mardi 2 février 2016

Bergson, culture et création

Bergson, culture et création
 
 
 
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IDEES
Bergson ou l'humanité créatrice.
Nadia Yala Kisukidi.
CNRS Editions.
Octobre 2013.
305 pages.
 

 
Nadia Yala Kisukidi est philosophe. Spécialiste de Bergson et de la philosophie française contemporaine, elle enseigne à l'université de Genève.

Présentation de l'éditeur.
Politique, la philosophie bergsonienne ? Engagé dans les affaires de la cité, le penseur de l'élan vital et de la durée ? La postérité n'a guère retenu cet aspect dans l'oeuvre immense du prix Nobel de littérature 1927. En palliant cette lacune, Yala Kisukidi ouvre une réflexion stimulante qui renouvelle notre connaissance du bergsonisme. De L'Evolution créatrice (1907) aux Deux sources de la morale et de la religion (1932), elle met en lumière une philosophie politique ambitieuse fondée sur une métaphysique de la vie. La fameuse distinction du clos et de l'ouvert joue ici un rôle central : l'homme se réalise dans l'ouverture nécessairement créatrice, et non dans la clôture (guerre, racisme) voulue par la nature pour satisfaire des besoins spécifiques. Ce constat conduit Bergson à promouvoir d'un point de vue philosophique et institutionnel la démocratie et la défense des droits de l'homme. Yala Kisukidi redonne à cette pensée toute sa portée actuelle et fait dialoguer Bergson avec les penseurs contemporains du "post-colonial", ou des auteurs favorables à une religion et une politique plus ouvertes, comme Mohammed Iqbal pour l'islam et Léopold Senghor pour l'Afrique..
 
La recension de Jean-Louis Thébaud. - Esprit. - décembre 2014.
Il est difficile de relire Bergson aujourd’hui sans se souvenir des critiques violentes dont il fut l’objet dans la philosophie française après sa disparition (Georges Politzer, Georges Friedmann) et de la méfiance que suscitait son engagement officiel dans la propagande de guerre après 1914. On ne peut, pour autant, négliger son statut dans la philosophie européenne et même cette gloire que celle de Husserl a ensuite recouverte, mais qu’il a gardée aux yeux d’auteurs aussi importants que Péguy, Simmel, Horkheimer ou Benjamin
 
Mais surtout, il faut entendre l’extraordinaire salut adressé à Bergson par Senghor : 1889, déclare-t-il, marque bien le centenaire de la Révolution et le triomphe de la République, mais cette date revêt en même temps une toute autre signification puisqu’elle doit aussi être fêtée comme l’année d’une autre révolution, égale ou même supérieure en importance historique à la première : la parution de l’Essai sur les données immédiates de la conscience. Pourquoi faire un sort particulier à cette prise de position de Senghor ? Parce qu’elle signifie qu’on peut faire du neuf avec Bergson, que celui-ci entame une révolution culturelle, que la portée politique de son œuvre, indépendamment de celle qu’il a pu avoir de son vivant ou jusque dans les années 1950, peut toujours se charger d’un sens bien vivant.
 
L’actuel renouveau de la réception de Bergson, auquel Frédéric Worms se consacre depuis quinze ans, n’est pas un simple projet relevant de l’histoire de la philosophie. Après une première « reprise » par Gilles Deleuze, il s’agit bien de réintroduire Bergson dans les problématiques actuelles de la réflexion. Dans cet ouvrage, Nadia Yala Kisukidi se propose ainsi de suivre la réflexion politique de Bergson et identifie dans les thèses des Deux Sources de la morale et de la religion (1932) une proposition de philosophie de la culture qui couronne toute l’œuvre. Bergson opère dans les Deux Sources une distinction entre le clos et l’ouvert qui lui permet d’en faire un critère de jugement moral et politique. La critique vise en particulier Durkheim et son idée de cohésion de la société. Pourquoi, en 1932, s’en prendre au fondateur de la sociologie, qui théorisa la République laïque et influença aussi le socialisme naissant et, à vrai dire, tout l’ « avant-guerre » ? L’expérience de la guerre de 1914 est passée par là, après laquelle on ne peut plus entendre, sans y voir un potentiel monstrueux, la défense d’une société fermée sur elle-même, assujettie à la loi d’airain de la cohésion et de l’obligation. C’est cette clôture mortifère que l’ouvert doit briser. Et derrière Durkheim se dessine une autre cible : Rousseau. Il s’agit bien de sortir de la dialectique du citoyen patriote, dur à l’étranger, et de « la société générale du genre humain ». Fausse dialectique, du reste, division inégale car, pour Bergson, on ne passe pas d’un bord à l’autre, il faut un saut. C’est le mystique qui, par sa rupture inaugurante, brise le cercle maléfique du même et ouvre à l’ouvert. L’espèce éclate à l’apparition de l’humanité et se révèle alors comme retard, obstacle, résistance à l’ouverture. Résistance à sa poussée et – c’est à ce point que se décide le bergsonisme – c’est une unique poussée qui est à l’œuvre : la vie.
 
C’est ici que les difficultés surgissent. Le concept de vie  - et son immanence _ a-t-il de quoi soutenir une politique ou une philosophie de la culture ? On devine la grandeur du projet : si nous n’avons plus de repères transcendants pour nous orienter, s’il ne nous reste plus que l’expérience de la vie (de la souffrance, du trauma ou de la joie) peut-on retrouver une ressource immanente dans la vie, dans la pensée de la vie comme ouverture ? Telle est l’enquête de l’ouvrage, qui établit que la pensée de l’art et celle de la politique doivent être envisagées ensemble, à partir de l’idée de création et de vie créatrice.

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