives, mais sans atteintes histologiques de l’organe de Corti ;
– la pose d’un clou transplatinaire peut, pour certains auteurs, assurer la permanence de la fistule sacculaire, en décomprimant automatiquement le saccule qui vient s’empaler sur le clou à chaque épisode de distension.
L’efficacité de cette technique n’a pas été prouvée ;
– la cochléosacculotomie a été proposée par Schuknecht en 1982, considérant qu’une fistule endopérilymphatique est seule capable de prévenir les distensions et ruptures répétitives du labyrinthe membraneux, puisque les fistules du canal cochléaire restent permanentes, contrairement à celles du vestibule membraneux.
Pratiquée à un stade précoce, la fistule du canal cochléaire serait compatible avec une audition normale pour les fréquences ne correspondant pas à la zone lésée.
Techniquement, l’auteur introduit un crochet à travers la fenêtre cochléaire en direction de la fenêtre vestibulaire, traversant successivement la lame spirale, le canal cochléaire et le saccule dilatés.
* Neurectomie vestibulaire :
La neurectomie vestibulaire, ou plutôt neurotomie, est une intervention conservatrice à visée symptomatique, dont le but est de supprimer les vertiges tout en préservant l’audition.
Décrite par Dandy, introduite en France par Aubry et Ombredanne, puis reprise par Fisch, elle consiste à désafférenter le vestibule par la section (neurotomie) ou la résection partielle (neurectomie) des nerfs vestibulaires avec le ganglion vestibulaire (ou de Scarpa), tout en préservant les nerfs cochléaire et facial.
La neurotomie permet une manipulation nerveuse moins traumatisante vis-à-vis de l’audition, et la neurectomie interdit toute possibilité de régénération. Plusieurs voies d’abord sont possibles :
– la voie sus-pétreuse, de réalisation délicate et susceptible d’entraîner des lésions du lobe temporal, mais qui permet de respecter l’oreille interne et de sectionner les anastomoses acousticofaciales, qui pourraient avoir un rôle physiologique dans l’apparition des vertiges ;
– les voies rétrolabyrinthique, rétrosigmoïde ou sous-occipitale respectent le labyrinthe et permettent une section élective du nerf vestibulaire dans l’angle pontocérébelleux, à son entrée dans le méat acoustique interne, en dedans du ganglion vestibulaire.
Les complications sont celles de tout abord de la fosse postérieure : hémorragie, otoliquorrhée, méningite, etc.
Le choix entre ces différentes voies d’abord repose sur l’âge du patient, l’état de son audition et sur l’expérience du chirurgien. Les résultats, tous concordants, font état d’une disparition des crises vertigineuses rotatoires dans plus de 95 % des cas.
L’audition est théoriquement conservée, voire améliorée, grâce à la section des anastomoses acousticofaciales.
Il n’est pas rare cependant d’observer une détérioration de l’audition en postopératoire, immédiate ou secondaire, de façon inexpliquée.
Surtout peut persister un état d’instabilité, dont le degré et la durée paraissent fonction des capacités de compensation centrale de l’individu et de la pratique d’une rééducation vestibulaire postopératoire efficace.
Dans les suites, il est encore volontiers noté la survenue de crises dépourvues de leur composante vertigineuse.
Cela témoigne de ce que la neurectomie vestibulaire reste une intervention purement symptomatique, n’affectant pas le mécanisme pathologique de l’hydrops, donc l’évolution naturelle de l’affection, et n’empêchant donc pas la survenue d’une surdité fluctuante.
Ses indications sont, là encore, les vertiges invalidants retentissant de façon majeure sur la vie socioprofessionnelle rebelles aux traitements médicaux, avec une audition encore utile.
Certains la proposent d’emblée, alors que pour d’autres il doit s’agir d’un recours en cas d’échec de la labyrinthectomie chimique.
* Autres interventions symptomatiques et conservatrices :
La destruction sélective de la fonction vestibulaire par application d’ultrasons sur le canal semi-circulaire latéral ou sur la région des fenêtres, après ouverture chirurgicale de la caisse du tympan, a été défendue par certains auteurs.
Cependant, il y avait pour d’autres auteurs un risque de paralysie faciale, et d’atteinte cochléaire.
Ces risques potentiels, joints aux difficultés techniques de la méthode, ont rendu ce traitement caduc.
La cryothérapie consiste à congeler les structures vestibulaires à l’aide d’une sonde apposée sur les canaux semi-circulaires ou sur le promontoire, afin de créer une fistule endopérilymphatique définitive.
Les résultats de cette technique sont superposables à ceux obtenus avec les ultrasons, son mécanisme d’action est également discuté, et la pratique pareillement obsolète.
2- Traitement destructeur :
Le traitement destructeur de la maladie de Ménière est représenté par la labyrinthectomie.
Elle consiste à détruire chirurgicalement le labyrinthe, ce qui supprime les vertiges, mais au prix d’une surdité totale et définitive.
Quant aux acouphènes, leur devenir est lié à la « centralisation » de ce symptôme, qui rend malheureusement aléatoire les effets de la destruction périphérique.
Sur le plan technique, il convient de bien détruire les éléments neurosensoriels des canaux.
Certains auteurs réalisent la labyrinthectomie par voie transméatale en fraisant le pont osseux qui sépare les fenêtres vestibulaire et cochléaire, puis déposent à cet endroit de la streptomycine.
D’autres réalisent cette labyrinthectomie par voie transmastoïdienne, ce qui revient à réaliser les premiers pas d’une voie translabyrinthique, jusqu’à visualisation du fond du méat acoustique interne sur son versant labyrinthique.
Cette technique est indiquée chez les patients souffrant d’une maladie de Ménière unilatérale, avec des vertiges invalidants, associés à une surdité profonde du côté atteint.
La fréquente bilatéralisation de cette maladie ne doit faire envisager la labyrinthectomie que dans des cas bien pesés et, bien évidemment, jamais en première intention.
Au total, l’analyse de la littérature, souvent contradictoire, concernant le traitement chirurgical de la maladie de Ménière, amène à ces conclusions :
– la chirurgie du sac endolymphatique a un intérêt controversé ;
– la labyrinthectomie, la cryochirurgie et les irradiations par ultrasons ont été plus ou moins abandonnées, en faveur de la section du nerf vestibulaire, chez les rares patients qui présentent une maladie invalidante et non maîtrisable médicalement.
La neurotomie vestibulaire par voie rétrosigmoïde semble en effet être la meilleure technique pour préserver l’audition et réduire la morbidité postopératoire.
Cependant, et notamment chez les sujets âgés, ces techniques chirurgicales peuvent provoquer une instabilité posturale à long terme, en raison des mauvaises capacités de compensation centrale après suppression de l’un des deux organes vestibulaires.
D - SCHÉMA THÉRAPEUTIQUE PRÉCONISÉ DANS LA MALADIE DE MÉNIÈRE :
Les drogues sédatives, telles que les benzodiazépines, le diménhydrinate, ou la scopolamine, atténuent la symptomatologie vertigineuse et neurovégétative lors des crises.
La bétahistine est la drogue de première intention pour le traitement de fond et la prévention des crises (8-16 mg par jour, durant 6 à 12 mois).
Les diurétiques viennent en deuxième intention pour la prévention des crises vertigineuses.
L’association de la bétahistine et d’un diurétique peut être essayée si une monothérapie échoue.
L’instillation de gentamicine dans la caisse du tympan par voie transtympanique est le traitement de première intention pour prévenir les crises vertigineuses ou les crises de Tumarkin, chez les rares patients présentant des crises fréquentes, voire subintrantes, depuis 6 à 12 mois, malgré les traitement médicaux précédents, et avec une audition non utile au niveau de l’oreille atteinte.
La neurectomie vestibulaire est considérée comme un traitement de deuxième intention après échec de la gentamicine en applications locales, ou de première intention chez ce même type de patients, mais dont l’audition est conservée.
L’amélioration des protocoles de labyrinthectomie chimique pourrait permettre d’envisager cette technique, y compris lorsque l’audition est encore de bonne qualité.
Conclusion :
Malgré les études innombrables menées jusqu’à ce jour, la maladie de Ménière n’a toujours pas livré ses secrets, et continue de passionner les praticiens et chercheurs du monde entier.


On ignore par exemple toujours son étiopathogénie exacte et, si au plan du mécanisme de la survenue des crises, la théorie des ruptures membraneuses est la plus communément admise, de nombreuses zones d’ombre persistent.
Enfin, quoique le plus souvent bénigne, son évolution est capricieuse et éminemment variable d’un patient à l’autre.
Retenons enfin que la labyrinthectomie chimique et la neurotomie vestibulaire ont révolutionné la prise en charge des patients présentant une symptomatologie vertigineuse invalidante.

 Prodrome
Nom masculin
(Latin prodromus, du grec prodromos, précurseur)

  • Symptôme de début d'une maladie, annonçant en particulier une crise aiguë.
  • Littéraire. Signe annonciateur marquant le début de quelque chose : Les prodromes d'une insurrection.

Traumatismes du rachis



Rappel anatomique :
Toute atteinte traumatique du rachis peut compromettre l’une de ses deux fonctions.
A - Protection nerveuse :
Le canal vertébral formé en avant par la partie postérieure du corps vertébral (ou « mur postérieur »), en arrière par les arcs postérieurs, support des apophyses articulaires, et latéralement par les pédicules, moyens d’union des arcs au corps vertébral, protège la moelle présente jusqu’à L2 et les racines de la queue de cheval au-dessous.


B - Statique et dynamique :
• La statique est assurée, en avant, par l’empilement des corps vertébraux et des disques et, en arrière, par la double succession des apophyses articulaires qui peuvent supporter au niveau du rachis lombaire jusqu’à un tiers du poids du corps ; rectiligne dans le plan frontal, ce véritable « mât » rachidien présente dans le plan sagittal une alternance de lordose (cervicale et lombaire) et de cyphose (thoracique et sacrée), équilibrées, qui renforcent sa solidité.
La majorité des traumatismes rachidiens succédant à des contraintes excessives en flexion vont créer une « cyphose traumatique » par disparition des lordoses ou exagération des cyphoses physiologiques.
• La mobilité est assurée par la faculté d’amortissement des disques en avant et le jeu des articulaires en arrière ; au rachis cervical, la mobilité est à son maximum, en particulier la rotation dont le siège électif est l’articulation entre l’atlas (qui ne possède pas de corps vertébral) et l’axis ; cette grande liberté de mouvement est limitée par la présence des ligaments intercorporéaux longitudinaux, essentiellement le postérieur, qui jouent un rôle de frein.
Au rachis lombaire bas, les deux derniers étages sont très mobiles et doivent être respectés au maximum.
Diagnostic :
Il est essentiel de faire au plus tôt le diagnostic de lésion rachidienne et des éventuelles complications pour éviter les 10 % d’aggravation neurologique que l’on constate lors du ramassage et du transport de ces blessés.
• Sur un blessé conscient, la localisation de la douleur associée ou non à une sensation de paralysie des membres doit attirer l’attention sur le rachis et imposer un transport en rectitude après ramassage selon la technique classique du « pont » : la tête étant maintenue à 2 mains en exerçant une traction douce dans l’axe sur les membres inférieurs ou le bassin ; 2 ou 3 autres personnes soulèvent alors le blessé en positionnant leur mains en arrière du dos, des membres inférieurs.
• Chez un blessé inconscient, le risque de vomissement où d’inhalation peut faire préférer un transport en décubitus latéral, tête tenue en rectitude ou en légère extension ; de toute façon, le matelas coquille répond le mieux aux impératifs de ce transport qui doit éviter de façon formelle toute flexion antérieure de la tête ou du tronc ; dès qu’une atteinte cervicale est possible, un collier ou une minerve en plastique doivent compléter l’immobilisation.
• Lorsqu’une lésion médullaire est reconnue ou même suspectée sur les lieux de l’accident, le transport doit être fait par une équipe spécialisée (SAMU) qui veille à maintenir une pression artérielle et une oxygénation correctes.
Par ailleurs, un traitement médicamenteux est immédiatement entrepris pour éviter l’extension de la lésion anatomique au sein de la moelle ; une étude multicentrique, encore en cours d’évaluation, doit préciser quelles sont les substances les plus efficaces (gangliosides ou autres) ; de toute façon, il faut se garder de tout optimisme exagéré quant aux possibilités de ces médications, quel que soit le résultat, contestable d’ailleurs, de certaines études (Braken).
A - Diagnostic clinique :
L’examen clinique doit être le plus complet possible, en particulier sur le plan neurologique, et doit être conduit sans mobilisation du blessé.
1- Examen neurologique :
• La motricité spontanée est testée pour quelques muscles sélectionnés en raison de leur représentation métamérique.
La réponse est évaluée de 0 (paralysie totale) à 5 (mouvement actif contre résistance) et reportée sur une fiche type IRME (Institut de recherche pour la moelle épinière) dérivée du score ASIA (American spinal injury).
• L’étude de la sensibilité est effectuée pour les 3 principaux types : superficiel (tact, piqûre), profonde (sens de position des orteils), thermo-algique ; la première est de même reportée sur la fiche d’examen initial.
• Les réflexes sont généralement abolis en cas de lésion médullaire mais des signes pathologiques peuvent apparaître (Hoffman, Babinski).
• Il est essentiel d’examiner soigneusement le périnée à la recherche de la sensibilité périanale, du tonus sphinctérien, du réflexe bulbo-caverneux ou clitoridoanal, et de noter la possibilité d’un priapisme permanent ou intermittent, signe de gravité.
Il faut se rappeler en effet que les cordons innervant le périnée sont les plus périphériques et donc atteints en dernier par les lésions anatomiques médullaires qui sont centrales au début et peuvent évoluer aussi bien de façon centrifuge que longitudinale.
• L’étude des fonctions végétatives est de règle devant tout traumatisme vertébral, en particulier cervical, en connaissant la gravité de l’association bradycardie, hypotension, hypothermie.
2- Cas particuliers :
Deux éventualités particulières sont à considérer :
• les blessés inconscients chez qui l’examen neurologique peut se résumer à celui des réflexes ; à l’étude des réactions au stimulus douloureux, à l’appréciation du tonus anal en sachant qu’une béance anale est un signe grave d’atteinte médullaire, ne jamais oublier à ce propos l’association possible traumatisme crânienfracture du rachis cervical, et la recherche éventuelle d’un hématome extradural, urgence neurochirurgicale ;
• les polytraumatisés : des fractures de côtes ou des épanchements intrapleuraux sont très souvent associés aux fractures du rachis thoracique dont ils aggravent les difficultés respiratoires ; le diagnostic de lésion viscérale doit être fait cliniquement et par les méthodes modernes d’investigation, il conserve la priorité dans le pronostic vital.
On doit tenir compte enfin de la possibilité de lésion osseuse, ligamentaire ou vasculaire lors de l’examen neurologique des membres.
B - Conclusion de l’examen clinique :
À ce stade, on doit pouvoir fixer le niveau approximatif de la lésion osseuse et la gravité de l’éventuelle atteinte neurologique.
1- Niveau lésionnel :
Il est indiqué par le « syndrome lésionnel », c’est la première racine nerveuse motrice atteinte, cela correspond en général à la limite supérieure de disparition de la sensibilité superficielle.
Cet élément topographique est essentiel pour orienter les recherches radiographiques.
2- Gravité :
En dehors des rares cas de « choc spinal » caractérisé par une sidération transitoire de la motricité et d’une disparition de la sensibilité qui évolue rapidement vers la récupération, il est essentiel, mais pas toujours facile, de différencier les « atteintes complètes » associant perte totale de la motricité et de la sensibilité des atteintes incomplètes où persistent une fonction médullaire motrice sous-lésionnelle ou une zone de sensibilité.
Des examens répétés ou l’expérience d’un neurologue spécialisé en traumatologie peuvent être utiles.
• Atteintes médullaires complètes :
– pour les tétraplégies (atteinte des 4 membres, des muscles respiratoires et abdominaux et des sphincters), il faut retenir que toute atteinte médullaire au-dessus de C4 (nerf du diaphragme) peut entraîner, dès les premières heures, une faillite respiratoire nécessitant une assistance mécanique ;
– pour les paraplégies, la dépression respiratoire est de même à considérer mais de façon moins dramatique, surtout si les intercostaux sont respectés ; la paralysie sphinctérienne doit être prise en charge en urgence.
• Atteintes médullaires incomplètes : elles sont caractérisées par la persistance d’une fonction médullaire sous-lésionnelle, motrice ou sensitive. Parmi celles-ci, retenons 2 syndromes bien individualisés :
– le syndrome central de la moelle, après atteinte cervicale, avec sa paralysie caractéristique prédominant aux membres supérieurs par rapport aux membres inférieurs ; il succède souvent à un traumatisme n’ayant entraîné aucune lésion osseuse ou disco-ligamentaire par simple « ébranlement médullaire ».
Chez les sujets jeunes, il s’agit souvent d’un traumatisme sportif (sport de contact), et la récupération est généralement rapide et complète en quelques minutes.
Il n’en est pas de même chez les sujets âgés où ces ébranlements médullaires surviennent sur un canal cervical étroit arthrosique ; l’atteinte neurologique est plus sévère, la récupération est plus lente et toujours incomplète ;
– le syndrome de Brown-Séquard ou hémiplégie médullaire, avec atteinte motrice unilatérale et sensitive thermo-algésique controlatérale.
• Atteintes radiculaires :
– syndrome de la queue de cheval avec paralysie flasque de type périphérique des racines sous-jacentes à TXII (muscles des membres inférieurs), troubles sphinctériens, anesthésie « en selle » ;
– radiculalgie paralysante ou non, mono- ou pluriradiculaire, soit aux membres supérieurs (de C5 à D1), soit aux membres inférieurs [cruralgie (L3, L4) ou sciatique paralysante (L5 ou S1)].
C - Diagnostic radiologique :
Toute suspicion de traumatisme rachidien impose la prise de clichés radiographiques ; le diagnostic des différentes lésions rachidiennes peut être fait dans la majorité des cas sur une radiographie de face et de profil, après repérage clinique de la localisation traumatique.
Le blessé ne doit pas être mobilisé, en particulier lors de la prise des clichés de profil.
• Le cliché de face permet d’apprécier l’axe frontal du rachis, la hauteur des bords latéraux des corps vertébraux, l’alignement vertical médian des apophyses épineuses ; la largeur du corps vertébral sera déterminée sur la distance existant entre les deux pédicules de la vertèbre qui apparaissent comme des « yeux » au niveau du corps vertébral ; son élargissement signe une rupture sagittale de la vertèbre.
• Sur le profil, la courbure générale des segments rachidiens, la hauteur des corps vertébraux et des disques sont appréciées, on évalue l’avancée (antélisthésis) ou le recul d’un corps vertébral sur la ligne qui unit les bords antérieurs ou postérieurs des corps vertébraux.
On vérifie enfin la place des apophyses articulaires qui, au niveau cervical se recouvrent de haut en bas comme les tuiles d’un toit, alors qu’elles sont parallèles au plan sagittal au niveau lombaire.
• Des clichés de trois quarts permettent de mieux examiner les arcs postérieurs des vertèbres, et en particulier les apophyses articulaires.
• Une incidence spéciale, pour mieux dégager la charnière cervico-thoracique, mal visible en raison de la superposition des épaules, « celle du nageur », un membre supérieur relevé au-dessus de la tête.
• Les tomographies sagittales et frontales sont moins utilisées actuellement.
• Le scanner est essentiel pour l’appréciation des lésions osseuses ; il renseigne bien sur l’état de la partie postérieure du corps vertébral appelée « mur postérieur » ; la reconstruction en 3 dimensions est un élément intéressant de cette étude en scanographie.
• L’imagerie en résonance magnétique (IRM), enfin, peut mettre en évidence des lésions discales ou ligamentaires, mais surtout l’atteinte médullaire ou périmédullaire (hématomes extra-duraux par exemple).
Ces 2 derniers examens ont supplanté la myélographie à l’Amipaque qui peut conserver certaines indications, en particulier en cas de contre-indication à l’imagerie par résonance magnétique.
Enfin, même si les clichés initiaux n’ont pas révélé de lésions osseuses, il ne faut pas hésiter à répéter dès le lendemain l’examen radiologique, si les signes cliniques sont en faveur d’une lésion rachidienne.
D - Lésions :
1- Rachis cervical supérieur :
On individualise sous ce terme les 2 premières vertèbres cervicales et leurs moyens d’union ; les 2 lésions les plus fréquentes sont les suivantes.
• La fracture de l’atlas (C1) : les 2 arcs antérieur et postérieur de cette vertèbre en forme d’anneau de clef peuvent se rompre, entraînant un élargissement de la vertèbre bien visible sur le cliché de face bouche ouverte ;
• La fracture de l’axis (C2) : deux lésions peuvent siéger au niveau de cette vertèbre :
– la fracture de l’odontoïde, diagnostiquée sur le cliché de face, bouche ouverte et sur un cliché de profil strict.
Cette apophyse verticale qui prolonge vers le haut le corps de C2, peut être fracturée plus ou moins près de sa base, le fragment supérieur basculant soit vers l’avant, soit vers l’arrière avec possibilité d’atteinte de la partie haute de la moelle.
Cette lésion, fréquente chez le sujet âgé, peut entraîner du fait de la proximité des noyaux neurovégétatifs bulborachidiens une complication clinique particulière de type pseudo-ébrieux ;
– la fracture des pédicules de C2 résulte d’un traumatisme en hyperextension forcée de la tête, telle que la réalisait autrefois la pendaison judiciaire d’où son nom de hangman-fracture.
Sur le cliché de profil, la fracture apparaît sous la forme d’un trait vertical, séparant le corps vertébral de l’arc postérieur.
2- Rachis cervical inférieur (C3 à C7) :
Ce sont les fractures les plus fréquentes en raison de la vulnérabilité de ce segment rachidien et de son extrême mobilité.
Elles s’accompagnent de complications neurologiques, médullaires ou radiculaires dans plus d’un tiers des cas.
Elles sont généralement classées en fonction de la force vulnérante qui les a créées.
• Les lésions en compression se rencontrent dans les accidents de la circulation mais aussi après certains traumatismes particuliers comme les accidents de plongeon, le sujet entrant verticalement tête première dans une eau insuffisamment profonde.
Les lésions radiographiques sont assez caractéristiques réalisant une fracture en teardrop : dans cette fracture, le coin antéro-inférieur de la vertèbre qui a l’aspect d’une larme est détaché par le trait de fracture qui se continue à travers le disque, le ligament vertébral commun postérieur, les capsules des articulaires, le ligament interépineux.
Il existe enfin un recul du mur postérieur dans le canal avec toutes les conséquences neurologiques que l’on peut imaginer.
• Les lésions en flexion-extension sont séparées selon l’importance croissante de la force vulnérante :
– entorse du rachis cervical : elle résulte le plus souvent d’un choc par l’arrière sur un sujet assis conduisant sa voiture.
Le mécanisme de décélération brutale entraîne dans un premier temps une extension suivie d’une brusque flexion de la tête ; il s’agit du classique « coup du lapin » ou whiplash injury, qui n’occasionne pas de lésion osseuse, mais une simple distension des ligaments péri-rachidiens et une compression du disque. Le tableau clinique est extrêmement polymorphe : cervicalgies, céphalées, vertiges, vomissements, troubles du sommeil, angoisses, etc. en rapport avec un dérèglement vago-sympatique parfois prolongé dans le temps, avec retentissement psychique marqué.
Dans certains cas, l’origine des troubles est une hernie discale traumatique que révèle l’imagerie par résonance magnétique ;
– entorse grave : lorsque le mouvement de flexion forcée est plus important, les ligaments postérieurs interépineux, les capsules articulaires et surtout le ligament vertébral commun postérieur, élément essentiel de la stabilité, peuvent se rompre, c’est l’entorse grave.
Rappelons ses signes radiologiques essentiels visibles sur le cliché de profil : bascule supérieure à 10 ° de l’angle formé par les 2 plateaux vertébraux adjacents au disque lésé, glissement antérieur du corps vertébral (antélisthésis) supérieur à 3 mm, découverte de plus de 50 % de l’apophyse articulaire inférieure, écart inter-épineux anormal.
Tous ces signes peuvent apparaître dès le jour de l’accident mais le plus souvent dans les 48 h ou dans les jours suivants, car la contracture musculaire, réflexe antalgique, maintient initialement les rapports articulaires normaux : un cliché « dynamique », le blessé effectuant volontairement un mouvement de flexion antérieure de la tête, peut aider à faire le diagnostic d’entorse grave ;
– luxation biarticulaire : si le mouvement de flexion antérieure a été encore plus violent, il peut être à l’origine d’une véritable luxation bi-articulaire par destruction de tous les éléments disco-ligamentaires d’union entre deux vertèbres.
Sur la radiographie, on voit que le bord antérieur du corps vertébral sus-jacent dépasse de plus de la moitié de sa largeur celui du corps vertébral sous-jacent ; par ailleurs, les apophyses articulaires inférieures de la vertèbre sus-jacente sont passées en avant des articulaires supérieures de la vertèbre sous-jacente.
Cette lésion est à l’origine de la majorité des tétraplégies complètes.
• Les lésions en rotation sont responsables de lésions asymétriques portant généralement sur une seule des deux apophyses articulaires qui peut être fracturée ou luxée.
Du fait de la proximité existant entre l’apophyse articulaire et la racine nerveuse qui sort du canal vertébral à ce niveau, cette lésion s’accompagne fréquemment d’une atteinte radiculaire.
Sur le cliché de profil, le corps vertébral sus-jacent dépasse d’un tiers de sa largeur le corps vertébral sous-jacent, les vertèbres supérieures à la lésion apparaissent de trois quarts sur le cliché alors que les vertèbres sous-jacentes restent de profil ; le scanner permet de déterminer avec précision la lésion de l’articulaire.
3- Rachis thoracique et lombaire (TI-sacrum) :
• La classification la plus adoptée actuellement est celle de Magerl. Elle se fait en 3 groupes classés par ordre de gravité croissante, chaque groupe étant luimême subdivisé en sous-groupes.
On distingue :
– le groupe A où seul le corps vertébral est atteint, en général par un mécanisme de compression ;
– le groupe B où aux lésions du corps vertébral s’associent des lésions des éléments postérieurs en flexion distraction ;
– le groupe C où existent de même lésions antérieures et postérieures, mais en rotation. Pour le groupe A, atteinte exclusive du corps vertébral, nous retiendrons la différence entre les lésions de type A1 et A2 où la partie postérieure du corps vertébral est respectée, des lésions du type A3 où existe un véritable éclatement du corps vertébral, avec atteinte du mur postérieur et rétropulsion de fragments osseux dans le canal vertébral.
Ce sont les fractures comminutives, ou burst fractures des Anglo-Saxons qui sont responsables d’un grand nombre de lésions neurologiques.
Pour les lésions du type B, la vertèbre est littéralement cisaillée d’arrière en avant par un mécanisme de flexiondistraction.
La lésion la plus connue est la fracture de Chance où le trait de fracture passe à travers l’arc postérieur, les pédicules, le corps vertébral, le mécanisme étant généralement celui d’une flexion forcée autour d’un axe antérieur au rachis qui est représenté par la ceinture de sécurité, d’où son nom de seat belt fracture.
Ces lésions sont souvent accompagnées de rupture des éléments viscéraux pré-rachidiens, tels que le pancréas.
Parfois le trait de fracture ne passe pas à travers l’os, mais à travers le disque et les éléments ligamentaires postérieurs.
Enfin, dans les lésions de type C, il existe des atteintes associées du corps vertébral en avant et des articulaires postérieures en arrière.
Les atteintes postérieures sont, du fait du mécanisme rotatoire, asymétriques ; ces lésions postérieures peuvent être associées soit à des lésions osseuses au niveau du corps vertébral, soit à des lésions disco-ligamentaires.
• Formes cliniques : il existe des différences importantes selon la hauteur de l’atteinte thoraco-lombaire :
– fractures du rachis thoracique : elles succèdent à des traumatismes violents et s’accompagnent 2 fois sur 3 de lésions de la cage thoracique (fractures de côtes, hémothorax, pneumothorax).
Le petit diamètre du canal vertébral à ce niveau et la grande sensibilité de la moelle dorsale au traumatisme expliquent la fréquence des paraplégies complètes ;
– à la jonction thoraco-lombaire : ce sont les fractures qui intéressent les vertèbres de T11 à L2.
Elles représentent 60 % de l’ensemble des lésions thoracolombaires.
Ce nombre important est dû à la brusque différence de rigidité existant entre le rachis thoracique protégé par la cage thoracique et le rachis lombaire beaucoup plus mobile.
À ce niveau, les complications neurologiques sont variables allant des paraplégies complètes, par atteinte de DXI et DXII, à des lésions de type purement radiculaire.
Cette variabilité est due en partie aux différences topographiques de terminaison de la moelle ;
– les fractures lombaires sont des fractures de type comminutif, les lésions neurologiques, par atteinte de la queue de cheval, sont dues le plus souvent au recul dans le canal rachidien de fragments osseux provenant du corps vertébral, déchirant la dure-mère et les racines de la queue de cheval ;
– les fractures du sacrum : le trait est transversal à déplacement modéré, les complications nerveuses sont à type de troubles sphinctériens et sexuels.
Évolution :
Nous envisagerons séparément l’évolution des complications neurologiques et celle des atteintes osseuses ou disco-ligamentaires bien qu’elles soient étroitement liées.
A - Troubles neurologiques :
Leur évolution est fonction de l’anatomo-pathologie des atteintes médullo-radiculaires et de la gravité des signes cliniques initiaux.
1- Évolution en fonction des lésions anatomiques :
Les troubles neurologiques sont dus à :
• la section médullaire, rare, due à une luxation biarticulaire complète ; aucune récupération n’est à espérer (la moelle, même suturée, ne cicatrisant pas) ;
• la contusion qui résulte du déplacement brusque et exagéré d’une vertèbre sur une autre lors de l’impact traumatique ; il est à noter que les clichés radiographiques pris après l’accident en position de rectitude sur la table d’examen ne rendent pas compte de l’amplitude du déplacement initial.
Après ce type de traumatisme, les chances de récupération existent mais sont faibles.
Les études expérimentales et cliniques ont montré, en effet, que toute contusion appuyée ou prolongée plus de quelques secondes avait les mêmes conséquences désastreuses que la section médullaire.
Ces lésions médullaires débutent dans la substance grise centrale sous la forme d’hémorragies localisées qui vont s’entourer rapidement de zones oedémateuses, le tout évoluant en quelques heures vers une nécrose irréversible de toute la partie centrale de la moelle.
À ce jour, seule l’extension de l’oedème, tant longitudinale que centrifuge, peut être partiellement contrôlée par une réduction et une fixation précoces des lésions osseuses, l’administration massive de certains médicaments ne constituant qu’un traitement d’appoint ;
• la compression qui résulte d’une plicature de la moelle à l’intérieur du canal vertébral par angulation traumatique (cyphose le plus souvent) ou d’une sténose du canal par des fragments osseux provenant du corps vertébral.
Les complications neurologiques peuvent être réversibles si l’on replace le plus rapidement possible la moelle dans ses conditions anatomiques normales en réduisant les déformations osseuses ou en enlevant les fragments osseux qui la compriment.
Contusion et compression sont fréquemment associées et il est difficile d’en évaluer la responsabilité réciproque ;
• la mobilité et la plasticité des racines nerveuses qui leur permettent d’échapper aux agressions osseuses mais elles peuvent être dilacérées, étirées par le traumatisme ou même « coincées », comme cela est fréquent à l’étage cervical, entre deux apophyses articulaires déplacées.
2- Évolution en fonction des signes cliniques initiaux :
L’évolution des complications neurologiques est fonction de leur gravité initiale ; celle-ci est parfaitement résumée dans la classification de Frankel qui établit le pronostic des atteintes médullaires.
• Tétraplégie ou paraplégie complète : paralysie sensitivo-motrice totale sous-lésionnelle (Frankel A).
Évolution immédiate : en dehors des rares cas de « sidération médullaire » qui peuvent évoluer au cours des 48 premières heures vers la récupération, il n’existe chez ces patients aucun espoir d’une quelconque amélioration clinique au niveau sous-lésionnel.
Chez les tétraplégiques, le pronostic vital est réservé en raison de l’importance du dérèglement neurovégétatif et de la paralysie des muscles respiratoires intercostaux.
Au-dessus de C5 la commande nerveuse diaphragmatique est atteinte et l’hypoxie nécessite trachéotomie et assistance respiratoire mécanique.
Évolution secondaire : après une phase de paralysie flasque, il apparaît une « autonomisation » des centres médullaires sous-jacents à la lésion qui se traduit par des réactions incrontrôlées de contractures au niveau des membres ou « spasticité » ; ces réflexes médullaires seront utilisés pour la rééducation des fonctions sphinctériennes dont l’atteinte est l’un des problèmes dominants des paraplégiques ; toute rétention prolongée pouvant entraîner une infection urinaire, des calculs vésicaux ou rénaux.
La perte de la sensibilité cutanée est à l’origine d’ulcération au niveau des points d’appui (cuir chevelu, sacrum, ischions, talons…) qui peuvent évoluer en quelques heures vers des escarres très étendues ; leur prévention est essentielle par retournements fréquents, massages, utilisation de matelas ou lits spéciaux.
Enfin, la perte de l’autonomie, les troubles sphinctériens et sexuels survenant brutalement chez des sujets jeunes ont bien évidemment un grand retentissement psychologique qui sera vécu de façon différente selon le niveau intellectuel du blessé, l’apport de son entourage ou même ses propres croyances.
• Tétraplégie ou paraplégies incomplètes ( Frankel B, C ou D) : la persistance d’une zone de sensibilité périnéale en particulier (Frankel B) est de pronostic sérieux mais moins dramatique.
Une activité motrice localisée plus ou moins importante (Frankel C ou D) fait prévoir une possibilité de récupération utile telle que la reprise de la marche : il en est de même pour les syndromes incomplets (syndrome central de la moelle ou Brown- Séquard).
La précocité et la qualité du traitement médicochirurgical initial représentent chez ce groupe de blessés des éléments très importants de récupération.
• Atteinte radiculaire : le pronostic des atteintes purement radiculaires (syndrome de la queue de cheval, atteinte mono- ou pluri-radiculaire…) est bien meilleur que celui des atteintes médullaires.
La récupération est fréquente, seuls les déficits sphinctériens récupèrent difficilement.
B - Évolution des lésions osseuses ou disco-ligamentaires :
Au niveau du rachis, cette évolution est sous la dépendance d’un phénomène particulier : « l’instabilité » ; définie comme un « défaut de permanence dans la position des fragments », qui va se traduire par une aggravation spontanée du déplacement initial, dans les jours ou les mois qui suivent le traumatisme, de certaines lésions osseuses ou disco-ligamentaires, surtout si une stabilisation orthopédique ou chirurgicale insuffisante a été effectuée.
1- Lésions osseuses :
La compression du corps vertébral peut être à l’origine d’un tassement vertébral évolutif avec progression de la cyphose post-traumatique ; au niveau thoracique ou lombaire cette angulation est mal supportée sur le plan douloureux et fonctionnel au-delà de 20 ° (véritable « cal vicieux du rachis ») et peut par elle-même être à l’origine de complications neurologiques.
Cette instabilité d’origine osseuse est dite « temporaire » car les lésions purement osseuses ont finalement tendance à consolider ; le but du traitement est d’obtenir la consolidation en position la plus anatomique possible.
2- Lésions disco-ligamentaires :
L’évolution est différente car disques et ligaments n’ont aucune tendance spontanée à la cicatrisation ; l’instabilité est dite « durable ».
C’est ainsi qu’une luxation, même bien réduite, peut se reproduire dès que la contention par plâtre ou corset est supprimée ; de même des déplacements, incomplets au niveau des articulaires, peuvent se compléter.
Enfin, lors de la période de cicatrisation et de consolidation, l’immobilisation entraîne une atrophie des muscles péri-rachidiens, cervicaux, dorso-lombaires postérieurs, abdominaux antérieurs et obliques, véritables haubans du mât rachidien.
Ces atrophies musculaires peuvent être très invalidantes et doivent être prévenues par rééducation dès la phase initiale de prise en charge.
Traitement :
Il a un double but, améliorer ou éviter l’aggravation des complications neurologiques lorsqu’elles existent, rétablir une fonction ostéo-articulaire la plus proche possible de la normale sur le plan osseux.
A - Lésion neurologique :
Le traitement doit être effectué en urgence, associant réduction de la lésion, décompression des éléments nerveux, fixation, à l’aide de méthodes chirurgicales qui permettent d’obtenir :
• une réduction :
– au niveau cervical, elle est obtenue par traction manuelle extemporanée ou progressive par étrier de traction fixe sur le crâne,
– au niveau lombaire, elle est obtenue par la mise en position sur la table d’opération ;
• une décompression : c’est l’ablation des fragments osseux intracanalaires provenant du corps vertébral ; elle se réalise couramment au niveau cervical par voie antérieure, plus fréquemment au niveau thoraco-lombaire par voie postérieure ;
• une fixation : elle est confiée à des moyens d’ostéosynthèse tels que plaques ou tiges fixées aux vertèbres par des vis pédiculaires ou des crochets.
Certaines lésions très instables, en particulier les rotations, peuvent nécessiter une double fixation, postérieure par matériel métallique et antérieure sous la forme d’un apport osseux qui va être effectué soit par une large voie d’abord, soit de plus en plus grâce à l’utilisation de techniques vidéoscopiques qui permettent un abord a minima des corps vertébraux antérieurs ; ce support osseux antérieur va permettre d’obtenir la consolidation dans la position de réduction.
B - Fractures sans lésion neurologique :
L’indication sera fonction de l’importance de la lésion osseuse, les tassements vertébraux simples sans atteinte du mur postérieur peuvent être traité par simple réduction posturale et repos pendant quelque temps, associé ou non au port d’un corset ou d’une « minerve » cervicale jusqu’à consolidation des lésions (3 à 4 mois en moyenne).
Les lésions plus sévères de type burst fracture peuvent être traitées au niveau thoraco-lombaire par la méthode « orthopédique » de Boehler qui associe réduction de la fracture sous simple analgésie sur un cadre métallique permettant la mise en lordose progressive par l’intermédiaire de sangles passées sous la colonne du sujet, confection d’un plâtre avec appui sternal pubien et postérieur, maintenant la réduction ainsi obtenue et reprise de la marche avec rééducation immédiate pour éviter l’atrophie musculaire et toutes les complications qui peuvent en résulter.
Le plâtre est généralement conservé 45 jours, suivi de 2 mois d’immobilisation par corset plastique.
Enfin, les lésions réputées instables, comme les luxations cervicales ou thoraco-lombaires, qui imposent la nécessité d’une réduction anatomique parfaite seront traitées chirurgicalement par fixation au moyen de matériel métallique associé ou non à des greffes osseuses postérieures ou antérieures.

Psychiatrie
Anorexie mentale et boulimie de l’adolescence



Données épidémiologiques :
L’anorexie mentale touche essentiellement les jeunes femmes (90 %), dans la tranche d’âge 15-24 ans, avec 2 pics de survenue : 12-13 ans et 18-20 ans.
Elle peut survenir avant la puberté.
Sa fréquence, qui ne semble pas en augmentation, est estimée à 1 % des adolescentes.
L’incidence annuelle, tous âges confondus, est de 7,6 pour 100 000 (femmes : 13,5 ; hommes : 1,6).







La boulimie touche surtout les jeunes femmes, le rapport est compris entre 5 et 10 femmes pour un homme. L’âge de début est plus tardif (18-21 ans).
La prévalence est de 1 % dans la population générale féminine et de 4 % chez les adolescents (filles : 7 % ; garçons : 1 %). Sa fréquence serait en augmentation dans les pays développés.
Anorexie mentale :
A - Clinique :
1- Triade symptomatique : amaigrissement, anorexie, aménorrhée
L’amaigrissement, progressif, souvent massif, peut atteindre jusqu’à 50 % du poids initial. Une chute pondérale de 10 à 25 % est exigée, selon les classifications, pour porter le diagnostic.
L’aspect physique est évocateur : corps anguleux, disparition des formes féminines, visage cadavérique.
La méconnaissance de la maigreur est constante, à des degrés variables, par trouble de la perception de l’image du corps.
Le désir éperdu de minceur et la peur de grossir conduisent à des vérifications incessantes du poids, des mensurations et de la valeur calorique des aliments.
Il existe parfois des fixations dysmorphophobiques sur des parties précises du corps.
L’anorexie, inaugurale le plus souvent, présente des caractéristiques traduisant sa nature psychologique.
Plus qu’une inappétence vraie, il s’agit d’une conduite active de restriction alimentaire, souvent justifiée au début par un régime, devenant drastique à un stade évolué.
La sensation de faim, initialement conservée voire recherchée, disparaît plus tard avec perte de tout appétit et intolérance à l’alimentation.
Cette anorexie s’accompagne d’attitudes particulières face à la nourriture : pensée constamment dirigée vers l’alimentation, nourrir les autres, collectionner les recettes, trier les aliments, les mâchonner longuement, grignoter des portions infimes.
Potomanie et mérycisme, rares, ont une signification de gravité.
À l’anorexie peuvent s’associer des vomissements provoqués et des prises de laxatifs ou diurétiques pour contrôler l’évacuation de nourriture.
L’échec du contrôle de l’anorexique peut se traduire par des accès boulimiques.
L’aménorrhée, toujours présente, confirme le diagnostic.
Elle coïncide avec le début de l’anorexie le plus souvent mais peut parfois la précéder ou lui succéder.
Elle peut être primaire (jeune fille non réglée) ou secondaire (après 3 mois de règles régulières ou 6 mois de règles irrégulières).
C’est un des derniers symptômes à disparaître. En dehors d’une grossesse, toute aménorrhée chez une adolescente doit faire suspecter une anorexie.
Elle peut être masquée par la prise de la pilule.
2- Contexte psychologique :
L’absence de troubles psychiatriques majeurs (psychotiques ou mélancoliques) et le contexte psychologique dominé par la maîtrise et la dépendance donnent toute sa valeur à la triade de base.
Le besoin de maîtrise s’exprime au niveau du corps.
La recherche acharnée de la maigreur vise le contrôle du corps menaçant dans sa dimension pulsionnelle.
Les besoins physiologiques du corps sont niés, bien sûr la faim mais aussi la fatigue (hyperactivité motrice, sport intensif, troubles du sommeil avec incapacité à se relâcher).
Le corps est maltraité sans conscience de le mettre en danger, avec au contraire une sensation de bien-être.
La sexualité est activement refoulée et désinvestie (absence de plaisir corporel et sexuel). Les transformations du corps liées à la puberté sont niées.
L’hyperinvestissement scolaire, autre expression du besoin de maîtrise, se caractérise par une appétence de connaissances, une hyperactivité psychique avec vérifications et peur de l’imaginaire.
Les apprentissages sont préférés à la créativité car l’intellectualisme vise la mise à l’écart de toute émotion.
La dépendance s’exprime surtout au niveau relationnel, sous le sceau du paradoxe entre une revendication affective déniée (peur des séparations, autonomie apparente) et un sentiment d’être sous l’emprise de l’autre.
Le début des troubles apparaît d’ailleurs souvent réactionnel à un événement signant une séparation (voyage, changement scolaire, remarque de l’entourage sur le corps pubère, perte affective, deuil).
Seuls le repli (isolement social rapide) et l’emprise manipulatrice (sur les parents) assurent le succès d’un illusoire contrôle de la sphère affective.
Si les inquiétudes initiales des parents sont souvent apaisées par le discours paralogique de l’adolescente qui contrôle autant son corps que l’entourage, rapidement la vie familiale se dégrade, centrée sur l’anorexie, contribuant à l’autorenforcement de la conduite.
3- Signes somatiques :
Ils peuvent être dermatologiques (cheveux secs tombant, ongles striés et cassants, hypertrichose, lanugo) ou cardiovasculaires (pâleur, acrocyanose, hypotension, bradycardie, oedèmes de carence).
Ils peuvent se traduire par une constipation ou des fractures liées à l’ostéoporose.
4- Données paracliniques :
Les paramètres sanguins ne se modifient que si la chute pondérale excède 30 %, ou en présence de purges, potomanie ou prises de médicaments : anémie hypochrome, leucopénie avec hyperlymphocytose, hypokaliémie, hyponatrémie, hypoprotidémie, hyperamylasémie s’il y a vomissements, insuffisance rénale fonctionnelle, bilirubine et transaminases augmentées, calcémie et phosphorémie diminuées, hypoglycémie, acétonurie, hypercholestérolémie tardive.
Les troubles hormonaux sont secondaires à la dénutrition, fonctionnels et réversibles :
– T3 basse, T4 normale, TSH (thyroid stimulating hormone) normal, réponse normale mais retardée à TRH (thyrotrophin releasing hormone) ;
– fonction gonadotrope de type prébubertaire : hypooestrogénie, baisse de FSH (follicle stimulating hormone) et LH (luteinizing hormone) ;
– cortisolémie augmentée, disparition du rythme circadien du cortisol ;
– taux basal de GH (growth hormone) souvent augmenté.
L’absorptiométrie osseuse montre une diminution de la densité minérale osseuse par ostéoporose liée à la diminution de la formation osseuse et à l’augmentation de la résorption, elles-mêmes secondaires à l’hypercortilosémie et à l’hypogonadisme.
5- Signes de gravité :
Il faut tenir compte de plusieurs signes :
– amaigrissement supérieur à 30 % du poids ;
– bradycardie inférieure à 40 par minute, troubles du rythme cardiaque liés à l’hypokaliémie, hypotension artérielle (pression artérielle systolique < 9, pression artérielle diastolique < 5) ;
– aphagie devenue quasi totale avec chute pondérale rapide ;
– signes de fatigabilité avec épuisement aux activités physiques ou scolaires ;
– ralentissement du débit verbal ou idéique, troubles de la conscience ;
– hypothermie ;
– tout signe évocateur d’une complication : douleurs rétrosternales ou abdominales chez une personne vomissant, céphalées chez une personne potomane ;
– troubles biologiques graves ;
– facteurs de décompensation somatique : altitude > 1 500 m, effort intense, diarrhée, infection intercurrente.
B - Formes cliniques :
1- Anorexie-boulimie :
Environ 50 % des anorexies présentent des crises boulimiques et des vomissements, ce qui assoit les liens entre anorexie et boulimie.
L’anorexie évolue souvent vers la boulimie, comme si la conduite restrictive représentait une lutte constante contre la faim et l’impulsion boulimique.
2- Forme du garçon :
Rare (10 %) mais en augmentation, sa clinique et son évolution sont similaires en dehors de l’aménorrhée remplacée par la perte de la libido et de l’érection.
3- Forme prépubère :
S’accompagnant d’un retard de croissance et d’une perte de poids rapide, elle est marquée par une proportion élevée de garçons, des antécédents de troubles des conduites alimentaires dans l’enfance, de fréquents épisodes dépressifs, un pronostic plus grave.
4- Formes tardives :
Survenant après l’adolescence, souvent lors du mariage ou de la naissance du premier enfant, elles s’associent souvent à des éléments dépressifs.
Précédées de périodes anorexiques méconnues à l’adolescence, elles tendent à devenir chroniques, avec l’apparition de phobies et d’un vécu paranoïde.
C - Diagnostic positif :
Le diagnostic ne repose que sur l’anamnèse et l’examen clinique.
Les critères diagnostiques retenus par le DSM IV (diagnostic and statistical manual) sont les suivants :
– refus de maintenir le poids au niveau ou au-dessus d’un poids minimum normal (< 85 % du poids attendu) pour l’âge et la taille ;
– peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale ;
– altération de la perception du poids ou de l’apparence corporelle, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, déni de la gravité de la maigreur ;
– aménorrhée chez les femmes pubères (absence d’au moins 3 cycles menstruels consécutifs ou règles ne survenant qu’après l’administration d’hormones).
D - Diagnostic différentiel :
• Affections somatiques : on peut discuter certaines maladies endocriniennes (panhypopituitarisme et maladie d’Addison), les tumeurs du système nerveux central (SNC), la maladie de Crohn, la tuberculose, un cancer devant une anorexie avec amaigrissement, mais la présence de l’aménorrhée et les caractéristiques du comportement alimentaire permettent le diagnostic.
• Affections psychiatriques : délire d’empoisonnement avec restriction alimentaire d’une psychose ou de la mélancolie délirante, phobies alimentaires.
E - Évolution et pronostic :
La gravité potentielle de l’anorexie mentale doit toujours être prise au sérieux.
On reconnaît un tiers d’évolutions favorables, un tiers d’intermédiaires et un tiers de défavorables.
Si le poids et les conduites alimentaires se normalisent dans 80 % des cas et les règles réapparaissent dans 70 % à 10 ans, l’état psychologique n’est jugé satisfaisant que dans 50 % des cas et la mort survient entre 5 et 10 % (par dénutrition, suicide, trouble biologique).
La guérison est un processus lent, rarement inférieur à 4 ans (délai charnière bien souvent), hormis pour des formes mineures réactionnelles.
Le retour des règles semble de bon pronostic.
Les rechutes sont fréquentes (environ 50 % des cas), pas forcément de mauvais pronostic, notamment au début.
Le déni des troubles constitue un facteur de mauvais pronostic, surtout après 4 ans.
Le risque de chronicité est sérieux, avec cachexie, mise en danger vital et restriction de la vie affective et sociale.
Divers troubles psychiatriques peuvent survenir au cours ou dans les suites d’une anorexie mentale [dépression dans 70 %, phobies invalidantes et troubles obsessionnels compulsifs (TOC) dans 65 %].
Boulimie :
A - Clinique :
La boulimie correspond à une consommation exagérée d’aliments, avec perte du contrôle des prises, rapidement, sans rapport avec la sensation de faim.
La forme compulsive normopondérale ou souvent à poids bas, évoluant par accès avec vomissements, est caractéristique.
Il existe des formes avec surpoids.
1- Accès boulimique :
De début brutal avec faim impérieuse, il se déroule d’un seul tenant.
L’ingurgitation massive et rapide d’aliments tout venant ou choisis pour leurs caractères caloriques ou bourratifs se fait sans discontinuité, en cachette et en dehors des repas, souvent en fin de journée et après préparation de l’accès (achat de nourriture), en réponse à un sentiment de solitude que la crise aggrave.
L’accès est suivi de vomissements provoqués qui deviennent automatiques avec le temps, puis d’un état de torpeur, voire de dépersonnalisation, avec douleurs abdominales et sentiment de culpabilité.
Malgré la conscience du trouble, ce malaise sera annulé et la conduite répétée.
La fréquence des accès varie de 1 ou 2 par semaine à 15 accès quotidiens (état de mal boulimique), par périodes avec intervalles libres.
Ce scénario type connaît de nombreuses variantes.
2- Aspects psychologiques :
La préoccupation obsédante du poids et des formes, sans distorsion massive de la perception du corps, n’entraîne pas chez la personne boulimique le renoncement et la maîtrise de l’anorexique.
Les accès s’accompagnent de pratiques alimentaires chaotiques, il n’y a plus de repas mais une alternance de conduites automatisées associant restriction, purge et gavage.
Dans 35 % des cas, s’installent des périodes anorexiques.
La peur de grossir est contrôlée par les vomissements provoqués, des mâchonnements interminables, la prise de médicaments (laxatifs, diurétiques, anorexigènes) et l’hyperactivité sportive.
Si l’accès apparaît l’élément central, il n’est en fait que l’expression d’une désorganisation globale des repères alimentaires et relationnels.
L’isolement affectif est habituel.
Les relations restreintes sont marquées par une revendication d’indépendance mais vécues dans la dépendance.
La boulimie peut s’associer à d’autres troubles impulsifs (boulimie d’achats et sexuelle, abus d’alcool et de toxiques, kleptomanie, tentatives de suicide à répétition) et à des éléments dépressifs.
3- Signes somatiques :
Ils se traduisent par :
– des troubles du cycle menstruel (30 %), même en cas de poids normal (aménorrhée, dysménorrhées et ménométrorragies) ;
– une hypertrophie des parotides et des sous-maxillaires ;
– des lésions bucco-dentaires, graves et peu réversibles (gingivites, stomatites, caries) ;
– des marques du dos de la main liées aux manoeuvres « doigts dans la bouche » ;
– des oesophagites, gastrites, reflux gastro-oesophagien et syndrome de Mallory-Weiss ; de façon exceptionnelle des dilatations gastriques aiguës et ruptures gastro-intestinales ;
– des troubles métaboliques d’intensité variable, surtout alcalose hypochlorémique, hypokaliémie, déshydratation extracellulaire, à l’origine de lipothymies, asthénie, crampes et troubles du rythme cardiaque (hypokaliémie) ;
– de rares pneumopathies d’inhalation ;
– des conséquences des automédications : aggravation des troubles métaboliques, symptomatologie digestive et osseuse de la maladie des laxatifs.
B - Diagnostic positif :
Les principaux critères diagnostiques de boulimie retenus par le DSM IV sont les suivants :
– survenue récurrente de crises de boulimie (absorption en un temps limité de larges quantités de nourriture avec sentiment de perte du contrôle du comportement alimentaire pendant la crise) ;
– comportements compensatoires visant à prévenir la prise de poids (vomissements provoqués, laxatifs, diurétiques, jeûne, exercice physique excessif) ;
– crises de boulimie et comportements compensatoires survenant au moins 2 fois par semaine pendant 3 mois ;
– estime de soi excessivement influencée par l’apparence corporelle et le poids ;
– trouble ne survenant pas exclusivement pendant les périodes d’anorexie mentale.
C - Diagnostic différentiel :
On discute, sans difficulté, les fringales, le grignotage et l’hyperphagie sans accès boulimique de certains sujets, notamment obèses, et les anomalies des conduites alimentaires rencontrées en psychiatrie (schizophrénies, prise de neuroleptiques) et en neurologie (séquelles de traumatismes crâniens, oligophrénies, démences, tumeurs cérébrales, épilepsie temporale).
D - Évolution et pronostic :
Peu d’informations sont disponibles en raison de l’individualisation récente de ce syndrome (Russel, 1979).
Cependant, une tendance se dégage : évolution très chaotique avec alternance de périodes pathologiques et de rémissions, chronicité dans environ un tiers des cas, retentissement socio-affectif important.
Les facteurs prédictifs positifs sont l’intensité moindre du caractère compulsif et de la perturbation de l’image du corps, la persistance d’un environnement étayant.
Les décompensations dépressives et les antécédents d’alcoolisme, de tentatives de suicide sont péjoratifs.
Facteurs étiopathogéniques :
Les facteurs psychopathologiques prévalent mais ne sont pas exclusifs.
A - Psychopathologie individuelle :
1- Approche psychanalytique :
Deux grandes conceptions psychodynamiques se complètent.
La 1re hypothèse est centrée sur le conflit pulsionnel au sein du sujet : l’évitement de la sexualité génitale s’accompagne d’un déplacement des représentations génitales sur la sphère orale, les conduites alimentaires se trouvant érotisées et conflictualisées (manger est l’objet d’un puissant désir contrarié).
Les relations antérieures au stade génital sont réactivées.
Les fixations anales expliquent les rites alimentaires, les pensées obsédantes et les vérifications, le surinvestissement de la maîtrise, de l’intellectualisation et de l’activité musculaire.
Sont rattachées à l’oralité l’inhibition de l’incorporation, les relations en tout ou rien et l’insatiabilité.
Les vomissements renvoient à la fois à des aspects oraux et anaux.
La seconde hypothèse est centrée sur les failles narcissiques de la personnalité et la fragilité identitaire.
La compréhension est axée non plus sur le conflit pulsionnel intrapsychique mais sur les conduites adoptées en réponse au traumatisme pubertaire.
La puberté nécessite une adaptation profonde du sujet qui doit accepter son corps transformé, se détacher des figures parentales et choisir de nouveaux objets d’amour.
Ce travail psychique amène théraamène l’adolescent à un mouvement paradoxal : à la fois une attirance nécessaire pour les nouveaux objets désirés, et une régression dite narcissique sur les objets internalisés pendant l’enfance, qui constituent la base de la personnalité et une sécurité pour l’adolescent en train de changer d’objets d’investissement.
Quand les objets internalisés ne sont pas sécurisants, l’adolescent ne peut effectuer de façon heureuse ce travail psychique : la régression ne rencontre aucune butée solide, l’adolescent se cramponne alors aux objets sécurisants externes (les parents) et aux sensations procurées par des néoobjets (nourriture, toxiques) les remplaçant et mettant en jeu le corps.
La dépendance devient un cercle vicieux : le comportement se mécanise et se renforce, l’activité fantasmatique disparaît.
Les troubles des conduites alimentaires sont ainsi rattachés aux troubles dits addictifs, conduites autodestructrices symptomatiques d’une problématique de dépendance mettant en jeu des agirs corporels qui se répètent en lieu et place de la mentalisation du processus de séparation propre à l’adolescence.
2- Approche cognitivo-comportementale :
Cette conception se base sur la contre-régulation alimentaire (suite à un repas riche s’ensuit un repas riche dans la boulimie, et inversement pour l’anorexie) qui reposerait sur des facteurs cognitifs et expliquerait les cycles répétitifs de séquences cognitives pathogènes de restriction ou d’accès boulimiques.
B - Psychopathologie familiale :
Les facteurs psychopathologiques individuels agissent en interaction avec les facteurs familiaux qui ont un rôle essentiel dans la genèse des troubles.
1- Approche psychanalytique :
Elle insiste sur l’organisation de la personnalité en fonction de celle des parents pendant la petite enfance.
Les mères, dominantes dans le couple, présenteraient souvent des manifestations dépressives lors de l’enfance de la future anorexique, d’où un étayage affectif précoce insuffisant et le rôle consolateur de l’enfant qui est décrit comme calme, ne s’opposant jamais, se conformant aux désirs parentaux.
Elles refouleraient la sphère affective, privilégiant les performances sociales de l’enfant.
L’enfant et sa mère vivent dans une dépendance mutuelle installée dès l’enfance.
Les pères sont décrits comme effacés, encore plus en difficulté que les mères.
Fréquemment déprimés dans les mois précédant la survenue des troubles, ils présentent des problèmes d’identité car dominent chez eux les identifications féminines d’où leur caractère maternant et séducteur, ainsi que leur grande difficulté à occuper la place de tiers structurant dans le conflit oedipien réactivé à l’adolescence (position dite contre-oedipienne).
Le fonctionnement familial est marqué par un repli face au monde extérieur et l’évitement des conflits internes. L’impulsivité caractérise les familles de boulimiques.
2- Approche systémique :
Elle ne cherche pas à relier les troubles à l’histoire familiale mais vise à élucider les modalités actuelles de communication et d’organisation de la famille.
Le malade désigné traduit une modalité particulière d’interaction familiale.
Ainsi, pour éviter un conflit de couple insurmontable, les parents transforment leur difficulté en problème d’un de leurs enfants.
Le dysfonctionnement familial est marqué par un enchevêtrement des liens et une absence d’autonomie de chaque membre, des comportements de surprotection et une intolérance à tout conflit.
La communication est souvent paradoxale et objet de ruptures.
C - Facteurs biologiques :
Plusieurs systèmes de neuromédiateurs sont impliqués dans les troubles des conduites alimentaires.
La voie sérotoninergique régule l’alimentation au niveau hypothalamique, avec un rôle sur le pondérostat, la régulation de la satiété, la baisse des prises caloriques et glucidiques.
L’hypothèse hyposérotoninergique est avancée pour la boulimie.
La voie dite du plaisir concerne les troubles des conduites alimentaires, surtout l’anorexie, par l’intermédiaire d’une stimulation dopaminergique mésolimbique du circuit de récompense qui fait intervenir les opioïdes endogènes.
D - Facteurs socioculturels :
Ils renforcent les facteurs psychopathologiques.
Notre société valorise actuellement la maîtrise du corps (idéal de minceur) et le côté « battant », donc les performances scolaires et sportives au détriment des échanges affectifs.
Les troubles des conduites alimentaires sont plus fréquents dans les classes moyennes et supérieures et dans les activités sportives insistant sur la minceur (danse, marathon, gymnastique).
Modalités thérapeutiques :
A - Objectifs et principes du traitement :
Le traitement vise la rupture du cercle vicieux de dépendance, la disparition de la conduite symptomatique et un remaniement de la personnalité et des rapports familiaux permettant la prise d’autonomie psychique et concrète du patient.
Le soin ne se conçoit que dans la durée (plusieurs années), aux doubles niveaux somatique et psychologique.
Il n’existe pas de solution thérapeutique univoque et immédiate.
L’adhésion aux soins par la patiente et sa famille est parfois longue en raison du déni des troubles.
Aux mesures prises en urgence, on préfère la recherche d’une alliance thérapeutique et l’élaboration du cadre de soin le plus adapté.
C’est souvent le médecin de première ligne (généraliste, interniste) qui met en place un premier cadre thérapeutique.
Ce cadre comporte des consultations médicales régulières (surveillance nutritionnelle et des fonctions vitales, évaluation de la situation familiale, soutien à une démarche psychothérapique et aux parents), des conseils nutritionnels (par le médecin ou une diététicienne, dans un esprit non rationalisant), un soutien psychothérapique individuel (ou familial initial en cas d’un déni massif chez la patiente de ses troubles) qui permet progressivement une prise de conscience des difficultés émotionnelles, surtout quand l’état somatique s’aggrave et l’isolement socio-familial s’accroît.
Ce cadre initial assurant précocement une prise en charge bifocale (médicale et psychologique) permet le soin de nombreuses anorexiques ou boulimiques en ambulatoire strict.
Parfois, malgré ce cadre ou parce que la situation est dépassée, le recours à une équipe psychiatrique s’avère nécessaire.
Un principe fondamental du soin hospitalier est la diversité des intervenants et des approches.
Les prises en charge bi- ou plurifocales sont en effet indiquées pour ne pas recréer un lien de dépendance exclusif dangereux pour le patient.
Les approches diversifiées permettent des investissements variés qui prennent en compte à la fois le corps et le psychisme.
Ces mesures comprennent des approches somatiques, psychothérapiques, cognitivocomportementales et sociales (lieu de vie en relais du domicile parental).
Faisant intervenir plusieurs soignants, elles nécessitent une personne référante qui assure leur cohérence et passe le contrat thérapeutique avec la patiente et sa famille.
Après évaluation de l’état somatique et psychosocial, des objectifs thérapeutiques larges sont déterminés et consignés dans le contrat.
Ce contrat repose sur des engagements mutuels : au patient de suivre les objectifs et conditions fixés, aux soignants d’être garants de la continuité de l’espace de soin.
Le contrat fixe le cadre de soins (mesures adoptées, séparation d’avec la famille si c’est un temps plein), des objectifs somatiques (niveau de reprise de poids en cas d’anorexie) mais aussi psychologiques (réflexion sur le sens du symptôme et la place dans la famille).
Le contrat est fixé pour une période donnée et reconsidéré en fonction de l’évolution.
Le contrat occupe une fonction de tiers entre les soignants et le patient, il détermine un cadre de réassurance pour l’adolescent submergé par ces difficultés, surtout il constitue une butée qui permet une remise en route de la mentalisation.
Les patients se rebellent ainsi fréquemment contre les mesures et objectifs fixés et vivent enfin des conflits structurants qu’ils n’ont jamais pu expérimenter.
Ce cadre de soin plurifocal est mis en place soit au cours d’une hospitalisation temps plein (laquelle n’est pas systématique), soit en hôpital de jour (plusieurs journées par semaine) ou en ambulatoire (prises en charge ponctuelles dans la semaine).
B - Recours à l’équipe hospitalière : hospitalisation ou traitement ambulatoire
L’hospitalisation temps plein est indiquée en cas de risque somatique vital, surtout en cas d’anorexies.
Elle a lieu en milieu médical, voire en réanimation, mais aussi au sein d’unités psychiatriques spécialisées.
La réalimentation peut être une urgence (nutrition entérale temporaire parfois nécessaire).
Un suivi psychologique est engagé même à ce stade pour éviter la seule reprise artificielle du poids.
Le temps plein sera ailleurs contractuel en réponse au retentissement physique grave d’une anorexie ou à la déstructuration massive d’une boulimie (accès fréquents, désarroi familial, dépression sévère).
Outre la dimension de sevrage (du jeûne, des accès), elle permet une restauration corporelle et narcissique.
La séparation familiale qu’elle implique vise à travailler le processus d’individuation.
Les modalités de séparation changent actuellement : séparation moins longue et partielle, prédilection pour la thérapie familiale.
Les situations moins graves d’anorexie et la majorité des boulimies relèvent de mesures institutionnelles séquentielles (hôpital de jour et traitement ambulatoire hospitalier, parfois intensif).
En plein développement actuellement, elles prennent souvent le relais de l’hospitalisation temps plein ou parfois la préparent (en cas de déni massif).
C - Mesures thérapeutiques diversifiées :
Les mesures alimentaires comprennent une renutrition par palier, avec fractionnement et accompagnement des repas puis diversification progressive des aliments en cas d’anorexie, un recadrage des quantités et des rythmes pour les boulimiques.
L’abord cognitivo-comportemental associe le travail sur les croyances alimentaires irrationnelles, les informations nutritionnelles (surtout pour la boulimie) et des stratégies de contrôle du poids et de l’alimentation (à l’aide de cahiers alimentaires).
Les troubles de l’image du corps sont abordés grâce au miroir et à la vidéo.
Les techniques de déconditionnement et d’exposition (aux aliments exclus) peuvent être utilisées.
La psychothérapie peut être de soutien, le plus souvent d’inspiration psychanalytique.
Elle est utilement préparée par des approches corporelles et de groupe (activités créatrices, psychodrame), moins dangereuses que la relation duelle.
Les thérapies corporelles utilisent la relaxation, les massages ou bains.
Les activités de groupe permettent aux patients de retrouver du plaisir à leur insu et d’expérimenter, sans menace personnelle, une relance émotionnelle en s’appuyant sur le groupe.
Le travail thérapeutique avec la famille est important pour renforcer l’alliance et soutenir le processus de séparation-individuation.
Il utilise les thérapies analytiques ou systémiques, ou des groupes de parents.
La place des psychotropes est limitée car sans efficacité directe sur les troubles des conduites alimentaires.
On les utilise en appoint : anxiolytiques et neuroleptiques sédatifs à dose filée en cas de débordement anxieux dans l’anorexie mais mal tolérés en raison du faible poids, antidépresseurs sérotoninergiques (type paroxétine, Deroxat) en cas de boulimie avec dépression sévère mais nombreux effets secondaires (digestifs).
Le suivi somatique doit être régulier.
Les traitements hormonaux sont fonction du bilan ostéodensimétrique (supplémentation en calcium de 1 g/j associée à la vitamine D, oestrogènes substitutifs).



Crise d’angoisse aiguë


Diagnostic :
Clinique des crises d’angoisse :
La crise d’angoisse aiguë, aussi appelée aujourd’hui attaque de panique, correspond à la survenue brutale d’une sensation de peur intense qui s’accompagne de symptômes psychiques, physiologiques et comportementaux.







Le nombre et l’intensité de ces symptômes peuvent varier d’un patient à l’autre et d’une crise à l’autre.
1- Symptômes psychiques :
Les symptômes psychiques sont les émotions, les perceptions et les pensées qui accompagnent la peur.
Ils peuvent aller d’une sensation de malaise vague et mal défini, à une impression violente de dépersonnalisation (altération du sentiment d’identité) ou de déréalisation (modification imprécise de la perception de l’environnement).
Des symptômes psychosensoriels (augmentation de la sensibilité au bruit, flou visuel, impression de « déjà vu », etc.) peuvent être rapportés, et doivent être distingués d’hallucinations vraies et de crises d’épilepsie temporale.
L’humeur anxieuse (appréhension, impression de catastrophe imminente, d’anéantissement) s’accompagne d’une incapacité partielle à penser, à rassembler ses idées, à se concentrer sur une tâche, et à retrouver des souvenirs.
L’esprit est assiégé par des pensées catastrophiques : peur de s’évanouir, d’étouffer, d’avoir un accident cardiaque, et surtout de perdre le contrôle de soi (impression de devenir fou) ou de mourir.
2- Manifestations somatiques :
Elles sont très polymorphes, les plus fréquentes concernent la respiration (polypnée, dyspnée, sensation d’étouffement ou de blocage respiratoire) et le rythme cardiaque (palpitations, tachycardie), à côté de symptômes généraux : étourdissement, vertiges, sensation de dérobement des jambes, sueurs, bouffées de chaleur ou frissons, tremblements, secousses musculaires, douleurs ou gênes thoraciques ou abdominales, nausées, vomissement, diarrhée, impériosité mictionnelle, paresthésies.
Certains signes peuvent être objectivés à l’examen clinique, comme une élévation de la tension artérielle systolo-diastolique, ainsi qu’une discrète augmentation de la température corporelle.
3- Manifestations comportementales :
Elles peuvent être aussi très variables : agitation désordonnée, fuite immédiate d’un lieu considéré comme anxiogène vers une « zone de sécurité », ou au contraire inhibition comportementale plus ou moins marquée, jusqu’à la sidération totale.
À la différence des crises conversives d’agitation hystérique, les crises d’angoisse s’accompagnent peu de manifestations spectaculaires et théâtrales, les sujets anxieux ayant le plus souvent tendance à dissimuler autant que possible leur gêne aux yeux des autres.
4- Évolution de la crise :
L’évolution de chaque crise d’angoisse dépend de son origine et du contexte dans lequel elle survient.
Typiquement, le début de la crise est brutal, parfois précédé par une « aura » de quelques minutes pendant laquelle l’anxiété et le malaise montent progressivement, et les symptômes atteignent leur maximum très rapidement, en quelques secondes ou quelques minutes.
La phase d’état est de durée variable, en moyenne de 10 à 30 min.
Pendant cette période, la crise a tendance à s’autoentretenir, voire à s’aggraver, par l’interaction des différents symptômes entre eux : l’anxiété psychique augmente les symptômes somatiques, notamment cardiovasculaires et respiratoires, qui eux-mêmes augmentent l’anxiété et notamment les pensées catastrophiques.
La fin de la crise survient soit spontanément, soit sous l’effet d’une intervention thérapeutique.
L’intensité des symptômes va ensuite décroître progressivement, laissant place à une sensation de soulagement souvent associée à une fatigue intense.
Diagnostic étiologique :
1- Crises d’angoisse spontanées :
Certains sujets ont des crises totalement imprévisibles, sans facteurs déclenchants. Ces crises inaugurent souvent une pathologie anxieuse dénommée « trouble panique ».
Au cours du trouble panique, les crises spontanées se répètent à une fréquence variable (de plusieurs par mois à plusieurs par jour) et vont être à l’origine d’une anxiété quasi permanente, le sujet appréhendant continuellement la survenue d’une nouvelle attaque de panique. Cette « peur d’avoir peur » est dénommée anxiété anticipatoire.
Elle s’accompagne souvent d’un évitement des situations dans lesquelles le sujet se sent particulièrement vulnérable, dont il ne peut s’échapper facilement ou dans lesquelles il ne peut être aidé en cas de crise (éloignement du domicile, foule, transports en commun, grands espaces, etc.).
Il s’agit alors d’un trouble panique associé à une agoraphobie. Dans certains cas cependant, une crise spontanée peut rester isolée et ne pas rentrer dans le cadre d’un trouble panique.
2- Crises d’angoisse déclenchées par une situation :
Des situations extrêmes de la vie peuvent déclencher des réactions d’angoisse chez des sujets indemnes de pathologie préalable : accident, agression, annonce d’une mauvaise nouvelle, imminence d’un événement important, etc.
Certains sujets, souffrant de troubles anxieux, ont en revanche une vulnérabilité très particulière à des situations spécifiques, à l’origine de crises d’angoisse prévisibles.
Les sujets phobiques (phobies spécifiques, phobies sociales) peuvent ainsi avoir de véritables attaques de panique lorsqu’ils sont « exposés » à un objet phobogène (animal, objet, lieu, situation sociale, etc.).
Les sujets souffrant de syndrome de stress post-traumatique peuvent également présenter des crises d’angoisse dans des circonstances qui leur rappellent l’événement traumatisant antérieur.
3- Crises d’angoisse au cours d’autres pathologies psychiatriques :
La plupart des troubles psychiatriques peuvent être à l’origine d’états anxieux aigus, dont les caractéristiques peuvent se rapprocher plus ou moins de la crise typique décrite ci-dessus.
Il s’agit notamment des troubles dépressifs, qui peuvent s’accompagner de crises d’angoisse aiguës comme d’états anxieux intenses mais beaucoup plus durables (plusieurs heures voire toute la journée), et des troubles psychotiques. L’angoisse associée aux troubles psychotiques peut être de nature très variable, primaire (angoisse psychotique dans la schizophrénie) ou secondaire aux autres symptômes (délire, hallucinations, etc.).
Les crises d’angoisse sont également de survenue fréquente dans les pathologies alcooliques et les autres dépendances, avec de nombreuses étiologies possibles (intoxication, sevrage, troubles anxieux, dépressifs, ou organiques associés, etc.).
4- Crises d’angoisse induites par une substance :
De nombreuses substances sont susceptibles d’induire à elles seules des crises d’angoisse aiguës, et leur recherche doit être systématique en cas de contexte évocateur : alcool, cannabis, cocaïne, hallucinogènes (LSD), amphétamines, solvants volatifs, théophylline, phencyclidine, produits anticholinergiques, dérivés nitrés, préparations thyroïdiennes, corticostéroïdes, oxyde et dioxyde de carbone.
Des crises peuvent être également induites par le sevrage de certaines substances : alcool, opiacées, benzodiazépines, certains antihypertenseurs.
5- Crises d’angoisse secondaires à un trouble organique :
Il peut s’agir d’un diagnostic différentiel, mais certains troubles somatiques favorisent par ailleurs l’émergence d’une symptomatologie anxieuse aiguë, qu’il faut alors traiter comme telle en plus de la pathologie organique : crises d’angor, crises d’asthme, épilepsie partielle ou encore crises sensorielles.
Diagnostic différentiel :
De nombreuses pathologies somatiques peuvent comporter des symptômes anxieux, parfois au premier plan, ou mimer les symptômes habituels de l’anxiété aiguë : cardiovasculaires (angor, infarctus, poussée d’insuffisance cardiaque, hypertension artérielle, troubles du rythme) ; pulmonaires (asthme, embolie pulmonaire) ; neurologiques (épilepsie, notamment les crises temporales, crises migraineuses, maladie de Ménière, accidents ischémiques transitoires) ; endocriniennes (hypoglycémie, phéochromocytome, hyperthryroïdie, syndrome de Cushing, hypoparathyroïdie) ; autres (hémorragies internes, pancréatite, porphyrie, vertiges labyrinthiques, réactions anaphylactiques).
Formes cliniques :
L’expression de certaines crises d’angoisse peut dépendre d’un contexte culturel ou religieux particulier.
C’est le cas de certains états de « transes » qui empruntent une symptomatologie très spectaculaire, mais qui peuvent correspondre à une expression de l’angoisse dans certaines cultures.
D’autres crises ont aussi un caractère très stéréotypé, avec une prédominance de symptômes physiques parfois totalement isolés, déterminé également par le contexte culturel.
Les crises dites de « spasmophilie » par exemple, presque uniquement décrites en France, comportent une hypertonie tétaniforme et des paresthésies.
Ces signes sont toujours en rapport avec une hyperventilation ou avec d’autres modifications respiratoires affectant les échanges gazeux, et donc transitoirement la fixation calcique sur les plaques motrices. Ils ne sont cependant jamais liés à une quelconque anomalie métabolique, et ne justifient en aucun cas en eux-mêmes la réalisation d’examens complémentaires ni la prescription aiguë ou chronique de calcium, de magnésium ou de vitamine D.
Il existe enfin des crises dites paucisymptomatiques, dont le diagnostic peut être difficile en raison de la présence de signes peu nombreux et essentiellement somatiques (crises vertigineuses, douleurs abdominales, palpitations, etc.).
Les patients consultent alors souvent en première intention en neurologie, ORL, gastro-entérologie.
Conduite à tenir :
1- Évaluation :
L’examen somatique dans l’urgence est à adapter à la situation et aux premiers signes d’orientation, pouvant se limiter à une auscultation et à une prise de tension artérielle mais pouvant aller jusqu’à la réalisation d’examens complémentaires en urgence : électrocardiogramme, examens sanguins, biologiques et recherche de toxiques au moindre doute.
Au plan psychopathologique, il est surtout important de recueillir le plus d’informations possibles sur les antécédents du patient et les circonstances de la crise, avec la contribution éventuelle de l’entourage. Une écoute attentive du discours du patient est naturellement indispensable, même sur une période courte, pour orienter le diagnostic étiologique.
2- Mesures générales :
Dans la plupart des cas, l’éloignement des facteurs anxiogènes extérieurs et la présence rassurante d’un professionnel permettent très rapidement de réduire l’intensité de la crise ou de la faire cesser.
Si l’examen est en faveur de l’existence d’une pathologie organique associée à l’angoisse, il faut le préciser au patient et le prévenir des éventuels traitements et examens complémentaires prescrits.
Dans le cas contraire, il est aussi important de le signaler au patient, sans conclure à l’absence de pathologie mais en pointant l’origine psychologique de son état, permettant d’attribuer à l’anxiété les symptômes physiques observés.
Lui rappeler que la crise va naturellement céder et qu’en aucun cas sa vie n’est en danger est souvent indispensable.
Des méthodes simples permettent également de réduire les symptômes psychiques et physiques : défocaliser l’attention du patient des menaces externes ou de sensations internes anxiogènes, orienter cette attention vers un essai de détente d’une partie du corps comme les muscles du bras ou des épaules, et surtout modifier le rythme respiratoire.
Celui-ci doit être le plus lent et le plus « superficiel » possible, bouche fermée et en s’aidant d’une respiration abdominale plutôt que thoracique.
Les respirations amples et l’hyperventilation favorisent en effet l’hypocapnie responsable de nombre de symptômes somatiques. Ces mesures permettent dans la très grande majorité des cas d’obtenir une interruption de la crise.
Il faut ensuite expliquer au patient ce qu’il vient de vivre, compléter éventuellement l’examen somatique, et approfondir l’évaluation psychopathologique.
En fonction de celle-ci, le patient sera orienté vers son médecin traitant ou vers un spécialiste en fonction de l’étiologie (traitement préventif dans un trouble panique par exemple).
La prescription médicamenteuse au cours de la crise d’angoisse elle-même doit être limitée autant que possible.
Le patient ne doit pas en effet conserver en mémoire une issue uniquement « médicalisée » de sa crise, en évitant tous les actes les plus symboliques et les plus techniques (perfusions, injections).
C’est ainsi qu’un meilleur contrôle du sujet sur son anxiété pourra être obtenu, dans la perspective d’éventuelles récidives, évitant de le rendre dépendant des structures de soin les plus lourdes.
3- Traitement médicamenteux :
Il ne s’impose que lorsque la crise se prolonge malgré les méthodes énoncées ci-dessus, par exemple au-delà d’une demi-heure, ou que les symptômes sont très intenses (agitation psychomotrice très importante).
La voie orale est à privilégier, car elle assure les meilleures biodisponibilitée et rapidité d’action pour les produits anxiolytiques, et elle permet de limiter le caractère technique de l’acte.
Si une administration médicamenteuse est indiquée, il faut choisir un produit et une dose réellement actifs et anxiolytiques et proscrire tout placebo ou produit apparenté, qui pourrait être efficace mais sans permettre au patient d’accéder à une compréhension et à une maîtrise du phénomène.
Les médicaments disponibles dans le traitement aigu de l’anxiété sont essentiellement des benzodiazépines : diazépam (Valium), 1 comprimé à 5 ou 10 mg ; alprazolam (Xanax), 1 comprimé à 0,25 ou 0,50 mg ; clorazépate dipotassique (Tranxène), 1 ou 2 gélules à 10 mg.
L’effet anxiolytique, s’accompagnant éventuellement d’un effet sédatif (en fonction de la dose et de la sensibilité du sujet), est obtenu en 15 à 30 min environ.
La surveillance concerne essentiellement la vigilance et la fonction respiratoire, surtout en cas de prise récente d’alcool ou d’autres toxiques, opiacés notamment.
La voie intramusculaire est à réserver aux cas exceptionnels où la voie orale n’est pas accessible (agitation majeure, contracture de la mâchoire, troubles de la déglutition), avec par exemple : diazépam (Valium), 1 ampoule à 10 mg ; clorazépate dipotassique (Tranxène), 1 ampoule à 20 mg.
La voie intraveineuse ne doit pas être utilisée dans les crises d’angoisse aiguë.
4- Cas particulier des états psychotiques :
Les crises d’angoisse aiguës survenant au cours d'un trouble psychotique (schizophrénie, bouffée délirante aiguë, mélancolie délirante) peuvent faire l’objet d’une prescription médicamenteuse plus rapide.
Le recours aux benzodiazépines est possible, mais les neuroleptiques sédatifs (phénothiazines surtout) per os ou en intramusculaire ont un effet plus spécifique et plus puissant : chlorpromazine (Largactil), 1 ou 2 comprimés à 25 mg, ou 1 ou 2 ampoules à 25 mg en intramusculaire ; cyamémazine (Tercian), 1 ou 2 comprimés à 25 mg, ou une ampoule à 50 mg en intramusculaire.
L’effet apparaît également en 15 à 30 min, et la surveillance concerne surtout la vigilance, la tension artérielle, d’éventuels effets neurologiques comme des dyskinésies aiguës, et la température (syndrome malin).

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