mardi 24 novembre 2015

La France face au défi du salafisme

La France face au défi du salafisme : entre respect de la liberté de conscience et risque de délitement social causé par un “apartheid” volontaire, où placer le curseur ?

Depuis les années 90, le nombre d'adeptes du salafisme est croissant en France. Si cette pratique n'est pas (toujours) violente, elle n'en reste pas moins un vrai terreau pour le terrorisme et l'idéologie prônée par l'Etat Islamique. Néanmoins, ce n'est pas le seul problème qu'elle présente : le risque de fracture sociale est réel, tant le mode de vie prôné par les salafistes diffère (et rejette) celui du citoyen de la République Française.

Contradiction fondamentale

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La France face au défi du salafisme : entre respect de la liberté de conscience et risque de délitement social causé par un “apartheid” volontaire, où placer le curseur ?
Cheikh Abd Elfatah, un salafiste algérien. Crédit Reuters

Atlantico : A la suite des attentats, Manuel Valls a cherché à nommer l'ennemi intérieur français en visant du doigt le salafisme. Depuis les années 1990, le courant salafiste est en progression en France, pointé du doigt après chaque attentat. Pour autant, tous les salafistes sont-ils violents ? Ne faudrait-il pas, finalement et au nom de la liberté d'expression, de pensée, etc, tolérer le salafisme en France ?

Guylain Chevrier : Effectivement, Manuel Valls a désigné l’islamisme radical comme l’ennemi et le salafisme comme l’un des éléments de l’islamisme radical, « antichambre de la radicalisation » qui peut conduire au terrorisme. Mais pour bien comprendre ce qui s’opère avec la montée du salafisme en France depuis les années 1990, il faut voir que ce mouvement plonge ses racines en Arabie saoudite, qui s’éloigne d’une tradition plus modérée propre aux traditions du Maghreb qui dominait les mosquées sur notre sol. Un mouvement que l’on connait en Afrique par exemple, avec des mosquées financées par les pays du Golfe, ce qui est allé de paire avec l’avènement de mouvements religieux radicaux qui, il y a dix pour la plupart, n’existaient pas ou était marginaux.

Le salafisme est un mouvement sunnite revendiquant un retour à l'islam des origines. Les salafistes sont les adeptes d’une lecture littéraliste du Coran et d’une pratique rigoriste. Ils se sont fait d’abord discrets paraissant ne pas s‘intéresser à la cité, mais ont progressivement ensuite investis les mosquées, dont une centaine qu’ils dominent aujourd’hui et font partie des 150 mosquées radicales (chiffre du ministère de l’intérieur).
En dix ans, leur nombre s’est multiplié par trois, arrivant à une mouvance entre 15.000 à 20.000 personnes. Ils prospèrent sur la surenchère, proposant toujours plus sur les tenues vestimentaires, sur le caractère traditionnel et conservateur de la prière, le respect stricte des textes au nom de la « vraie religion », ce qui ne laisse pas insensibles certains. Azzedine Gaci, le recteur de la mosquée de Villeurbanne, peut aussi expliquer que dans ce domaine  que les instances musulmanes ne sont pas capables de gérer le problème.
 Mais aussi, que « Certains politiques, certaines municipalités ne sont pas claires dans leur façon de réagir. Beaucoup d’associations ont pignon sur rue sans avoir d’autorisation. Ce n’est pas normal » dit-il. Face à l’affichage de plus en plus ostensible de ces structures, le gouvernement a annoncé son intention de fermer les lieux de culte ou de dissoudre les associations qui « s’en prennent aux valeurs de la République ».

Certains défendent que cela jette une même suspicion sur l’ensemble du courant salafiste, accusé de faire le lit du radicalisme. On parle d’un mouvement composite fondamentaliste, constitué en particulier d'une mouvance traditionaliste et d'une mouvance djihadiste. Certains spécialistes avancent que les salafistes seraient en majorité des « quiétistes », animés par des préoccupations religieuses, hostiles à toute implication dans la vie sociale et politique ce qui constituerait une critique du djihadisme. « Quiétistes » ?
Tout d’abord, le projet des salafistes d’imposer en France un mode de vie religieux qui est le leur, le retour au mode de vie du prophète n’est pas neutre, car ils sont en faveur d'une application stricte de la loi islamique (Sharia), on sait ce que cela veut dire.
Ils pratiquent la polygamie interdite par la loi, une inégalité entre hommes et femmes qui va jusqu’à effacer l’identité de ces dernières, imposant le voile intégrale et le retrait total de notre société, de façon discriminatoire, dans le mépris de la loi d’interdiction de la dissimulation du visage dans les lieux publics (11 octobre 2010), rejettent la République en bloc et même avec elle la musique, n’est-ce pas un peu politique tout de même ?
 Et puis, on connait ces mouvements sectaires qui se présentent comme non dangereux lorsqu’ils sont en groupes restreints mais dès qu’ils prennent de l’importance n’hésitent pas à recourir à la violence pour imposer à l’ensemble de la société leur vision des choses, comme la seule conforme.
C’est bien à quoi nous avons assisté dans les pays du printemps arabe. Comment peut-on aussi oublier que le rapport littéral au texte coranique relève d’un projet religieux qui entend organiser non seulement les croyants mais l’Etat à son image? Rappelons-nous comment ont régulièrement dégénérés les contrôles par la police de femmes en voile intégral, en émeutes de quartier, comme à Trappes ou à Marseille, montrant l’influence du salafisme perçu par les autres musulmans comme se reconnaissant dans cette radicalisation religieuse, pour appeler un chat un chat, mêmes s‘il ne s’agit pas directement de djihadisme.

Alexandre Del Valle : C'est une question très délicate, dans la mesure où on ne peut pas empêcher qui que ce soit de penser quelque chose tant que des actes dangereux ne sont pas commis. La question qu'il convient de se poser est celle de la dangerosité du mouvement. Appelle-t-il à la haine ? Tombe-t-il sous le coup de la loi ? Dès lors qu'un mouvement salafiste prône l’inégalité entre les sexes, incite de ce fait à l'infériorisation de la femme ou à la haine envers le "mécréant" ou "l’apostat", ce que font la plupart des salafistes, y compris ceux réputés non-violents dits "quiétistes", alors on fait face à un véritable problème.

Certes, nous ne pouvons évidemment pas interdire et emprisonner tous ceux qui s'en réclament, sachant qu’à l'intérieur même de l'islamisme salafiste, il existe plusieurs mouvances, politiques, non politiques, violentes, ce qui inclut les djihadistes, mais aussi quiétistes et littéralistes, souvent non-violentes et a-apolitiques.  En fait, le terme salafisme vient de l’arabe "salaf" ou "ancêtre", ou encore "pieux prédécesseur", en référence aux premiers musulmans. Il prône le retour à la pratique ancestrale du "vrai" islam "pur" des origines, qui serait pour eux celui de l'époque du prophète et dont les musulmans seraient coupables de s’être éloignés. Ils rejettent tout apport "infidèle" qui aurait "perverti" l’islam au nom d’une lecture littérale des textes coraniques et des hadith.

Qu’ils soient "modérés" pacifistes quiétistes ou jihadistes, le socle commun aux salafis est de prôner des règles et pratiques socio-religieuses ultraconservatrices (barbe longue sans moustache, tenue traditionnelle - kamis, ou djellaba, calotte pour les hommes;  voile intégral-niqab pour les femmes puis une fermeture fondée sur un ultra-ritualisme et une imitation obsessionnels des pieux ancêtres et de Mahomet. Trois courants différents.

Ce terme global se réfère donc aux courants les plus orthodoxes et obscurantistes de l'islam sunnite, dont le centre et le cœur est l’Arabie wahhabite et dont l’école de référence est le Hanbalisme. Malgré leur diversité, tous défendent une lecture extrémiste de la charia qui en font de facto des ennemis des sociétés démocratiques, séculières et ouvertes occidentales ou autres "mécréantes".

D’après les spécialistes, on peut distinguer entre 1/ le salafisme politique "réformiste" (notamment le mouvement Sahwa Islamiyya en Arabie saoudite, le “réveil islamique”, qui appelle la monarchie saoudienne corrompue et soi-disant pro-occidentale à se "réformer" politiquement, non pas au sens occidental du terme réforme mais au sens des Frères musulmans, dont cette mouvance est proche.

2) Le salafisme-jihadiste, qui accorde au jihad guerrier une place centrale au sein même de la croyance religieuse et qui inspire la plupart des terroristes sunnites salafistes. Le clivage majeur existant en son sein concerne la portée géographique du jihad, qui est tantôt global et donc à la fois contre "l’ennemi lointain" et "l’ennemi proche" pour les uns (Etat Islamique), ou seulement local (contre "l’ennemi proche", les "mauvais musulmans" ou "apostats") pour les autres. Ce courant -jihadiste est né de l’expérience des fameux Ikhwans en 1929 qui conquirent l’Arabie par la guerre et détrônèrent le Cherif de la Mecque, puis il réapparut sous la forme d’une opposition interne extrémiste en Arabie saoudite lors de la prise de la mosquée al-Haram à la Mecque en 1979 par le groupe Juhayman al-Utaybi. On le retrouvera aussi dans le cadre de la lutte contre l’occupation russo-soviétique en Afghanistan durant la fin de la Guerre froide et c’est dans ce contexte que naîtra Al-Qaïda  autour d’Abdullah Azzam et Oussama Ben Laden. Le jihadisme est alors alors un véritable dogme religieux et la forme suprême de lutte révolutionnaire totale et sacrée.

3/ Le Salafisme dit "quiétiste", très présent en Europe et majoritaire au sein du salafisme européen et occidental. On sait que 95 % des salafistes présents en Europe sont des salafistes quiétistes, qui prônent le retour aux "sources pures" de l’islam. Ils se désintéressent ainsi en général de la question politique et sont souvent opposés à l’action violente, même si leur idéologie est fondamentalement  intolérante et obscurantiste.
En fait, lorsque l’on a affaire à un mouvement salafiste et violent (cas 2), la question ne se pose même pas de savoir si on peut le tolérer: il se doit d'être interdit en vertu de la loi, tout simplement, et sa tolérance est coupable. Lorsqu’il n’est ni violent ni terroriste (cas majoritaires en Europe), mais qu’il appelle à la haine de l’Autre et au refus de la loi en vigueur jugée "impie", il mérite d'être interdit dès lors qu'il va également à l'encontre de la loi (appel à l’infériorisation des femmes, des "apostats", des mécréants, refus de laisser des femmes se faire soigner par des hommes dans les hôpitaux, etc). Néanmoins, lorsqu'il n'est ni violent, ni djihadiste, ni en flagrant délit d'incitation à la haine et à la discrimination, il ne peut évidemment pas être interdit.
Cela étant, si l’on constate que ses adeptes sont recrutés selon des méthodes sectaires et qu’ils sont incités à se couper de la société, il doit être placé sous surveillance, de la même façon que l'on surveille une secte.
D’une manière générale, l'Etat (comme les collectivités territoriales) ne peut pas reconnaître et donner des facilités d'aménagement aux tendances salafistes de l’islam dans la mesure où dans le meilleur des cas ce mouvement est obscurantiste et prône le repli communautaire face à une société "impie". Il est clair que les adeptes du salafisme qui ont l'habilité de ne pas appeler à la haine et qui ne sont pas solidaires de mouvements violents ne présentent aucun motif d'arrestation : on ne va pas les interdire en raison d'un délit d'opinion.
Il faut toutefois rester prudent et l’on ne peut pas reconnaître officiellement un culte obscurantiste qui diffuse une lecture littéraliste et fanatique de l'Islam, qui est intolérant et qui prône un mode de vie similaire à celui de Mahomet et des ses "successeurs bien guidés" (Kalifes rachidoun) aux VII et VIIIèmes siècles. Un mouvement de la sorte est nécessairement dangereux au niveau sécuritaire (excepté la version 2 bien sûr), mais il apparaît difficile de le reconnaitre officiellement en l’incluant dans le CFCM, ou de lui permettre de bénéficier de la moindre complicité ou aide financière des forces publiques en dépit du fait qu'il soit toléré.

Gérard Leclerc : Le problème est délicat. Il est primordial de ne pas permettre un salafisme violent ; d'autant plus dans la mesure où il y a aujourd'hui une intoxication de jeunes gens par des prêches outranciers. C'est quelque chose qu'on ne peut pas laisser faire. Dès lors que la sécurité publique est en cause, l'Etat est obligé d'intervenir : c'est une question de sécurité publique. La liberté d'expression souffre de limites, précisément définies par la sécurité, la sécurité du pays… Lorsque des prêches salafistes outranciers conduisent à un engagement violent, on doit réagir. L'Etat est tout à fait légitime à le faire.

Néanmoins, il s'agit pour l'Etat d'intervenir sur le terrain de la liberté de conscience et c'est là que cela devient si délicat. Il y a tout un discernement à opérer, notamment en ce qui concerne la régulation du religieux. Le problème que l'on constate avec l'islam c'est cette absence de régulation. L'Eglise catholique est régulée par un magistère. Cette autorité a la possibilité de déterminer ce qui est orthodoxe de ce qui est hétérodoxe. Cela n'existe ni dans le cadre de l'Islam ni, plus spécifiquement, dans l'Islam en France.
Certains, y compris parmi les musulmans, préconisent pourtant une sorte d'autorité spirituelle musulmane, capable de discriminer ce qui est ou n'est pas acceptable, du point de vue de la foi. Une espèce d'orthodoxie musulmane, somme toute. L'absence de cette autorité musulmane est un gros problème. La liberté de conscience, la liberté de croyance et la liberté de religion (y compris dans le cadre d'un salafisme qui ne serait pas violent) sont cruciales et il convient de les préserver. De ce fait, il y a une double obligation de la part de l'Etat. En premier lieu, l'interdiction de ce qui va à l'encontre de la sécurité publique, puis en deuxième lieu, demander à l'islam de France de s'organiser. Napoléon avait procédé de la sorte avec le judaïsme, en cherchant à l'organiser dans le cadre national pour permettre cette régulation du religieux. C'est également ce que Nicolas Sarkozy avait voulu faire quand il était ministre de l'Intérieur : contraindre l'islam de France à s'auto-réguler. Ca n'est malheureusement pas évident, puisque ça n'est pas dans la tradition de ce culte.

Dans quelle mesure est-ce que le salafisme est-il répréhensible aujourd'hui ? La liberté de croyance assurée par le caractère démocratique de la France ne devrait-elle pas nous pousser à nous résigner à ce genre de pratiques ?

Guylain Chevrier : Les salafistes viennent prier dans les mosquées à côté des autres musulmans, mais en groupe, ils ont de l’influence, et endoctrinent. Ils sont partout, et comme il est constaté, ont tendance à se répartir sur le territoire en étant présents dans de nombreuses mosquées. Le sociologue Raphaël Liogier, à la tête de l’Observatoire du religieux, dont la spécialité est une défense inconditionnelle de l’islam, nous explique sur France info vendredi dernier, qu’il ne serait là question que d’une différence de mode vie, qu’il faudrait tolérer, et que le fondamentalisme serait même une résistance contre le djihadisme, car il ne serait pas dans l’islam politique (sic !). On voudrait bien comprendre ?
Derrière le fondamentalisme qui peut passer pour du quiétisme, leur mode de vie et leur idéologie constituent une véritable rupture avec la République, nos valeurs et principes, nos lois ! Pire, le fondamentalisme désigne l'attachement strict aux principes originels d'une doctrine religieuse, considérée comme la seule « vraie » religion, et donc, fidèle aux textes.
Mais comment ignorer où vont chercher la légitimité de leurs actes les djihadistes? Dans le Coran ! Où on trouve des appels à la violence en faveur du jihad (guerre sainte), particulièrement envers les apostats et les mécréants, les juifs et les catholiques, de nombreuses fois : « Ceux qui ne croient pas dans nos versets, nous les brûlerons bientôt dans le feu » (Coran, Sourate 4.56). D’autre part, le projet d’organiser leur vie communautaire sur le modèle du prophète, n’est-ce pas un projet politique, qui s’ils le pouvaient, l’imposerait à tous? Comment donc ne pas voir, que le salafisme constitue une entrée vers la radicalisation ? Les Tunisiens qui s’y sont confrontés ne s’y sont pas trompés, ils ont fermés les 80 mosquées salafistes après les attentats de Sousse. Le droit de croire n’est pas en cause, mais une forme de croire qui s’oppose à tous nos principes aujourd’hui et à des relations raisonnées et apaisées avec l’islam de France.

Alexandre Del Valle : Cette question est formulée de telle sorte qu'il apparaît presque obligatoire de dire oui ! Pour autant, je crois que nous ne sommes obligés en rien, et que le critère de décision est très simple : est-ce qu'un mouvement tombe ou non sous le coup de la loi. Si non, la question ne se pose pas. Cependant, s'il est sous le coup de la loi, la réponse est également claire: il faut l'interdire. Tout dépend de cette question de conformité avec la loi, ce qui implique qu’il faut pouvoir prouver qu’un salafiste non-violent ait tenu des propos pouvant troubler l’ordre public ou menacé des personnes jugées "impies" et inférieures. Le débat n'est donc pas celui de la liberté de pensée – chacun pense ce qu'il veut, puisque le critère est celui de l'application de la loi. Mais même lorsque certains groupes salafistes sont assez habiles pour ne pas se faire prendre en flagrant-délit de promotion de la charia dans ce qu’elle de plus violent et inégalitaire, nous ne pouvons pas agir comme le Premier ministre du Canada, ou d’autres politiques occidentaux, notamment anglais, en réalisant des "accommodements (soi-disant) raisonnables" avec des mouvements officiellement intégristes, voire totalitaires. Ces exceptions, au titre du "droit à la différence" ou de la "liberté de culte" ne doivent servir à justifier la non-application de la loi, car la Charià dans sa version salafiste est clairement hostile aux sociétés ouvertes et occidentales.

Quand des collectivités locales accordent des facilités, des terrains ou, plus simplement lorsque l'administration autorise des associations dites "culturelles" (loi 1901) qui sont en réalité des associations cultuelles (loi 1905), on détourne carrément la loi au profit du communautarisme confessionnel subversif et contraire à la République. Le culturel est alors détourné au profit du cultuel. C'est tout à fait illégal : une association culturelle ne doit jamais financer ou promouvoir le culte, et le fait que cela profite aux adeptes d’une idéologie qui nous est fondamentalement hostile est un facteur aggravant. Hélas, aujourd’hui, et ceci depuis des décennies, nombre d’associations qui servent à organiser et financer le culte musulman sont des associations purement culturelles, qui répondent à la loi 1901, plus souple que celle de 1905. C'est une situation tout à fait illégale dont les islamistes radicaux savent profiter et abuser.

Prenons également l'exemple de l'imam de la mosquée de Brest : les propos qu'il tient tendent à la déshumanisation, quand il déclare "que ceux qui écoutent de la musique et qui dansent sont des singes et des porcs". Il est relativement facile de démontrer l'illégalité de ce genre de mécanismes de déshumanisation, d'autant plus graves qu'ils ont servi à tous les totalitarismes pour désigner leurs victimes avant des meurtres de masses. La République ne peut pas tolérer que des mouvements – même non violents – considèrent les gens qui aiment la musique, les femmes, ceux qui sont "païens", juifs ou chrétiens (ces mécréants) comme des singes ou des porcs. Selon les salafistes, la femme est inférieure et peut-être corrigée par son mari… elle doit également être excisée… Quand bien même ils n'annoncent pas vouloir appliquer leur vision totalitaire de la charia en France, ils estiment normal en son nom que l'on coupe la main des voleurs, qu'on lapide des gens ou que l’on soit polygame. L'application de la charia tombe par conséquent forcément sous le coup de la loi, ce que même le Conseil de l’Europe a reconnu dans une résolution célèbre. Le simple fait de se solidariser avec la charia constitue à mon sens une illégalité : car elle contient, surtout dans sa lecture salafiste-hanbalite-wahhabite, tout ce qui est contraire à la démocratie, aux droits de l'Homme, à l'égalité.

Jusqu'où est-il vraiment possible de faire co-exister ces deux modèles ? Comment arriver à un équilibre ?

Guylain Chevrier : Les salafistes prônent un islam sans concession à l’Occident. Il n’y a pas d’équilibre possible avec des individus qui se mettent volontairement non seulement hors de l’art de vivre de notre pays, mais hors la loi en raison de leur mode de vie. La question est celle d’un choix de société. Nous ne sommes pas dans un pays comme l’Angleterre où les rapports entre les citoyens sont organisés sur le mode d’une règle du jeu définie devant les tribunaux et quelques textes de référence poussiéreux. Il n’y a pas d’équivalent de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
En lieu et place du principe d’égalité c’est celui de la non-discrimination qui encourage l’expression des différences, où existe encore le délit de blasphème, dans un esprit très libéral qui entend laisser les individus aux mains de groupes auxquels on les assigne et séparent selon la religion, l’origine, la couleur, sous le signe du multiculturalisme. Quant à nous, nous sommes dans une société qui est organisée sous une République dont la Constitution contient au sommet de sa pyramide une philosophie de l’homme, qui tient dans quelques principes fondamentaux sur lesquels si on lâchait un tant soi peu, s’en serait fini de nos beaux idéaux et dans le concret, de la liberté de l’individu, de ses droits. Si nous laissons s’organiser des groupes communautaristes qui rompent l’égalité entre les citoyens, la République n’y survivra pas. Les salafistes sont de ce point de vue une tête de pont, un bélier, qu’il faut stopper.

Alexandre Del Valle : Il est vrai, tant pour le salafisme que pour le mouvement islamiste quiétiste indo-pakistanais Tabligh, ou d'autres mouvements islamistes radicaux qui prônent une imitation de l'époque du prophète, qu'un phénomène d'auto-exclusion se met en place. Ces mouvements prônent le fait que "l'infidèle souille" le fidèle ; qu'il est "impur", indigne de confiance ou de compagnie, et que normalement, un musulman ne peut vivre que sous un régime islamique (dar-al Islam), et à défaut vivre replié et coupé des "infidèles". Par-dessus tout, la femme musulmane ne doit pas épouser ou même être en contact avec les "mécréants". ce dernier est considéré par essence comme dangereux pour l'homme et pour la femme. Il est "pervers", ses lois (et tout ce qui lui ressemble) est "anti-islamique". De ce fait, en prônant ce genre de vision, les salafistes s'excluent eux-mêmes de la République. Je ne crois pas à l'idée d'une exclusion à proprement parler, mais je pense que les islamistes salafistes comme d’autres pratiquent l'auto-exclusion et le "ghetto volontaire". La République ne sépare donc personne, elle-le ne pratique aucun "apartheid", car ce sont ces gens qui se séparent de la République volontairement parce qu'ils n'adhèrent pas à ses valeurs.

Il est crucial de réaliser qu'on ne peut pas changer nos mœurs, nos lois, notre civilisation sous prétexte que certaines personnes adhèrent à un modèle obscurantiste. Ce n'est pas à notre société de s'adapter à eux, mais bel et bien à eux de se conformer aux lois de notre société. Quant à la notion d'équilibre que vous mentionnez… Il est déjà là : personne n'interdit les salafistes non-violents. Le problème ne se pose pas car personne n'a jamais songé à persécuter les salafistes. C'est, finalement, davantage eux qui posent des problèmes à l'administration (le voile, le visage couvert, la polygamie, le refus de laisser des femmes se faire hospitaliser par des hommes, etc…). Beaucoup de musulmans modérés de pays arabes m'ont expliqué que les salafistes sont actuellement plus libres à Londres ou à Paris que dans bien des pays musulmans…

Gérard Leclerc : Je suis un disciple de René Girard, qui a réfléchi toute sa vie à la question du rapport entre la violence et le sacré. Elle est, à ses yeux, inaugurale. Le religieux intervient aux origines pour réguler la violence et l'empêcher de faire éclater le groupe social. Par conséquent, le religieux est la médiation nécessaire pour empêcher la violence de produire ses effets. Le problème vient du fait que cette fonction est parfois corrompue, en ce sens que le sacré est compromis par la violence. Il faut donc purifier le sacré, en exorcisant la violence. Cet exorcisme de la violence, Girard l'observe dans le cours de l'histoire biblique. On retrouve, dans la Bible, des traces d'un religieux archaïque avec un dieu violent et vengeur. Le peuple de Dieu s'émancipe peu à peu de cette figure-là – toujours selon René Girard – pour reconnaître un Dieu de "tendresse et de pitié", ainsi qu'il décrit dans la Bible. On passe donc du Dieu vengeur au Dieu de "tendresse et de pitié". Selon René Girard, cette évolution est particulièrement visible dans la passion du Christ, dans la mesure où Jésus est l'innocent par excellence, pris dans un processus de lynchage qu'il n'accepte pas. Dans la sacralité violente ancienne, la victime était consentante vis-à-vis de son propre martyr : c'était une nécessité d'ordre sociale ; la médiation obligée pour rétablir une certaine paix. Dès lors, le christianisme apparaît comme la sortie de cette sacralité violente.

Cela ne signifie pas que, dans son histoire, le christianisme ait été indemne de cette sacralité violente. C'était une sorte de trahison des messages évangéliques les plus fondamentaux et de cette sortie de la violence. Avec l'islam, le problème vient du fait que le Coran est d'une teneur particulièrement violente. A l'origine, Mahomet est un chef de guerre. Il est, par conséquent, très difficile de séparer l'islam de ce contexte très guerrier. Cela étant, beaucoup de musulmans à la fois modernes et spirituels voudraient complètement revoir cet héritage de violence. C'est, bien évidemment, cette voix qui doit se faire entendre aujourd'hui. Le message qu'il porte est plus que jamais nécessaire et c'est ainsi et seulement ainsi qu'il sera possible de faire coexister deux modèles. Le modèle salafiste est porteur de violence. Il faut donc mettre en valeur un modèle de paix et de réconciliation, qu'on trouve dans certains rameaux de l'islam comme le soufisme.
Quelles sont les mesures à prendre pour apaiser la situation de tension que nous croisons aujourd'hui ?
Guylain Chevrier : On a vu se multiplier dans ce contexte les revendications identitaires à caractère religieux qui ont littéralement explosé à la faveur de cette mansuétude à un islam rétrograde et fondamentaliste, au nom du respect de la liberté de croire. La tendance à vouloir imposer partout le port du voile, rejeté par une large majorité de Français dans le travail ou à l’université, est un phénomène qui va de concert avec la montée du salafisme. On laisse s’installer dans des entreprises de plus en plus nombreuses, le fait qu’une partie du personnel puisse, pour faire ses cinq prières par jour, investir par exemple un vestiaire qui devient inaccessibles aux autres quand on ne donne pas une salle à cet effet, créant une discrimination envers les autres salariés, sans compter encore la pression communautaire que cela crée envers les autres musulmans que l’on cherche à y assigner qui ne veulent pas pratiquer la religion dans l’entreprise, mais aussi sur les autres salariés.

On voit une pression se faire sur notre société qui crée des tensions de plus en plus palpables dans tous les espaces, de l’hôpital à l’école... La complaisance dont les salafistes ont bénéficié jusqu’alors a banalisé leur vision de l’islam, servant de cheval de Troie entre autres, au refus d’hommes de serrer la main de femmes, qui se multiplie. Ce qui devrait être fermement condamnée devant les tribunaux, et qui relève d’une des entrées de la radicalisation religieuse, qu’on ne s’y trompe pas !

 Les conversions au salafisme procèdent d’une surenchère pour le nouveau converti, tenté d’en rajouter pour donner des gages à la communauté pour trouver sa place et être accepté, qui est la porte ouverte à la dérive djihadiste. Cette influence va jusqu’au cœur des quartiers, participant des ingrédients capables d’allumer des mèches chez des groupes de jeunes fanatisés, entre parcours délinquant, fondamentalisme et rejet de la République, qui sont toujours prêts à en découdre avec la police. Il y a derrière cela un vrai risque de contagion à certains quartiers de la violence sous le signe des attentats qui la banalisent.

Il y a un climat qui est très inquiétant sur la façon dont l’islam entend s’inscrire dans la République qui doit absolument évoluer pour prévenir le risque de radicalisation de certains. Il faut sortir d’une orientation de l’islam qui fait passer les valeurs religieuses avant celles de la société, comme l’enquête de l’institut Sociovision le révélait en décembre 2014, avec 56% des musulmans interrogés qui faisaient ce choix. Une attitude contraire à la République qui ne reconnait que des citoyens de droit avant des croyants, ce qui fait de nous des égaux avant d’être différents, permettant le mélange au lieu du repli et de la séparation. Un mode de croire qui rejoint l’idéologie salafiste.   Les salafistes jouissent d’une écoute, sans avoir provoqué des dénonciations ciblées et publiques de la part des autres religieux musulmans, montrant qu’ils jouissent d’une impunité dans leur propre champ d’action religieux et dans des quartiers, et même bien au-delà. Il a d’ailleurs fallu les derniers événements pour que l’on commence à prendre vraiment au sérieux les choses de ce côté. Il faut sortir de cette logique qui progresse chez les musulmans, qui veut que le droit n’ait pas de prise sur la foi, et donc casser ce refus de se soumettre aux règles communes dans l’esprit d’imposer sa loi religieuse à la loi de tous. C’est sans doute une des clés pour prévenir voire désamorcer le risque djihadiste. Bernard Cazeneuve a fait savoir que des procédures de dissolution « d'associations cultuelles occupant des lieux de cultes radicalisés et faisant l'apologie de la violence » étaient déjà en cours depuis plusieurs mois. « Elles arrivent à leur terme et elles feront l'objet d'un examen par le conseil des ministres. » Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech prédit que ces dissolutions « risquent d'être très ciblées et très limitées », en raison de la difficulté à rassembler des éléments de preuve. Ce qu’il faut, c’est pénaliser toutes les infractions : expulser les imams radicaux, poursuivre les incitations religieuses à la haine des valeurs occidentales démocratiques, et faire une évaluation du risque que représente le salafisme, afin de créer les conditions d’objectiver ce que ce mouvement à tendance sectaire engendre comme problèmes d’ordre public et comme risque. Il faut en finir définitivement en France avec cet islam qui ne peut que jouer contre les musulmans, la société et la République. Il y a urgence, nous n’avons plus le temps ni le choix.

Alexandre Del Valle : Je crois que ce qui rend les gens agressifs dans les milieux islamistes, c'est l'attitude de nos élites intellectuelles et politiques bienpensantes, et notamment de certains lobbies soi-disant "anti-racistes" mais à l’indignation sélective. Quand ces derniers font croire que la France est "islamophobe, raciste, intolérante" ; qu'elle "exclut", met en place un "apartheid" et que les musulmans seraient traités comme des moins que rien, je pense que c'est une inversion et surtout une incitation à la haine de la France et de l’Occident. Plus que les musulmans, ce sont les juifs et les "gaulois" qui sont tués et décapités, victimes d'attentats, de judéophobie et de christianophobie. En outre, cette auto-flagellation ne nous rend aucun service ! Comment voulez-vous que des gens s'intègrent à nos sociétés et à nos mœurs et nous respectent si, depuis tout petit, on leur explique que le Français est méchant que la France est "raciste" et qu'il ne faut rien en attendre et que l'islamophobie est une constante des sociétés occidentales ?

Pourtant, cela n'est pas quelque chose que je constate. Les musulmans qui ne se sont pas auto-exclus via une idéologie radicale ne m'apparaissent pas particulièrement stigmatisés, en France. En tout cas pas pour leur foi, car croire ou ne pas croire n’est pas un problème, mais un droit garanti et qui appartient au domaine privé. Une chose est certaine : les musulmans même islamistes sont beaucoup moins brimés et mal traités que ne le sont les chrétiens dans les pays musulmans les plus modérés !
La première des mesures consiste donc à mettre fin à ce discours de haine de soi. Même si cela peut paraître utopique ou long-termiste, je crois qu'il faut y mettre fin. Ce discours de la repentance (permanente) est très dangereux. Premièrement parce qu'il est faux : on n'est jamais le pire et chaque peuple a été dur avec d'autres et aucun n’est sans tache. Le peuple arabo-musulman n'en est pas exempt, puisqu’il fut dans l’histoire l’un des plus impérialistes, au moins autant sinon plus que nous. Faire croire à nos jeunes depuis l'enfance que nous avons toujours été coloniaux ou en croisade, que nous avons toujours été des prédateurs et toujours "humilié" les musulmans comme les africains, c'est dangereux. Nous avons colonisé, c'est indéniable, mais nous n'avons pas toujours été les colonisateurs, pas plus que nous ne l'avons fait tout le temps. Rappelons-nous que les peuples musulmans ont également colonisé l'Espagne ou la Sicile, qu'ils ont réalisé des razzias dans le sud de la France et même razzié Rome en 846, ce qu’aucun croisé n’osa jamais faire...

Il m’apparaît donc important de moins parler de nos "fautes ou erreurs passées" et d’aller ensemble vers le présent et le futur pour bâtir une société où les musulmans (comme n'importe quelle autre religion) sont les bienvenus mais à la seule condition qu’ils respectent des règles qui s'appliquent à tous. Il n'y a pas de place pour les exceptions qui empêchent, finalement, l'intégration.

Gérard Leclerc : C'est difficile à dire. Je crois qu'il faut scinder cette problématique en deux aspects : d'abord ce qui revient à l'Etat, puis ce qui revient aux musulmans eux-mêmes. Du côté de l'Etat, il faut mettre en place des mesures de sécurité immédiate qui consistent à expurger tous les imams fanatiques qui développent des prêches violents. Débusquer tous les réseaux qui mènent à Daesh… Ces mesures de polices reviennent strictement à l'Etat. Aux musulmans, en revanche, il revient de réguler leur religion. On peut penser à la mise en place, comme je le préconisais plus haut, d'une autorité doctrinale susceptible de s'opposer aux déviations violentes comme certains salafismes. Cette autorité condamnerait au nom de l'islam tous ceux qui ne se retrouvent pas sur un chemin de paix. 

Un rapport de force
L'Arabie Saoudite, berceau du salafisme et grand financeur de l'islamisme radical et du terrorisme, avec le Qatar et la complicité des Etats comme la France, sur le terrain de la Syrie ou de nos banlieux, vient de demander, par le biais de son roi, à rencontrer Poutine. Pourquoi se rapprocher de celui qui est le plus autoritaire, le plus déterminer à éradiquer l'EI, le plus efficace dans la lutte contre l'islamisme? Parce qu'il est plus fort, qu'il "en a", qu'il ne s'embarrasse pas trop de considérations philosophiques... C'est un rapport de forces. Le temps n'est pas aux intellectuels mais aux représentants de la force et de l'autorité contre un phénomène dangereux à neutraliser. Le salafisme, très archaïque, fonctionne selon la loi du plus fort. Du jeune musulman pré-délinquant au roi d'Arabie Saoudite, ce qui est respecté est ce qui est craint. Notre "humanisme béat", notre démocratie naïve n'est pour eux que de la faiblesse. Gardons nos valeurs mais sachons d'abord nous faire respecter.

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