lundi 7 décembre 2015

Daech contre l’École laïque : quel est l’enjeu ?

Daech contre l’École laïque : quel est l’enjeu ? 
 
 
La revue francophone de Daech, Dar al-Islam, le 30 novembre, sur les réseaux sociaux, a menacé violemment les enseignants prêchant la laïcité, en appelant à les tuer. 
 
Professeur de Lettres
 

Nous aurions tort de mépriser la capacité qu’ont les islamistes d’analyser, peut-être plus que nous sommes en mesure de le faire, notre société dite « ouverte », dont les fragilités ne leur échappent pas. Il va de soi que les idéologues d’Al Qaida et de Daech ont saisi où se trouvent les points faibles de notre modernité, parce qu’eux-mêmes, quoique coexistant avec des masses fanatisées et souvent incultes, en sont le produit, ou, du moins, ont fréquenté assez notre monde pour en connaître tous les ingrédients et pour en maîtriser toutes les techniques, dont l’art propagandiste.
C’est ainsi que la revue francophone de Daech, Dar al-Islam, le 30 novembre, sur les réseaux sociaux, a menacé violemment les enseignants prêchant la laïcité, en appelant à les tuer.
La laïcité est, bien entendu, un signe occidental, comme l’égalité et la liberté de la femme, les mœurs « libérées », l’hédonisme sans complexes, et d’autres attributs sociétaux que l’on a l’habitude de considérer comme des progrès.
 

Dans la situation confuse où nous sommes, bien qu’en apparence nous soyons requis de choisir entre le Bien et le Mal, l’usage des mots, sinon des quelque pensée un peu complexe, s’apparente à la manipulation de la dynamite. Le sort d’un prêtre de Fourvière, l’abbé Hervé Bernard, qui a été enfermé dans un monastère par son évêque, parce qu’il avait qualifié les victimes de l’attentat du Bataclan et leurs bourreaux de « frères siamois », incite à quelque mesure de prudence.

L’état d’urgence ne concerne pas que l’instance policière, mais aussi notre capacité à sauver notre liberté de pensée et de critique. Nous étions habitués aux raccourcis démagogiques, comme cette fameuse reductio ad hitlerum, qui travestissait tout adversaire de l’immigration massive en adorateur du führer. Le pire qui puisse advenir, c’est que cette logique binaire se renforce, perdure, et devienne une seconde nature, un cercle diabolique qui enserrerait les esprits dans un univers étouffant.

Les terroristes salafistes savent pertinemment que la question de l’École, singulièrement, et celle de la laïcité, plus largement – qu’il serait erroné, dans sa version moderne, d’assimiler à celle de 1905- provoquent, par intermittence, des débats virulents. En 1986, des centaines de milliers de Français étaient déjà descendus dans la rue pour s’opposer à un laïcisme agressif. Les parents des écoles privées n’appelaient pas, pour autant, à liquider les professeurs qui les contestaient.
Le danger que certains, dans ce qui nous reste de civilisation, profitent de l’occasion pour se livrer à des amalgames sournois, pour mettre sur le même plan les terroristes et les esprits libres qui demeurent (pour combien de temps) est tout à fait présent. On le voit par exemple quand, ignominieusement, on avance que Daech vote FN. Si la logique totalitaire, l’emporte aussi chez nous, ce seront les islamistes qui auront gagné.
 
 
Daech appelle au meurtre des enseignants de l’Ecole républicaine. Réaction de la Ministre ?.. 
 
 
Cet appel au meurtre a été publié fin novembre. Pourquoi ce très long silence de Mme la Ministre et des autorités françaises? 
 
 
Dans le dernier numéro de son webmagazine francophone, Dar al Islam, Daech se glorifie des attentats du 13 novembre, en titrant “La France à genoux”. Il incite les parents musulmans à retirer leurs enfants des écoles publiques. Il vilipende “l’école à la française” et la “charte de la laïcité”. Mais il va plus loin et appelle même à tuer les “fonctionnaires de l’Education Nationale qui enseignent la laïcité”. Rien que cela.

Plusieurs journaux comme  Le Figaro, La Croix ou même La Tribune de Genève y ont consacré un article. Mais aucun de nos ministres, si prompts à s’exprimer d’ordinaire, n’a, à ma connaissance, réagi. Or cet appel au meurtre a été publié fin novembre. Pourquoi ce très long silence de Mme la Ministre et des autorités françaises?

Lire aussi : Le plan B de Daesh
 
Sa publication sur la Toile aurait dû être tout simplement interdite, elle ne l’a pas été. Elle devait alors au moins être fermement condamnée. Or ce samedi, tous les enseignants ont reçu un mail du ministère de l’Education nationale qui commence ainsi: “Le 9 décembre 2015, qui marque le 110e anniversaire de la loi de 1905, est une journée à laquelle le ministère de l’éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche souhaite donner une solennité particulière.” On pourrait croire cette “solennité particulière” une réponse aux menaces de Daech contre les enseignants. Pas du tout: suivent dix lignes, sans aucune allusion à ce cri de guerre. Soit Mme Vallaud-Belkacem ne lit pas la presse, soit elle juge les appels au meurtre des enseignants insignifiants.

Et pourtant il y aurait eu matière à l’indigner, et même à l’inquiéter. En tout cas, nous, enseignants de l’école publique, nous ne pouvons être que très inquiets car, quand les islamistes ont, dans leurs publications ou leurs prêches, désigné des cibles, celles-ci ont systématiquement été atteintes: ce fut le cas pour Charlie Hebdo, pour les juifs, et aussi pour le Bataclan. Désormais, il faut ajouter les enseignants à cette liste noire.

Le plan B de Daesh 
 
 
Ne cherchez pas : si le calme devait revenir un jour en Syrie et en Irak, c’est de Libye que partiront les assassins. 
 
Journaliste et écrivain 
 
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais. Co-fondateur de Boulevard Voltaire, il en est le Directeur de la Publication 
 
LatifaLes loups sont entrés dans PalmyreZéro de croissance : c’est la rentrée des cancres
En envahissant par deux fois l’Irak, au prix de quelques milliers de morts américains et de quelques centaines de milliers de morts irakiens, en éliminant Saddam Hussein, à juste titre qualifié de dictateur, en abattant son régime, en balayant toutes les structures militaires et civiles qui faisaient tenir un pays créé de toutes pièces par les grandes puissances coloniales, en humiliant, en excluant de tout pouvoir et en livrant la minorité sunnite aux vengeances de la majorité chi’ite, en prétendant enfin instituer et faire aimer par la population une démocratie imposée de force par l’occupant étranger et incarnée par des collaborateurs discrédités et corrompus, les deux présidents Bush, le père et le fils, ont déblayé le terrain pour le plus grand profit du fondamentalisme islamique identifié au sentiment national et au renouveau religieux. Ils ont été les premiers recruteurs, les véritables pères de Daesh.

Identifié au Mal absolu par l’Occident et de ce fait, entre autres, objet de l’admiration d’innombrables jeunes musulmans radicalisés, abusés et fourvoyés, en quête d’un idéal, d’une aventure et d’une patrie, le groupe État islamique et les populations civiles qu’il contrôle sont devenus la cible des bombardiers de l’OTAN et de l’aviation russe. Il ne semble pas jusqu’à présent que les frappes aériennes, pour lourdes et probablement meurtrières qu’elles soient, aient profondément atteint le moral des djihadistes ; en tout cas, elles n’ont pas jusqu’à présent entamé leurs positions. Sur terre, les forces gouvernementales syriennes et leurs conseillers russes, les milices du Hezbollah et leurs conseillers iraniens et, bien sûr, la fantomatique armée irakienne n’ont toujours pas marqué de points décisifs.

Face à des fanatiques qui craignent aussi peu la mort que leurs adversaires la redoutent, il n’est pas dit que la campagne de bombardements suffise à faire plier Daesh dans des délais raisonnables. Bien que ces derniers jours de nouveaux partenaires se soient joints, ne serait-ce que symboliquement, à la grande coalition, rien ne laisse augurer d’une victoire prochaine qui, selon tous les professionnels de la guerre, ne peut résulter que d’un engagement massif et résolu au sol. Chacun l’admet, mais ni la Russie ni l’Iran ni l’Occident ne souhaitent franchir ce pas. Les effectifs et surtout la volonté ne sont pas – pas encore ? – au rendez-vous.

 
Supposons cependant que les Barbares soient militairement vaincus, que l’État islamique au Levant s’effondre et que sur ses ruines l’on parvienne à rebâtir des États viables et à restaurer la civilisation, en aurait-on pour autant fini avec le cauchemar ?

Il n’en est rien, car une victoire de type classique ou traditionnel, à supposer qu’elle soit possible, ne signifierait nullement le terme de la guerre asymétrique qui nous a été déclarée par le fondamentalisme islamique.

Les cerveaux identifiés ou inconnus de cette guerre ont déjà envisagé, au cas où, une solution de repli. Ils ont un plan B et déjà, dans l’hypothèse où ils seraient vaincus au Moyen-Orient, s’organise le sanctuaire, plus proche de l’Europe, qui sera leur nouvelle base arrière. Merci, M. Sarkozy, merci Bernard-Henri Lévy. En prenant la décision, dans des conditions et pour des raisons que nous ignorons à ce jour, d’abattre le régime libyen et de liquider le dictateur, soudain redevenu gênant, qui l’incarnait et faisait régner par la terreur l’ordre sur son territoire et sur ses rivages, puis en abandonnant aussitôt le pays ainsi « libéré » à un prévisible chaos, les gouvernants français et britanniques de l’époque ont créé un vide politique que diverses factions se sont aussitôt disputées et sur lequel l’État islamique, par le biais de ses filières locales, est en train d’établir son emprise. Ne cherchez pas : si le calme devait revenir un jour en Syrie et en Irak, c’est de Libye que partiront les assassins.


Daech appelle au meurtre des enseignants de l’Ecole républicaine. Réaction de la Ministre ?.. 
 
 
Cet appel au meurtre a été publié fin novembre. Pourquoi ce très long silence de Mme la Ministre et des autorités françaises? 
 
 
Dans le dernier numéro de son webmagazine francophone, Dar al Islam, Daech se glorifie des attentats du 13 novembre, en titrant “La France à genoux”. Il incite les parents musulmans à retirer leurs enfants des écoles publiques. Il vilipende “l’école à la française” et la “charte de la laïcité”. Mais il va plus loin et appelle même à tuer les “fonctionnaires de l’Education Nationale qui enseignent la laïcité”. Rien que cela.

Plusieurs journaux comme  Le Figaro, La Croix ou même La Tribune de Genève y ont consacré un article. Mais aucun de nos ministres, si prompts à s’exprimer d’ordinaire, n’a, à ma connaissance, réagi. Or cet appel au meurtre a été publié fin novembre. Pourquoi ce très long silence de Mme la Ministre et des autorités françaises?

Lire aussi : Le plan B de Daesh
 
Sa publication sur la Toile aurait dû être tout simplement interdite, elle ne l’a pas été. Elle devait alors au moins être fermement condamnée. Or ce samedi, tous les enseignants ont reçu un mail du ministère de l’Education nationale qui commence ainsi: “Le 9 décembre 2015, qui marque le 110e anniversaire de la loi de 1905, est une journée à laquelle le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche souhaite donner une solennité particulière.” On pourrait croire cette “solennité particulière” une réponse aux menaces de Daech contre les enseignants. Pas du tout: suivent dix lignes, sans aucune allusion à ce cri de guerre. Soit Mme Vallaud-Belkacem ne lit pas la presse, soit elle juge les appels au meurtre des enseignants insignifiants.

Et pourtant il y aurait eu matière à l’indigner, et même à l’inquiéter. En tout cas, nous, enseignants de l’école publique, nous ne pouvons être que très inquiets car, quand les islamistes ont, dans leurs publications ou leurs prêches, désigné des cibles, celles-ci ont systématiquement été atteintes: ce fut le cas pour Charlie Hebdo, pour les juifs, et aussi pour le Bataclan. Désormais, il faut ajouter les enseignants à cette liste noire.

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