vendredi 1 juin 2018

Le corps aussi se souvient

Le corps se souvient

Il nous faut identifier la source de la douleur
Convaincu de l'existence d'une mémoire pré-verbale, Arthur Janov nous montre, à l'aide d'exemples précis, les bienfaits de la thérapie primale. Il s'agit de retrouver les événements refoulés du passé afin d'en éliminer la composante douloureuse. Il nous explique comment l'inconscient peut se liguer contre l'organisme humain et le rendre malade, émotionnellement et physiquement. Ainsi, nous élargissons les possibilités de guérison : la cause de chaque maladie est aussi la clé qui nous permet de guérir, et cette clé se trouve toujours en nous.

Notre corps ne ment pas. Il dit nos troubles, nos conflits, nos souffrances. Mais celles-ci sont-elles à l’origine de la maladie ? Jusqu’où notre passé peut-il influencer notre santé ? Chacun de nous connais la souffrance que l'on refoule en compensant intelligemment et inconsciemment tous nos ressentis pour survivre. nous avons recours à des mécanismes nous permettant de fuir la réalité lorsqu'elle est intolérable. Avec l'apparition des traumatismes nous créons un besoin de force compensatoire pour que notre cerveau puisse trouver une issue face à nos difficultés. Nous avons acquis l'intelligence et la pensée abstraite et nous vivons ainsi dans notre tête que seul l'intellect peut résoudre nos problèmes, nos ressentis.

nous sommes dans la conscience d’un événement douloureux ou stressant (ce qui permet d’évacuer sa forte charge émotionnelle), plus son impact dans le corps sera fort. C’est ce que l’on appelle une somatisation. Cela signifie que le souvenir de l’événement reste dans le corps et se manifeste par des symptômes physiques. Pour la psychanalyste et psychosomaticienne, toute épreuve « perturbe notre rythme corporel, basé sur le duo “tension-dépression”. Si elle se transforme en conflit ou en impasse pour le sujet, elle peut se traduire par une pathologie psychosomatique ». De la plus bénigne à la plus grave. Ce qui est certain, c’est que plus nous restons coincés psychiquement dans un épisode difficile (divorce, deuil, licenciement…) plus notre mal-être s’exprime par des symptômes physiques. Dans ce cas, pour la psychanalyse comme pour les neurosciences, l’explication est à rechercher dans notre passé. « Nous connaissons aujourd’hui l’importance de la biologie de l’attachement Nous savons que la qualité de nos relations d’adulte dépend de la qualité de nos premiers liens affectifs et corporels, qui ont influencé notre physiologie et notre biologie. Raison pour laquelle nous pouvons dire que nos premières expériences déterminent notre patrimoine émotionnel. Ainsi, un grand choc affectif pas ou mal assimilé dans la petite enfance peut modifier notre chimie vers une tendance à l’anxiété et à la dépression, lesquelles favorisent les maladies cardio-vasculaires. Mais, il ne s’agit pas de déterminisme pour autant, de nombreux autres facteurs interviennent, comme la gestion actuelle des émotions, la qualité de l’environnement, le patrimoine génétique, etc. Cela explique pourquoi, d’un individu à l’autre, face à un même événement traumatique, la réponse sera forcément singulière. « Sur deux femmes porteuses du gène du cancer du sein, l’une développera la maladie et l’autre pas. Nous avons décodé le génome, mais pas les interrelations entre les gènes. » Preuve, selon lui, que « la mémoire du corps, multiple et complexe, échappe à toute grille de lecture univoque ».

Nous sommes nantis d'un mécanisme de survie face à nos névroses

Charcot, Freud et les autres
Le terme psychosomatique (du grec psukhê, « esprit », et sôma, « corps ») a été introduit au cours du XIXe siècle par le psychiatre allemand Johann Christian August Heinroth, qui avait remarqué l’influence de l’esprit sur l’évolution de la maladie. Plus tard, l’étude de l’hystérie par Jean-Martin Charcot et par Sigmund Freud a établi que les conflits psychiques s’exprimaient violemment dans le corps et que, pour « soigner » celui-ci, il fallait d’abord dénouer, par la parole, le conflit dans le psychisme. Les fondements de la psychosomatique seront ensuite posés par des psychanalystes comme l’Allemand Georg Groddeck et le Hongrois Sándor Ferenczi, puis développés aux États-Unis par Franz Alexander et en France dans les années 1960 par Pierre Marty.

Nos réactions émotionnelles ont le plus souvent des causes si profondément enfouies en nous et dans notre passé qu’elles nous demeurent mystérieuses. Pourtant, il est possible d’y avoir accès, de les contrôler et souvent même de les transformer. En passant par les sensations du corps.
Ainsi pour Michael, un jeune psychiatre qui porte ses cheveux noués en une élégante queue-de-cheval. Il est venu se former à l’EMDR (1) et participer aux exercices pratiques qui font partie de l’enseignement. C’est à son tour de jouer le rôle du patient. Il raconte comment il s’est trouvé complètement désemparé en recevant une lettre de sa banque lui rappelant le montant de son emprunt. Se sachant incapable de rembourser ce qu’il devait, il a été emporté par une vague de désespoir, paralysé par la panique. Et la même violente émotion le perturbe dès qu’il repense à nouveau à la scène.
Cette réaction lui est familière : elle le submerge souvent face aux difficultés de la vie courante. Il peut raconter dix scènes similaires où il s’est retrouvé dans un déplorable, un inexplicable sentiment d’impuissance. Même s’il se sent un peu plus capable de faire face depuis qu’il a commencé une thérapie, il aimerait savoir s’il lui est possible de progresser encore.
Lorsqu’une réaction émotionnelle inadaptée persiste depuis longtemps dans notre vie, il n’est pas toujours facile de remonter à ses origines.Pourtant, notre réaction aux événements présents est toujours la conséquence de ce que notre cerveau a enregistré au cours d’expériences antérieures. Ce processus est lié à la nature même de l’organisation du cerveau : les chiens de Pavlov salivent rien qu’en entendant une cloche sonner, si ce son a précédemment accompagné l’apport de nourriture.A l’inverse, ceux pour qui la cloche a sonné tandis qu’ils recevaient un choc électrique se figent dans la peur et l’impuissance, en attente d’un nouveau traumatisme, même si aujourd’hui, il leur serait possible de s’échapper. Au lieu de laisser Michael se perdre dans un labyrinthe de conjectures abstraites à propos de son trouble ou de détails sur ses épisodes dépressifs, le thérapeute lui demande ce qu’il ressent dans son corps lorsqu’il revit en pensée la scène où il lit la lettre de la banque. « Une oppression dans la poitrine et des picotements derrière les yeux », répond-il.
« Fermez les yeux et concentrez-vous sur ces sensations. Remontez avec elles dans le temps et suivez les images qui arrivent spontanément », reprend le thérapeute. Lorsque, après un silence, Michael rouvre les yeux, ils sont embués de larmes : « J’ai revu la mort de ma petite sœur, survenue lorsque j’avais 5 ans. Elle a séjourné à l’hôpital pendant des mois, et, chaque fois qu’on lui rendait visite, on la voyait s’affaiblir un peu plus. Nous nous sentions dans une totale impuissance et personne ne pouvait rien y faire. Je crois que je ne m’en suis jamais vraiment remis. »Face à un tel drame, son impuissance d’enfant de 5 ans, liée à celle de ses parents et des médecins, s’est gravée en lui. A partir de là, de nombreux événements de sa vie – certains aussi banals qu’une dette de banque impayée – réactivaient en filigrane la blessure subie par l’enfant désemparé. Alors même qu’il est aujourd’hui un adulte, devenu psychiatre et tout à fait capable de gérer une dette ou des situations bien plus complexes.
Or il n’a fallu à Michael que quelques séances de thérapies pour utiliser comme point de départ ses sensations physiques et arriver ainsi à s’extraire de ce deuil qu’il n’arrivait pas à faire depuis ses 5 ans. Depuis, tout n’est pas réglé, mais il réagit tout à fait différemment aux divers challenges qu’il peut rencontrer dans son existence. Le souvenir de ce qui nous conditionne à répondre à une situation donnée comme un enfant effrayé et impuissant alors que nous sommes désormais adulte est souvent si ancien et si éloigné dans le temps que la parole ne suffit souvent pas à le retrouver.
En revanche, la mémoire du corps, trop longtemps délaissée par la psychothérapie conventionnelle, semble conserver la trace de tels traumatismes à travers la vie entière. Des liens qui relient si fortement le passé au présent que l’on pouvait les croire indéfectibles : or, dans certaines conditions, lorsque l’on arrive à réactiver et à ranimer cette mémoire du corps, ils peuvent se délier avec une rapidité surprenante.

La libre remémoration du passé ouvre la possibilité d’oublier. L’injonction psychique de ne pas oublier, de se souvenir, a quelquefois la valeur d’une malédiction. Dans les deux situations cliniques relatées, la présence d’un corps impossible à oublier, blessé dans le passé, fait symptôme. Karim pleure et Monsieur A. est angoissé. Ces états émotionnels intenses leur créent des difficultés, dans la situation de l’examen où je les rencontre, pour la réalisation des exercices respiratoires. Leur retour dans ce lieu d’une mémoire douloureuse, l’hôpital, où leur corps a été dans le passé blessé, n’est sans doute pas anodin dans l’énonciation de leur récit. L’instant de dire, outre ses effets psychiques, semble avoir pour effet de libérer, faciliter leurs examens, en prenant en compte les dimensions intersubjectives de la rencontre. L’unité psychosomatique se manifeste dans cette libération du corps et de la psyché.


La souffrance physique est dure à gérer. Il faut sans cesse se remotiver pour ne pas perdre pieds. Chaque jour est un nouveau combat, le combat de la vie.
La souffrance n’est pas bonne en soi, il faut lui donner un sens. Dans le cas de la fibromyalgie, il n’y a aucune explication physiologique, quoi que, je voudrai bien savoir les effets des pesticides, de l’aluminium… sur l’organisme. J’ai peut-être tord mais je crois qu’un élément pathogène génére la fibromyalgie, ça n’est pas prouvé, bien sûr, mais quand on réfléchit, tant de personnes atteintes, ce n’est pas dans la tête. Les chercheurs n’ont pas trouvés.

La souffrance est l’ennemi du vivre ensemble. Lorsque vous avez des douleurs lancinantes, récurrentes, continuelles, ce n’est pas possible d’avoir des activités sportives, de loisirs.
Aujourd’hui, souffrir c’est mal vu. C'est indécent même. On soupçonne la personne souffrante d’inadaptée à l’idéal de la société, elle-même ferme les yeux sur son passage. On l’ignore. On l’évite.
Sous prétexte qu'il faut être fort et heureux pour exister, l'individu en vient à ignorer ses propres souffrances : il affiche un bonheur de façade qui correspond au schéma véhiculé par les médias et la publicité. Cela est extrêmement dangereux. Tout d'abord parce que la souffrance finit toujours par revenir, et parfois de manière meurtrière - surtout lorsqu'elle a été longtemps refoulée - mais aussi parce que la rejeter consiste à refuser de vivre sa propre vie. L'individu qui nie ses douleurs s'égare. Il s'éloigne de lui-même, il devient autre. 

Chantal Thomas a écrit « Souffrir c’est vivre » ; c’est vrai, la personne existe, c’est un très bon bouquin que je recommande. Il y a la souffrance psychologique
Notre corps est un système très complexe qui va nous mettre en alerte dès qu’une agression où un dysfonctionnement a lieu et cela va se traduire par de la souffrance physique. Attention !  il est difficile de voir les petits signes avant-coureurs. Cette douleur aurait dû me faire changer dans ma façon de faire.

Certains médicaments qui vont cacher la douleur peuvent avoir ceci de néfaste qu’on perd le signal qui est là pour nous indiquer la limite à ne pas franchir. L’image que j’ai en tête est celle des coureurs qui reprennent l’exercice grâce à l’anti douleur sans que les symptômes ne soient guéris. C’est la meilleure façon d’empirer la situation. Je ne dis surtout pas de bannir les médicaments contre la douleur, simplement de respecter la voie du milieu et ne pas forcément chercher à vouloir bannir automatiquement toute douleur.

Il y a ensuite la deuxième composante dans la douleur, c’est tout ce qu’on va rajouter par-dessus en se sentant attaquer, en se demandant pourquoi cela nous arrive.  Tout le mental devient focalisé sur la douleur physique, sur ce que le corps ressent et comment atténuer cela. La seule solution est d’accepter.

Dans les moments de souffrance intense, qu'elle soit physique (douleur aiguë et qui dure) ou psychique. Je suis un pur cri devant la détresse, souhaitant que cela finisse au plus tôt, quel que soit le moyen. Je souhaite même la mort, ne plus existe c’est ne plus souffrir.

. Le passé et le futur sont effacés, seul existe un présent (une éternité) de souffrance. Je crois être en enfer. La douleur bouleverse mon univers intérieur, ma vie. Cette douleur, que je ne sais pas décrire, semble me posséder en partie, m'empêchant de penser. Quand j'ai mal, le corps-objet (que j'ai) est privilégié par rapport au corps‑sujet (que je suis).

 Suis-je donc si fragile qu'en un instant toutes mes évidences se brisent et que j'ai même envie de quitter la vie ? 

Une personne douloureuse chronique ne sera plus jamais la même face à quelqu'un dans la peine. On ne peut imaginer jusqu'à quelle profondeur peut aller le désarroi si on ne l'a pas vécu soi-même.
Je suis seule. Même si dans un premier temps, mes proches m'entourent davantage, je suis vite dans une solitude extrême. Les paroles qu'on m'adresse sonnent faux, même si elles se veulent bienveillantes. Ma peine est au-delà des mots, des gestes d'amitié. J'ai envie de crier devant certaines maladresses : « Pense à ceux qui souffrent plus que toi » (comme si leur douleur atténuait la mienne 
Se révolter a un côté médicalement sain : ça donne du punch pour combattre le mal, c’est un sursaut de vie. Dans ma révolte, je suis seule.

La dépression de l'adulte


Modification de l’humeur, troubles de la pensée et manifestations physiques sont les principaux symptômes d’une dépression. Généralement déclenchée par des événements extérieurs, la dépression semble le plus souvent résulter d’une conjonction de facteurs biologiques, génétiques, ainsi que de l’environnement social et familial de la personne.
Quels sont les signes de la dépression ?
Contrairement à la déprime passagère, la dépression (ou dépression nerveuse) est un état de profonde détresse qui dure. Elle se caractérise par l’association durable de plusieurs symptômes comme une modification importante de l’humeur (tristesse permanente), une perte de motivation, une souffrance parfois insupportable et un ralentissement des gestes de la vie courante. La personne malade a un sentiment d’inutilité et d’impuissance, avec des idées morbides, voire suicidaires.
Maladie aux multiples facettes, la dépression est parfois difficile à déceler. La personne qui en souffre refuse de voir ses symptômes, ou en sous-estime l’importance. Elle ne veut pas se plaindre, se dit que « ça va passer ». C’est la raison pour laquelle l’entourage peut jouer un rôle primordial dans le diagnostic de la maladie.
Certains changements peuvent alerter : la personne n’a plus envie de pratiquer des activités qui lui plaisaient auparavant, ne fait plus de projets, est d’humeur instable, peut faire preuve d’une agressivité inhabituelle ou présente des difficultés de concentration.
Elle dort moins ou au contraire beaucoup plus, mange très peu ou grignote sans arrêt, est constamment fatiguée. Des idées sombres sont énoncées : « Je suis dans une impasse, je n’y arriverai jamais, j’ai tout raté dans ma vie, je porte la poisse, je rends les autres malheureux… » Si ce discours revient sans cesse, il faut absolument inciter la personne à consulter.
Parfois, la dépression prend des formes dites « masquées ». Elle se traduit par des manifestations physiques difficiles à associer, dans l’esprit de la personne qui en souffre, avec l’image qu’elle se fait de la dépression : troubles du sommeil, fatigue, agitation, maux de dos ou maux de ventre, troubles digestifs, vertiges, maux de tête, etc.
Les symptômes de la dépression
Modifications de l'humeur
• Cafard
• Tristesse permanente pendant au moins deux semaines
• Envie incontrôlable et fréquente de pleurer
• Irritabilité
• Perte totale d'intérêt pour les activités ordinairement agréables
Troubles de la pensée
• Baisse de l‘estime de soi
• Sentiment de culpabilité
• Anxiété ou inquiétude excessive
• Difficultés de concentration
• Pertes de mémoire
• Incapacité à prendre des décisions
• Pensées morbides qui reviennent souvent
Manifestations physiques
• Agitation ou ralentissement des gestes du quotidien
• Perte d’énergie
• Fatigue
• Sommeil perturbé (insomnie ou envie de dormir excessive)
• Perte ou augmentation de l’appétit
• Troubles digestifs et maux de ventre
• Maux de tête
• Diminution du désir sexuel
• Douleurs diffuses
• Mal de dos
Qu’appelle-t-on maniaco-dépression ?
Les personnes atteintes de troubles bipolaires, appelés aussi maniaco-dépression, psychose maniaco-dépressive ou dépression bipolaire, connaissent des variations de l’humeur qui sont disproportionnées dans leur durée et leur intensité. La gaieté devient euphorie exagérée, la tristesse se mue en dépression profonde. Les troubles du comportement qui accompagnent ces phases désorganisent profondément la vie de la personne maniaco-dépressive et dégradent ses relations familiales et professionnelles. Les troubles bipolaires sont une maladie distincte qui ne doit pas être confondue avec la dépression et ils nécessitent des traitements particuliers.
Coup de cafard ou dépression, comment savoir ?
Avoir un « coup de cafard » est une manifestation naturelle du psychisme. Une déprime se caractérise par un sentiment de tristesse passagère qui peut être lié ou non à des raisons précises. Cependant, si l’état psychologique ne s’améliore pas après environ deux semaines, il est important de consulter, car il s’agit peut-être d’une dépression qui s’installe.
Est-il normal de parfois « broyer du noir » ?
Perte d’un être cher, problèmes professionnels, soucis financiers, déception amoureuse, conflits familiaux ou autre. Tous ces événements font hélas partie, à un moment ou à un autre, du quotidien. Notre psychisme, mais aussi notre corps réagissent à ces situations. Nous nous sentons tristes, fatigués, sans énergie ou alors énervés, tendus. Souvent, nous décrivons cet état comme un « coup de déprime ».
Il peut aussi nous arriver de broyer du noir sans raison particulière, sans qu’aucun changement ne soit intervenu. C’est parfois le signe d’une insatisfaction vis-à-vis de notre mode de vie.
Ces manifestations, que même les plus optimistes connaissent sont tout à fait normales. Les médecins les considèrent comme des troubles d’adaptation, des états dépressifs mineurs non caractérisés, qui ne doivent pas être confondus avec une maladie dépressive caractérisée et ne justifient donc pas d’un traitement antidépresseur.

Ces moments de déprime ont-ils une fonction ?
Aussi curieux que cela puisse paraître, ces moments de déprime ont une fonction d’adaptation. Nous interagissons de façon permanente avec notre environnement. Confronté à une perturbation de cet environnement, l’organisme réagit, permettant à l’individu d’adapter son comportement et ses pensées aux contraintes du monde qui l’entoure. Dans d’autres cas, ces manifestations peuvent amener à s’interroger sur sa vie, à redéfinir ses priorités pour trouver du sens à son existence, et parfois à prendre des décisions ou à provoquer un changement tel qu’un déménagement, la recherche d’un nouvel emploi ou une séparation. Une période de déprime peut être le déclencheur d’une évolution et déboucher sur un mieux-être.

Coup de cafard ou début de dépression ?
Dans le doute, mieux vaut consulter. Le dialogue avec un médecin permet de mettre des mots sur ses difficultés, ce qui suffit parfois pour prendre du recul et se sentir mieux. D’autre part, seul un médecin est à même de faire la différence entre un coup de blues et une dépression. En effet, si cette maladie est complexe, ses symptômes sont relativement bien connus.
Mais attention ! Même si les symptômes observés ne correspondent pas aux symptômes les plus courants, il convient de rester vigilant. Si un coup de cafard devient permanent et incompatible avec la vie quotidienne, il peut être le signe d’une dépression qui s’installe. Il ne faut donc pas hésiter à aller voir un médecin si l’état psychologique ne s’améliore pas ou si des troubles physiques apparaissent, tels que douleurs au ventre ou au dos, ou migraines. Ils peuvent signaler une dépression masquée.
Pourquoi développe-t-on une dépression ?
« Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Suis-je responsable de cette situation ? » Ces questions assaillent généralement les personnes qui souffrent de vraie dépression. Pourtant, le malade n’est pour rien dans ce qui lui arrive. Il ne s’agit pas d’un laisser-aller ou d’une personne qui s’écoute trop, qui s’apitoie sur son sort.
La dépression est souvent déclenchée par des événements extérieurs. On sait désormais qu’il n’y a pas une cause unique à l’apparition d’une dépression, mais que la maladie résulte le plus souvent d’une conjonction de facteurs.

Les facteurs biologiques
Chez les malades dépressifs, on constate un déséquilibre de la chimie du cerveau, en particulier une baisse de l’efficacité de certains neurotransmetteurs (sérotonine, noradrénaline, dopamine). Or, le cerveau constitue le centre de contrôle de tout notre corps. Il est également responsable de nos émotions, de notre mémoire et de nos pensées. Cette perturbation de nature chimique entraîne progressivement un dérèglement de l’humeur et des fonctions intellectuelles et physiques.
Les facteurs génétiques
Les personnes ayant des parents proches qui ont souffert de dépression sont plus susceptibles d’en être elles-mêmes victimes. De nombreuses recherches ont tenté d’identifier un gène de la dépression. On pense aujourd’hui que plusieurs gènes peuvent avoir une influence sur la survenue de cette maladie.
Globalement, les gènes impliqués ne déclencheraient pas nécessairement la dépression, mais transmettraient seulement une prédisposition.
Les facteurs liés à l’environnement social et familial
Le surmenage, la solitude, des événements difficiles ou traumatisants (problèmes financiers ou professionnels) peuvent favoriser une dépression. Souvent, son apparition suit la perte d’une personne, lors d’un deuil, d’une séparation, du départ d’un enfant du domicile des parents, par exemple. Elle peut aussi faire suite à un changement d’état : perte du sentiment de jeunesse, d’une certaine insouciance, ou perte partielle ou totale de son autonomie, etc.
Qui peut être touché par la dépression ?
Personne n’est à l’abri de la dépression. On peut avoir apparemment tout pour être heureux et souffrir d’une dépression sévère. Le mode de vie a une influence. Ainsi, la solitude affective (veuvage, divorce, séparation) constitue un facteur de risque, surtout pour les hommes, de même qu’un environnement professionnel générateur de stress (licenciement, chômage, pression dans le travail, surmenage). D’autre part, certains moments de la vie comme l’adolescence, la grossesse, l’accouchement ou la survenue d’une maladie grave fragilisent l’individu, le rendant plus vulnérable à la dépression.
La dépression est une maladie qui peut toucher tout le monde à tout âge, même si la dépression est plus fréquente chez les adultes jeunes (sept dépressifs sur dix ont moins de 45 ans). De plus, hommes et femmes ne sont pas égaux devant la dépression. La maladie touche en moyenne un homme sur dix et une femme sur cinq. La raison en est peut être que les dépressions féminines sont mieux dépistées, car les femmes demanderaient de l’aide plus facilement que les hommes. De plus, les hormones sexuelles pourraient jouer un rôle, ce qui expliquerait la plus grande fréquence de la dépression féminine durant certaines périodes de fluctuations hormonales (accouchement, ménopause). 

Baby blues et dépression post-partum
Il ne faut pas confondre le célèbre baby blues avec la dépression du post-partum. Huit femmes sur dix ressentent les symptômes du baby blues entre le deuxième et le dixième jour après l’accouchement. Ces troubles dépressifs passagers (crises de larmes, vague à l’âme) ne durent que deux ou trois jours et disparaissent spontanément. Ils sont dus aux bouleversements hormonaux provoqués par l’accouchement, à la fatigue et à la prise de conscience du nouveau rôle de mère.
Moins fréquente que le baby blues, la dépression du post-partum touche une femme sur six. Elle se manifeste quelques semaines après l’accouchement. Ses symptômes sont ceux de la dépression : tristesse, perte d’intérêt et de plaisir, difficultés de concentration, troubles du sommeil. Un sentiment de culpabilité sur une supposée incompétence maternelle, une anxiété injustifiée quant à l’état de santé de l’enfant, ou au contraire un rejet du bébé peuvent également être ressentis.
Le traitement par antidépresseurs, associé à une psychothérapie, est efficace. Dans les cas de dépressions postnatales sévères, une hospitalisation peut être envisagée. Il existe en France quelques unités spécialisées dans l’accueil des nouvelles mères sévèrement déprimées.
Le cas des personnes âgées
La dépression chez les personnes âgées est souvent sous-estimée. Une idée répandue voudrait qu’avec l’âge il devienne normal d’être triste, fatigué, abattu. Pourtant, la dépression chez les personnes âgées est assez fréquente, pouvant s’exprimer par une agressivité, une irritabilité, des insomnies ou encore par des symptômes qui peuvent être confondus avec des signes de démence ou de sénilité, tels que pertes de mémoire ou confusion. Si la dépression est diagnostiquée, ces manifestations disparaissent avec le traitement.

Constructivisme

Ce terme possède plusieurs significations voisines. Il est d’abord assimilé à la théorie de Jean Piaget*, qui conçoit le développement de l’intelligence comme une construction progressive associant une maturation biologique (ou schèmes d’action ou de pensée préexistants) et l’expérience (l’acquis). Dans La Naissance de l’intelligence chez l’enfant (1936), Piaget tord le cou à deux autres théories dominantes de l’époque : la psychologie de la forme (Gestalt) qui, selon lui, accorde trop d’importance à l’inné, et le béhaviorisme, qui part du principe que les connaissances s’inscrivent dans le cerveau comme une « cire molle ». Piaget découvre que l’enfant construit ses connaissances par ses propres actions (trouver le mamelon du sein, prendre un objet puis le lâcher). L’enfant assimile les données du monde qui l’entoure mais doit, pour ce faire, accommoder ses structures mentales, c’est-à-dire les modifier (et par là-même les développer) afin de se réajuster en permanence à son environnement.
En sciences cognitives, le constructivisme désigne plus généralement les théories qui conçoivent les représentations mentales et connaissances comme des constructions progressives, issues à la fois de l’intégration de l’expérience et de l’organisation progressive des circuits neuronaux.

La réalité inventée
Enfin, le constructivisme devient progressivement un des fondements de l’approche de Palo Alto, un courant de pensée et de recherche particulièrement fécond, qui se développe en Californie à partir des années 1950, comme en témoigne la publication en 1981 deL’invention de la réalité. Contributions au constructivisme sous la direction de Paul Watzlawick. Le psychologue y soutient que la réalité sociale est une « invention » ou une « construction mentale », au sens où nous ne cessons de projeter sur le monde nos propres représentations.
En sociologie, le constructivisme se rapporte aux approches contemporaines qui envisagent la réalité sociale comme une « construction sociale permanente ». Inaugurée par l’ouvrage de Peter Berger et Thomas Luckman, La Construction sociale de la réalité (1966), revisitée en 1999 par Ian Hacking dans Entre science et réalité. La construction sociale de quoi ?,l’optique constructiviste peut être appliquée à n’importe quel type de phénomène : l’enfance, la délinquance, les émotions, le sexe et le genre, l’amour…
Le but de ces analyses est de rompre avec un réalisme naïf et la naturalisation des faits sociaux, invitant à prendre en compte le poids des représentations dans le regard que l’on porte sur le monde. De nos jours, certains militants LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) se réclament du constructivisme pour affirmer que le sexe subjectif est indépendant du sexe corporel et biologique.

Comment voit-on le monde ? Représentations sociales et réalité
Propos recueillis par Jacques Lecomte
Les représentations sociales nous permettent d'assimiler l'information en provenance de notre environnement et de communiquer avec autrui. Elles évoluent en fonction des préoccupations d'un groupe humain.

Sciences Humaines : Les représentations sociales sont un des grands thèmes de recherche des psychologues sociaux. En quoi consiste une représentation sociale ? Quel en est le contenu ?
Serge Moscovici : Les représentations peuvent être comparées à des « théories » du savoir commun, des sciences « populaires » qui se diffusent dans une société. Pour faire court, on peut d'un côté décrire la structure d'une représentation sociale par la formule : un noyau stable régulier plus des éléments périphériques. Ainsi, pour ce qui est des représentations ethniques, ce noyau est constitué par une permanence des traits, des caractères culturels et biologiques attribués à un groupe. De l'autre côté, sa dynamique peut être décrite par les processus d'«ancrage» et d'« objectivation ». En effet, ce noyau peut attirer des éléments très différents qui circulent dans les réseaux de communication. Ancrés dans ce réseau, ils reçoivent une signification neuve, un emploi métaphorique, comme la notion de virus dans le champ de l'informatique. Il y a un rapport étroit entre le processus d'ancrage et la prolifération sémantique, la polysémie des mots.
Comment, ensuite, définir le processus d'objectivation, sinon par une ontologisation, l'inscription des éléments de représentation dans le réel ? Tout objet ou comportement social est une réalité plus une représentation. En objectivant celui-là, on le façonne, on l'unit à celle-ci. Par exemple, au cours d'une enquête sur les représentations de la psychanalyse, j'ai constaté que des éléments théoriques avancés par Freud, tels que l'inconscient ou le complexe d'OEdipe, devenaient, une fois répandus dans la population, de véritables réalités objectives.
Inversement, j'ai été surpris, il y a quelque temps, de constater l'absence de représentations sociales du marxisme comme j'avais pu en repérer pour la psychanalyse. Ce terme et les éléments qui le composent n'ont pas véritablement pénétré dans la vie des gens, même des communistes. Alors que dans mon enquête sur la psychanalyse, les gens faisaient allusion à des aspects spécifiques de cette théorie, tel que l'inconscient, ce n'était pas du tout la même chose avec le marxisme. A la limite, les personnes que j'ai rencontrées faisaient allusion aux rapports entre riches et pauvres, mais il s'agit là de catégories plus anciennes, non spécifiques au marxisme.

SH : Quelles sont les fonctions des représentations sociales ?
S.M. : Tout d'abord, elles sont indispensables dans les relations humaines, parce que si nous n'en avions pas, nous ne pourrions pas communiquer et comprendre l'autre. Elles permettent également les actions en commun. Par exemple, pour qu'un mouvement social puisse agir et s'affirmer, la façon dont il se voit et dont il anticipe sa présence dans la société et dans les médias est essentielle.
Les représentations sont également importantes à l'échelon individuel. En effet, personne n'a jamais de contact direct avec la réalité. On ne peut pas assimiler de l'information si on ne dispose pas d'une sorte de représentation préalable. Les représentations sociales sont donc une condition pour que l'individu placé devant une information puisse se former sa propre représentation de la réalité.

SH : Mais existe-t-il des représentations qui n'ont aucun lien avec le réel ?
S.M. : Evidemment, car en un sens, les choses « chimériques » ont plus d'importance pour nous que les choses « réelles ». Mais je n'en fais pas, comme certains, un principe de l'absence de lien avec le réel. A condition de reconnaître que ce lien avec la représentation est lui-même valable historiquement. Par exemple, on parle de l'« économie réelle » et de l'« économie financière », laquelle serait de l'ordre de la représentation sociale pure. Tout le monde semble le comprendre, mais qui connaît le critère de cette distinction ? En tout cas, nous assistons actuellement à une transformation extraordinaire de ce qu'est l'argent, lequel devient de la pure représentation, avec les flux financiers, les chéquiers, le paiement électronique. Cela ne veut pas dire que l'argent ne correspond pas à la réalité, puisqu'il vous donne accès à quelque chose de réel.
De plus, chaque représentation crée la réalité de ce qu'elle désigne. Par exemple, de quoi parlons-nous lorsque nous utilisons l'expression « la force du marché » ? On ne parle plus aujourd'hui de la force contraignante de la nature parce que nous pensons pouvoir intervenir dans presque tous les phénomènes naturels. Il n'y a plus de fatalisme à ce sujet, alors qu'il y en a beaucoup à propos de la force du marché. Or, le marché n'existe pas en dehors de la représentation que nous en avons. La force de celui-ci n'est en fait ni plus ni moins que la force de la représentation que nous nous faisons de lui.

SH : Vous avez dit que les représentations sont consensuelles, pourtant tout le monde ne partage pas nécessairement les mêmes représentations.
S.M. : Effectivement, le fait qu'une représentation soit largement présente au sein d'une population ne veut pas dire que tout le monde la partage. Il y a, par exemple, une représentation polémique des médias entre, disons, les « traditionnalistes » et les « postmodernistes ». Les traditionnalistes, très critiques, font constamment des médias un bouc émissaire, alors que les postmodernistes affirment que les médias et surtout les multimédias représentent en quelque sorte le salut. Une autre posture consiste à faire une nette distinction entre bons et mauvais médias. Enfin, il y a une dernière catégorie de gens qui se retirent face à ce débat.
Un autre exemple de représentation polémique concerne le monde social, aujourd'hui en France. Certains groupes estiment que le social est quelque chose d'autonome, alors que d'autres pensent au contraire qu'il dépend de l'économie. Mais il y a aussi des représentations hégémoniques. C'était, par exemple, le cas dans la société soviétique, où toutes les représentations différentes ont disparu. Or, maintenant que le communisme n'est plus présent, on constate une sorte de vide cognitif puisqu'aucune représentation ne l'a remplacé.

SH : Quelle distinction faites-vous entre représentation et idéologie ?
S.M. : A vrai dire, je ne vois pas bien ce que recouvre la notion d'idéologie. Quand je suis allé dans les pays de l'ex-Europe communiste, je me suis demandé : « En quoi consiste donc cette idéologie, puisqu'on ne la trouve ni dans les institutions, comme la religion dans l'Eglise, ni dans l'esprit des gens, comme le nationalisme ? » Peut-être l'idéologie n'est-elle qu'un cliché de notre culture auquel ne correspond aucun concept théorique, puisqu'il n'appartient à aucune théorie de la société. Weber et Durkheim n'en parlent jamais. Et Marx fort peu, en tout cas dans ses analyses économiques ou historiques. C'est après la révolution bolchevique que le mot d'idéologie est devenu à la fois un emblème et peut-être un concept. Toujours est-il que tout ce qu'on trouve de concret dans une société, ce qui est inscrit dans une culture, dans une communication sociale, relève de la représentation. J'ai pensé autrefois qu'une idéologie, c'est la réification par un groupe d'un ensemble de représentations. Aujourd'hui, je n'en suis pas sûr, et je m'interroge pour savoir s'il ne faut pas en finir avec la notion d'idéologie. Mais on ne déracine pas un cliché culturel par des arguments empiriques ou logiques.

SH : Comment une représentation sociale naît-elle et se développe-t-elle ?
S.M. : C'est un trop vaste sujet pour l'aborder pleinement dans un entretien. Une représentation sociale peut être rapprochée, tantôt d'une image, par exemple l'image d'une ville, et tantôt d'un langage. Les circonstances dans lesquelles naît une représentation sociale sont une affaire historique ou empirique complexe. Mais sans doute le plus souvent une image ou un nom propre servent-ils de déclencheur ou d'attracteur. Ce qui va ensuite faciliter sa diffusion dans les réseaux de communication, c'est l'existence de représentations sociales identiques qu servent de relais ou de connexions. Elles permettent de rendre familières une connaissance et une pratique à première vue inassimilables ou éloignées. En proposant la théorie des représentations sociales, j'ai dit que sa fonction première et jusqu'à un certain point son ressort est la « familiarisation avec l'étrange », au contraire de la science qui, elle, rend étrange le familier. Donc, le développement va dans le sens de cette familiarisation et trouve son aboutissement dans la « banalité », l'« anonymat » du savoir, des images et du vocabulaire standardisés par le discours public. Ainsi, le « trou noir » et le « big bang » des astronomes, la sélection naturelle des biologistes, nos « représentations sociales elles-mêmes, et ainsi de suite. Le rapport de la représentation, de la nomination et de la familiarisation est très important.
Prenons l'exemple de la pédophilie. La vague médiatique sur ce thème n'est pas uniquement liée à l'affaire Dutroux. En fait, cette représentation était dans l'air depuis longtemps. Il y aurait d'ailleurs une étude intéressante à faire sur le sujet. Par exemple, aux Etats-Unis, on parlait du child abuse et de l'inceste bien avant que le thème ne se cristallise. Et depuis deux ans, le terme de pédophilie a été largement utilisé dans la société française, en en élargissant considérablement le sens. Ce terme qui désignait initialement l'intérêt sexuel envers les enfants a attiré vers lui des catégories de comportements très divers, qui ne relèvent pas à strictement parler de la pédophilie, par exemple l'inceste, la violence, la victimisation. Ainsi, les gens qui entrent aujourd'hui dans la catégorie des pédophiles sont très différents les uns des autres, mais on a créé une catégorie globale de personnes, comme si leur expérience était identique. On a en quelque sorte accordé une réalité ontologique à un concept. Cet exemple montre bien que la nomination est un phénomène important dans la formation d'une représentation, parce que c'est ce qui permet de regrouper une classe d'êtres sous la même définition, c'est ce qui donne sa véritable existence à une représentation.

SH : Et comment une représentation disparaît-elle ?
S.M. : Je ne crois pas que les représentations disparaissent, car elles sont reprises par d'autres. De centrales, elles peuvent devenir marginales, puis redevenir éventuellement centrales. Par exemple, il y a actuellement en France une représentation des problèmes sociaux liés à l'ethnicisation, ce qui constitue un phénomène relativement récent. Il y a vingt ans, personne ne parlait de ce qui est maintenant un thème central dans le débat public.
Mais en fait, ces représentations racistes ou ethniques ont toujours été là, même si elles étaient marginalisées. La société a en quelque sorte à ce propos un thésaurus disponible dans lequel elle peut puiser le cas échéant.

SH : Les représentations sociales semblent être un concept proche de ce que l'on appelle le savoir commun face aux sciences. Les spécialistes n'ont-ils pas tendance à considérer le savoir commun des gens avec une certaine condescendance ?
S.M. : C'est effectivement une attitude que l'on rencontre très fréquemment. Le sens commun est très souvent désavoué, dévalué, surtout dans une société bureaucratique fondée sur l'autorité des experts. Lesquels, hélas, ne se rendent pas toujours compte du fait qu'on n'a pas besoin d'une science particulière pour expliquer aux gens qu'ils doivent se serrer la ceinture ou payer davantage d'impôts, ou qu'il vaut mieux être heureux que malheureux. Il se trouve que les journalistes qui se consacrent à la diffusion des connaissances ne sont pas les mieux considérés, ni par leurs confrères, ni par les spécialistes. Et, chose regrettable, ces derniers estiment souvent que la connaissance « vulgarisée », le terme en dit long, est une catastrophe. Oubliant qu'ils ne sont pas eux-mêmes spécialistes en tout et qu'ils font partie de ce « vulgus ».
Il y a pourtant dans ce domaine des choses très intéressantes, sinon capitales pour notre société. D'abord, la diffusion du savoir scientifique ou technique joue un rôle essentiel, car elle lui confère une existence dans la vie et la culture des gens ; elle influence leurs relations et leur comportement. Il ne faut pas attendre des catastrophes comme celles du sida ou de la vache folle pour en faire un jeu. Et ce n'est pas par des dépliants « sexy » que l'on fera comprendre ce que signifient l'euro, la réduction du temps de travail, l'épargne, les fonds de pension et le reste. Ensuite, il y a le paradoxe contemporain : on utilise des techniques sophistiquées sans avoir le savoir correspondant, et sans même qu'il soit nécessaire de le posséder. Même un « analphabète » peut se servir d'un ordinateur ou d'Internet, mais il le ferait mieux s'il possédait une meilleure connaissance et une maîtrise des possibilités de son outil. On pourrait se livrer à des considérations analogues dans le domaine médical. Combien coûte à la Sécurité sociale la diffusion hasardeuse des idées et des informations médicales ?
Enfin, contrairement à une conception élitiste, le sens commun n'est aucunement de l'ordre de l'ignorance ou de la pensée illogique ou erronée. Il s'agit en fait d'un savoir riche, d'une pensée structurée, d'un genre de science populaire. Elle doit être assez cohérente, car notre langage et notre vie quotidienne dépendent de ces connaissances du sens commun. C'est la raison pour laquelle je plaide pour la valorisation et l'étude du sens commun dont dépendent la plupart de nos pratiques sociales. Et pour la diffusion des connaissances en général, dont la quasi-absence dans les médias en dit long sur ces attitudes fondamentales à cet égard.
En 1943, Kurt Lewin et son équipe menèrent une des expériences fondatrices de la psychologie sociale. Il s'agissait d'amener des ménagères américaines à consommer de la viande d'abats, et au-delà, de comprendre comment modifier leurs préférences alimentaires. Cette recherche montra que posséder des connaissances sur un produit ne suffit pas à changer le comportement de l'individu vis-à-vis de ce produit. Le pont entre la connaissance et l'action, ce sont les représentations sociales.
Saadi Lahlou essaie dans cet ouvrage de mettre au jour, à travers l'exemple de l'alimentation, le rôle et la dynamique des représentations sociales dans la vie quotidienne. Elles sont, nous dit-il, des « modes d'emploi du monde ». Elles permettent de partager avec les autres et d'agir dans son environnement. Par exemple, elles servent à reconnaître ce qui est mangeable de ce qui ne l'est pas, de distinguer un client d'une serveuse, de lire un menu, etc.
La méthode utilisée se fonde sur un matériau empirique de trois sortes. Tout d'abord, un traitement statistique des « mots de l'alimentation ». La cartographie sémantique ainsi obtenue sert de base à une enquête auprès de 2 000 consommateurs, par la méthode des associations libres (« Si je vous dis "bien manger", quels sont les mots qui vous viennent à l'esprit ? »). La troisième source consiste en une enquête approfondie du Credoc, qui a donné naissance à une typologie des catégories de consommateurs (célibataire campeur, urbain moderne, rural domestique...). L'exploitation de ces données met en évidence le rôle des représentations sociales. Elles contribuent à l'adaptation du comportement en fonction des contraintes de l'environnement. Ainsi, un père de famille pourra se comporter en célibataire campeur pendant que sa famille est en vacances, en se nourrissant de boîtes de conserve et de pâtes. Les représentations sociales ne sont pas directement prédictives du comportement individuel : elles servent de référence par rapport à un environnement social donné. On comprend alors comment « certains comportements qui paraissent irrationnels suivent en fait une rationalité, celle de l'enchaînement des représentations ». En montrant comment elles se modifient au cours du cycle de vie et se propagent dans la société, S. Lahlou entend jeter les bases d'une théorie évolutionniste des représentations sociales.