jeudi 31 décembre 2015

Comment l'Etat va faire main basse sur plusieurs milliards d’épargne

Comment l'Etat va faire main basse sur plusieurs milliards d’épargne

La nouvelle loi applicable début janvier, devrait permettre de retrouver les héritiers de contrats dont les bénéficiaires sont inconnus. Plusieurs milliards d’euros devraient ainsi refaire surface. Mais le gros gagnant dans l’histoire, ce sera… l’Etat!

Billets en euros PHILIPPE HUGUEN / AFP Billets en euros PHILIPPE HUGUEN / AFP
Cela part d'un bon sentiment: restituer aux héritiers l'épargne qui n'a pas fait l'objet d'une succession. Il y a en effet des centaines de milliers de comptes bancaires et d'assurances-vie dont les souscripteurs ne se sont pas manifestés depuis des années, pour la bonne et simple raison qu'ils sont morts! Quant aux héritiers, ils ignorent, pour la plupart, l’existence de ces héritages potentiels. Jusqu'alors, ces sommes –que les professionnels appellent « contrats en déshérence »- étaient conservées tel quel. Sans que les banquiers ni les assureurs ne s'en émeuvent. Et pour cause: cette épargne gonflait leurs bilans et contribuait à arrondir leurs profits. Car non seulement les établissements financiers ne rémunéraient pas cette épargne, mais en plus, ils prélevaient des "frais" annuels, qui dans certains cas ont pu grignoter jusqu’à 40% des encours déposés par le souscripteur initial… A partir du 1er janvier, ce sera impossible. La nouvelle loi, proposée par Christian Eckert, le secrétaire d'État au Budget, et votée en juin 2014, oblige les assureurs à créer un fichier (Ficovie) qui recensera les contrats d'assurance-vie et à rechercher activement les héritiers de leurs souscripteurs.

Des effets réels sur l’économie

Jusqu’à aujourd’hui, il était en effet impossible de savoir si l’on avait hérité d’un contrat, à moins que le souscripteur n’ait laissé des instructions à sa famille à son notaire ou à son assureur, ce qui est rarement le cas. Du coup, assureurs et notaires doivent parfois avoir recours aux services d’enquêteurs et de généalogistes pour rechercher les héritiers. Vianney Paris, PDG de Ségur, une société de généalogie, a par exemple récemment retrouvé Emilie. « Cette jeune femme » explique-t-il, « ignorait qu’un ami de sa mère, décédée depuis longtemps, avait souscrit un contrat en sa faveur. Je l’ai retrouvée grâce au fichier des entreprises. Elle venait d’en créer une. Elle a touché, grâce à cet héritage, 68.000 euros, qu’elle a investis aussitôt en matériel professionnel. »

Epargner, ça conserve!

Banquiers et assureurs ont toujours affirmé qu’il s’agissait là d’un phénomène très marginal. Un peu d’arithmétique élémentaire suffit à comprendre qu’il n’en est rien. L'Institut national de la Statistique, notre bon vieil INSEE, relève 20.000 centenaires en France. Or, en 2013, la Cour des comptes notait, elle, et on doit se pincer pour le croire, que 674.000 Français de plus de 100 ans disposaient d'un compte bancaire! Il y a donc TRENTE fois plus de clients centenaires dans les fichiers des banques qu’il n’y en a en réalité! En effectuant la même opération sur les contrats d’assurance-vie non réclamées, on arrive à un total de plus de 1,5 million de comptes et contrats inactifs dans les établissements financiers. « La cour des Comptes, explique Vianney Paris, estimait à environ 3 milliards d’euros l’encours des seuls contrats d’assurance-vie en déshérence. Mais il faut y ajouter les comptes bancaires, les bons de caisse et les livrets, sans compter les assurances-vie souscrites auprès de compagnie étrangères… » Au total, les spécialistes estiment que les sommes en jeu devraient dépasser les dix milliards d’euros.

De grands assureurs à l’amende

En principe, les établissements détenteurs des comptes sont tenus de vérifier que leurs souscripteurs existent bien, et à défaut, de clore les comptes pour transmettre les sommes à leurs descendants. « Ce n’est pas facile », reconnaît Gérald Loobruyck, directeur du courtier en assurances Magnolia, « car les clients sont de plus en plus mobiles alors que beaucoup de produits d’épargne, dont les assurances-vie, ne sont pas transférables d’un établissement à l’autre… » D’autant que ni les banquiers, ni les assureurs ne font preuve d’un zèle excessif pour retrouver les bénéficiaires... Au point que le gendarme du secteur, l’ACPR (autorité de contrôle prudentiel et de résolution) s’en est ému et a sanctionné plusieurs grandes compagnies pour « insuffisance de recherche » d’assurés décédés: au cours des deux dernières années, Allianz a écopé de 50 millions d’euros d’amende (c’est le record de celles qu’a infligé l’ACPR), la CNP  de 40 millions, Cardif (filiale de BNP Paribas) de 10 millions et Groupama de 3 millions d'euros d'amende. D’autres ont joué le jeu et mis en place des structures ad-hoc. C’est le cas, par exemple, d’Axa, qui a créé des plateformes dédiées, mobilisant au total plusieurs centaines de personnes , pour croiser les données, éplucher les archives les plus anciennes du groupe et réaliser de véritables enquêtes de proximité pour retracer les souscripteurs disparus ou leurs héritiers. « Nous avons aujourd’hui réglé 80% de notre stock de contrats en déshérence et d’ici fin juin, nous espérons bien avoir résolu la totalité des cas », explique le directeur de ce programme pilote, Jean-Yves Calvo.

Le lobby bancaire avantagé

Axa sera donc moins concerné que d’autres compagnies par la nouvelle loi Eckert. Elle oblige les assureurs à tenir un registre de leur contrat, le FICOVI, et à recenser les contrats inactifs de leurs portefeuilles. Puis à les comparer au Registre national d'identification des personnes physiques (RNIPP), mis à jour par l'Insee. Les assureurs seront d’autant plus incités à le faire qu’ils devront désormais rémunérer ces contrats non réclamés et ne pourront plus prendre de frais. Mais bizarrement, ces nouvelles contraintes ne concernent que les contrats d’ assurance-vie et laissent de côté les autres formes de comptes (livrets, comptes courants et coffres de banque). « Ne pas obliger les banquiers à faire les mêmes recherches que les assureurs, c’est un peu fort ! » s’insurge Vincent Chauveau, notaire et président du mouvement civique « le Conseil du Coin ». De fait, selon que leur parent aura souscrit une assurance ou déposé sur un compte, les héritiers ne pourront donc pas profiter de la même façon de la nouvelle loi Eckert…

Les comptes sont d’Eckert

Le seul qui sera assuré de faire une bonne opération, grâce à cette loi, ce sera… l’Etat. Car Christian Eckert, jamais à court d’idée pour augmenter les recettes publiques, s’est arrangé pour que sa loi prévoit que les encours des contrats restés inactifs plus de dix ans et sans bénéficiaire déclaré soient versés à la Caisse des Dépôts et Consignation. Puis, après dix nouvelles années de conservation, directement au …budget de l’Etat. Cela pourrait représenter plusieurs centaines de millions chaque année. « Ce petit manège pourra durer quelques années, le temps d’épurer le stock. Cela revient à dire que l’administration fera là, en quelque sorte, les poches des morts !», s’indigne un assureur. Ironiquement, ce genre de tours de passe-passe est précisément surnommé, par les spécialistes des questions budgétaires, des… « recettes de poche » !

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