mercredi 27 janvier 2016

Comment dessiner d’imagination?

Comment dessiner d’imagination?

Ca y est, vous avez décidé de passer aux choses sérieuses depuis peu. Après avoir copié des tonnes et des tonnes de dessins, de photos, et même des modèles d’après nature, vous vous sentez prêt à dessiner d’imagination et à montrer au monde le fruit de votre dur labeur.
  Vous attrapez avec fierté votre plus beau crayon HB et une jolie feuille A4 avec une légère granulation. Vous êtes confortablement assis sur votre chaise, dorénavant en position de combat, vous vous mettez à crayonner erratiquement de gauche et de droite. Cependant, plus vous avancez dans votre création, et plus vous sentez un malaise vous envahir. Vous prenez alors un peu plus de recul au dessus de votre croquis et vous vous apercevez avec terreur que vous dessinez comme…. un enfant !
Vous qui recopiez pourtant à la perfection vos héros préférés, ou qui avez passé un temps impensable à reproduire les modèles les plus difficiles en un temps qui en ferait rougir plus d’un…
Comment est-ce possible ? Ne seriez-vous pas au final qu’une machine à copier?
Rassurez-vous, je pense sincèrement que 99% des artistes sont passés par là, si ce n’est pas 100%.
La raison de cette différence est simple, le dessin d’observation et le dessin d’imagination ne font pas intervenir les mêmes parties du cerveau. Il s’agit de deux activités cérébrales totalement différentes. (Attention je ne parle pas du geste en lui même, mais des processus d’intégration et des processus mentaux qui interviennent juste avant de tracer un trait.)


Pourquoi une telle différence?

« Le dessin reste du dessin » pourraient dire certains, comme d’autres pourraient répliquer d’une façon toute aussi irréfléchie: « c’est la main qui dessine, pas la tête ». Pourtant, tous vos schémas moteurs sont bien originaires de certains réseaux synaptiques de votre cerveau, et les gestes du dessin en font partie. La main n’est qu’une actrice, un simple outil au bout de la chaîne motrice. Le cerveau est le chef de projet : c’est lui qui planifie chaque geste. Sans vous faire un cours de neuroanatomie qui vous barberait certainement autant que moi (on est ici pour dessiner par pour philosopher, nom d’un chien! 😉 ), je tiens à vous faire comprendre ceci : le cerveau va piocher dans différents réseaux de neurones selon que vous dessinez d’imagination ou d’observation ; les informations ne transitent pas de la même façon selon l’un ou l’autre.
Pour vous expliquer le plus simplement possible, j’aurais tendance à mettre en avant quatre grandes notions qui viennent différencier le dessin d’imagination du dessin d’après modèle :
  • La compréhension
  • La visualisation en trois dimensions
  • La mémoire visuelle
  • L’imagination

La compréhension du monde réel

Il faut être assez curieux pour comprendre ce qui nous entoure. Certains individus, selon leurs capacités intellectuelles, leur éducation et leur expérience pourront traverser la vie sans trop réfléchir sur le pourquoi et le comment. La curiosité n’est pas un vilain défaut lorsqu’on veut comprendre les rouages et les mécanismes de l’environnement qui anime notre quotidien. Un artiste curieux aura bien plus de chances d’étonner le public qu’un artiste passif qui reste dans sa zone de confort et qui ne fait pas l’effort d’apprendre de nouvelles choses.
Pour vous aider, voici les questions qu’on peut se poser lorsqu’on est observateur et curieux:
  • la nature: en quelle matière est fait l’objet ? de quoi est-il constitué ? Ressemble-t-il à quelque chose que je connais déjà ? Puis-je le comparer à quelque chose que j’ai déjà observé ? quelle est sa structure interne et externe ? Quelle est son histoire ? S’il s’agit d’un objet vivant : comment est-il animé ? Que me rappelle-t-il lorsqu’il est en mouvement? Est-il constitué d’un squelette ou est-il simplement animé par des tissus contractiles ? Quel genre de comportement a-t-il ? Etc…
  • La fonction: quel utilité a cet objet ? Fait-il partie d’un système complexe? Quel rôle a-t-il dans ce système ? Quels sont les autres objets du système qui ne pourraient pas fonctionner sans lui ? Etc…
  • La perspective: s’agit-il d’une perspective à un, deux ou trois points de fuite ? Quelle est la hauteur de la ligne de vision ? A quelle distance se tient-on de l’objet ? L’objet a-t-il une perspective similaire à un autre objet de la scène Etc…
  • La lumière : s’agit-il d’une lumière directionnelle ? Ponctuelle ? Colorée ? Artificielle ? Naturelle ? Quelle est sa taille par rapport à l’objet? Est-elle dure ou diffuse? Dans le cas où elle serait naturelle, à quelle heure intervient-elle ? Etc…
  • La géométrie : l’objet ressemble-t-il à un design que j’ai déjà pu observer par le passé ? Ou bien à d’autres objets de la même catégorie ? Ou alors à d’autres objets inertes ou vivants qui n’ont à priori rien à voir ? Quelles sont les formes géométriques primaires qui résument le mieux l’objet ? L’objet a t-il un design plutôt organique ou cubique ? Etc…
 


La visualisation en trois dimensions

En d’autres termes, c’est la projection mentale de ce que l’on veut dessiner dans un monde en trois dimensions. C’est une activité très difficile et qui s’acquiert avec pas mal d’efforts et d’expérience.
Projeter mentalement un dessin, c’est un peu comme jouer aux échecs, plus on est compétent dans cette activité, et plus on est capable d’anticiper un maximum de coups à l’avance. Ce qui signifie que l’on sait où on va avant de poser chaque trait. Rappelez-vous de ce point. Les activités et compétences qui peuvent grandement aider la visualisation en 3D sont :
  • l’acquis des bases de la perspective: si vous êtes abonnés au blog, vous allez recevoir mon mini-guide sous peu 😉
  • la modélisation 3D : installer par exemple google sketchup (logiciel gratuit) sur votre ordinateur et amusez-vous à construire des formes simples et à faire bouger la caméra à votre guise. A force de voir bouger des objets en trois dimensions, vous pourrez de mieux en mieux reproduire les perspectives que vous voulez utiliser dans votre dessin.
  • La sculpture : cette activité développe fortement la visualisation en trois dimensions. Construire étape par étape une création en volume entraîne le cerveau à représenter et à manipuler les formes à sa guise. Le gros avantage de la sculpture, est que vous aurez une meilleure compréhension des volumes, étant donné que c’est vous qui aurez construit votre œuvre du début à la fin. Si vous n’avez pas la place pour faire de la vraie sculpture, voici un exemple de bonne pâte à sculpter utilisée dans certaines grandes écoles d’arts. Si vous n’avez pas la place, il existe de très bons logiciel comme Sculptris (gratuit). Essayez, vous risquez de vous amuser. Pour info, j’utilise la version 4R3 du logiciel Zbrush (payant). J’utilise Zbrush depuis longtemps, mais j’avoue qu’il est un peu complexe au départ.
Voici un exercice qui vous fera travailler la projection mentale :
  1. Sculptez ce que vous voulez, une tête, un personnage, avec des formes assez marquées et reconnaissables, mais relativement simples.
  2. Faites le tourner devant vous sous tous les angles pendant environ 5 minutes. Efforcez-vous d’aller doucement et observez-le sous toutes les coutures. Prenez le temps de distinguer les proportions, la géométrie, le design (aussi simple soit-il).
  3.  Maintenant, essayez de le dessiner sous un angle précis sans le regarder (ne trichez pas, ça ne sert à rien). Dessinez ce qui vous vient, n’ayez pas peur de l’échec, car vous échouerez sur les premiers essais, croyez-moi. Cet exercice allie mémoire visuelle et projection mentale. En réalité, tout ce dont vous ne vous souvenez plus, votre cerveau tentera de le reconstruire par lui-même, avec plus ou moins de précision. N’abandonnez pas. Si l’objet est trop difficile à visualiser, changez-le. Vous n’êtes pas obligé de prendre une de vos sculptures pour notre exercice, mais il est toujours difficile de trouver des objets intéressants et peu complexes. Tandis que si vous sculptez un petit personnage ou un visage simple, vous prendrez plus de plaisir à le dessiner que s’il s’agit d’un objet aléatoire et sans intérêt.
Cet exercice nécessite énormément de concentration, prenez votre temps encore une fois! Éloignez les activités parasites comme votre téléphone portable, votre petit frère ou votre petite sœur (huhu 😉 ) et j’en passe…
 


La mémoire visuelle

Il s’agit de votre bibliothèque d’images internes engrangées avec le temps. Il est indispensable d’être observateur, ou de se forcer à l’être, et ceci quotidiennement. On peut se discipliner pour devenir curieux et observateur. N’observez pas que ce qui vous intéresse. Sortez de vos domaines de prédilection, et de façon générale soyez attentif aux formes globales plutôt qu’aux détails.
L’exercice précédent est très bon pour la mémoire visuelle.
Vous pouvez également utiliser l’exercice décrit dans cet article sur la mémoire visuelle.
Pour retenir une image ou une scène visuelle à moyen et long terme, rien de tel que :
  • de la comprendre (tous les points cités précédemment)
  • de l’observer au moins 5 à 10 minutes par jour pendant plusieurs semaines
Moi qui suis un grand fan du « Seigneur des Anneaux », j’ai pu remarquer qu’à force de revisionner la saga encore et encore, je prends connaissance de toujours plus de petits détails que je ne voyais pas les premières fois où je passais les films. Tout ça pour dire que lorsqu’on connaît vraiment une image, on est capable de la décortiquer dans les moindres détails sans trop d’effort. Lorsqu’on apprend des choses sur une image, c’est qu’on ne la connaît pas suffisamment pour la dessiner dans les détails, ni plus ni moins. Ce qui fait que je ne sais toujours pas dessiner Gollum d’imagination (encore trop approximatif… mais un jour viendra où je pourrais le dessiner sous tous les angles: il faudrait que je fasse des arrêts sur image pour marquer un peu plus ma rétine 😉 ).
Encore un exercice qui peut vous servir :
  1. Observez un objet 5 minutes
  2. Fermez les yeux
  3. imaginez-vous en train de dessiner cet objet sur une feuille trait par trait, étape par étape : plus vous parvenez à imaginer vos traits et à les conserver dans votre esprit au fur et à mesure que vous dessinez intérieurement, plus votre mémoire à court terme est améliorée, ce qui est toujours mieux qu’une mémoire de poisson rouge qui ne permet pas de visualiser un trait plus d’une seconde 😉 .
  4. Dessinez à présent sur votre feuille ce que vous avez visualisé dans votre tête.
Cet exercice est utilisé également par les sportifs de haut niveau, et notamment par les gymnastes avant d’effectuer des figures acrobatiques complexes : ils visualisent et anticipent du mieux possible les sensations physiques qu’ils devraient ressentir pendant l’effort, afin de réaliser au mieux leurs gestes techniques. C’est exactement pareil pour nous avant de dessiner, mieux vaut projeter ce que l’on va faire avant de se lancer à l’aveuglette.
 



L’imagination

L’imagination est étroitement liée à l’inspiration. C’est en fait la façon dont on mixe notre bibliothèque visuelle interne avec les éléments du réel. On ne peut jamais vraiment créer quelque chose de parfaitement original. C’est mère nature qui guide notre imagination du début à la fin. Nous ne faisons que mélanger les éléments du réel à l’intérieur de notre esprit. Plus l’on est capable de mixer des concepts complexes, plus notre imagination est puissante. Si notre bibliothèque interne d’images (issue de notre mémoire visuelle à moyen et long terme) est bien fournie, il sera d’autant plus facile de les fusionner avec des références photos existantes ou un modèle d’après nature.
Demandez à un architecte de construire un building solide. Ce sera bien plus facile pour lui de construire le bâtiment de ses propres mains (même si en soi, c’est la compétence de l’ouvrier), que pour un individu lambda qui n’y connaît rien dans le domaine.

Pour conclure

Gardez bien en tête que le dessin d’imagination peut être le stade final d’aboutissement d’un artiste. Bien sûr, on peut toujours s’aider de références photos lorsqu’on crée une illustration (d’ailleurs je le recommande fortement). Cependant, il est toujours bien d’essayer d’observer, de comprendre le fonctionnement des objets et des êtres vivants qui nous entourent. On peut améliorer son dessin rien qu’en étant observateur, sans dessiner un seul trait, simplement en entraînant son cerveau à analyser un visuel.
Donc ce n’est pas parce que vous n’avez pas de carnet de croquis sur vous, qu’il n’est pas utile d’observer, bien au contraire. Habituez-vous à observer et à comprendre ce qui vous entoure. Intéressez-vous à tout. Aucune petite pilule miracle ne réfléchira, ne sera attentive et ne prendra du temps pour observer à votre place 😉 .
  Si vous préférez vous en tenir au dessin d’observation (dessin « passif », comme je l’appelle), c’est tant mieux pour vous, l’essentiel est de se faire plaisir en dessinant. A l’inverse, réaliser ses propres illustrations, avec ses propres idées, son propre style est une tâche difficile, qui prend des années; il faudra s’armer de patience car apprendre à dessiner c’est aussi apprendre à imaginer.
Je suis actuellement en train d’écrire un guide sur la créativité artistique. Ce livre me prend beaucoup de mon temps libre, et ne verra certainement pas le jour avant l’été 2013. Il sera dédié à faciliter la tâche à l’artiste, dans la recherche de ses propres idées de dessin. Avec ce livre en votre possession vous ne pourrez plus être à cours d’idée. Patience donc! 😉

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