dimanche 3 mai 2015

douleurs chroniques

Faire face à la douleur chronique

La douleur chronique affecte de 20% à 25% des Canadiens. Maladie imaginaire? Véritables symptômes? Comment y faire face efficacement? Le point.
 

Ah, la douleur! Elle se pointe sans crier gare, draine notre énergie, perturbe notre sommeil, mine notre humeur et embrouille notre esprit. Qui est donc cette grande trouble-fête?
Janvier 2008. Michel rentre à la maison. Il neige. Soudain, c’est le carambolage. À première vue, il n’est pas blessé. Mais le choc passé, il ressent une vive douleur au bas du dos. Trois ans plus tard, la douleur est toujours là, lancinante. Certains matins, il n’arrive même pas à sortir du lit sans aide.
L’histoire de Michel n’est pas unique. Selon la Dre Aline Boulanger, anesthésiste et directrice des cliniques de la douleur du CHUM et de l’hôpital du Sacré-Cœur à Montréal, de 20% à 25% des Canadiens souffrent, à différents degrés, de douleur chronique, ce qui en fait un problème plus fréquent que le diabète et l’asthme. N’empêche, elle est encore souvent sous-évaluée et banalisée.
«L’ennui, c’est que la douleur se mesure difficilement – contrairement au diabète ou à l’hypertension, par exemple – et que les symptômes sont invisibles, déclare le psychologue Jacques Charest, spécialiste en psychothérapie stratégique au Département des sciences de la santé à l’Université du Québec en Abitibi- Témiscamingue. Bon nombre de gens atteints de douleur chronique passent donc pour des malades imaginaires auprès de leur entourage et, parfois même, de leur médecin. Et quand on les croit, on a tendance à penser qu’ils exagèrent leur mal, ce qui est rarement le cas.»

Le seuil de tolérance à la douleur

Autre réalité: on peut difficilement comparer l’intensité de sa propre douleur à celle des autres. Alors que certains individus supportent stoïquement leurs migraines, d’autres ne peuvent endurer un simple mal de tête. Or, chez tous, la douleur est bel et bien réelle. C’est le seuil de tolérance qui diffère.
«Cela s’explique par la tolérance physique propre à chaque individu, mais aussi par divers facteurs qui modulent la perception de la douleur, tels que le conditionnement social (les hommes ne doivent pas exprimer leurs émotions!), l’éducation familiale, l’expérience antérieure de la douleur, l’impact émotionnel et la culture des individus (les peuples asiatiques et anglo-saxons sont moins expressifs que les peuples latins), relate Jacques Charest. L’anxiété et la fatigue physique et mentale rendent également plus sensible à la douleur, tout comme l’isolement social.»
Difficile à croire, mais, de prime abord, la douleur est bénéfique. Elle sert de signal d’alarme quand vous vous blessez ou quand vous contractez une maladie ou une infection. Sans cette réaction de défense du corps, vous mourriez prématurément, incapable de réagir au danger.

Le phénomène de la douleur est toutefois complexe. Malgré des progrès considérables, on n’en comprend pas encore tous les rouages. On sait néanmoins que la transmission normale de la douleur se fait lorsqu’une terminaison nerveuse perçoit une douleur et la transmet du nerf périphérique vers la moelle épinière, puis au cerveau. On a également identifié clairement deux types de douleur: la douleur nociceptive et la douleur neuropathique.

La douleur nociceptive
Elle se divise en deux catégories: somatique et viscérale. La douleur somatique touche les muscles, la peau, les os, les tendons et les ligaments. C’est celle que vous éprouvez quand vous vous faites une entorse ou quand vous souffrez d’arthrose. Elle est aiguë, intermittente, localisée et, habituellement, amplifiée par le mouvement.
La douleur viscérale affecte, quant à elle, les organes internes: intestins, foie, reins, poumons, cœur. C’est celle que vous ressentez quand vous souffrez d’angine, de calculs urinaires ou de troubles intestinaux. Elle est souvent diffuse et constante.

La douleur neuropathique
Contrairement à la douleur nociceptive, elle ne suit pas le mécanisme normal de transmission de la douleur. Elle est générée par le nerf lui-même. Elle survient à la suite d’une lésion à un ou plusieurs nerfs, ou d’une dysfonction nerveuse. Le zona, la sclérose en plaques, la névralgie dentaire, la migraine et les polyneuropathies diabétiques font partie de ce groupe. La douleur neuropathique est souvent décrite comme une brûlure intense ou un choc électrique.

Douleur aiguë, subaiguë ou chronique
Une fois le type de douleur déterminé, il faut maintenant savoir si elle est aiguë, subaiguë ou chronique.
Les douleurs aiguë et subaiguë apparaissent à la suite d’un accident, d’une infection, d’une lésion ou d’une chirurgie. Elles sont vives et bien définies, mais passagères. La douleur aiguë dure au plus une semaine, tandis que la douleur subaiguë demeure entre une semaine et trois mois.
La douleur chronique, pour sa part, s’installe en permanence ou revient de façon cyclique avec une intensité variable. On dit que la douleur est chronique lorsqu’elle persiste au-delà de trois mois. Elle résulte souvent d’une maladie dégénérative ou évolutive. Mais parfois aussi d’une lésion: même si le processus de guérison est terminé – aux examens, on ne décèle ni blessure ni atteinte neurologique –, la douleur subsiste. C’est le cas notamment de la douleur névralgique postérieure à un zona.
Par ailleurs, si la provenance de certaines douleurs chroniques, comme celles de l’arthrose et de l’arthrite, s’explique facilement, il n’en est pas de même pour plusieurs douleurs de ce type qui surviennent soudainement ou progressivement sans cause identifiable, comme la fibromyalgie et la migraine. C’est ce qui rend la douleur chronique si difficile à cerner et à traiter.

Inévitablement, la douleur chronique affecte le quotidien des personnes touchées. Pour comprendre, imaginez vivre avec un lancinant mal de dents jour après jour. Insupportable! Les répercussions sont d’ordre physique et psychologique, mais aussi familial, professionnel, social et financier. Plusieurs multiplient les absences au travail.

D’autres doivent renoncer à une carrière prometteuse, quand ce n’est pas carrément à leur emploi. D’autres encore abandonnent leurs activités préférées et leur vie sociale. Certains n’arrivent même plus à accomplir leurs tâches quotidiennes.
C’est sans compter les dommages collatéraux. Plusieurs couples ne résistent pas à l’épreuve. C’est ce qui est arrivé à Carole. «Lorsque j’ai commencé à souffrir de fibromyalgie, ma relation avec mon conjoint s’est vite détériorée. Il disait que c’était dans ma tête et que si je bougeais plus, ça irait mieux. Il ne comprenait ni ma douleur ni ma fatigue. C’est devenu infernal. Je n’avais pas l’énergie pour tenter de sauver mon couple. Je l’ai quitté.»

Pas surprenant que la dépression touche plusieurs d’entre eux. Selon la Dre Boulanger, de 30% à 60% des personnes victimes de douleur chronique finissent par faire une dépression.
Louise O’Donnell-Jasmin connaît bien ses ravages. Mère de quatre enfants, épouse, éditrice et écrivaine, elle mord dans la vie. Coup du sort: en 2000, tout bascule à la suite d’une chirurgie dentaire. Lors de l’anesthésie locale, son dentiste atteint par erreur la branche du nerf trijumeau. Quelques jours plus tard, elle est terrassée par une douleur foudroyante qui s’étend à ses dents, ses mâchoires, ainsi qu’aux muscles de son visage, son cou et ses épaules.

«Je voulais mourir, se remémore-t-elle. Du jour au lendemain, je suis devenue incapable de travailler et de fonctionner. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même. La douleur a pris toute la place. Pendant des années, je suis restée confinée à ma chambre et à mon salon, osant à peine bouger pour ne pas générer encore plus de douleur. Les examens médicaux ne montraient aucune lésion, mais la douleur était omniprésente. Aucun médicament n’en venait à bout. J’ai sombré dans la dépression.»
Étonnamment, la dépression serait rarement causée par la douleur elle-même. «Elle est le plus souvent liée au temps d’attente, soutient Jacques Charest. De nombreuses personnes traînent en effet longtemps dans le système de santé avant d’obtenir un diagnostic et un traitement efficace. Or, plus l’attente est longue, plus l’état se détériore, plus la douleur devient invalidante et plus le risque de souffrir de dépression augmente.»

Après des années de douleur, Louise O’Donnell-Jasmin a heureusement repris graduellement le contrôle de sa vie grâce à un médecin spécialiste qui a finalement trouvé la bonne médication pour soulager sa douleur et la sortir de sa dépression. Un psychologue lui a aussi suggéré l’autohypnose. «J’ai appris que mes pensées pouvaient influencer la perception de ma douleur», avoue-t-elle.
Qu’on se le dise: il n’existe pas de traitement unique de la douleur. Les spécialistes suggèrent plutôt une combinaison de différentes approches, variant selon le type de douleur et son intensité. On les classe en quatre catégories.

Les approches physiques

Chaud et froid, physiothérapie, neurostimulation électrique transcutanée (TENS), acupuncture, ergothérapie, massages, etc.

Les approches psychologiques

Relaxation, psychothérapie, thérapie cognitive-behaviorale, hypnose, méditation, imagerie mentale, etc.

 Les approches interventionnistes
Infiltrations, implantation de neurostimulateurs, chirurgie de destruction nerveuse, etc.
 
Les approches médicamenteuses

Pour la douleur somatique: acétaminophène, anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), relaxants musculaires, opioïdes (codéine, morphine, méthadone, etc.); pour la douleur viscérale: acétaminophène, AINS, antispasmodiques, opioïdes; pour la douleur neuropathique: coanalgésiques (antidépresseurs, anticonvulsivants, cannabinoïdes), opioïdes.

Ce sont les médecins traitants qui proposent les traitements de première ligne. Mais quand la douleur chronique perdure et résiste aux traitements habituels, reste la solution des cliniques de la douleur. On y trouve les services d’une équipe multidisciplinaire (médecin, psychologue, physiothérapeute, ergothérapeute, infirmière, travailleur social, etc.) spécialisée dans le traitement de la douleur chronique. Malheureusement, n’y entre pas qui veut. Il faut y être envoyé par son médecin et être patient, car les délais d’attente s’échelonnent sur plusieurs mois.
Cela dit, s’il est possible de traiter la douleur aiguë, il est beaucoup plus difficile de supprimer totalement la douleur chronique. «On ne parvient pas toujours à l’éliminer complètement, mais on peut au moins la soulager suffisamment pour améliorer le sort des personnes atteintes», assure la Dre Aline Boulanger.

En fait, un certain nombre de patients souffrant de douleur chronique seront soulagés complètement à la suite d’un traitement bien ciblé. Quant aux autres, ils peuvent généralement espérer une diminution de leur douleur variant entre 30% et 50%. «À première vue, cela peut sembler minime, concède la Dre Boulanger. Mais, pour la majorité des patients, c’est souvent ce qui leur permet de retrouver une vie active et de réintégrer le travail.»
Face à cette réalité, vous avez le choix: baisser les bras ou prendre votre douleur en main pour mieux la contrôler. La seconde option est évidemment souhaitable. Pour y arriver, il faudra sans doute modifier vos habitudes, mais aussi votre attitude face à la douleur. Quelques suggestions.
  • Intégrez des activités agréables dans votre journée: écouter de la musique, peindre, faire un casse-tête, etc. Même de courte durée, elles vous distrairont de votre douleur et vous relaxeront.
  • Bougez. Durant l’activité physique, le corps libère des endorphines qui diminuent la perception de la douleur. Mais avant d’entreprendre toute activité physique, parlez-en à votre médecin.
  • Écoutez votre corps. Quand la douleur s’annonce ou s’amplifie, arrêtez tout et reposez-vous.
  • Brisez l’isolement. Entretenir un réseau social contribue à détendre le corps, à garder le moral et à oublier momentanément la douleur.
  • Relaxez. L’anxiété, le négativisme, le stress et l’obsession de la douleur l’amplifient ou la maintiennent. Pour vous détendre et réduire votre souffrance, pratiquez la respiration profonde, la méditation, l’autohypnose ou l’imagerie mentale, entre autres. Au besoin, consultez un psychologue.
  • Participez à des rencontres de groupe dans une école interactionnelle de douleur chronique consacrée au traitement de la lombalgie, la fibromyalgie, la cervicalgie ou la douleur abdominale chronique. Élaborées par une équipe pluridisciplinaire de spécialistes, ces rencontres touchent la motricité, l’orthopédie, la douleur et la psychologie interactionnelle. «On apprend notamment aux gens à s’autotraiter en modifiant leur façon d’agir afin d’alléger leur douleur sans se blesser», explique Jacques Charest. En résumé, la douleur ne doit pas contrôler votre vie, c’est vous qui devez la contrôler. Il existe des solutions. Ne reste plus qu’à découvrir vos propres armes antidouleur.

Arthrite: tenez votre journal!

Le Journal de prise en charge de la douleur arthritique, créé par la Société d’arthrite du Canada, veut faciliter le partage d’informations concernant le patient entre les professionnels soignants. Une bonne idée!

Souffrir d’arthrite, c’est éprouver de la douleur. Et pour la soulager, les gens consultent de nombreux experts et essaient toutes sortes de trucs: médicaments, bien sûr, mais aussi chaleur, froid, exercices, produits naturels, massages, acupuncture, physiothérapie, chiropractie, ostéopathie, nutrition et manipulations diverses.

Si toutes ces tentatives pour avoir moins mal donnent toutes, à leur façon, certains résultats, il reste que les divers soignants consultés ne savent pas ce qu’a fait le voisin pour vous aider. La main gauche qui ignore ce que fait la main droite reste encore la maladie chronique du système de santé…

Essais et résultats

C’est donc pour faciliter le partage d’informations entre professionnels que la Société d’arthrite du Canada vient d’approuver la parution d’un Journal de prise en charge de la douleur arthritique. Il s’agit d’un petit cahier que la personne souffrant d’arthrite transporte avec elle d’un expert à l’autre et dans lequel chacun peut trouver le détail de ce qui a été fait, à ce jour, contre la douleur, et avec quel résultat.

Imaginons le scénario suivant. Un mal de cou vous entraîne chez le physiothérapeute, qui vous traite. En même temps, vous prenez des analgésiques pour calmer la douleur. De temps à autre, vous mettez un coussin chaud et, quand ça fait trop mal, de la glace. Votre médecin de famille, que vous informez de cette douleur, vous prescrit une radiographie. Il découvre que vous souffrez d’arthrose dans une vertèbre cervicale. Il vous prescrit un médicament. À la pharmacie, en plus de votre ordonnance, vous achetez de la glucosamine parce que tout le monde dit que ça soulage. Puis vous vous décidez à consulter l’acupuncteur, dont vous parle votre belle-sœur depuis des années, pour venir à bout de cette douleur qui, finalement, va et vient en intensité, mais ne disparaît jamais, malgré toutes vos tentatives.


Faites circuler l'information entre les spécialistes

La plupart du temps, ni le physiothérapeute, ni le médecin, ni le pharmacien, ni l’acupuncteur ne sont au courant de l’ensemble des démarches et des traitements que vous faites contre votre douleur, sans compter que chacun ne dispose pas du précieux diagnostic. «Or, il s’agit d’informations très importantes qui peuvent nous aider à travailler tous dans la même direction et surtout avec plus d’efficacité, croit le Dr Claude Laroche, médecin de famille et porte-parole pour le lancement de cet outil. Cette information permet aussi d’éviter conflits et contre-indications entre les diverses recommandations des experts consultés. Le patient devient ainsi un partenaire dans son traitement, pas seulement quelqu’un à qui l’on impose quelque chose.»

«Mes patients vont souvent consulter d’autres professionnels et ne me le disent pas, déplore le Dr Laroche. Ils pensent que je ne serais pas d’accord. Mais pas du tout! Je respecte les autres intervenants parce qu’ils sont, comme moi, intéressés au mieux-être de leurs patients. Par ailleurs, je n’ai pas le monopole de la vérité…» Le patient n’est pas toujours un bon porte-parole; il peut oublier de donner certaines informations et il ne comprend pas toujours le jargon médical.

C’est donc pour pallier d’évidentes lacunes de communication entre les soignants que ce journal est né. Comportant 11 pages, dont 6 à remplir, il fait le tour complet de ce qu’est la douleur du patient, de qui la traite, et comment. Les divers intervenants ont de l’espace pour y ajouter des notes. Le médecin peut y préciser son diagnostic. Le patient y note les coordonnées des différents experts qu’il consulte afin que chacun puisse, au besoin, contacter l’autre.

Les gens souffrant d’arthrite prendront-ils le temps de remplir ce journal et de le tenir à jour? Le Dr Laroche croit que oui. «Les patients sont de mieux en mieux informés et réclament de bons soins, dit-il. Or, cet outil poursuit exactement les mêmes buts.»

On peut demander une copie de ce Journal de prise en charge de la douleur arthritique à la Société d’arthrite, au 1-800-321-1433; il est aussi disponible en version imprimable sur le site Internet de la Société d’arthrite.

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