mardi 2 février 2016

Un présent sans passé ni futur

Un présent
sans passé ni futur
 
 
 
  BRAGUE (Rémi) Modérément moderne
 
IDEES
Modérément moderne.
Rémi Brague.
Flammarion.
Mars 2014.
383 pages.
 

   
Rémi Brague, né en 1947, est un des grands spécialistes de la philosophie grecque et de la pensée médiévale, arabe et juive. Professeur à la Sorbonne et à l'université de Munich, il est membre de l'Institut depuis 2009. Il a récemment publié: Les Ancres dans le Ciel (Seuil, 2011), Qui est le Dieu des Chrétiens ? (Ed. Salvator, 2011), Le Propre de l'Homme. Sur une légitimité menacée (Flammarion, 2013). 

Présentation de l'éditeur.
Il faut être "modérément moderne" , et non "résolument" ; comme le préconisait Rimbaud dans un slogan aussi galvaudé que creux. Et prendre ses distances d'avec cette maladie, la "modernite". De ces fameux "Temps Modernes", que peut dire un philosophe qui a décidé de ne pas avancer masqué ? Complaisante modernité, qui se clame en "rupture" avec tout ! Et d'abord avec le passé pour lequel elle a inventé le nom de "Moyen Age". Alors que la modernité en vit comme un parasite, dans une dialectique autodestructrice. Car au fond, qu'a-t-elle inventé ? Ni la révolution technique, ni l'urbanisation, ni la société civile, ni même la personne comme sujet de libertés... Les idées modernes ne sont que des idées prémodernes, maquillées comme une marchandise volée. Avec le recul et la capacité d'analyse que lui permet sa formidable culture, Rémi Brague nous offre une série de réflexions incisives sur les notions de Modernité, de Culture, d'Histoire, de Sécularisation, de Progrès...Chemin faisant, il met en avant des penseurs qui sortent des sentiers battus, des idées qu'on avait oubliées, des rapprochements qui font avancer. Peut-on guérir de la "modernite" ? C'est l'ambition de cet essai revigorant, qui n'interdit pas d'être résolument optimiste.
 
L'article de Roger-Pol Droit. - Le Monde des livres - 11 avril 2014.
La modernité serait-elle une arnaque ? Il n’y a pas trente-six manières d’envisager notre rapport aux temps anciens. C’est rupture ou continuité. 
 
Dans le premier cas, on veut à tout prix faire du passé table rase, on aspire à innover radicalement, on rêve d’inventer de l’inouï, qui auparavant n’aurait jamais été. On fait donc sienne l’injonction de Rimbaud, dans Une Saison en enfer : « Il faut être résolument moderne ». 
 
Dans le second cas, on se trouve convaincu que nous héritons toujours de plus d’idées, de règles, de valeurs que nous ne le croyons. On va donc discerner partout, dans le présent, de l’antique en filigrane. 
 
Foin des nouveautés, prétendues et non réelles ! Seuls comptent les liens entre hier et demain, les survivances et récurrences du passé dans l’actuel.Rémi Brague appartient sans conteste - et sans vergogne ! - à cette dernière espèce. Il intitule son essai Modérément moderne, par goût de la litote. Mieux vaudrait dire « résolument archaïque », en retrouvant dans ce mot français le grec archè, « principe fondateur » aussi bien que « commencement ». 
 
Être archaïque serait avant tout rester fidèle aux vérités essentielles. Rémi Brague revendique cette fidélité première. Pour ce philosophe - qui tutoie Aristote en grec, Thomas d’Aquin en latin, Avicenne en arabe, Maïmonide en hébreu -, pratiquement toutes les idées qu’on croit modernes viennent... d’avant ! Or la modernité se prétend auto-suffisante. Elle se targue d’engendrer toute seule les notions éclatantes et nouvelles qu’elle brandit face aux ténèbres des vieux siècles obscurs. Pareilles prétentions font rire cet érudit qui compte par millénaire plutôt que par trimestre. Du coup, il n’oublie pas d’être sarcastique, à sa manière - un peu vacharde, pas franchement méchante. Son leitmotiv ? 
 
 La modernité vit du passé, mais en parasite. Elle agirait même, si l’on ose dire, en loucedé : elle pompe continûment les Anciens, tout en les proclamant ringards, inutiles et incertains. Plus qu’une ère nouvelle, les Temps modernes seraient donc une vaste arnaque : on y trouverait quantité de marchandises intellectuelles et morales de haute époque, simplement maquillées en créations récentes, repeintes à neuf. 
 
Et pourtant ceux qui les fourguent ne cessent de prétendre qu’il faut répudier erreurs anciennes et aberrations d’autrefois. Contre cette supercherie, Rémi Brague ne donne pas dans le remède nuancé. Il prône carrément un retour au Moyen-Âge, qui fut, on l’aura compris, le temps des vraies Lumières. Une école selon ses vœux enseignerait les langues mortes, car elles ont le mérite d’être inutiles et précises. Elle ne négligerait pas la transmission des arts, car ils ont le mérite, eux aussi, d’être exigeants comme sans usage. 
Qu’on fasse du grec ou du piano, on n’apprend rien de pratique, sauf l’essentielle rigueur du moindre détail.  Surtout, cette école idéale ne se cacherait pas sous les pupitres pour parler de Dieu. « Au fond, la théologie serait, dans mon école, la science fondamentale » écrit Rémi Brague. Sa conviction est en effet que sans ancrage dans la transcendance la légitimité de l’humain devient impossible à justifier, le Bien impossible à discerner. L’arnaque centrale de la modernité, en fin de compte, ce serait la mort de Dieu. S’il pouvait advenir du nouveau sous le soleil, ce serait des athées heureux. J’ai entendu dire qu’ils existent.
 
  Autre article recommandé : Alexandre Solans, "Le testament oublié." - Etudes, juin 2014.

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