vendredi 20 novembre 2015

L’ère de la guerre

L’ère de la guerre

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Francois Hollande devant les membres du Parlement réunis en Congrès à Versailles. Photo Stéphane de Sakutin. AFP

Devant le Congrès, le Président a présenté un arsenal législatif et sécuritaire destiné à renforcer la lutte contre l’Etat islamique. Des mesures d’exception qui coupent l’herbe sous le pied de la droite mais suscitent des craintes pour les libertés publiques.

«Le terrorisme ne détruira pas la République parce que c’est la République qui le détruira.» C’est la promesse - martiale et républicaine - que François Hollande a faite lundi devant le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, trois jours après les attentats de Paris et de Saint-Denis. Il a déroulé un nouvel arsenal législatif et sécuritaire ainsi qu’un agenda international qui rappellent la réaction des Etats-Unis juste après le 11 Septembre. «La France est en guerre» et sera «impitoyable», a martelé le Président, au fil d’un discours où il a coupé l’herbe sous le pied de la droite tout en préservant une partie de sa gauche dans l’espoir de faire vivre une union nationale déjà bien mal en point.

«Légitime défense»

Après les attaques contre Charlie et l’Hyper Cacher en janvier, le gouvernement avait panaché sa riposte judiciaire et policière de petites mesures sur l’éducation ou la laïcité. Neuf mois plus tard, le discours présidentiel porte à 100 % sur la sécurité et il paraît difficile de croire que ce nouvel arsenal est né en 72 heures. Certaines mesures avancées lundi, à la grande satisfaction du parti Les Républicains (comme la déchéance de nationalité pour les terroristes), avaient été évoquées l’hiver dernier avant d’être écartées. L’exécutif veut déchoir de la nationalité française tout individu «condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né Français». Il propose aussi d’interdire le retour en France d’un jihadiste binational parti en Syrie, et veut pouvoir «expulser plus rapidement les étrangers qui représentent une menace d’une particulière gravité pour la nation». En clair, les imams radicaux et certains de leurs fidèles.
«Je pense que Hollande avait tout ça en tête depuis quelque temps sachant que les attentats se répéteraient», estime un conseiller de l’exécutif. «On est en légitime défense, on fait ce qu’on veut», élude un proche du chef de l’Etat, qui annonce, entre autres, 5 000 emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes dans les deux ans qui viennent, ce qui en fera 10 000 sur tout le quinquennat. Cet effort «considérable permettra simplement de restaurer le potentiel des forces de sécurité intérieure au niveau qu’elles connaissaient en 2007». Une pierre dans le jardin de Nicolas Sarkozy. Pour la gauche de la gauche et les frondeurs socialistes, cet effort a la vertu de faire sauter un verrou politique et budgétaire majeur : «Il y aura un surcroît de dépenses, mais le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité» européen, a affirmé le chef de l’Etat.

Pour «aller au-delà de l’urgence», Hollande fait surtout le pari - énorme - d’une future révision de la Constitution, mettant la droite au pied du mur. Depuis le début de son quinquennat, le droit de vote des étrangers ou la charte des langues régionales se sont fracassés sur la majorité (introuvable) des trois cinquièmes des parlementaires nécessaire pour modifier le texte de 1958. Mais pour se «donner les moyens de garantir la sécurité de nos concitoyens», le chef de l’Etat veut «faire évoluer la Constitution pour pouvoir agir contre le terrorisme de guerre».

Éviter les amalgames

Selon son analyse, ni l’article 16, qui donne les pleins pouvoirs au Président, ni l’article 36 (l’état de siège) qui les transfèrent à l’armée ne sont adaptés à la nouvelle donne sécuritaire. La loi de 1955 qui régit l’état d’urgence va, elle, être modifiée cette semaine par le Parlement, mais «cette guerre d’un autre type appelle un régime constitutionnel qui permette de gérer l’état de crise», estime Hollande. Un nouveau cadre de droit «exceptionnel sans compromettre les libertés publiques», assure-t-il. Un «état d’urgence permanent», s’émeuvent déjà les associations de défense des droits de l’homme. Patron des députés Les Républicains, Christian Jacob, a balayé l’offre présidentielle illico : «pas besoin» d’une révision constitutionnelle. Sans l’appui d’une droite déjà en campagne, Hollande pourrait alors tenter un coup de poker : s’en remettre aux Français via un référendum.

Pour éviter le procès en amalgame, Hollande ne prononce pas une seule fois les mots «islam» ou «musulmans». «Nous le savons et c’est cruel de le dire, ce sont des Français qui ont tué d’autres Français», dit le chef de l’Etat. Mais ce sont des terroristes et c’est tout. Les autres, tous les autres sans distinction, appartiennent à la communauté nationale. «Nous ne sommes pas dans une guerre de civilisation parce que ces assassins n’en représentent aucune. Nous sommes en guerre contre une armée jihadiste», insiste le Président. Alors que le Front national réclame «l’arrêt de l’entrée de migrants» en France et que certains à droite demandent une «nouvelle politique d’immigration», François Hollande prend soin de plaider pour «l’accueil dans la dignité de ceux qui relèvent du droit d’asile». Parce que «les rythmes de notre démocratie ne sont pas soumis au chantage des terroristes», les élections régionales auront lieu en décembre comme prévu et le chef de l’Etat, engagé sur le front environnemental pour arracher un accord sur le réchauffement climatique, promet de faire de la COP 21 (elle aussi maintenue) un «moment d’espérance et de solidarité parce qu’il s’agit de l’avenir de la planète».

Condamnant les «lâches assassins», les «méprisables tueurs» qui ont attaqué vendredi des jeunes dont «le seul crime était d’être vivants», François Hollande a juré que la démocratie n’abdiquerait pas face au terrorisme : «La République française a surmonté bien d’autres épreuves. Elle est toujours là, bien vivante. Et ceux qui ont entendu la défier ont toujours été les perdants de l’histoire. Il en sera de même cette fois encore.»

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