Un présent
sans passé ni futur
| | |
IDEES
Modérément moderne.
Rémi Brague.
Flammarion.
Mars 2014.
383 pages.
|
Rémi
Brague, né en 1947, est un des grands spécialistes de la philosophie
grecque et de la pensée médiévale, arabe et juive. Professeur à la
Sorbonne et à l'université de Munich, il est membre de l'Institut depuis
2009. Il a récemment publié: Les Ancres dans le Ciel (Seuil, 2011), Qui est le Dieu des Chrétiens ? (Ed. Salvator, 2011), Le Propre de l'Homme. Sur une légitimité menacée (Flammarion, 2013).
Présentation de l'éditeur.
Il
faut être "modérément moderne" , et non "résolument" ; comme le
préconisait Rimbaud dans un slogan aussi galvaudé que creux. Et prendre
ses distances d'avec cette maladie, la "modernite". De ces fameux "Temps
Modernes", que peut dire un philosophe qui a décidé de ne pas avancer
masqué ? Complaisante modernité, qui se clame en "rupture" avec tout !
Et d'abord avec le passé pour lequel elle a inventé le nom de "Moyen
Age". Alors que la modernité en vit comme un parasite, dans une
dialectique autodestructrice. Car au fond, qu'a-t-elle inventé ? Ni la
révolution technique, ni l'urbanisation, ni la société civile, ni même
la personne comme sujet de libertés... Les idées modernes ne sont que
des idées prémodernes, maquillées comme une marchandise volée. Avec le
recul et la capacité d'analyse que lui permet sa formidable culture,
Rémi Brague nous offre une série de réflexions incisives sur les notions
de Modernité, de Culture, d'Histoire, de Sécularisation, de
Progrès...Chemin faisant, il met en avant des penseurs qui sortent des
sentiers battus, des idées qu'on avait oubliées, des rapprochements qui
font avancer. Peut-on guérir de la "modernite" ? C'est l'ambition de cet
essai revigorant, qui n'interdit pas d'être résolument optimiste.
L'article de Roger-Pol Droit. - Le Monde des livres - 11 avril 2014.
La modernité serait-elle une arnaque ? Il
n’y a pas trente-six manières d’envisager notre rapport aux temps
anciens. C’est rupture ou continuité.
Dans le premier cas, on veut à
tout prix faire du passé table rase, on aspire à innover radicalement,
on rêve d’inventer de l’inouï, qui auparavant n’aurait jamais été. On
fait donc sienne l’injonction de Rimbaud, dans Une Saison en enfer : « Il faut être résolument moderne ».
Dans le second cas, on se trouve convaincu que nous héritons toujours
de plus d’idées, de règles, de valeurs que nous ne le croyons. On va
donc discerner partout, dans le présent, de l’antique en filigrane.
Foin
des nouveautés, prétendues et non réelles ! Seuls comptent les liens
entre hier et demain, les survivances et récurrences du passé dans
l’actuel.Rémi Brague appartient sans conteste - et sans vergogne ! - à
cette dernière espèce. Il intitule son essai Modérément moderne, par goût de la litote. Mieux vaudrait dire « résolument archaïque », en retrouvant dans ce mot français le grec archè,
« principe fondateur » aussi bien que « commencement ».
Être archaïque
serait avant tout rester fidèle aux vérités essentielles. Rémi Brague
revendique cette fidélité première. Pour ce philosophe - qui tutoie
Aristote en grec, Thomas d’Aquin en latin, Avicenne en arabe, Maïmonide
en hébreu -, pratiquement toutes les idées qu’on croit modernes
viennent... d’avant ! Or la modernité se prétend auto-suffisante. Elle
se targue d’engendrer toute seule les notions éclatantes et nouvelles
qu’elle brandit face aux ténèbres des vieux siècles obscurs. Pareilles
prétentions font rire cet érudit qui compte par millénaire plutôt que
par trimestre. Du coup, il n’oublie pas d’être sarcastique, à sa manière
- un peu vacharde, pas franchement méchante. Son leitmotiv ?
La modernité vit du passé, mais en parasite. Elle agirait même, si l’on
ose dire, en loucedé : elle pompe continûment les Anciens, tout en les
proclamant ringards, inutiles et incertains. Plus qu’une ère nouvelle,
les Temps modernes seraient donc une vaste arnaque : on y trouverait
quantité de marchandises intellectuelles et morales de haute époque,
simplement maquillées en créations récentes, repeintes à neuf.
Et
pourtant ceux qui les fourguent ne cessent de prétendre qu’il faut
répudier erreurs anciennes et aberrations d’autrefois. Contre cette
supercherie, Rémi Brague ne donne pas dans le remède nuancé. Il prône
carrément un retour au Moyen-Âge, qui fut, on l’aura compris, le temps
des vraies Lumières. Une école selon ses vœux enseignerait les langues
mortes, car elles ont le mérite d’être inutiles et précises. Elle ne
négligerait pas la transmission des arts, car ils ont le mérite, eux
aussi, d’être exigeants comme sans usage.
Qu’on fasse du grec ou du
piano, on n’apprend rien de pratique, sauf l’essentielle rigueur du
moindre détail. Surtout, cette école idéale ne se cacherait pas sous
les pupitres pour parler de Dieu. « Au fond, la théologie serait, dans mon école, la science fondamentale »
écrit Rémi Brague. Sa conviction est en effet que sans ancrage dans la
transcendance la légitimité de l’humain devient impossible à justifier,
le Bien impossible à discerner. L’arnaque centrale de la modernité, en
fin de compte, ce serait la mort de Dieu. S’il pouvait advenir du
nouveau sous le soleil, ce serait des athées heureux. J’ai entendu dire
qu’ils existent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire